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Carnets de vol: Alphonse De Greef

Carnets de vol
Carnets de vol: Alphonse De Greef

En mai 1940, Alphonse De Greef a neuf ans. Il découvre avec ses yeux d'enfant les effets dévastateurs de la Blitzkrieg à laquelle se livre la Luftwaffe dans le ciel belge.

"Deux ou trois jours après la déclaration de la guerre, des Stuka sont venus bombarder un tank qui se trouvait près de chez moi, à Braine-l'Alleud. J'avais tellement peur que je voulais faire un trou et rentrer dedans. Et je me suis dit que lorsque je serais grand, je serais pilote et qu'ils allaient en baver. Mon père voulait faire de moi un comptable, mais je n'en ai jamais démordu.

Je suis entré à la Force Aérienne en 1949 comme sous-officier candidat-instructeur en gymnastique car mes parents ne voulaient pas que je devienne pilote. J'ai donc suivi les cours à la caserne Géruzet, à Etterbeek, ce qui m'a permis de pratiquer beaucoup de sport. Et c'est là également que se déroulaient les examens des candidats-pilotes. Une promotion a été formée, la 119, et je me suis inscrit. Au début des tests, nous étions quatre cents. Après la visite médicale, nous n'étions plus que deux cents et soixante à l'issue des épreuves physiques."

Fin 1950, Alphonse De Greef rejoint ensuite l'École de Pilotage Elémentaire de Gossoncourt.

"L'EPE avait déménagé de Diest à Gossoncourt en 1949. Je me souviens que le terrain était souvent humide, ce qui posait problème pour les SV. En plus, il y avait les taupes. Les jours où le temps permettait de voler, le matin on recevait des pelles et on allait aplatir les taupinières. L'ambiance à l'EPE était très bonne. À notre arrivée, les 'anciens' des deux promotions précédentes sont bien sûr venus virer nos chambres. Mais cela faisait partie du folklore.

Nous avons suivi des cours sur le règlement militaire, appris à faire du drill, et reçu les premiers cours théoriques. Nos moniteurs étaient tous des pilotes qui avaient fait la guerre ou qui avaient même volé avant la guerre et qui avaient repris du service. Mais, point de vue vol, je ne peux rien dire sur Gossoncourt, car pendant les deux mois où j'y suis resté, je n'ai jamais volé ! La promotion a été scindée en deux et ceux qui devaient poursuivre leur formation aux États-Unis ont été envoyés à Wevelgem. Nous y avons continué les cours théoriques et commencé les cours d'anglais, indispensables évidemment. Il faut dire que mon anglais se limitait à l'époque à "My tailor is rich"... Je ne voulais pas aller aux États-Unis car mes parents ignoraient toujours que j'étais élève-pilote ! Comme j'étais chef de prom', il était logique pour le commandant que je parte avec la prom' aux États-Unis. Je lui ai expliqué la situation.

"Comment ça, m'a-t-il répondu, tes parents n'ont pas signé ?
- Si, mais en fait, c'est moi qui ai signé la lettre...
- Ce sont des gens comme toi qu'il nous faut. Tu pars en Amérique !"

À Wevelgem, le temps était toujours aussi mauvais et je n'ai fait que deux ou trois heures de SV avant de partir. Et puis un jour, on nous a dit : "Demain, vous allez chez le tailleur pour faire confectionner vos uniformes et vous partez pour l'Amérique." Et me voilà en route vers Goodfellow Air Force Base, à San Angelo, Texas."

La traversée s'effectue en DC-4 de la SABENA via Gander et New York.

"Arrivés à New York, nous avons été embarqués dans un C-46 Commando à destination de San Angelo, Texas. Nous devions faire une escale pour refaire le plein à Nashville. Il faisait très mauvais, la nuit était tombée et je me rappelle qu'après avoir atterri, lorsque l'avion est arrivé au bout de la piste, les deux moteurs se sont arrêtés. Plus une goutte de carburant.

Je me suis retrouvé comme cadet de 4e classe de la Class 52B à Goodfellow. Évidemment, à notre arrivée au Texas, il faisait terriblement chaud et nous avons troqué nos lourds uniformes en toile de couverture pour les tenues légères portées par les cadets. Nous avons aussi reçu un service dress bleu avec l'inscription Belgium sur l'épaule. Sur nos autres tenues, nous avions un 'dog tag' avec notre nom et l'indication de notre 'classe'. Les premières classes avaient un grade spécifique. Comme mon prénom était trop long pour les Américains, ils m'ont baptisé Al.

