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Carnets de vol: Guy Famenne - Zoom Flight

Carnets de vol: Guy Famenne - Zoom Flight


Carnets de vol: Guy Famenne - Zoom Flight

Début des années 60 : la Guerre froide atteint son paroxysme. Entre la construction du mur de Berlin et la crise des missiles de Cuba, l'Est et l'Ouest se font face. Pour contrer la menace que constituent les bombardiers à long rayon d'action soviétiques, plusieurs pays de l'OTAN ont mis en ligne des unités de défense aérienne dotées de Lockheed F-104G Starfighter. Les lignes particulièrement épurées de cet appareil et les performances de son réacteur vont le faire entrer dans la légende et donner aux quelques pilotes de chasse qui auront la chance d'en prendre les commandes l'occasion d'aller tutoyer les étoiles…

En Belgique, les vols stratosphériques – également appelés "zoom flight" ou "moonshot flights" – sont la chasse gardée du 1er Wing de Chasse tout temps de Beauvechain. Officiellement, ces vols ont pour but de permettre aux pilotes d'effectuer des interceptions de bombardiers à très haute altitude (70.000 pieds). En réalité, la complexité de la préparation et de la mise en œuvre de ces missions interdit toute interception sur alerte répondant à ce profil de vol particulier.

Equipement

Pour pouvoir évoluer à haute altitude et avoir une chance de survivre à une éjection en atmosphère raréfiée, le pilote doit avoir un équipement adapté :

  • des sous-vêtements en coton pour absorber la transpiration
  • une combinaison ventilée (ventilated suit) en nylon. Cette combinaison est parcourue le long des bras, des jambes et du tronc par des canalisations dans lesquelles circule de l'air ou de l'oxygène qui assure la ventilation du corps. Lorsqu'il n'est pas relié au système de l'avion, le pilote est connecté à un réservoir d'oxygène portable.
  • une combinaison pressurisée (pressure suit). Adaptée aux mensurations du pilote, elle est vérifiée minutieusement pour éviter toute fuite. La combinaison pressurisée comporte des poches à différents endroits : l'abdomen, les bras, les cuisses et les mollets. Elle s’ajuste à l'aide de lacets et de fermetures éclair. L'opération s'effectue en position assise. L'étanchéité est assurée aux extrémités des membres par des pièces de caoutchouc serrant.
  • une "colerette". Avant de placer le casque, une colerette est appliquée sur la combinaison. Elle comporte une partie en caoutchouc et un orifice pour passer la tête. Elle se fixe sur un anneau qui repose sur les épaules. Cet anneau présente sur le pourtour une rainure munie de roulements à billes de plastique dur qui permet au pilote de tourner la tête. Ces billes ne sont pas en acier pour éviter toute réaction du métal au contact de l'oxygène. En dessous de l'anneau, il y a une cordelette dont se sert le pilote pour réajuster le casque qui, sous l'effet de la pression, a tendance à se soulever.
  • un casque pressurisé à deux visières (une teintée et une transparente), fixé par une fermeture éclair.
  • une combinaison protectrice en cuir blanc.
  • des gants et des bottes de vol.

Guy Famenne a été pilote de F-104G au 1er Wing de Beauvechain. Arrivé en 1968 à la 350ème escadrille, il a effectué une quinzaine de vols stratosphériques et nous fait part ici de quelques souvenirs.

"Le premier essayage de la combinaison se faisait à la caserne Géruset, à Etterbeek. Après les différents réglages, on passait dans un caisson hyperbare pour la tester. Ce caisson était divisé en deux. Il y avait un petit caisson et un caisson plus grand où l'on pouvait se tenir à une vingtaine. Pour le test, on nous mettait dans le petit caisson et on nous amenait à une pression équivalente à celle d'une altitude de 36.000 pieds environ. Le gros caisson 'montait' jusqu'à 100.000 pieds, ce qui prenait bien une heure. On était à toujours en contact radio avec l'extérieur et on était observés à travers les différents hublots du caisson. A un moment donné, on nous a dit : "Attention, on y va". En fait, ce qu'ils faisaient c'était déclencher le système de dépressurisation entre les deux caissons. On se retrouvait ainsi avec une pression équivalente à une altitude de 75.000 pieds et le costume se gonflait instantanément. C'était assez impressionnant. Quand la décompression se faisait, un brouillard dû à la condensation se formait avant de disparaître assez vite. Il fallait rajuster le casque qui s'était soulevé. On était ensuite "redescendus'"et à 45.000 pieds la combinaison se dégonflait.

Le système était particulièrement efficace car un jour j'ai perdu ma pression de cabine alors que j'étais à 75.000 pieds. A cette altitude, la pression de cabine était de 36.000 pieds. La décompression a donc été brutale. La combinaison s'est gonflée instantanément. J'ai poussé le stick pour maintenir la vitesse supersonique et j'ai fait une descente rapide. A 45.000 pieds, comme prévu, la combinaison s'est dégonflée."

Mission : entre théorie et pratique

Le vol stratosphérique ne s'improvise pas. Il est planifié plusieurs jours à l'avance et s'effectue à deux avions. Après avoir préparé sa mission, le pilote se rend à la section stratosphérique où est conservé et entretenu son équipement de vol. Avec l'assistance du 'physiologiste', il revêt ses différentes combinaisons.

"L'habillage durait environ une heure. Un médecin et des infirmiers étaient présents pour nous faire passer des tests médicaux. Quand on gonflait la combinaison, le médecin venait nous prendre la tension. On était vraiment bien suivis.

