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Carnets de vol: Guy Rothheuth

Carnets de vol: Guy Rothheuth

Carnets de vol: Guy Rothheuth

Jeune adolescent, Guy Rothheuth se prend de passion pour l'aviation… grâce à sa voisine.

"Lorsque j'avais treize ou quatorze ans, ma voisine Marthe courtisait avec un jeune élève-pilote qui faisait son entraînement aux Etats-Unis et quand il lui écrivait, il envoyait toujours une petite carte pour moi avec un bel avion. Quand il est rentré en Belgique, nous avons beaucoup parlé d'avions, si bien qu'en deux ou trois ans l'idée d'entrer à la Force Aérienne m'a de plus en plus trotté dans la tête. J'ai donc quitté l'école et je me suis engagé en décembre 1954. J'avais juste 17 ans, ce qui était la limite à l'époque.

J'ai été incorporé dans la 132e promotion, une grosse promotion puisqu'elle comprenait environ 140 élèves. Les radiations ont surtout eu lieu à Gossoncourt car nous sommes partis à Kamina à une quarantaine seulement. Inutile de dire que quand on se levait le matin, on ne savait pas qui serait encore là à midi et qui serait encore là le soir. Nous sommes sortis de Kamina à 17-18 et nous avons été brevetés à 14.

A Gossoncourt, j'avais comme instructeur De Geyter qui en vol me traitait de tous les noms mais qui était charmant en dehors de ça. Certains ne voulaient plus voler avec lui car il fallait vraiment mordre sur sa chique et se dire 'j'y arriverai, j'y arriverai !' Il avait un caractère plus que rugueux mais il savait frapper là où il fallait et le lendemain on avait sûrement compris ce qu'il voulait qu'on fasse. Dire qu'on savait le faire, c'est autre chose.

Le SV4 était vraiment l'avion d'entraînement de son époque, très conventionnel. Le gros problème, c'était lorsqu'il fallait voler cockpit ouvert pour atterrir. Je me rappelle m'être retrouvé en hiver avec le commandant Denayer pour un check ou un progress test. Il faisait très froid. Lui était assis devant, enfermé dans son habitacle et moi à l'arrière, cockpit ouvert. Et pour se poser, il fallait mettre la tête dehors. Après l'atterrissage, il m'a envoyé directement à l'infirmerie. Avec le froid qu'il faisait, mon oreille avait gelé ! Je crois que si je l’avais prise en main, elle aurait cassé.

Nous faisions du PSV également, avec des plaques qui recouvraient la verrière mais c'était assez rudimentaire. Et puis aussi un peu d'acro et des navigations qui nous paraissaient énormes et difficiles avec les quelques heures de vol que nous avions. Il y avait aussi un link trainer, le même que celui que nous utiliserons ensuite à l'EPA."

En mai 1956, la 132e s'envole pour Kamina.

"Nous sommes partis en DC-4 avec escales à Tripoli, Kano et Léopoldville. Nous allions rester là-bas plus de six mois.

Le Harvard était un avion plus compliqué mais j'ai plus de bons souvenirs du Harvard que du SV. J'avais comme moniteur le colonel Wathieu qui, par tradition paraît-il, choisissait dans la nouvelle promotion un ou deux liégeois. Comme ça, il pouvait parler wallon. Vous imaginez, je mesure environ 1,70m et lui devait faire près de 2 mètres. Alors, il m'accrochait par l'arrière de ma salopette à un porte-manteau dans son bureau pour que mes yeux soient à la hauteur des siens et il me frappait sur l'estomac, et tout ça en s'adressant à moi en wallon. Et je devais faire l'effort de lui répondre en français. Il avait son avion personnel, le 207, qui était décoré aux couleurs de la 1ère dont il avait été CO. C'est d'ailleurs sur cet appareil que j'ai fait mon premier solo. Après plusieurs atterrissages, il a repris les commandes et il a dirigé l'avion jusqu'au seuil de piste. Il s'est alors déstrappé et il m'a dit, toujours en wallon : "Rothheuth, tu vas voler to seû mais si tu m'casses mon avion, j'te casse ti gueûye !" Il s'est ensuite rendu à la caravane en bord de piste où il y avait une radio avec laquelle on pouvait guider les élèves. J'ai fait quelques circuits et touch and go et je me suis posé.

