• Accueil
  • Carnets de vol: Léon Stenuit

Carnets de vol: Léon Stenuit

Carnets de vol: Léon Stenuit
 

Carnets de vol: Léon Stenuit

Fils d'un officier belge stationné dans l'Allemagne de l'immédiat après-guerre, c'est dans ce pays que naît et passe une bonne partie de sa jeunesse Léon Stenuit.

"Le goût de l'aviation m'est venu par mon père, qui était officier d'infanterie et qui avait toujours rêvé d'être pilote. Malheureusement, il n'a pas été accepté. Alors, il a passé son brevet de pilote privé. Et donc, il m'a toujours donné cette passion de l'aviation. En plus, comme j'avais passé presque toute mon enfance en Allemagne dans un milieu militaire, entrer à la Force Aérienne me plaisait bien. Je me suis donc inscrit sans me faire trop d'illusion car j'étais bâti un peu 'hors norme' et je me disais que quand je passerais sur la balance, on me dirait qu'il y avait des choses qui étaient incompatibles... Mais j'ai fait un régime draconien et je suis parvenu à passer les tests. J’ai intégré l'École Royale Militaire, car je me disais bien que si j'étais recalé pour raison médicale, j'aurais quand même un bagage.

Je suis entré à l'École Royale Militaire en 1967. Nous étions une promotion Force Aérienne importante puisqu'elle comptait 25 élèves-pilotes ERM. Pour la petite histoire, nous avons été brevetés à quatre en Belgique et deux aux États-Unis.

Nous étions les premiers à faire une licence de quatre ans en sciences aéronautiques et militaires « ab initio ». Nous avions notre uniforme bleu dès la première année et on nous avait dit que toutes les semaines nous irions voler une demi-journée à Gossoncourt. Ça s'annonçait bien. Nous avons fait notre phase d'initiation militaire de six semaines chez les commandos et puis on s'est dit qu'en rentrant à l'ERM on allait commencer à voler. Et là, le général Debêche est venu nous annoncer en personne qu'en raison de je ne sais quel problème, cela n'allait pas pouvoir se faire et que nous ne volerions que dans deux ans ! A quelques-uns, nous avons utilisé tous les moyens dont nous disposions pour contourner cela. Il y avait à l'école un major commando polytechnicien que j'avais connu en Allemagne avec qui j'ai un jour évoqué notre situation. Il est allé voir le général Dath, le Commandant de l'école, qui avait auparavant commandé l'artillerie du 1er Corps et qui avait eu sous son autorité les escadrilles de l'Aviation légère. Il s'était également fort investi dans la création de l'aéroclub des Forces belges en Allemagne. Tous les deux sont parvenus à faire en sorte que dans deux escadrilles Light Avi, à Merzbrück et Butzweilerhof, deux élèves de l'école puissent apprendre les rudiments du pilotage pendant une semaine pendant les vacances. C'est donc ce que Jean-Pol Sparenberg et moi avons fait à Butz. Dans le même temps, nous avons passé la visite médicale et effectué les formalités civiles. Comme les instructeurs militaires étaient les mêmes que ceux de l'aéroclub des FBA, nous avons volé sur Piper Cub militaire la semaine puis nous avons été lâchés le week-end à l’aéroclub. Autant dire que nous étions les rois de la balle !

Finalement, en juillet 1969, nous avons commencé la formation à Gossoncourt. La situation n'était pas facile car les élèves de l'ERM étaient considérés comme des gens qui venaient perturber l'évolution normale du programme de l’école puisque nous ne volions pas tout le temps avec les autres et d’autre part, à l’ERM, on ne tenait pas compte pour nos études de l’écolage à Gossoncourt. Mais cela a soudé notre groupe.

La transition sur Marchetti était dans l'air et je suis le seul de la prom à encore avoir été lâché sur SV4. Après ça, nous avons volé sur Marchetti, ce qui faisait bien plus sérieux, avec un cockpit plus compliqué, le pas variable de l'hélice, etc. Un bel avion !

