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Carnets de vol: Serge Martin

Carnets de vol: Serge Martin

Carnets de vol: Serge Martin

Très attiré par la mécanique et les machines, Serge Martin commence à travailler dès ses 15 ans comme apprenti dans un garage automobile. Trois ans plus tard, il est appelé pour effectuer son service militaire.

“Le service militaire durait deux ans à l’époque. Comme j’avais derrière moi mes trois ans de mécano et que la Force Aérienne recrutait des techniciens pour trois ans, j'ai finalement choisi de m'engager comme mécanicien moteur avion, spécialité qui m’intéressait le plus. Je suis donc allé à Saint-Nicolas-Waas en décembre 1953, puis à l’Ecole technique de Saffraanberg où je suis resté six mois et enfin au 13e Wing de Brustem entre juillet et décembre 1954. Devenu mécanicien avion, j’ai eu l’occasion de faire un petit vol en Oxford. Je voyais aussi les pilotes que l’on strappait dans les avions. Ça m’intéressait et j’ai décidé de m'inscrire comme candidat-pilote avec Marcel Pondant, qui avait fait le même parcours que moi et qui était à la maintenance à Brustem.

Le 20 décembre 1954, nous nous sommes retrouvés au Wing Admin, à Etterbeek et, trois jours plus tard, à l’EPE de Gossoncourt comme élèves de la 132e promotion qui comptait pas moins de 125 élèves. La Force Aérienne engageait beaucoup à cette époque. Comme il y avait trop d’élèves, notre période avant vol a duré jusqu’en octobre 1955. J’ai fait mon premier vol sur SV4 le 10 octobre. La formation a duré jusqu’en mai de l’année suivante. Le rythme était soutenu. Les cours alternaient avec les vols en doubles commandes puis les vols solo et encore d’autres vols en doubles commandes. Nous n’avions pas beaucoup de temps et chaque challenge faisait tout de suite place à un autre.”

En mai 1956, Serge Martin embarque dans un DC-4 à destination de l’EPA de Kamina.

“L’esprit était le même, il fallait travailler, travailler, travailler. Evidemment, nous étions impressionnés par les Harvard mais nous devions progresser sans cesse. Il n’y avait pas de place pour la rêverie mais nous avions la satisfaction de réussir les progress tests les uns après les autres."

En octobre 1956, c’est le retour en Belgique.

“Nous sommes passés à l’Ecole de Chasse sur T-33, à Coxyde puis, à Brustem. Après avoir été brevetés, en juin 1957, nous sommes partis pour KB à la 27e escadrille, l’OTU F-84F. Nous avons d’abord fait un “sector recce” et quelques circuits en T-33. Puis, quelques temps plus tard, ce fut le premier vol sur F-84F, en solo puisqu’il n’existait pas de biplace. Le passage était formidable pour nous, jeunes pilotes. Nous volions sur les nouvelles machines, ce que beaucoup anciens n’avaient jamais fait. Et puis, avec son aile en flèche, le F-84 était un appareil transsonique. Au fil des semaines, les vols s’enchaînaient : circuits, simulated forced landings, formations, acro, navigations low level, ...

En octobre, je suis arrivé à Florennes où j’ai été affecté à la 1ère escadrille. Entre avril et juin 62, j’ai fait un petit break à Usumbura, au Flight appui feu où nous volions sur T-6. Le Flight comptait quatre ou cinq pilotes et sept ou huit avions, pas plus. Il y avait parmi ces appareils des “Bulawayo” qui venaient d’Afrique du Sud et qui y sont d’ailleurs retournés par après. Notre mission consistait simplement à assurer une présence. Nous volions partout. Nous en profitions pour faire notre marché. Nous allions chercher la viande, les légumes, les fruits. Nous allions chercher des fraises à Bukavu mais du côté du Rwanda, où était situé l’aérodrome. J’ai aussi fait quelques vols en DC-3 comme copilote "superflu" pour effectuer des largages de paras. Il n’y avait pas de troubles à cette époque mais pendant que j’étais là, le Burundi est devenu indépendant. Nous sommes donc rentrés. Et en juin, je suis revenu à la 1ère escadrille.