Autre anecdote, toujours avec lui : j'avais certainement très mal volé ce jour-là à l'entraînement. Nous nous posons et il reprend les commandes. Il va jusqu'à la fin de la piste et là me dit : "Tu descends et tu rentres à pieds." Il était midi ! Vous imaginez la température qu'il pouvait faire à Kamina à cette heure… Je descends et il se retourne et me dit "Et tu prends ton parachute !". Je me suis donc tapé trois kilomètres à pieds. J'ai raté le repas de midi et je suis arrivé en retard au cours théorique de l'après-midi. Mais la leçon a dû porter ses fruits car trois ou quatre jours après il me lâchait solo.

J'ai de très bons souvenirs du Harvard. Nous faisions des vols locaux et des navigations avec moniteurs et parfois seuls mais elles n'étaient pas très compliquées. Après avoir décollé, nous mettions le cap, par exemple, sur un lac qui avait à peu près la superficie de la moitié de la Belgique. Impossible de ne pas le voir.

A la fin de notre séjour, nous avons bénéficié de quinze jours de congé et le patron de la base nous a proposé de nous conduire où nous voulions en DC-3 et de revenir nous chercher quinze jours après. Le reste était à nos frais mais comme nous ne dépensions pas grand-chose sur place, nous avions tous économisé un peu d'argent. Nous avons ainsi pu aller à Bukavu avant de nous rendre à Goma pour visiter le parc Albert, les volcans, … Ce fut un magnifique voyage."

De retour en Belgique, les jeunes élèves se retrouvent en novembre 1956 à l'Ecole de Chasse de Coxyde.

"Une partie d'entre nous est passée sur Meteor et l'autre sur T-33. J'ai fait ma formation sur T-33, un bon avion, pas trop sophistiqué sur lequel je me suis bien amusé. Nous faisions notamment des vols de nuit en solo. Les plus beaux au départ de Brustem, c'étaient des navigations Londres-Paris et retour à Brustem. A l'époque, le trafic était moins saturé qu'aujourd'hui et puis nous volions à environ 25 000 pieds tandis que les civils ne dépassaient pas les 20 000 pieds. Il n'y avait donc personne là-haut et de toute façon nous étions tout le temps sous contrôle militaire. Nous mettions le cap au 320-330 et le gros paquet de lumière que nous voyons, c'était Londres. On virait ensuite à gauche et on apercevait déjà Paris. Quelques mois après notre arrivée, l'Ecole de Chasse a été transférée à Brustem, ce qui arrangeait bien les trois ou quatre liégeois qui, comme moi, se rapprochaient de chez eux.

Nous avons été brevetés en mai 1957 avant de partir à Kleine-Brogel pour l'OCC sur F-84F. Nous avons d'abord passé trois semaines à Saffraanberg pour apprendre les systèmes de l'avion avant de recevoir plusieurs briefings donnés par des instructeurs. Nous avons ensuite fait un taxi sur la piste avec le moniteur accroché au bord du cockpit pour ne pas tomber et puis le grand jour du solo est arrivé. Le solo sur F-84 était sans doute le plus stressant car il n'y avait pas de biplace. Il y avait un instructeur qui nous "chasait" dans un autre avion. Je crois que s'il n'avait pas été là, nous n'aurions pas retrouvé l'aérodrome. Nous étions tellement pris par l'avion que nous ne savions plus où nous étions. C'est pratiquement lui qui nous disait d'aller à gauche ou à droite. Après un ou deux simulacres de break sans atterrir, nous nous posions. Une fois ce premier vol passé, nous étions rassurés et les autres se déroulaient nettement mieux. Les vols n'étaient en général pas très longs, 30 ou 40 minutes à peu près.

Nous avons fait chacun un "Mach run" au-dessus de la côté. Pour ce vol, nous partions de KB. Arrivés au-dessus de la mer, nous grimpions à 35 000 pieds puis nous renversions à la verticale. L'avion secouait dans tous les sens. On disait que le F était supersonique mais c'était tout juste. A 14 000 ou 15 000 pieds, il fallait redresser et rentrer. Le vol, qui se faisait évidemment en lisse, durait 25 à 30 minutes. Le Mach run n'avait pas vraiment d'intérêt, c'était juste pour dire qu'on l'avait fait.