Très vite, après notre installation, les cours ont commencé. Les quatre premières semaines, il n'y avait pas de vols. Nous suivions huit heures de cours par jour, notamment sur les règlements militaires mais aussi évidemment sur la navigation, la météo, l'aérodynamique, etc. Le tout en anglais. Nous prenions note comme nous pouvions et le soir, nous comparions nos notes. D'office, les Américains nous avaient séparés. Nous étions donc obligés de parler anglais. Je partageais ma chambre avec un Norvégien. Il y avait des cadets américains, des Français, des Hollandais, des Danois, des Norvégiens, des Italiens. Curieusement, les Français restaient plus entre eux.

Ma promotion comptait quatre officiers qui venaient de l'École royale militaire. Ils ont tous été rayés et envoyés à Houston où ils ont été brevetés comme navigateurs. Je les ai d'ailleurs retrouvés plus tard au 15e Wing.

Les vols ont débuté en T-6. Le programme prévoyait environ 125 heures. Chaque instructeur formait quatre cadets. Le mien était un jeune qui revenait de son tour d'opérations en Corée. Nous avions déjà fait du PSV sur des link trainers et nous avions donc déjà les bases du vol aux instruments. Le vol aux instruments était important, notamment pour pouvoir faire du vol de nuit. Les T-6 américains étaient très bien équipés. Nous faisions un ou deux vols par jour, soit le matin ou l'après-midi. Le reste du temps, nous assistions aux cours ou nous faisions du sport. La journée commençait d'ailleurs par de la gymnastique, suivie du petit-déjeuner. Ensuite, nous faisions nos chambres et nous partions au cours. Tout était bien réglementé. Nous savions ce que nous allions manger. Le menu était affiché pour la semaine et si nous nous rendions sur une autre base, le menu était exactement le même. Ce sens de l'organisation m'a toujours frappé.

Durant cette période, nous ne pouvions sortir que le samedi à partir de midi et nous devions rentrer le dimanche avant vingt-deux heures. Les Américains organisaient des bals où venaient les jeunes filles de la région. Je conduisais aussi une voiture. Je n'avais pas de permis car il n'en existait pas en Belgique. Lorsque je me faisais contrôler par la police, je montrais mes papiers belges et j'expliquais la situation. Et ça ne posait pas de problème. C'était curieux comme situation. Nous pouvions conduire et piloter des avions mais nous ne pouvions pas boire une bière puisque nous avions moins de 21 ans.

Après le Basic Training, nous sommes partis à Bryan Air Force Base où nous avons encore volé sur T-6 pendant trois semaines. Puis, on nous a annoncé l'arrivée des T-28. C'était une formidable machine. Le cockpit était agréable, pour le PSV, c'était un bijou par rapport au T-6. De plus, on pouvait le trimmer convenablement. Il était plus rapide, stable et on pouvait faire de très belles navigations.

À la Noël 1951, les T-33 sont arrivés. Nous avons eu droit à trois vols sur T-33 avant de pouvoir être lâchés sur F-80 puis repasser, plus tard, sur T-33 pour le vol aux instruments, la navigation, etc. Les deux avions étaient quand même assez différents. Le T-33 avait un bon moteur et certaines procédures étaient automatiques. Le F-80 n'avait pas de siège éjectable. Un jour, dans une formation, un pilote norvégien a touché la manette qui actionnait la verrière, qui n'était pas électrique. Il a déverrouillé le hood qui est parti en arrière. Et lui a été aspiré hors de l'avion, harnaché à son parachute. Il est arrivé au sol sans problème. Il avait juste un œil au beurre noir à cause du tuyau d'oxygène qui, en se détachant, l'avait atteint au visage. Après cela, j'ai fait très attention à ne rien toucher par inadvertance dans le cockpit..

Nous aurions bien voulu aller en Corée mais nous ne pouvions pas. Les pilotes européens devaient revenir en Europe à cause de la guerre froide. En Belgique, les premiers F-84 arrivaient à Florennes et il fallait impérativement des pilotes. Après avoir reçu nos ailes, en mars 1952, nous avons passé une quinzaine de jours à New York et nous sommes rentrés par avion SABENA. Nous n'avons de ce fait même pas suivi le cours de gunnery à Luke Air Force Base."

Al De Greef retraverse donc l'Atlantique. Il rejoint son affectation, la 2e escadrille de Florennes, en avril 1952.