Il faut savoir que quand je m'étais engagé comme élève pilote en 1954, j’avais signé pour un contrat de sous-officier d’une durée de cinq ans. En 1959, j’avais pu signer à nouveau pour un an comme volontaire mais ensuite, si je voulais rester, je devais soit passer l’examen A pour devenir officier, soit continuer comme SOC, sous-officier de carrière, ou bien passer le TP, la licence civile. Comme je voulais voler et non finir derrière un bureau, c’est cette dernière option que j’ai choisie. J’ai cherché du boulot dans le civil mais je n’en ai pas trouvé. La SABENA avait fait le plein en 1958. Plusieurs copains de la 1ère et de la 2e notamment étaient d’ailleurs partis. Comme je ne trouvais pas de travail, j’ai donc signé comme SOC.

En août 1962, l’escadrille était à Solenzara pour un mois. J’étais là depuis quelques jours quand un télégramme est arrivé : “Martin, rentrez d’urgence pour régularisation situation militaire”. On m’a donc donné un F-84 pour rentrer. Cet avion, en altitude, perdait du fuel. J’ai donc dû me poser à Dijon pour refaire le plein. Il était 17 heures passées et j’ai téléphoné à Florennes au major Soufnonguel, l’OSN, qui m’a dit : “Viens, on reste ouvert pour toi.” Je suis donc rentré à Florennes. Quand je suis arrivé au parking de la 1ère, j’ai ouvert la verrière et j’ai demandé à ‘Souf’ pourquoi on me faisait revenir. Et il m’a répondu : “La SABCA veut t‘engager pour voler en 104 !”

Bernard Neefs était pilote chez Fairey. Il était chef pilote de l’association momentanée Fairey-SABCA chargée de construire le 104. Il était déjà lâché sur l’avion à ce moment-là et il fallait un pilote de plus, un pilote SABCA. Donc, le directeur de la SABCA, monsieur Georges Willekens, a chargé Bernard Neefs de trouver un pilote. Bernard, qui avait déjà quitté l’armée quelques années plus tôt, a demandé à son meilleur copain de prom, Georges Castermans, s’il connaissait quelqu’un. Et Georges, qui avait été mon flight co, lui a parlé de moi. Le fait que je m’y connaissais en mécanique et que j’avais la licence civile jouait également en ma faveur.

De plus, Georges Willekens s’entendait très bien avec le général Henry, chef d’Etat-Major de la Force Aérienne, qui a lui aussi demandé dans son état-major s’il connaissait quelqu’un pour ce poste. Et le major Steve Cailleau m'a recommandé. Ça venait donc de deux côtés différents. C’est ainsi que j’ai été appelé à la SABCA. Comme j’étais SOC, le ministre est intervenu pour casser mon contrat. Je me suis tout de même arrangé pour pouvoir continuer à voler comme réserviste à Florennes, sur F-84F. Un sous-officier avait droit à 72 jours de rappel. Au début, on ne me les comptait pas trop. Mais finalement, n'ayant plus de jours disponibles, mon statut a été modifié et un contrat a été conclu entre la SABCA et la Force Aérienne pour que je puisse voler comme pilote visiteur, ce que j’ai fait jusqu’au remplacement des F-84F par les Mirage.

J’ai été parmi les premiers Belges à être lâchés sur 104 à Nörvenich, le 5 novembre 1962. La prise en main s’est faite en 8 vols. Sept vols étaient normalement prévus mais j’ai préféré en faire un de plus plutôt qu’un solo escorté.