Nous n'avons pas terminé l'OCC à Kleine-Brogel car on devait y faire des travaux sur la piste. Nous sommes donc partis avec quelques instructeurs et les avions de la 27e à Florennes où nous avons été répartis dans les 3 escadrilles. Nous étions déjà tous solo à ce moment. Je suis passé à la 1ère où je suis resté après ma formation et où a commencé pour moi la vie d'escadrille."

Et la vie d'escadrille peut parfois être ponctuée d'incidents.

"Nous devions effectuer un vol en formation pour préparer le 21 juillet. C'était le 5 juin 1959. Nous étions à plusieurs sur la piste et au moment où j'ai mis 100% de régime, le moteur a explosé. Quelques avions juste derrière moi ont dû s'écarter et on fini dans l'herbe. J'ai ouvert le cockpit et j'ai sauté de l'avion, parachute au dos. Je crois que je n'ai jamais été aussi vite de ma vie. En explosant, les ailettes du moteur avaient sectionné les deux bidons et le kérosène coulait partout et brûlait. Heureusement, il y avait un petit vent de face et les flammes ne sont pas revenues vers moi. Les pompiers sont ensuite arrivés et ont commencé à arroser l'avion…

Je suis resté à Florennes jusqu'en 1960. Je me mariais cette année-là et mon épouse travaillait à Soumagne. Evidemment, jeune marié, l'idée de faire le trajet une fois par semaine depuis Florennes ne m'enchantait pas beaucoup. J'ai demandé ma mutation pour la 42e, qui était alors stationnée à Brustem, et elle a été acceptée. J'ai rejoint l'escadrille en février 1960. C'était un autre métier que celui de chasseur-bombardier mais l'avion était similaire, avec bien sûr quelques petites particularités. Il y avait au niveau des freins un anti-skid qu'il n'y avait pas sur le F et le circuit électrique était différent car les caméras avaient besoin de beaucoup d'électricité.

Le boulot était différent. Après quelques vols en solo sur le RF, nous suivions des cours avec les interprétateurs photo (IP) qui nous disaient quelles caméras employer dans telle ou telle situation et qui nous apprenaient à reconnaître les matériels car en plus de ramener les photos, nous devions d'abord faire un rapport visuel. Ces rapports étaient importants. Lors des compétitions Royal Flush, ils comptaient pour 50% des points, score qui augmentait encore si les informations se vérifiaient sur les photos. Nous avions pour faire ces rapports une douzaine de minutes, le temps nécessaire pour que les films se retrouvent sur la table des IP. Nous travaillions toujours avec plusieurs caméras, deux à gauche, une à droite, une frontale et une verticale mais nous utilisions principalement les caméras de gauche, tout d'abord parce que le viseur se trouvait de ce côté-là et aussi parce qu'il n'y en avait justement qu'une à droite. Les interprétateurs visualisaient le premier film encore humide. Les photos étaient développées à partir du film de la deuxième caméra. Cela faisait partie des astuces utilisées pour gagner du temps.

Contrairement aux objectifs fixes comme un pont, lorsque nous devions filmer un target "army", nous enclenchions généralement toutes les caméras car nous ne savions pas ce que nous allions voir. Développer cinq films demandait beaucoup de travail et l'astuce consistait lorsque nous avions atterri à indiquer par geste au mécano le film à développer en priorité. Ils ne pouvaient pas toucher l'avion avant l'arrêt du moteur. A ce moment, les arbitres enclenchaient leur chrono et, si je me souviens bien, je crois qu'ils ramassaient les rapports des IP 30 minutes plus tard.

De même, les missions étaient minutées. Nous recevions les targets et nous devions décoller une heure et quart plus tard. Ils savaient également la vitesse à laquelle nous volions et la distance à parcourir. C'était faisable mais il fallait "booster". Si on voulait perdre un peu de temps pour approcher au mieux les objectifs, il fallait pousser sur le trajet. Il y avait pour chaque mission trois ou quatre targets à photographier."