Nous aurions dû terminer notre formation Marchetti en même temps que les cours à l'ERM mais ce ne fut pas le cas et nous sommes restés encore deux ou trois mois à Gossoncourt, début 1972. En plus, comme il n'y avait pas de places disponibles dans les OCC (1)  pour passer sur avion de combat, des élèves qui étaient encore nos condisciples il y a peu se sont retrouvés comme nos moniteurs. Finalement, tout ça s'est plutôt bien passé, même si la période à Gossoncourt a été très longue.

Quand nous sommes sortis de l'ERM, on a formé une promotion exclusivement École militaire (121 Pol et 107 TA), la 71C.

En mars, nous sommes passés sur Fouga à l'École de Pilotage Avancé de Brustem. Le cockpit était étroit mais tout était à portée de main. C'était un avion sympa qui toutefois avait tendance à 'flicker' et il fallait être vigilant. Nous avons progressé en vol général bien sûr mais aussi en vol aux instruments, formation, navigation et nous faisions même du tir au sol à la 7.62 et du tir roquettes. Même si c'était assez rudimentaire, c’était passionnant. Nous participions aussi un peu plus à la vie opérationnelle en étant impliqués dans divers exercices.

Un jour, au cours d'un vol aux instruments, j'étais sous la capote quand il y a eu une explosion moteur. En fait, une aube du compresseur s'était détachée et était passée à travers tout, sans mal pour nous, heureusement. Mais nous étions bien drillés à ce genre de chose. Mon moniteur, le 'Men' Delvaux a repris le contrôle et nous sommes rentrés sans problème sur un moteur."

Léon Stenuit poursuit ensuite sa formation sur T-33, toujours à Brustem.

"La 11e escadrille venait d'être reformée à Saint-Trond. Philippe Bosman, le 'Boss', en était le CO et elle comptait quelques vieux moniteurs, plus quelques jeunes que nous connaissions bien. Quand on vient du Fouga, le T-33 est une grosse bête, lourde et compliquée. C'était un avion qui allait très loin et très haut même s'il ne grimpait pas très vite. Il nous permettait de faire des navigations à basse altitude en Allemagne, par exemple. Le vol de nuit aussi était plus poussé. Ce qui pouvait poser problème, surtout pour les jeunes pilotes que nous étions, c'était le 'cocked nosewheel', la roue avant qui, au taxi, se bloquait à 90 degrés. C'était fréquent mais pas bien grave. Seule la réputation en prenait un coup... Mais tout le monde a connu ça.

Nous avons fait notre dernier vol T-33 en Grèce. Nous avons fait escale à Piacenza et à Brindisi pour avoir du fuel car c'était plus compliqué en Grèce. Nous nous sommes posés à Elefsis et quand nous sommes arrivés au parking, je me souviens qu'il y avait un soldat, sans doute un milicien, qui a mis une pièce dans un distributeur et qui nous a payé un café à chacun. Ce sens de l’hospitalité m'a vraiment frappé. Le séjour s’est bien passé et au retour, nous sommes repartis vers Brindisi à basse altitude."

Vient ensuite la conversion sur avion de combat.

"Il y avait quelques places à la 8e sur Mirage, qui ont été données en priorité aux polytechniciens. Les autres, comme moi, ont suivi le cours de moniteur (FFM), avec la promesse d'être transformés sur avion d'arme dès qu'il y aurait des places.

Nous avons donc refait une conversion rapide sur Marchetti et Fouga. Nous revoyions le syllabus avec un moniteur qui jouait le rôle de l'élève et nous nous entraînions en double à deux élèves-moniteurs (on appelait cela des « mutuals » ). Ce ne fut pas une période désagréable et notre programme s'est même accéléré, car des places se sont ouvertes à l'OCC.

Tous sont partis sur Mirage, qui était le nouvel avion sur lequel tout le monde voulait voler. Tous, sauf Michel Salmon et moi qui étions les plus « petits » car un problème pouvait se poser en cas d'éjection : on risquait de laisser les genoux dans le tableau de bord si on avait de trop grandes jambes. Nous avons donc été postés sur 104, ce que je ne regrette pas d'ailleurs.