Les essais nécessitaient en moyenne deux à trois vols. Sur le 104, pour tester certains systèmes, comme le radar, Bernard et moi faisions le target l’un pour l’autre. Il arrivait aussi que la Force Aérienne mette un target à notre disposition.

Je n’étais pas là à l’arrivée du premier 104 mais, pour la petite histoire, l’avion est arrivé de chez Lockheed fin 1961 et a été reconditionné chez SABCA. Il fallait à présent le faire voler. Seul problème : il n’était pas immatriculé. Comme la Force Aérienne ne voulait pas l’immatriculer car elle n’avait pas de 104 dans son inventaire, il a été immatriculé OO-FSR (Fairey-SABCA Réunis). Finalement, l’armée n’a pas voulu que le chasseur vole sous une immatriculation civile et il a volé comme FX-1, avec des cocardes non réglementaires. Ce n'est qu'après les vols civils qu'il est repassé en peinture pour finalement être livré à la Luftwaffe.

SABCA agissait en tant que sous-traitant de Lockheed et j’avais une agréation de la Force Aérienne pour voler sur ses avions. Mais j’ai aussi volé sur des F-104 allemands.

Sur F-16 j’ai aussi volé chez Fokker, à Amsterdam et à Woensdrecht. General Dynamics pensait qu’un seul pilote ce n’était pas assez pour SABCA, d’autant que je volais également sur Mirage et F-104. Je n’étais pas de cet avis et j’ai indiqué que si j’étais indisponible, il y avait deux pilotes qualifiés sur F-16 chez Fokker pour me remplacer. Nous étions donc trois pour l’Europe. Et finalement, c’est moi qui ai été plus souvent chez Fokker que l’inverse car ces pilotes testaient également les avions civils Fokker. Pendant tout un temps, j’ai aussi fait les vols F-104 chez Fokker car ils n’effectuaient pas d’IRAN en usine mais sur les bases mêmes. Il n’y avait donc pas assez de vols et plus personne n’était qualifié sur l’avion chez Fokker. C’est donc moi qui m’en suis chargé, à Ypenburg chez Avio Diepen, où il y avait périodiquement un "sample IRAN" et où j‘ai testé également des RF-84F norvégiens.

Ces vols ne s’interrompaient jamais car dès que le dernier avion était livré, le premier repassait déjà en IRAN pour les 104 ou en Grande Visite pour les Mirage. J’ai ainsi pu voler sur 104 jusqu’à la fin et même après. A leur retrait du service, la Force Aérienne les stocka sur la base de Coxyde et essaya de les vendre. Et un jour, nous avons appris que le Brésil était intéressé. Pour présenter le 104, SABCA a remis deux biplaces en état de vol à Coxyde et je les ai ramenés. Ça faisait cinq ans que je n’avais plus volé sur l’avion. J’ai fait le premier vol avec un moniteur hollandais qui était toujours qualifié. Comme il ne l’était plus pour le vol du deuxième appareil, j’ai demandé à la FAé si je pouvais le ramener, ce qui m’a été accordé. J’ai encore fait un vol pour être sûr que l’avion était en bon état et j’ai fait voler deux pilotes brésiliens, dont le chef d’Etat-Major. Finalement, le Brésil n’a pas acheté les appareils.

Pour son époque, le 104 représentait un bond énorme sur le plan technologique et aérodynamique. En matière de performances aussi. Il avait une plate-forme à inertie, un radar, la postcombustion. C’était un avion supersonique. Et voler à Mach 2, c’était quelque chose. J’ai grimpé à 70 000 pieds en 104. Quand on pense qu’un avion de ligne peut mettre 20 à 30 minutes pour atteindre 30 000 pieds, moi à 39 000 pieds et à Mach 2, je tirais quatre G et en quelques secondes je montais 30 000 pieds plus haut ! Comme je n’avais pas d’équipement spécial, j’ai fait ces vols avec beaucoup de prudence et par atmosphère très froide. Le F-104 biplace était un peu plus léger car il emportait moins de fuel. Quand on décollait full AB, en soixante secondes, on atteignait 30 000 pieds. Il fallait rentrer le train tout de suite car il était limité à 27O nœuds et si on ne le rentrait pas aussitôt après le décollage, on dépassait ces 270 nœuds dans les 4,5 secondes que le train prenait pour remonter.

