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Strike sur Streak au 2e sqn

Strike sur Streak

2e sqn : Strike sur Streak

Au début des années 60, les missions d'alerte nucléaire assignées à la Force Aérienne belge par l'OTAN sont assurées par le 10e Wing de chasseurs-bombardiers de Kleine-Brogel équipé de F-84F Thunderstreak. Cependant, lorsque les escadrilles du 10e Wing ont dû entamer leur conversion sur F-104G, le QRA a été repris par le 2e Wing de Florennes, seule base à conserver des F-84F, et plus particulièrement par la 2e escadrille. Un pilote de cette unité, qui a très bien connu cette période qui s'étend pour sa partie opérationnelle de 1964 à 1968, nous relate ici dans une mission heureusement fictive comment aurait pu se présenter la riposte nucléaire si la politique de dissuasion mise en place par l'Alliance atlantique avait échoué.

La journée se déroule tranquillement dans notre site sécurisé installé en bout de piste de la base aérienne de Florennes. Il abrite quatre avions F-84F Thunderstreak, chacun équipé d'une bombe nucléaire.

Aujourd'hui, je fais partie des quatre pilotes en alerte à quinze minutes. Nous sommes consignés pour vingt-quatre heures dans un petit bâtiment. Avec nous, quatre mécaniciens et un officier américain.

Soudain, l'alarme brise notre indolente torpeur. Réflexe collectif, tout le monde est debout ! Je saisis mon porte-documents contenant les cartes de navigation et les codes secrets scellés de la mission automatique que nous connaissons par ailleurs dans les détails. L'officier américain authentifie le code secret enfermé dans un coffre qu'il est le seul à pouvoir ouvrir. Ainsi donc, l'ordre de riposte nucléaire venant directement du président des Etats-Unis est bien réel!

Accompagné de mon mécanicien, je me précipite vers mon avion. Deux sentinelles nous accueillent ; l'une est belge, l'autre américaine. Cette dernière doit m'identifier officiellement et réglementairement : badge avec photo. C'est bon, je peux franchir la ligne jaune au-delà de laquelle nous devons être trois obligatoirement : le pilote, le mécanicien et la sentinelle américaine.

L'avion est là, avec sous son aile gauche la bombe dont la puissance, variable, a été préréglée (1). Je grimpe dans le cockpit. Le mécanicien est agité et nerveux mais précis. Il m'aide à me harnacher : parachute, combinaison anti-g, sac de survie, bonbonne d'oxygène de secours en cas d'éjection à haute altitude, ceintures de siège, …

J'enfile mon casque et branche le fil radio et le raccord d'oxygène de mon masque. Vite, j'ouvre l'enveloppe sécurisée contenant un autre code secret à transmettre par radio au contrôleur aérien. Ainsi reconnu, ce code confirme que le commandement belge a également été avisé et qu'il autorise la mission.

Radio branchée, j'entends un pilote qui déjà termine cette procédure d'authentification. Je lance mon message et je reçois le GO. Je démarre le réacteur. Tout en observant les paramètres des différents systèmes, je range mes cartes de navigation. Voilà, je baisse la verrière, je m'enferme dans un monde qui n'existe plus que pour moi.

Je commence à rouler. Je n'ai pas encore eu un instant de réflexion pendant toute cette agitation. Subitement je comprends que nous vivons un moment décisif de notre histoire : l'humanité va s'autodétruire, c'est la guerre nucléaire !

Devant moi, un avion lourdement chargé comme le mien – nous sommes au poids maximum de 27.000 livres – s'aligne et entame son décollage. Maintenant, c'est mon tour. J'arme les fusées d'appoint pour le décollage. J'avance la poignée des gaz au maximum de la poussée. Dernières vérifications, je relâche les freins, c'est parti !

L'accélération est lente et interminable. 110 nœuds, j'écrase le bouton qui commande l'allumage des quatre fusées JATO (de 1.000 livres de poussée chacune) qui pendant 14 secondes vont me fournir une accélération supplémentaire pour atteindre la vitesse de décollage. Légère traction sur le stick, l'avion quitte le sol. Il y a moins de quinze minutes que l'alerte s'est déclenchée ! Je rentre les roues et fonce tout droit. Subitement, vers 500 pieds j'ai la sensation que mon moteur s'arrête. Instinctivement, je baisse légèrement le nez de l'avion. Les fusées d'appoint viennent de terminer leur poussée. La vitesse augmente plus lentement. Je largue en pleine campagne le berceau des enveloppes vides des JATO. Je relève les volets pour stabiliser ma vitesse à 330 nœuds pour la croisière. Il est grand temps de virer vers le point de repère initial de ma navigation. Le contrôleur adresse aux quatre avions qui ont quitté sa zone un message de clôture inhabituel avec moins de rigueur et plus d'encouragement.

