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Carnets de vol: Jacques Davoine

Carnets de vol: Jacques Davoine

Carnets de vol: Jacques Davoine

Ses premiers contacts avec le monde de l'aviation, Jacques Davoine les a eus juste après la guerre, grâce à un voisin qui possédait un petit avion et qui l'emmenait régulièrement avec lui. Même s'il se montre enthousiaste, le jeune Jacques ne se destine pas d’emblée à une carrière de pilote.

"Initialement, je devais entamer des études d'ingénieur commercial à Mons. Malheureusement, mon papa est décédé et ma maman n'a pas été en mesure de me payer cinq années d'études universitaires. L'idée de devenir pilote me trottait déjà dans la tête et je me suis engagé à l'armée en août 1951. J'avais dix-neuf ans. Comme il y avait énormément de candidats et pas suffisamment de moniteurs, un cours préparatoire a d'abord été organisé à l'École d'Officiers de Nivelles. C'est donc là que j'ai d'abord été affecté.

Je suis arrivé à Gossoncourt en 1952 et j'ai été intégré dans la 125e promotion. Nous étions environ cent vingt. Nous avons fait nos premières armes sur le SV-4, un avion très maniable qui permettait de faire de belles choses en l'air.

Mon premier moniteur à l’EPE était le capitaine Notte. J’en avais gardé un excellent souvenir mais malheureusement quelques années plus tard, un soir où j'étais de garde à Brustem, nous avons reçu un appel nous avertissant qu'il y avait eu, à Rummen, au nord de Saint-Trond, un accident de Meteor NF.11. L'avion s'était écrasé à la suite d'un problème causé par la présence d’eau dans le carburant. En arrivant sur place, les corps étaient allongés l'un à côté de l'autre. J'ai reconnu celui de l'infortuné pilote. Il s'agissait bien du capitaine Notte. Le Meteor NF.11 ne possédant pas de siège éjectable, il avait tenté de sauter de l'appareil, mais trop tard. Cette nuit-là, il y a eu un deuxième crash de Meteor NF.11. L'autre appareil s'est écrasé à Mont-Saint-Guibert, en rentrant vers Beauvechain. C'est une nuit que je n'oublierai jamais, d’autant que mon moniteur était aussi le père de Jean-Pierre Notte que j'ai eu des années plus tard comme pilote au sein de mon escadrille.

J'ai effectué environ 80 heures sur SV. J'ai été lâché solo assez rapidement, après quatre heures de vol. Il m'est arrivé un petit incident lors d'un de ces vols, un des premiers hors du circuit. Il était prévu que je fasse un vol d'acro dans une zone proche de la base. Le point de repère que nous utilisions à l'époque, c'était la tour de la sucrerie de Tirlemont, visible des kilomètres à la ronde. Malheureusement, le temps s'est dégradé après mon décollage et mon point de repère a progressivement disparu dans la brume. Je suis alors descendu pour tenter de me repérer et j'ai aperçu une voie ferrée puis une gare. C'était la gare de Landen. Le carburant commençait à manquer et je ne parvenais toujours pas à retrouver le chemin de la base. J'ai alors repéré un champ de betteraves et je me suis posé en douceur, sans faire de casse. Un fermier est vite arrivé et m'a dit que je n'étais qu'à quelques kilomètres de Tirlemont. J'ai alors téléphoné à Gossoncourt. Le capitaine Wegria est arrivé avec un mécanicien et, après avoir inspecté l'avion, il a redécollé pour le ramener à la base. Je suis quant à moi rentré par la route avec le mécano."

En 1953, la 125e promotion quitte Gossoncourt pour l'aérodrome de Brustem, antre de l'École de Pilotage Avancé.

"Brustem était une très belle base, bien équipée. Elle disposait de deux pistes en dur et de plusieurs hangars qui étaient malgré tout assez vétustes.

Nous étions encore une quarantaine. Le programme qui nous attendait : 120 heures sur Harvard. Nous avions à l'époque des Harvard d'origine britannique et des T-6 achetés aux Américains. Plus lourds, ils étaient mieux équipés sur le plan de l'instrumentation. Le Harvard était un bon avion, pas surpuissant mais je me souviens qu'il était assez bruyant.

J'ai suivi le programme classique, sans rencontrer de problèmes particuliers. C'est également le Harvard qui nous a préparés à notre prochaine monture, le Spitfire !