A Beauvechain, on 'zoomait' deux '349' et deux '350' deux fois par semaine, le mardi et le jeudi. Les missions se faisaient à deux pour des raisons de sécurité. Ces vols n'avaient lieu que par beau temps. Il fallait que les conditions météo soient idéales. Le plus important pour nous c'était la température à la tropopause – la zone de transition entre la troposphère et la stratosphère – qui varie régulièrement mais qui se situe sous nos latitude aux environs de 36.000 pieds."

Pendant ce temps, l'avion est préparé pour le vol. La mission se fera en configuration lisse.

"Quand tout était prêt, on partait à l'avion avec les physiologistes. On effectuait, comme pour une mission normale, un tour de l'appareil."

Une fois tous les contrôles extérieurs effectués, le pilote prend place sur le siège, se harnache et se connecte aux systèmes oxygène et radio. Il exécute ensuite son 'cockpit check' et entame la séquence de démarrage du réacteur. Lorsque tout est en ordre et après avoir pris contact avec la tour, il lâche les freins et se dirige vers la piste.

"Grimper dans le cockpit avec cette combinaison n'était pas évident. De plus, la colerette limitait la rotation du casque vers la gauche. Notre champ de vision de ce côté était très réduit, ce qui posait des problèmes quand il fallait atteindre des switchs sur la console latérale."

Le décollage s'effectue à pleine puissance, post-combustion allumée. Comme la législation ne permet le vol supersonique en-dessous de 36.000 pieds, l'accélération se fait à 0.9 Mach jusqu'à la tropopause, altitude à laquelle la température de l'air est la plus basse (environ -56° c). L'avion est ensuite mis en palier et poursuit son accélération jusqu'à Mach 2.

"On faisait notre accélération à deux en formation 'battle', à environ 2 kilomètres l'un de l'autre. On montait, pour économiser le carburant, en régime sec, sans post-combustion. On arrivait à l'altitude d'accélération jusque Luxembourg et ensuite on prenait un cap d'accélération supersonique entre Namur et Andenne. L'accélération jusqu'à Mach 2 prenait à peu près trois minutes – trois minutes trente. On 'zoomait' pratiquement au-dessus de la Meuse. La prise de g n'était pas très importante, 2,5 à 3 g maximum. Une combinaison anti-g, française comme le reste du costume, était prévue mais on ne la portait jamais, ce n'était pas nécessaire."

Post-combustion toujours enclenchée, le pilote tire sur le manche pour entamer son 'zoom'. Pendant la montée, la vitesse décroît à raison de 1/10ème de Mach tous les 4.000 pieds. En d'autres termes, si l'ascension a débuté à 36.000 pieds à la vitesse de Mach 2, l'avion atteindra son apex (sommet de la courbe) à 76.000 pieds et à Mach 1. L'action exercée sur les commandes de vol devient également moins efficace du fait de la diminution de la densité de l'air.

"Il fallait trouver le meilleur angle pour grimper le plus haut possible. Cet angle, qu'il fallait calculer à l'avance en fonction de divers paramètres, se situait aux environs de 50 degrés. Au-dessus de 70.000 pieds on voyait très bien la courbure de la terre et le ciel qui s'assombrissait. Et en levant la tête on apercevait les étoiles."

A 65.000 pieds, le manque d'air provoque l'extinction de la post-combustion, ce qui a pour effet de réduire sensiblement la poussée du moteur. L'appareil continue à grimper sur sa seule inertie. Le pilote doit néanmoins tenir à l'œil la température au niveau de la tuyère qui a tendance à augmenter. Si nécessaire, il réduit le régime moteur tout en gardant suffisamment de puissance pour assurer l'alimentation des équipements électriques.

L'avion atteint à présent l'apex. Il faut maintenant conserver la vitesse et ne pas descendre en-dessous de Mach 1 (environ 200 nœuds) pour éviter le décrochage.

La descente, la décélération et le retour à la base se font en régime économique pour préserver quelques livres de carburant qui restent dans les réservoirs. Après trente à quarante minutes de vol, l'avion reprend contact avec le sol.

"Le retour se faisait au ralenti, tout coupé car on n'avait plus beaucoup de pétrole. Quand on avait terminé le zoom il nous restait environ 1.200 livres de carburant (sur 5.800 livres au départ), soit dix minutes de vol. En descendant sur Beauvechain, on annonçait au contrôle qu'on était 'minimum fuel'. On devenait ainsi prioritaires pour l'atterrissage."

De retour de mission, le pilote repasse à la section pour y remettre son équipement. Celui-ci est revérifié (connexion radio, recherche de fuites et déchirures éventuelles) et lavé/séché avant d'être remis dans son armoire ventilée. En cas de problème, l'équipement défectueux est envoyé au Centre de médecine aéronautique.

"Au retour, on nous pesait. Par vol on perdait en moyenne deux litres d'eau. Après être repassé à la section Strato, on prenait une douche et on était tranquille pour le reste de la journée."

Bilan

La Force Aérienne a mené des vols stratosphériques pendant presque dix ans. Le premier d'entre eux a eu lieu le 30 avril 1967 et le dernier le 1er octobre 1976. Pendant cette période, 478 "zoom flights" ont été effectués. Le record d'altitude, établi par Ludo Forgeur, est de 82.500 pieds.


Texte et interview : Vincent Pécriaux
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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