J'enclenche mon chrono et entame mon voyage vers l'épouvante. Je vole le plus bas possible, seul moyen d'échapper à la détection des radars ennemis. Mon cap change toutes les dix minutes pour empêcher toute prédiction sur ma trajectoire. Je surveille l'alimentation des deux réservoirs extérieurs de 230 gallons chacun que je devrai larguer vides avant d'atteindre l'objectif.

Je réalise seulement maintenant que les conditions météo sont médiocres. Certaines collines ont leur sommet accroché par des stratus bas et la visibilité se détériore. Mes cartes au 1/500.000 sont ma seule aide à la navigation qui doit se faire à vue ou à l'estime. Ouf ! Encore un point tournant identifié. Nouveau cap. Cette fois je viens de franchir la ligne du rideau de fer, je vole en pays hostile.

Important : je dois armer cet engin terrifiant accroché à mon aile gauche. Une boîte noire sous le tableau de bord devient ma préoccupation majeure. J'actionne les interrupteurs dans le bon ordre. Des voyants s'allument, confirmant que la bombe est prête avec son aileron inférieur correctement déployé.

Nouveau changement de cap, l'avant-dernier. Décidément, les conditions de vol ne s'arrangent pas mais l'entraînement habituel à ce genre de navigation me permet de m'en sortir pas trop mal. Mais je ne peux absolument pas rater le dernier point tournant, essentiel pour lancer l'avion à grande vitesse sur l'objectif. Encore huit minutes. Ah oui, vite je passe l'alimentation du moteur sur le réservoir extérieur de 450 gallons attaché à l'aile droite. Je sélectionne le largage des deux autres réservoirs. J'actionne la commande, rapide coup d'œil, ils sont évacués.

Tout à coup, une lueur aveuglante inonde le ciel et la terre. Pendant un instant, tout est d'un blanc immaculé. Heureusement je consultais ma carte la tête tournée vers la gauche ! L'éclair magique, lui, a surgi de ma droite. Il me faut quelques secondes pour surmonter ma stupeur. Une explosion atomique vient de frapper quelque part loin de ma position. Elle semblait si proche ! On nous avait prévenus pourtant. Malgré la visière pare-soleil rabattue, il nous était conseillé d'appliquer un cache sur un œil, à la pirate, pour ne pas être totalement aveuglé. Trop accaparé, j'avais négligé cette consigne.

Je ne suis pas seul, en effet, en route en ce moment pour une frappe nucléaire. Où suis-je ? Là, le bois et la route qui serpente et opère une longue boucle qui se perd au-delà de mes cinq kilomètres de visibilité. C'est bon. Enfin je vois surgir ce cette brume mon point de repère. Dernier cap, celui de l'assaut. Je lance mon accélération. Il me faut 500 nœuds pour aborder l'objectif. Coincée entre mes doigts et la manette des gaz poussée à fond ma carte au 1/250.000 cette fois pour affiner ma trajectoire. Le sol défile de plus en plus vite. Je regarde droit devant moi. J'identifie les repères principaux. Dans deux minutes le but ! Je devrais apercevoir une piste d'aérodrome de 1.500 mètres et de nombreuses antennes de divers radars de détection et de guidage de missiles dont nous avons mémorisé les photos. Par automatisme dû à l'entraînement tant de fois répété, je branche les gyros de précision qui m'indiquent sur un instrument en haut du tableau de bord l'inclinaison des ailes au degré près. C'est indispensable car un degré d'erreur pendant la manœuvre enverrait la bombe à plusieurs centaines de mètres du point choisi et nous sommes qualifiés au tir pour une erreur moyenne de 300 mètres. Peu de chose pour une bombe de ce type !