"Nous sommes arrivés à Florennes gonflés à bloc. Ceux de la 52A, qui étaient arrivés six semaines avant nous, se considéraient déjà comme des 'anciens'. Nous sommes donc allés nous présenter au chef de corps, le major Lallemant.

À notre arrivée à Florennes, la 2e comptait à peine une dizaine d'appareils. Je me rappelle qu'il y avait toujours des Spit sur la vieille piste. Nous avons été très vite mis dans le bain. Nous avons eu un cours au sol sur le Thunderjet avec un Américain. Je crois en tous les cas que nous étions plus à l'aise sur jet que les anciens. Au début, nous avons fait beaucoup de navigation pour nous habituer, puis nous avons enchaîné avec les missions à basse altitude.

Nous utilisions la petite piste et, en F-84, c'était tout juste. Il y a eu quelques sorties de piste à gauche et à droite. Dans le prolongement de la piste, il y avait un étang qu'il valait mieux éviter. Un jour, au retour d'un vol, Marcel De Knop s'est posé devant moi sur la petite piste. En touchant la piste, il a éclaté un pneu. Il ne pouvait absolument rien faire et son avion s'est mis de travers a fait toute la longueur de la piste en PSP (1). J'étais derrière lui mais heureusement, je suis parvenu à m'arrêter sans le toucher. Ouf ! Il y a eu quelques petites histoires de ce genre à cette époque à Florennes.

Ceux qui voulaient devenir officiers devaient passer l'examen A. Ceux qui n'avaient pas terminé leurs humanités - ce qui était mon cas parce que j'avais fait deux ans de comptabilité avant de m'engager - pouvaient soit passer ces examens, ce qui nécessitait de suivre deux années de cours à Saffraanberg avec la possibilité de voler de temps en temps comme visiteur, soit devenir moniteur. Moi, tout ce que je voulais, c'était voler. C'est ainsi que six mois à peine après être arrivé à Florennes, j'ai postulé pour être moniteur à l'EPA."

En cette fin d'année 1952, l'École de Pilotage Avancé est, pour quelques mois encore, implantée à Brustem.

"À peine étais-je arrivé à Brustem que l'on nous a annoncé que la base de Kamina serait prête dans quelques mois. Je volais sur Harvard mais comme il restait encore quelques Spit, j'ai eu la possibilité de faire une dizaine de vols en Mk IX et un en Mk XIV. Le Spit IX était vraiment agréable à voler. J'ai même pu faire de la formation acrobatique avec le capitaine Procureur, qui avait été mon officier de liaison aux États-Unis et qui se retrouvait en même temps que moi et d'autres que je connaissais, à l'EPA.

J'ai suivi ma formation de moniteur au Flight moniteurs. C'est là que j'ai vraiment appris à voler. Car en tant que moniteur, vous devez non seulement apprendre aux autres mais également apprendre vous-même. Chaque fois que vous expliquez quelque chose, vous devez pouvoir expliquer pourquoi et le faire. Vous devez donc étudier les choses plus en profondeur.

En octobre 1953, nous sommes partis à Kamina. Nous avions prévu d'y aller en Harvard mais le trajet a été jugé trop long et, comme nos avions n'étaient plus tout neufs, on risquait d'en laisser en panne un peu partout. Les avions ont donc été amenés par C-119. En plus des IIB reçus de la RAF, qui disposaient encore d'un chauffage et d'anciens instruments, nous avons obtenu des Canadiens des Harvard IVM, qui avaient un réservoir supplémentaire d'une dizaine de gallons dans chaque aile, ce qui permettait de faire des navigations plus longues.

Nous étions une dizaine de moniteurs et deux flight co, Procureur et Boonen. Nous étions sous les ordres du major Bocquet. Il avait été désigné pour diriger la base mais, comme il venait du transport, il n'avait aucune expérience en Harvard. Denis Meert et moi avons donc fait pas mal d'acro avec lui à Brustem. Grâce à cela, lorsqu'il partait en DC-3, il m'emmenait avec lui. Cela m'a donc permis de voler sur DC-3.

Lorsque nous avons ouvert la base, il y avait un Airspeed Consul et un SV4 modifié pour faire de l'épandage avec du DDT contre les moustiques. C'est surtout le major Collignon qui s'occupait de cela. Quant au Consul, il fut "grounded" car les termites avaient attaqué les ailes.