Brustem disposait au sein de l'EPA de quelques Spitfire Mk IX. Notre promotion était la dernière à voler sur cette machine légendaire. Le Spit Mk IX avait un moteur de 1600 chevaux et nous devions effectuer une quinzaine d'heures de vol pour voir si nous pourrions passer à l'École de Chasse sur le Spit XIV, beaucoup plus puissant, dont le moteur développait 2400 chevaux. Il n'y avait pas de Spitfire biplaces et les notes dont nous disposions, et que nous devions connaître avant de pouvoir décoller, tenaient sur une simple feuille dactylographiée. Ce qu'il fallait surtout tenir à l'œil, c'était la température du moteur. Le Merlin était refroidi par glycol et lorsqu'il faisait chaud, il ne fallait surtout pas laisser le moteur surchauffer avant de décoller.

Le Spit IX était déjà une bête de guerre, mais ce n'était rien comparé au Spit XIV que nous avons eu à l'École de Chasse de Coxyde où nous nous sommes retrouvés après avoir reçu nos ailes, le 31 mai 1954. Je suis resté trois mois à l'École de Chasse, trois mois pendant lesquels j'ai fait 80 vols sur Spit XIV. Là, les missions étaient beaucoup plus opérationnelles, c'étaient déjà des missions de chasse. Nos moniteurs étaient des durs à cuire, même ceux qui n'avaient pas fait la guerre. Ils nous emmenaient en tail chase au ras des flots en nous disant bien de ne pas voler plus bas qu'eux. Et il valait mieux obéir si nous ne voulions pas toucher l'eau ! Heureusement, si l'on peut dire, nous n'avons perdu que deux Spitfire. C'était une période très exaltante. On faisait jusqu'à quatre vols par jour."

Mais déjà se profile le passage sur jet.

"La conversion sur Meteor comprenait une dizaine d'heures de vol, sur Meteor T.7 biplace d'abord, puis sur Meteor F.4. Nous pouvions ensuite être postés sur une des différentes bases de chasse, comme Brustem, Chièvres ou Beauvechain. Florennes et Kleine-Brogel étaient à l'époque déjà équipées de chasseurs-bombardiers Thunderjet. Brustem hébergeait le 13e Wing de chasse, composé des 25e, 29e et 33e escadrilles, toutes les trois sur Meteor. J'ai été affecté à la 25e escadrille, commandée par le major Alex Binon, qui deviendra plus tard pilote du roi Baudouin et commandant du 15e Wing. Cette affectation a véritablement marqué le début de ma carrière de pilote de chasse.

Nous effectuions déjà des campagnes de tir, sur l'île de Sylt notamment, depuis une ancienne base allemande reprise par la Royal Air Force. Le Meteor était une bonne plate-forme de tir mais il était lourd et il perdait vite de sa vitesse. Après une passe de tir, il fallait remettre sérieusement les gaz. Le vol sur un moteur était aussi particulièrement délicat. On s'y entraînait d'ailleurs régulièrement sur T.7, toujours avec un moniteur en place arrière.

Outre les Meteor, nous disposions aussi d'Airspeed Oxford, utilisés principalement pour des vols de liaison. J'ai eu l'occasion de faire une vingtaine de vols sur ce bimoteur. Je me rappelle notamment avoir apporté des couvertures à Gosselies lorsque s'est produite la catastrophe du Bois du Cazier, en août 1956."

En avril 1957, le 13e Wing fait mouvement vers Coxyde tandis que l'École de Chasse se redéploie à Brustem.

"C'est à ce moment-là qu'on m'a proposé de partir à Bierset. Comme ma femme était de Herstal, ça m'arrangeait bien. J'ai encore volé quelques mois sur Meteor avant de faire une conversion rapide sur Hunter à Chièvres.

Bierset a commencé à recevoir ses Hunter, d'abord des Hunter F.4 puis des F.6. Le Hunter était un avion magnifique, très maniable mais il n'emportait pas assez de carburant. Si on voulait aller loin, lors d'échanges d'escadrilles à l'étranger, par exemple, il fallait impérativement grimper en altitude. On pouvait alors espérer faire des vols d'une heure vingt minutes. C'est en tous les cas le meilleur avion que j'ai connu du point de vue de la maniabilité.

J'ai commencé comme pilote à la 22e escadrille avant de passer au groupe de vol. Pour prendre du galon - je n'étais encore que lieutenant à l'époque - je suis devenu flight co puis ops officer à la 26e.