Guy Rothheuth ne reste que quelques mois à Brustem car la 42e fait rapidement mouvement.

"Lorsque l'EPA a été rapatrié en Belgique, elle s'est installée avec ses Fouga à Brustem. La 42, devenue gênante, s'est retrouvée sous tente à Kleine-Brogel de septembre à novembre 1960. Elle est ensuite partie pour Beauvechain. Nous avons occupé les aires sud, du côté de la tour. Mais en 1963, les premiers F-104G sont arrivés et il a fallu trouver une place pour l'escadrille, qui gênait à nouveau. Heureusement pour moi, la base de Bierset a été rouverte et j'y ai posé le premier RF, le 1er avril 1963. J'étais à ce moment le seul pilote francophone à l'escadrille, ce qui a fait dire au CO que j'étais le seul à qui se déménagement faisait plaisir. Un peu plus tard, les T-33 nous ont rejoints à Bierset."

Les quelque 3000 heures de vol que Guy Rothheuth va effectuer sur RF contiendront elles aussi leur lot de surprises.

"Le 14 septembre 1964, je pars en mission d'entraînement. Je m'aligne et je décolle. Et au moment où je dois effectuer ma rotation, vers les 150 nœuds, il se produit une explosion dans le moteur et je sens une perte de puissance. Je coupe tout de suite les gaz. Je sais qu'il y une a une barrière en bout de piste et je crie à la radio "Barrière… barrière" et je vois qu'elle ne se lève pas, ou du moins c'est l'impression que j'ai car ils réagissent très vite. Tout se passe en quelques secondes. Ça me paraît long et je crie "Barrière, nom de dieu !" La barrière était normalement automatique mais quand on décollait l'été en RF et qu'il faisait très chaud, on demandait qu'elle soit mise en manuel parce que parfois, quand on passait devant le faisceau, on était tout juste en l'air et elle risquait de se lever.

Cet incident a fait beaucoup de bruit car la société Aerazur, qui installait ces barrières, a indiqué que j'étais le 100e pilote à utiliser une de leurs barrières. Il y a donc eu toute une campagne médiatique, avec interview et articles dans la presse qui ont même titré à la une que j'étais le 100e miraculé sauvé par ces barrières, etc.

Un autre jour, au retour d'une mission d'entraînement Royal Flush où mon dernier target se trouvait quelque part de l'autre côté du Rhin, je rentre "full boost" à Bierset quand soudain, entre Nörvenich et Aachen j'entends une explosion terrible. Toutes les lampes feu s'allument et le klaxon se met en marche. Je dois me préparer à m'éjecter. C'était en été et il faisait chaud et j'avais retiré mon masque pour m'aérer un peu. Au moment où je mets mes mains sur les poignées d'éjection, je repense à mon masque. A la vitesse où je vole, si je m'éjecte à ce moment-là, je n'ai plus de figure. Je coupe alors les gaz et je tire sur le stick pour monter au maximum. J'essaie de refixer mon masque mais avec le stress, mes mains tremblent. Finalement, je ne m'éjecte pas car, après avoir coupé les gaz, je vois que toutes les lampes s'éteignent. En fait, je l’apprendrai plus tard, l'arrière de la turbine a explosé et fait un trou dans la tuyère et les gaz, au lieu de passer tous dans la tailpipe, passent en partie près des capteurs, provoquant l'allumage des lampes incendie.

A cet instant, je suis à 8000 pieds et à 220-230 nœuds. J'analyse la situation et je remets un peu de moteur… 82… 83… 84… 85%. Le klaxon se remet en marche ! Je réduis immédiatement. Bierset est devant moi. J'appelle la base et on me dit que la piste en usage est la 05. J'annonce pourtant que je prends la 23. Je descends et au fur et à mesure, le klaxon qui au début ne se mettait en marche qu'à 85% s'enclenche de plus en plus tôt. Je réduis, il s'enclenche, je réduis encore, il s'enclenche à nouveau. Finalement, je me retrouve en finale moteur au ralenti avec toutes les lampes qui s'allument dans le cockpit. A l'époque, nous avions des sièges éjectables qui ne fonctionnaient pas en dessous de 1000 pieds. Trop tard pour m'éjecter. Je me pose donc sur la 23 avec un faible vent arrière et à peine ai-je touché le sol que l'arrière de mon avion se détache ! Les techniciens m'ont dit plus tard que si j'avais fait le tour pour prendre la 05, l'avion aurait sûrement explosé en vol.