La piste en béton n'était pas terminée et nous opérions à partir d'une piste en terre, ce qui était parfois scabreux pendant la saison des pluies. Nous avons formé notre première promotion, la 126, qui comptait 45 élèves. C'était une très bonne promotion, des gars motivés, avec lesquels nous n'avons eu aucun problème. J'avais quatre élèves en charge. À un moment pourtant, il n'a plus fallu autant de pilotes dans les escadrilles. Nous avions des promotions de 25 élèves mais on nous disait qu'il n'en fallait que dix-sept, par exemple. Inutile de dire que chaque moniteur se battait pour faire passer ses gars.

La base de Kamina était splendide. Elle comptait de magnifiques installations, une piscine , un cinéma, un mess pour les élèves où nous allions parfois manger avec nos épouses. Le bâtiment abritait les locaux administratifs de l'EPA et, à l'étage, les chambres où logeaient par deux les élèves. Les moniteurs vivaient dans des maisons individuelles. La base était immense. En arrivant, nous avons d'ailleurs reçu un vélo pour nos déplacements.

Après trois ans à Kamina, j'ai dû rentrer en Belgique pour raisons familiales et je n'ai pas signé pour un terme supplémentaire."

Revenu en Belgique, Al De Greef est muté à la 349e escadrille, à Beauvechain.

"Quand je suis arrivé, le colonel Van Eeckhoudt, qui était OSN à cette époque, m'a dit :
"Dis, ici on veut des gars qui savent voler, hein ! Il faut avoir au moins mille heures de vol ! Tu as combien d'heures, toi ?
- Je dois en avoir environ 2200.
- Ah !? "
Je me rappellerai toujours la tête qu'il faisait.

J'ai d'abord dû être lâché sur Meteor 7. J'ai fait deux vols à Brustem. Je n'aimais pas cet avion. C'était un veau. Le Meteor 4 n'avait pas de siège éjectable, il n'était pas pressurisé. Pour mon premier vol solo, on m'a désigné un avion qui sortait de maintenance. J'ai décollé et j'étais à peine en l'air que le tableau de bord m'est tombé sur les genoux ! J'ai essayé de le remonter tant bien que mal, en vain. Je n'arrivais plus à lire correctement les instruments. Bref, je suis revenu me poser directement. Un mécano avait en fait oublié de refixer le tableau de bord.

À Beauvechain, j'ai retrouvé pas mal de gars de ma prom'. L'esprit y était formidable. Quelques mois plus tard, le Hunter est arrivé. C'est devenu beaucoup plus agréable. On organisait des pelotons acro dans chaque escadrille. À Chièvres, il y avait Bladt et ses gars, à Beauvechain, de Maere d'Aertrijk pour la 350 et Vander Stockt pour la 349.

Le Hunter avait un bon moteur mais quand on tirait, il s'arrêtait à cause des fumées des canons. Vander Stockt et moi avions trouvé la parade : quand on tirait, on appuyait en même temps sur 'Air Start'.

Le Hunter était limité en fuel. On pouvait voler quarante-cinq minutes, point. Il fallait faire rapidement son interception et rentrer. Quand on se retrouvait verticale base à 45 000 pieds et que le contrôle au sol nous indiquait de descendre, en deux minutes et demie, nous étions face à la piste. On piquait littéralement à la verticale. Un jour, nous sommes allés à Biggin Hill, en Angleterre, avec comme leader le major d'Oultremont, qui préférait voler bas que haut. Nous avons donc traversé la Manche à douze avions au ras des vagues, au milieu des bateaux. Tout à coup, nous nous sommes retrouvés devant une zone de brouillard. Le contrôle anglais nous a ordonné de prendre de l'altitude. J'étais enrhumé mais comme on devait effectuer le vol à basse altitude, je me disais que ce n'était pas grave et j'avais décidé de faire le vol au lieu de prendre un C-119 avec le reste du personnel. Mais voilà, nous étions à présent à 40 000 pieds et le Hunter en descente allait très vite. Et en arrivant au sol, le mécano, en mettant l'échelle, m'a demandé ce que j'avais car je saignais de l'oreille gauche. Je m'étais perforé le tympan. Résultat, retour immédiat en Belgique en C-119.