En 1958, j'ai aussi eu l'occasion de faire partie de l'organisation du grand meeting aérien de Bierset. L'événement a rassemblé plus de 120 000 personnes et a été rehaussé par une visite royale. Et parmi les appareils étrangers présents, un futur fleuron de la Force Aérienne, le F-104 Starfighter.

En 1959, je suis parti à l'École de Perfectionnement pour Officier d'Active de Coxyde afin d'y suivre douze mois de cours théorique. Ce fut une période particulièrement intéressante."

Un an plus tard, nouvelle mutation pour Jacques Davoine, à la 7e escadrille de Chièvres cette fois.

"Comme les 22e et 26e escadrilles avaient été dissoutes, je me suis retrouvé posté avec d'autres pilotes à Chièvres où j'ai continué à voler sur Hunter comme flight co. Avec ses trois escadrilles de chasse, Chièvres était une base particulièrement active. Elle comptait quelques tireurs très adroits qui se distinguaient dans les compétitions de tir et abritait aussi la patrouille des Diables Rouge, créée par Bobby Bladt.

En 1962 pourtant, j'ai été recontacté par le colonel Collignon, que j'avais bien connu à Bierset. Il m'a demandé si ça m'intéressait d'y retourner pour préparer le déménagement de la 42e escadrille de reconnaissance qui allait quitter Beauvechain. Tout était à faire. J'ai accepté et j'ai fait ma conversion sur un nouvel avion, américain cette fois, le RF-84F Thunderflash. Il était beaucoup plus spacieux que le Hunter, beaucoup plus lourd aussi. Mais il allait loin. Et quand on avait besoin de puissance, on pouvait décoller avec deux ou quatre fusées JATO.

À l'époque, parmi les grands exercices internationaux organisés par l'OTAN, il y avait le Royal Flush, réservé aux escadrilles de reconnaissance. J'ai été responsable ops pour l'escadrille dans deux de ces exercices. Au début, chaque escadrille était engagée depuis sa base. Dans les éditions ultérieures, nous avons envoyé des détachements de quatre avions. Ces exercices étaient particulièrement complexes. Les objectifs à identifier étaient parfois une simple jeep au coin d'un bois. Le pilote savait juste qu'il devait survoler un endroit bien précis, identifier l'objectif et prendre les clichés. Et on n'avait droit qu'à une seule passe. Au retour de la mission, il fallait faire un premier rapport à l'interprétateur photo et faire développer les films pour les analyser et faire enfin un rapport définitif.

Je suis resté à l'escadrille jusqu'en 1970, année où j'ai été promu major et où je suis parti au Bureau Opérations du Commandement de la Force Aérienne Tactique à Evère."

À l'issue de ce détachement de deux ans, Jacques Davoine retourne en unité opérationnelle.

"Je ne savais pas trop où j'allais aller. Comme notre famille avait déménagé de Bierset à Nivelles, le choix de Florennes était le plus intéressant. Je me suis vu confier le commandement de la deuxième escadrille, qui allait bientôt voler sur Mirage 5BA. J'ai été le 17e pilote à effectuer sa conversion sur Mirage, en 1972. C'est à cette époque que j'ai commencé à avoir des problèmes aux cordes vocales. Je fumais, certes, mais il faut savoir que sur les avions sur lesquels j'avais volé, l'oxygène que l'on respirait était de l'oxygène sec. Sur le Mirage, par contre, l'oxygène était humidifié. Petit à petit, j'ai commencé à perdre ma voix. Les médecins ont détecté un nodule, puis un autre. J'ai subi quatre opérations mais, comme ma voix ne revenait pas, il n'était plus question que je vole sur Mirage. J'ai été autorisé à voler à Gossoncourt sur Marchetti mais je devais être accompagné de quelqu'un qui pourrait assurer les communications en cas de problème. Finalement, cette situation n'était plus tenable et on m'a alors proposé de voler sur C-130H. Mais là aussi, mes problèmes de voix ont continué. On m'a donc fait comprendre que c'était définitivement fini pour moi. Comme j'étais en âge de prendre ma retraite, j'ai pris une retraite anticipée en 1977 au grade de lieutenant-colonel, non sans rester sept ans encore dans le cadre de réserve."

Fort de son expérience en relations publiques et animé par sa passion du contact avec les gens, Jacques Davoine s'est engagé dans une carrière journalistique qu'il poursuit encore aujourd'hui au service de sa ville, Nivelles.


Interview : Vincent Pécriaux (12 février 2016)


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