J'ai eu un autre incident, lui aussi lors d'une mission d'entraînement pour le Royal Flush. La compétition avait lieu en juin et il va de soi qu'à partir de mars-avril, l'escadrille avait sélectionné ses pilotes pour y participer et ces gens-là étaient mis un peu à part pour se préparer en recherchant les targets éventuels. Le plus difficile, c'étaient les targets "army" qui se trouvaient sur les différents champs de manœuvre. Donc, dès qu'on commençait l'entraînement, on allait repérer tous les champs de manœuvre dans un rayon de 250 nautiques de la base de départ et on les photographiait tous les quinze jours car on savait qu'ils allaient préparer quelque chose même si nous ne savions pas où. Et puis, deux ou trois semaines avant la compétition, les Français ont commencé à refuser tous les plans de vol vers Dijon ou Lyon. On savait donc à quoi s'en tenir. Il y avait justement deux champs de manœuvre en bord de zone. Il fallait qu'on aille voir car les Français, eux, n'étaient pas interdits de vol dans cette région et n'allaient pas se priver d'aller voir.

En accord avec les patrons de Bierset, nous passons un plan de vol vers le Mont-Saint-Michel, qui est accepté. Je pars pour ma mission mais directement après avoir décollé, je vire au sud et je mets le cap sur Lyon. Pas de chance pour moi, dans la région de Toul, j'entre en collision avec un Super Sabre français ! Nous ne nous voyons pas et son aile vient sectionner une partie de la queue de mon RF mais juste au-dessus du circuit d'huile. Un peu plus bas et j'aurais eu une perte hydraulique totale et j'aurais dû m'éjecter. Quant à lui, il perd un mètre quarante de son aile mais sans toucher ses ailerons, ce qui lui permettra de regagner sa base. Le choc est très léger et je remonte un peu. J'essaie les commandes, pas de problème. Je me dis que j'ai dû prendre un oiseau. Je poursuis donc ma mission mais, ce que j'ignore, c'est que je n'ai plus de radio puisque l'antenne se trouve dans la queue. Le pilote français prévient son CATAC, on avertit Bierset qui essaie de me retrouver mais sans résultat. Tout le monde pense que je me suis crashé. Pendant ce temps, j'ai fait mes photos et je reviens vers la base. Comme il me restait un peu de fuel, au sud de Huy je décide de faire un peu d'acro. Je monte un peu, vers les 8000-9000 pieds, et je baisse un peu le nez pour prendre de la vitesse. Arrivé vers les 410 nœuds, l'avion commence à trembler. Je réduis les gaz et j'essaie à nouveau. Même résultat, tout l'avion se met à trembler. Je me dis que j'ai dû entrer en collision avec un sacré oiseau ! J'appelle Bierset, pas de réponse. Pierre Vermoesen est à ce moment en vol en BD – c'est l'époque où la 8e escadrille est en conversion Mirage – et il me contacte en me disant "Guy, ils te reçoivent mais toi tu ne les entends pas". En fait je le recevais car le petit bout d'antenne qui me restait était suffisant pour que nous puissions communiquer. Je lui explique que j'ai des vibrations et j'ai sans doute un problème en dessous de l'avion. Et je lui demande de venir jeter un coup d'œil. Il me rejoint, et il me dit "Guy, t'as rien en dessous mais tu n'as plus de queue". A ce moment-là, je réajuste mon rétroviseur et je regarde derrière moi. Plus rien. C'est bête, j'aurais pu le faire plus tôt mais sur le RF ce rétroviseur ne tenait pas en position. Dès qu'on prenait 1,5 G, il bougeait, si bien qu'on ne s'en servait jamais. Et là, je commence vraiment à m'inquiéter et à me demander si je n'ai pas tué quelqu'un… Quand je suis rentré au parking, il y avait plein de monde qui m'attendait. Heureusement, j'ai été soulagé d'apprendre que j'étais entré en collision avec un autre appareil militaire et qu'il avait pu se poser.