Soudain apparaît devant mon nez une piste asphaltée et toutes ses installations. Trop tard pour une correction de tir qui devrait compenser l'action du vent estimé. Je m'approche à 280 mètres par seconde, toute altération de cap est illusoire. J'y suis ! Je tire dans le stick les ailes bien horizontales tout en pressant le bouton qui va permettre le largage automatique. Je maintiens les 4 g d'accélération le plus longtemps possible pour effectuer un Himmelmann (boucle avec retournement au sommet). Un voyant ambre s'allume. Une légère oscillation m'indique que la bombe est larguée à la verticale. Elle va poursuivre son ascension jusqu'à environ 13.000 pieds pour retomber et exploser à 1.500 pieds et cela 55 secondes après m'avoir quitté.

L'avion vibre. Je dois relâcher la traction pour éviter le décrochage. Ma vitesse n'est plus que de 250 nœuds. Mon horizon artificiel s'est retourné. Je suis sur le dos à environ 7.500 pieds, dans une couche nuageuse. Aucun repère visuel. Demi-tonneau en m'aidant de l'horizon artificiel. Toujours plein pot au moteur, je tente maintenant de fuir à basse altitude l'enfer qui va se déchaîner derrière moi.

Ce récit imaginaire d'une mission de guerre pour laquelle nous étions préparés et entraînés s'arrête ici. La suite nous était inconcevable et inimaginable. Voilà pourquoi la force de dissuasion de l'OTAN à laquelle nous étions rattachés et qui devait être déclenchée uniquement en cas d'agression nucléaire était à nos yeux la protection indispensable. Notre riposte était prête, c'est tout. Nos pensées n'allaient pas plus loin.

La mission évoquée ci-dessus décrit un bombardement de type LABS (Low Altitude Bombing System). Une autre technique, désignée HABS (High Altitude Bombing System) a également été essayée avant d'être assez rapidement abandonnée. Dans ce cas, l'avion arrivait à proximité de l'objectif à une altitude de 21.000 pieds et à une vitesse de 300 nœuds puis effectuait un piqué à 60 degrés sur sa cible et larguait manuellement la bombe vers 13.000 pieds. Le pilote faisait alors une ressource et s'éloignait à vitesse maximale à basse altitude.

La mise en œuvre du QRA nécessitait toute une équipe. Armuriers et mécaniciens veillaient à ce que les avions soient prêts à démarrer si l'ordre de déclencher la frappe nucléaire venait à être donné. Voici tout d'abord quelques souvenirs d'un crew chief de l'époque.

Vers 1962, on a commencé à évoquer la création d'une escadrille strike à Florennes. Notre rôle était simple : on s'occupait de la mécanique avion. L'entretien et la surveillance des bombes nucléaires incombaient aux Américains. Le convoyage des bombes entre le dépôt de munitions et les avions était assuré par les Américains, sous haute surveillance, et il nous était interdit de nous approcher. Ils se chargeaient aussi de la partie réglage. Les armuriers belges effectuaient le montage mais toujours sous contrôle américain.

Quatre avions étaient en alerte. Ils étaient confinés dans une zone à part de la base, non loin du seuil de la piste, côté Corenne. Chaque avion était dans un hangar en tôle sans porte à l'avant ni à l'arrière. Le site était clôturé et il y avait des rondes de surveillance avec chiens. Sur place se trouvaient les pilotes, les mécaniciens, les armuriers et un officier de liaison américain. Il y avait également du personnel de garde mais à l'extérieur des bâtiments.

L'alerte nucléaire était assurée une demi-heure avant le lever du jour jusqu'à une demi-heure après le coucher du soleil. Le dispositif ne fonctionnait pas la nuit. Nous procédions à des checks sur les avions afin de vérifier s'il n'y avait pas de problème mécanique. Nous devions également régler les gyroscopes des avions en fonction des paramètres communiqués aux pilotes par le Wing Ops. Ces 'settings' changeaient régulièrement en fonction des conditions météorologiques. Pour toutes ces tâches, nous devions nous rendre aux avions. Seulement, nous ne pouvions le faire que tous ensemble : le pilote, le mécano, l'armurier et un garde américain. On levait le 'gun deck' et le pilote effectuait les réglages nécessaires. Si, un peu plus tard, les conditions changeaient, il fallait recommencer l'opération.

Sur F-84F, il fallait réamorcer le circuit d'huile après quatre jours. Il y avait également des pièces à remplacer en fonction du calendrier de la maintenance. Il arrivait parfois aussi qu'un problème se pose, une fuite hydraulique, par exemple. Tout cela fait qu'il fallait préparer un avion de remplacement.