Nous avons d'abord suivi des cours techniques à Saffraanberg avant d'arriver au flight TF à Beauvechain où il y avait une fine équipe sous le commandement du Commandant Fernand Dasseville qui nous a appris à vraiment bien voler cet avion. D'abord, le F-104 avait un dash one extraordinaire. Par exemple, on te disait de voler à 225 nœuds car à 245 on cassait le train et à 215 on se pétait la figure. Tout était 'in the book' et on nous l'a vraiment bien inculqué au flight TF. C'était un bel avion mais très exigeant à voler. Il était toujours à la limite. Tirer un loop, c'était une véritable navigation. On a appris énormément en 'energy management'. On a vraiment appris à maîtriser le 'basic', ce qui était essentiel, avant l'opérationnel. Parmi les moniteurs, 'Guigui' Famenne ou le 'Fox' Devos étaient probablement ceux qui savaient le mieux montrer et expliquer comment faire manœuvrer cet avion et jusqu'où il était possible d'aller.

La conversion durait environ six mois, avec pour avantage que des pilotes comme Jan Govaerts, François Bodart, Michel Augustus ou Palmer De Vlieger venaient des escadrilles en renfort au flight TF. Nous n'étions donc pas inconnus à notre arrivée en escadrille. Nous nous sommes retrouvés à trois à la 'three-four-nine'. Nous étions un peu des cobayes, car nous venions directement de l'entraînement. Avant, pour passer sur 104, il fallait avoir un total de 500 heures Jet, et Michel et moi étions les premiers à passer avec un Grand Total de 500 heures, ce qui est nettement moins. De plus, c’était un total que j'avais tout juste atteint, grâce au cours FFM.

La maintenance était centralisée. Il n'y avait pas de ligne 349 ou 350 et les avions étaient attribués en fonction des dispositions. Chaque escadrille comptait 18 avions et sans doute 21 ou 22 pilotes. Pour le Taceval, il en fallait 25 mais on rappelait alors des gens qui étaient en état-major ou qui suivaient des cours, etc.

Au début du 104, on a fait beaucoup d'utilisation du radar, du vol de nuit et bien sûr les procédures 'Air Defence'. La connaissance de la structure de l'espace aérien était complexe, d'autant que nous n'étions pas très loin du Rideau de fer. Tout ça devait être assimilé mais j'adorais ces missions.

En arrivant à la 349e escadrille, je me suis retrouvé dans une bonne équipe dont le but était de faire du jeune qui arrivait un bon pilote pour l'escadrille. Il y avait un bon esprit et un bon encadrement. Les missions étaient variées : Belex (interceptions), Freelance (chasse libre), low level search pattern, etc.

Quand 'Wif' De Brouwer est devenu CO de la 349 en 1977, on a commencé à développer le DACT (2) . On a vraiment appris comment manœuvrer cet avion : ne pas simplement 'tirer dedans', prendre une certaine vitesse, une certaine attitude, tirer profit du poids de l'avion dans certaines manœuvres, etc. Des tactiques en paire et en section, voire plus, étaient mises au point avec un certain succès. Ce fut vraiment un tournant marquant dans l'emploi opérationnel de l'avion. On continuait bien sûr à s’entrainer aux interceptions avec le radar de bord ou à basse altitude mais entre le dogfight que nous faisions de façon un peu désordonnée et le DACT il y a eu un changement majeur.

L'autre tournant fut le TLP (3)  . Ce programme international regroupait des pilotes de tous les pays en Centre Europe et de tous les rôles avec le principe : 1 pilote, 1 avion et 1 mission par jour. Les missions suivaient un programme de scénarios de plus en plus complexes où chacun exécutait sa propre mission. Chaque mission était débriefée et analysée dans le détail par spécialité d’abord et ensemble ensuite. J’ai participé au premier cours TLP avec phase en vol, à Jever, dans le Nord de l’Allemagne, en 1979. Ce programme a vraiment fait évoluer la mentalité opérationnelle à la Force Aérienne mais aussi dans les autres forces aériennes alliées stationnées en Centre Europe."
    