A cette époque, on ne pouvait pas voler seul au-dessus de la France, pour des raisons de sécurité, sauf pour les missions recce. J'étais donc en quelque sorte couvert mais le Français, lui, qui était le commandant de son escadrille, a dû être moins à l’aise car il était aussi tout seul, ce qui était interdit. Quelques jours plus tard, plusieurs responsables de la base se sont rendus à Toul pour arranger les choses et pour que l'affaire ne remonte pas jusqu'à Paris. Là-bas comme à Bierset, les avions ont été réparés sur place et les choses en sont restées là.

Restait la question du plan de vol. J'ai fait croire que j'étais parti au 270 vers le Mont-Saint-Michel et que ce n'est que 20 minutes plus tard que je m'étais rendu compte que mon compas était déréglé et que je volais plein sud. C'est "Staf" De Clerck qui était en charge des accidents aériens et lorsqu'il a lu mon rapport, il m'a demandé si je me moquais de lui. Il m'a regardé et il a dit "Dis, Guy, tu te fous de moi ? Ça fait combien de temps que tu voles ?"

En 1971, Guy Rothheuth effectue sa conversion sur Mirage. Il reste à Bierset où il retrouve la 1ère escadrille qui arrive de Florennes.

"Je n'étais pas mécontent de terminer ma carrière à la 1ère. Entre recce et chasseurs-bombardiers, l'ambiance n'est pas la même. La recce est beaucoup plus individualiste car on vole tout le temps tout seul. En chasseur-bombardier, on fait beaucoup plus de navigations et de missions à plusieurs. L'esprit d'escadrille est très différent. Ça ma permis de refaire de la formation, du tir canons et roquettes et du bombardement, à Solenzara notamment. J'ai ainsi réappris pas mal de petites choses mais j'aimais bien ça. C'était beaucoup plus varié.

Le Mirage n'était pas vraiment fait pour le tir air-air – il n'avait d'ailleurs pas de radar de tir – mais en air-sol, il ne se débrouillait pas mal. A Solenzara, nous arrivions à de bons résultats, en trichant un peu car au plus on se rapprochait des cibles, au meilleurs étaient les tirs. Il fallait tirer et dégager tout de suite. Si on regardait où tombaient les obus, on risquait aussi de finir par se retrouver dans la cible. Heureusement, en Corse les contraintes étaient moins importantes car il y avait la mer juste derrière le champ de tir. Il n'y avait pas d'obstacles et aucune possibilité de ricochet. A Pampa, la discipline était plus stricte.

Le Mirage, comme le F ou le RF, est un avion sur lequel je me suis beaucoup amusé. Ils n'étaient pas comparables. Le Mirage, c'était la génération suivante, un avion qui pouvait faire Mach 2. En RF, par exemple, lorsque nous allions dans le sud, dans les montagnes du côté d'Aoste, on ne pouvait traverser que par beau temps et à condition qu'on puisse faire demi-tour. Avec le Mirage, on pouvait y aller par n'importe quel temps, on avait toujours une porte de sortie à la verticale. On mettait "full AB" et on se retrouvait à 15 000 pieds. C'était une belle machine, un monde de différence par rapport au F. Mais, d'un point de vue général, j'ai apprécié tous les avions sur lesquels j'ai volé.

J'ai fait mon dernier vol sur le BA 23 le 27 décembre 1978. J'avais préparé quatre vols ce jour-là pour finir en beauté. Et pendant que j'étais en l'air, les mécanos m'ont pris ma voiture, une 2 CV, et l'ont entièrement camouflée aux couleurs du BA 23. Et j'ai continué à rouler plusieurs années dans cette voiture ainsi décorée."

Bien que retraité de la Force Aérienne, Guy Rothheuth ne s'est pas "rangé des avions" puisqu'il est toujours moniteur à l'aérodrome de Spa La Sauvenière. Il y transmet sa passion. C'est pour lui, comme il le dit, une façon de rendre aux jeunes un peu de tout ce que l'aviation lui a donné.


Interview : Vincent Pécriaux (8 avril 2010)
Mise en page : Daniel De Wispelaere


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