À part les avions civils, nous interceptions tout ce qui passait : chasseurs hollandais, anglais, allemands... Et parfois, nous montions à 45 000 pieds jusqu'au Rideau de Fer. Nous pouvions rester cinq minutes et il fallait rentrer... Un matin, nous étions d'alerte avec Marcel Vander Stockt. Nous avons décollé et, en passant les 40 000 pieds, j'ai signalé 'bingo'. En fait, le transfert de carburant d'une de mes ailes ne se faisait pas. Nous avons contacté Beauvechain pour pouvoir rentrer mais la base était fermée à cause d'une tempête de neige. On nous a redirigés vers Bruxelles, où il faisait beau. Mais comme nous étions armés, nous n'avons pas été autorisés à nous poser. Nous avons mis le cap sur Brustem. La descente s'est faite dans les nuages et j'ai dit à Marcel que si je ne voyais pas le sol à 2000 pieds, je m'éjecterais. Heureusement, j'ai fini par apercevoir le sol. Le chasse-neige quittait juste la piste. Je me suis posé et, arrivé près du hangar, mon réacteur s'est éteint.

À cette époque était organisé le pentathlon militaire, une série d'épreuves sportives et de vol entre escadrilles. Il y avait des escadrilles de Coxyde et de Chièvres, sur Meteor, celles de Beauvechain sur Hunter, celles de Florennes, sur F-84F, etc. Et ce jour-là avait lieu l'épreuve de navigation. Le but était de faire une navigation en survolant différents points bien précis. C'étaient de tout petits points, une antenne dans un pré, par exemple. Chaque escadrille avait un timing à respecter et devait revenir à un moment précis à Florennes. Chaque seconde en plus ou en moins représentait des points en moins. Les vitesses des avions étaient bien sûr différentes. Les points étaient attribués également en fonction de la vitesse à laquelle on passait au-dessus des différents points. Les Meteor, qui n'allaient pas très vite, évoluaient à 300 nœuds, les F-84F à 350 nœuds. Ceux qui passaient à 450 nœuds récoltaient le maximum des points. Face aux chasseurs-bombardiers habitués à faire en permanence des navigations, tout le monde pensait que nous n'avions aucune chance. Quand ce fut notre tour, nous avons décollé pour cette épreuve. Le premier point était un petit beacon qui se situait près de Wevelgem. Je le connaissais et j'ai dit aux autres que je m'occupais de cette partie de la navigation. Et nous sommes passés à sa verticale à 450 nœuds. Le second point se trouvait près de Spa, un petit pavillon de chasse que connaissait Jacob de Beuken qui était de la région. Il a donc pris cette partie de la navigation. Et en revenant sur Florennes, nous nous sommes mis en formation. Nous avons passé la ligne sur la piste à la seconde et nous avons commencé à faire de l'acro au-dessus de la base avant l'arrivée des autres. Vous imaginez la tête du colonel Crekillie, patron de la base de Florennes, obligé de remettre le prix à des chasseurs de Beauvechain !"

Le Hunter F.4 ne reste que quelques mois à Beauvechain. Son successeur vient d'outre-Atlantique.

"On nous a annoncé qu'on allait voler sur CF-100. Déception générale. Qu'est-ce que c'est que ça ? Un chasseur de nuit ! On va tous devenir chasseurs de nuit ! Au final, trois escadrilles, la 11e, la 349 et la 350 passent sur CF-100.

Le CF-100 était une grosse machine dont le concept d'emploi était tout à fait différent. Du point de vue du cockpit, les Canadiens avaient un peu la même vision que les Américains. Il était confortable, pratique. Grosse différence : on se retrouvait à deux, pilote et navigateur. Un Canadien est venu quelques jours nous expliquer comment ça marchait. Les navigateurs ont eu un cours spécifique pour le radar. Nous avons aussi eu un simulateur de vol.

En interception, nous évoluions toujours à deux. Nous étions d'abord guidés par la station radar au sol qui nous amenait dans la zone où se trouvait la cible. Le navigateur utilisait alors le radar de bord pour nous rapprocher et quand nous arrivions dans les 5 à 10 nautiques, le radar d'attaque prenait le relais. Il fallait alors essayer de maintenir le cap à +/- 90° du target, le 'collision course', pour tirer nos roquettes. Et dès qu'on avait tiré, il fallait monter et dégager au plus vite pour éviter l'explosion et les débris. On était bien loin de la chasse pure du temps du Hunter !

L'armement était lourd. On disposait de 52 roquettes en bout d'aile que l'on pouvait tirer en deux fois. Au départ, les CF-100 avaient été conçus pour intercepter de grandes formations de bombardiers turboprop soviétiques. Mais les choses avaient changé et les bombardiers russes étaient à présent aussi rapides que nous et bien plus maniables.