C’était un avion époustouflant qui avait une des plus fortes charges alaires. C’était un appareil qui fonctionnait bien avec un bon moteur et de bons systèmes mais une aérodynamique très pointue. Il ne pardonnait pas. Mais on a fait de belles choses avec. Bien sûr, c’était un avion qui n’était pas manœuvrier. A un moment donné, la Force Aérienne a interdit les loopings en 104. Il faut dire que le diamètre d’un looping était de 9 à 10 000 pieds. Donc, si on commençait à 15 000 pieds, on se retrouvait au sommet à 25 000 pieds sans puissance moteur. C’était une figure qu’il fallait faire à basse altitude, et qu’il ne fallait pas rater ! Il fallait prendre 400 nœuds, passer en AB et attendre qu’il s’allume, car il ne s’allumait pas tout de suite, mais il fallait déjà tirer dans le manche parce que sinon, on prenait trop de vitesse et le diamètre du loop augmentait. Puis, il fallait sortir les take-off flaps, ce qui prenait quelques secondes, couper l’AB et sortir les dive brakes. Tout était une question de coordination. Un jour, j’ai fait ma manœuvre mais l’AB ne s’est pas allumé. Je me suis donc retrouvé à la verticale à 120 nœuds, c’est-dire quasiment 0 en 104, et assez bas car je commençais toujours à 3 ou 4000 pieds. Ça s’est heureusement bien terminé. J’ai aussi essayé cette figure en partant de 20 000 pieds et je me suis retrouvé à 40 000 pieds sans vitesse dans un avion quasi incontrôlable.

J’ai connu aussi quelques incidents. Un jour, lors d’un vol de livraison effectué par des militaires, les trappes du train de l’avion se sont ouvertes alors qu’ils étaient à grande vitesse et à basse altitude. Je ne sais pas ce qu’ils ont eu comme dégâts mais ils ont été très secoués. Et la même chose m’est arrivée quelques temps plus tard à Mach 2. Les portes se sont ouvertes et l’une d’elle, en s’arrachant, a emporté le leading edge flap de l’aile droite. L’autre porte est restée collée contre l’aile. Je n’avais plus d’hydraulique et le G-mètre a été à fond dans tous les sens plusieurs fois. J’ai été atterrir à Beauvechain car il y avait plus de piste et que je devais me poser à grande vitesse. Et ça m’est arrivé une seconde fois à Mach 1.8 mais le flap a tenu et j’ai pu rentrer à Gosselies. La commission d’enquête a pu déterminer que c’étaient les crochets des trappes qui lâchaient. Une mauvaise série de pièces.

Un jour, à 32 000 pieds, j’ai eu un flameout sur un 104 allemand. Deux minutes 30 plus tard, j'atterrissais à Chièvres. J’étais bien entraîné et je faisais régulièrement des SFO (simulated flameouts). Cette fois, ce n'était pas une simulation.

Pour nous, la grande nouveauté du Mirage, c’était son aile delta et ses caractéristiques si particulières à faible régime, en finale, etc. Son moteur était moins performant que celui du 104. Et puis il n’avait pas de plate-forme à inertie, ni de radar de tir. Sur certains points, il représentait un recul technologique mais c’est surtout sa conception qui était intéressante. Il atteignait sans problème Mach 1.8 mais pour arriver à Mach 2, ce n’était pas si évident. C’est en tous les cas un avion sur lequel je n’ai jamais eu de problème particulier.