Comme l'avion était très chargé, on réglait les jambes de force du train. Le système des amortisseurs fonctionnait avec de l'huile et de l'air. On rehaussait les amortisseurs, tout en restant dans les paramètres sinon on ne pouvait plus rentrer le train. Les pneus étaient gonflés à une pression supérieure. Les réservoirs étaient complètement remplis. C'était une configuration lourde et, comme l'avion n'avait pas de post-combustion, des fusées JATO étaient utilisées pour le décollage.

Le personnel technique était trié sur le volet. Comme nous n'étions pas nombreux, les tours de garde au QRA étaient fréquents. Nous montions à 16 heures 45 pour une durée de vingt-quatre heures. Lorsque nous rentrions, nous devions présenter notre CIDA (carte d'identité et d'accès) au garde qui en avait un double. Si elles ne correspondaient pas, on n'entrait tout simplement pas.

Pour le week-end, la garde débutait le vendredi, toujours à 16 heures 45, jusqu'au lundi 16 heures 45. C'était très long. Le soir, après le coucher du soleil, nous pouvions faire ce que nous voulions mais nous devions rester sur le site. Nous disposions d'une salle de télévision et de chambres ; la nourriture nous était apportée de l'extérieur.

Du fait que la 2e escadrille était une unité strike, on ne partait plus à l'étranger en échange d'escadrilles. Nous ne quittions plus Florennes sauf pour l'entraînement au tir et au bombardement qui se pratiquait à l'époque à Solenzara, en Corse. Les exercices de LABS se faisaient, eux, à Vlieland, aux Pays-Bas. Pour cela, l'avion emportait quatre bombes d'exercice placées sur le pylône gauche.

Le QRA a continué jusqu'en 1968, jusqu'à ce qu'il soit repris par KB. Finalement, je n'en garde pas un souvenir extraordinaire car c'était assez routinier.

Pour compléter cet article, voici le point de vue d'un armurier de la 2e escadrille.

Avant que nous ne commencions à travailler sur l'avion, celui-ci avait été préparé par d'autres équipes. Le plein de carburant avait été fait, les canons étaient armés, les JATO étaient en place et l'appareil était techniquement prêt à décoller. Nous étions vraiment les derniers techniciens à travailler sur la machine.

L'équipe des armuriers était composée d'un chef armurier et de trois équipiers. Nous étions chargés de la mise en œuvre de l'avion en ce qui concerne l'armement. Lors des tests et de la préparation de l'avion, le chef armurier se trouvait sur l'échelle pour superviser le travail de l'armurier numéro 2, assis dans le cockpit, et lui donner les consignes. Le numéro 3 travaillait sous l'aile gauche à la préparation du pylône lance-bombe et le numéro 4 travaillait sous l'aile droite et s'occupait du groupe électrogène, utilisé pour ne pas épuiser la batterie.

Quand les tests de l'avion étaient terminés, la bombe était amenée par les Américains sur le site et on la plaçait à quatre sous l'appareil. On l'accrochait et on la stabilisait. Ensuite, on retirait les mesures de sécurité placées avant et on quittait la zone.

Quatre appareils étaient prêts à partir. Nous procédions aux inspections journalières mais quand, au bout de sept jours, il fallait démonter certains accessoires, un avion de remplacement était préparé et amené sur le site et on renvoyait l'autre en réserve pour toujours avoir quatre avions prêts, plus deux en réserve. A ce moment, il fallait déposer la bombe et la raccrocher sur l'avion de remplacement.

Tous les matins, le mécanicien de piste faisait son inspection avec les pilotes. Il vérifiait si les pneus n'avaient pas bougé, si les pleins d'huile étaient toujours corrects, si tout était bon au niveau carburant, électricité, instruments… Le travail de l'armurier était beaucoup plus restreint et ne demandait que quelques minutes par avion. Fréquemment, le pilote démarrait le réacteur pour effectuer d'autres vérifications. A part ça, la garde était monotone. Une fois que l'avion était prêt, il ne nous restait plus qu'à attendre puisque nous ne pouvions pas quitter le site.

(1) La puissance de l'engin pouvait être réglée à 7, 29 ou 47 kilotonnes.


Interviews : Vincent Pécriaux
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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