C'était un drôle d'avion. Ce n'était pas un chasseur mais il volait très bien et on pouvait bien faire de l'acro avec. Ses deux moteurs étaient très puissants. Il décollait d'ailleurs très vite et pouvait aller loin. Lors d'une autre compétition entre escadrille que Beauvechain avait remporté, le général Donnet, qui était chef d'état-major, nous a demandé ce que nous souhaiterions faire comme navigation en guise de récompense. Je lui ai dit : "Je voudrais aller à Kamina !

- Quoi, au Congo !? ... OK. Réfléchissez-y un peu."

Nous avons donc fait nos calculs, surtout mon navigateur Phil Naets. C'était tout à fait possible et ça s'est fait, mais comme il fallait un équipage de chaque escadrille, je n'étais pas du voyage. Pour la 349, c'est le Stock qui a fait le vol."

En 1960, Al De Greef quitte Beauvechain pour retrouver le Congo.

"En juillet 1960, on a fait appel à d'anciens instructeurs pour retourner au Congo dans le Flight Appui-feu. Nous devions partir pour trois mois. J'ai accepté. En arrivant là-bas, le major Kreps m'a dit : "Pas question que tu fasses ça. Tu as trois enfants, tu vas faire du C-119 avec moi. Prends le dash one, lis-le et la prochaine mission, tu la fais avec moi." Je n'avais aucune expérience dans le transport mais pendant ces trois mois, j'ai volé sur C-119 et DC-3.

De retour en Belgique, j'ai été posté au 15e Wing. J'ai donc suivi le cours TCU (2) sur C-119. Je n'ai volé qu'un peu plus de 300 heures sur cet appareil. J'ai d'ailleurs eu une emergency lors d'un vol entre Kitona et Bujumbura, pendant les événements au Rwanda. En cours de route, près de Luluabourg, un moteur a pris feu. Nous avons éteint l'incendie et nous avons continué pendant 1h50 sur un seul moteur. Nous aurions dû continuer jusqu'à Bujumbura mais nous étions trop lourds. Nous avions embarqué en douce la voiture du représentant de l'ONU à Kitona, qu'il avait confisquée au chef de corps belge qui se trouvait à présent à Bujumbura. Elle était conduite par un Marocain, officier de l'ONU, à qui nous avons dit qu'il devait aller à la tour de contrôle. Et pendant qu'il montait les escaliers, nous avons pris la voiture, mis en route et nous avons décollé !

Il valait mieux ne pas atterrir à Luluabourg et nous avons décidé de nous poser à Kamina. Mais la tour de Kamina a refusé. La base était à présent commandée par les Irlandais et la Force Aérienne belge n'y était plus la bienvenue. Des fûts avaient été placés sur la piste mais, heureusement, nous avions encore des DC-3 sur place. Nous avons pris contact avec un radio du 15e Wing qui était là et qui s'est mis d'accord avec les Norvégiens - qui étaient des aviateurs alors que les Irlandais étaient des kakis - pour faire faire un vol d'essai de l'un des DC-3. La piste a été dégagée et ils ont attendu que nous soyons en finale pour décoller. Nous nous sommes donc posés à Kamina. Trois semaines plus tard, l'avion redécollait avec un nouveau moteur.

Le major Bocquet, qui était revenu au transport, m'a pris ensuite à la 21e escadrille comme instructeur Pembroke et DC-3. J'ai aussi suivi le cours DC-6. Nous faisions des vols vers l'Afrique et l'Amérique, pour déposer les techniciens Nike à El Paso, Nouveau Mexique, notamment. C'étaient des missions de 28 heures, avec seulement quelques heures de repos. L'hiver, quand on arrivait à Goose Bay, il faisait -30°. Il fallait réchauffer l'huile et grimper sur l'aile et aider le mécanicien à la transvaser. Puis, il fallait faire tourner les moteurs pour éviter qu'ils refroidissent trop. Mais pour le transport, le DC-6 était un magnifique avion."

Fin décembre 1963, après quatorze années passées à la Force Aérienne, Alphonse De Greef a poursuivi sa carrière de pilote dans le civil. Une impressionnante carrière de plus de 21 000 heures de vol sur avion et hélicoptère.


(1) Pierced Steel Plancking
(2) Transport Conversion Unit


Interview : V. Pécriaux (23 février 2015)


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