J’ai eu l’occasion de faire ce qu’on appelait des vols spéciaux sur Mirage 5 BR, notamment pour le système ECM Rapport III et les modifications apportées au nez pour l’utilisation de la caméra panoramique. Pour ces vols, SABCA sous-traitait les essais en vols chez Dassault. A part un vol effectué par Jean-Marie Saget, c’est moi qui ai fait les autres vols. Dassault avait été satisfait de mon travail, au point que lorsque le MIRSIP a été mis en route, ils ont proposé que ce soit moi qui en aie la charge. Mais le programme a connu des retards et comme j’approchais des 60 ans, je n’ai finalement pas été associé aux essais.

Après le F-104 et le Mirage, c'est un autre programme d'envergure qui attend Serge Martin : le F-16.

"J’ai volé en YF-16, chez GD. J’ai d’abord fait un vol en doubles commandes à Edwards Air Force Base, où il y avait une escadrille multinationale. C’était le 29 septembre 1978. Puis, dans la foulée en octobre à Carswell AFB, j’ai fait un sector recce avec Neil Anderson sur un T-38 et le lâché solo sur l’YF-16. Les 27 et 29 novembre, j’ai également effectué mes premiers vols sur Alpha Jet. Et deux semaines plus tard, les 11 et 13 décembre, je faisais les premiers vols du FB-01 au départ de Charleroi avec Neil Anderson.

Aux Etats-Unis, j’ai eu l’occasion de voler sur des block 25, 30, ... J’ai piloté des F-16 israéliens, le premier F-16 grec, des appareils vénézuéliens. Bref, tout ce qui sortait des chaînes de GD lorsque j'étais là-bas. Une fois l'an, je me rendais aux Etats-Unis pour me faire tester. En fait, tous les pilotes qui volaient pour GD se testaient régulièrement les uns les autres. Je n’étais pas obligé d’aller aux Etats-Unis car je me faisais tester par le pilote de chez Fokker, que je testais à mon tour.

En Amérique, les vols initiaux se faisaient toujours par beau temps, à proximité de Carswell, et l’USAF était très restrictive vis-à-vis des SFO, que la Force Aérienne avait d’ailleurs interdit. Pour ma part, je continuais à en faire partout où je me trouvais car lors de mes essais je pouvais être amené à voler au-dessus d'Amsterdam, de Leuwaarden, de Twenthe, de Florennes ou de Gosselies, parfois dans des conditions météo qui, bien que dans les limites, n’étaient pas toujours optimales. Finalement, GD est intervenu et a obtenu pour les pilotes d’essais l’autorisation de faire des SFO.

En Belgique, j’ai volé sur les block 5, block 10 et block 15, puis sur les 5 et 10 en rattrapage block 15 partiel. Le problème des “small tails” (block 5 et 10), c’était que les appareils pouvaient se mettre en deep stall. Quand on a installé les large tails, GD a demandé que l’on fasse un tail slide à 45 000 pieds. Ce n’était possible qu’avec le large tail. Le "small tail" n’avait pas assez de couple pour redescendre et l’ordinateur avait beau mettre la queue en piqué, l’avion restait le nez haut et chutait comme une planche. Il y avait un switch qui coupait l’effet de l’ordinateur et qui permettait au pilote de mettre l’avion en alternance cabré/piqué plusieurs fois jusqu’à ce que les oscillations, en s’amplifiant, remette l’avion en piqué et lui fassent reprendre de la vitesse. C’est principalement ce qui a motivé l’utilisation des large tails.

Le F-16 représentait une combinaison de vitesse, de puissance et de maniabilité inégalée jusqu’alors. Au lâcher des freins, il lui fallait 50 secondes pour atteindre 30 000 pieds. Et tout ça en toute sécurité. Sur 104, pour faire 7,33 G, il fallait prendre de la vitesse, être à 10 000 pieds avec la moitié du fuel dans les réservoirs. Et c’était pareil pour le Mirage. Sur F-16, quel que soit le fuel, on tire 9 G sans problème.

Parmi les vols spéciaux que j’ai effectués sur F-16, il y a eu la qualification du missile Magic. J’ai fait le premier tir de ce missile à Leuwaarden, au-dessus de la Mer du Nord. Ce tir a d’ailleurs été photographié par le photographe de GD et a fait la couverture d’Aviation Week. Vingt-deux tirs étaient prévus, partant de 5000 pieds à 350 nœuds en vol horizontal jusqu’à 9 G, Mach 1.8, 800 nœuds, c'est-à-dire à toutes les limites du domaine. Je pense que le Magic a été le premier missile qualifié pour le tir à 9 G. Pour ces tirs, l’avion était équipé de caméras à grande vitesse qui filmaient la séquence de largage. Ces vols étaient difficiles mais ils ont tous été réussis. Le problème, c’était que le champ de tir ne permettait que d’effectuer des tirs en ligne droite. J’avais un impératif de cap et je ne pouvais pas tirer en tournant. Je devais donc faire mes tirs sur le plan vertical. GD avait préparé toutes sortes de séquences pour me mettre dans les conditions de tir. Au début, certains calculs étaient irréalisables et j’ai dû les faire corriger, parfois beaucoup. Alors, tant que j’avais du fuel, je faisais des essais sans tirer. Je me souviens que le dernier tir devait s’effectuer à 800 nœuds et à 10 000 pieds. Pour y arriver, il fallait partir à Mach 1.6 et piquer à fond. Au premier essai, j'ai senti que je n'y arriverais pas. J’ai donc interrompu la manœuvre et je suis reparti de plus haut et ça a marché. Tous ces vols étaient complexes et très chargés. Il fallait ramener un maximum d’informations en un minimum de temps. Mais c’était particulièrement intéressant.

L’avantage de la carrière de pilote d’essais, même si j’ai dû faire le sacrifice d’une carrière militaire plus variée, avec des vols de nuit, du tir, du bombardement, etc., c’est de se retrouver à la pointe de l’évolution des appareils. Certains pilotes de chasse font quelques vols à Mach 2 sur l’ensemble de leur carrière, moi j’ai pu le faire sur tous les 104 et Mirage que j’ai testés. Tous mes vols se faisaient en lisse. Je faisais les Mach 2 runs entre Bitburg et Florennes, où j’avais assez bien d’espace. Belga Radar m'accordait une fréquence et j'avais un contrôleur qui me suivait en permanence sur son radar.

J’ai volé sur F-16 jusqu’à 58 ans, à neuf G chaque fois, jusqu’à ce que, à la suite d’un examen médical, on me demande de lever le pied. C’était en mai, à l’époque où je devais effectuer les vols de qualification sur F-16 du missile air-sol Matra, AS-330. Après plusieurs examens médicaux, je suis passé devant une commission. Je leur ai expliqué que le programme que j’allais commencer ne demandait que 4 G jusqu’en septembre. Finalement, ils ont été d’accord pour 5 G jusqu’en octobre. J’ai donc obtenu ma licence avec ces limitations mais mon patron de l’époque n’a pas voulu que je continue à voler sur F-16. J’ai donc arrêté en mai 1992. Quand j‘ai quitté la SABCA, je n‘ai pas été remplacé. Les contrats ont été modifiés et c‘est à présent un pilote militaire qui effectue les premiers vols des avions après modification.”

En plus des tests qu'il effectue pour la SABCA, Serge Martin participe à divers autres programmes.

"Quand je suis arrivé à la SABCA, Fairey avait développé le Tipsy Nipper, dont Bernard Neefs avait fait les essais et qui était déjà sur le marché. Quand le 104 est arrivé chez Fairey, ils se sont débarrassés du Tipsy qui a été racheté par monsieur André Delhamende qui en a poursuivi la production à Genk. Bernard Neefs, Jacob de Beuken et moi avons fait plusieurs vols de livraison de Tipsy.

Un peu plus tard, Georges Willekens a rencontré en Italie un ingénieur en aéronautique du nom de Nardi, qui avait conçu un petit hydravion construit par Marchetti mais qui ne se vendait pas. A son retour, il en a parlé à Bernard Neefs qui en a parlé à son tour à André Delhamende. Et ils se sont associés. Marchetti leur a donné un appareil, à charge pour eux de trouver des clients. Et c’est ainsi que nous avons commencé à visiter les foires et salons aéronautiques pour présenter et vendre cet appareil, le Riviera.

A la même époque, un autre bureau d’étude, Frati, avait dessiné un appareil, le SF-250, qui avait été construit à trois exemplaires à Milan. Marchetti, en tant qu'industriel, était très intéressé par cet avion et comme nous étions en contact avec eux, ils nous ont demandé de l'évaluer et de leur donner nos impressions. Il y avait certaines petites choses à modifier mais nous avons rendu un rapport positif et nous avons convaincu Marchetti de le commercialiser. Nous l’avons présenté à la SABENA et à la Force Aérienne qui, moyennant certaines adaptations, l’a acheté. Et cet appareil est devenu le SF-260. Entre-temps, Marchetti avait conçu et commercialisé un monomoteur de tourisme à quatre places, le 205, que nous avons également été chargés de vendre. Nous avions donc dans notre “mallette” trois appareils à proposer. Nous avons ainsi participé plusieurs fois au Salon du Bourget et à d’autres foires aéronautiques. C’est lors d’une de ces foires, à Gênes, que Bernard s’est tué sur le SF-260.

Quelques années plus tard, André Delhamende s’est mis en tête de fabriquer un jet pour remplacer le 260. C’est monsieur Frati qui a été approché comme associé concepteur. Et c’est ainsi qu’est né le Jet Squalus, sur lequel j’ai également beaucoup volé. C’était un bon avion qui aurait mérité un meilleur sort. Douglas s’y est même intéressé à un moment mais le marché n’a pas été conclu. J’ai eu aussi l’occasion de voler sur Squalus au Canada avec un pilote d’essais Mikoyan. J’ai volé avec des Israéliens, des Américains, des Anglais. Tous le trouvaient très bien. Ça m’a permis de côtoyer des pilotes de très haut niveau.

Tout cela fait que simultanément je faisais les essais en vol pour SABCA, je présentais les avions dont nous venons de parler et j’étais pilote freelance sur 707 et 737. Je faisais du transport de fret et des vols charter. J‘ai volé ainsi pour TEA, SOBELAIR, Air Belgium, Biac et Young Cargo. C’était très intéressant car l’été, on faisait les îles grecques, la Méditerranée et l’hiver, comme il fallait occuper les avions, on sous-traitait pour Air Inter, Air Algérie, Air Maroc. J’ai aussi fait pas mal de cargo sur Afrique. Et voler là-bas, c’est quelque chose. En Afrique, quand le temps est mauvais, une diversion c’est 400 nautiques, 10 tonnes de fuel. Ici, avec 2 tonnes, on peut atteindre n’importe quel terrain mais là-bas, c’est du sérieux.

Après avoir quitté SABCA, j’ai continué à voler comme freelance. J’ai fait mon dernier vol pour Air Belgium, un vol cargo aller-retour sur Athènes. Nous sommes rentrés en Belgique vers 22 heures et à minuit, j’avais 65 ans et ma licence de commandant de bord expirait...

Au final, j'ai eu la chance de faire une carrière très diversifiée et de rencontrer des gens passionnants. Ce sont autant de choses que je n’aurais pas pu faire si j’avais fait carrière à la SABENA ou à la Force Aérienne. Pour moi, c’était le bon choix, un choix que je n’ai jamais regretté.”


Interview : V. Pécriaux (30 décembre 2008)
Mise en page: Daniel De Wispelaere
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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