Certaines missions peuvent parfois s'avérer un peu particulières.

"Un jour, on m'avait désigné pour un exercice d'évacuation par les pompiers d'un pilote inconscient dans son cockpit. On m'avait donné pour instruction d'atterrir après tout le monde, c’est-à-dire après une certaine heure, car j'allais bloquer la piste pour l'exercice. Je suis donc parti pour une mission d'interception en freelance. À un moment, le contrôleur au sol m'a indiqué que je pouvais rentrer mais j'ai répondu non, car je devais attendre l'heure prévue pour me poser. Ce qu'il ne m'avait pas dit pas, c'est que le temps se détériorait rapidement et que je 'devais' rentrer. Quand je me suis présenté pour atterrir à Beauvechain, il neigeait ! Malgré tout, l'approche GCA s'est bien passée même si, dans ma descente, je ne voyais toujours pas la piste. Je pensais remettre les gaz quand soudain j'ai aperçu une voiture qui passait sur la route en bout de piste et puis des balises. La piste était juste devant et je me suis posé. Le plus « facile » était fait ! Je me suis arrêté sur la piste et j'ai fait semblant d'être inconscient. Les pompiers ont ouvert la verrière, coupé le moteur. Et puis, tout d'un coup, j'ai senti que je décollais du siège. Je me suis dit : 'Waouw, ils ont eu le temps de venir si vite avec une grue !' On m'a basculé sur le côté et je me suis retrouvé la tête en bas le long de l'échelle. Ensuite, on m'a descendu. Finalement, en arrivant en bas, je me suis aperçu qu'en fait de grue, c'était un pompier, un petit gars qui m'avait pris par les sangles du parachute et qui m'avait sorti. Je crois qu'il a fini à l'infirmerie avec un tour de rein ! Quant à moi, c’est certainement de ma vie l’atterrissage que j’ai fait dans les plus mauvaises conditions météo. Je remercie encore le Ray Kapiteijn qui était un contrôleur remarquable et qui m’a amené en confiance sur la piste.

Le QRA (4)  faisait partie de nos missions principales. Nous montions pour 24 heures. Sur les quatre pilotes d'alerte, il y en avait normalement deux par escadrille. En cas de scramble, deux pilotes décollaient et les deux autres restaient généralement en stand-by. Au début, nous étions dans des installations qui ne ressemblaient pas à grand-chose, mais par la suite, le major 'Opky' Opdebeek a fait aménager pour le QRA les locaux qui avaient servi auparavant à la préparation des vols stratosphériques. C’était nettement mieux.

Dans l’équipe permanente au sol il y avait deux crew chiefs ainsi que des miliciens qui montaient la garde autour du hangar. Quatre avions devaient être prêts à décoller en quinze minutes. Il faut bien se rappeler que le F-104 était un avion assez lourd à démarrer. Il fallait faire le tour de l'appareil avant de partir, souffler de l'air extérieur sous pression pour faire démarrer le moteur, déconnecter les tuyaux et les câbles, enlever les sécurités de l’armement, etc. Les avions étaient préchauffés, le courant étant branché pour l'alignement de la plate-forme inertielle. Je n'ai jamais connu de scramble pour une intervention réelle. En fait, vu la position centrale de Beauvechain, les problèmes, s'il y en avait, étaient pris en charge en amont, en Allemagne ou en Angleterre, par exemple. Les choses ont changé par la suite avec le F-16 puisque le nombre de QRA avait été réduit. Ils ont donc dû intervenir quelques fois en conditions réelles.

Nous faisions nos périodes de tir en juillet et en août en Corse, à Solenzara. C'était bien agréable. On travaillait beaucoup puisqu'on effectuait parfois jusqu'à trois vols par jour. C'étaient des missions courtes de 25-30 minutes mais c'était intense et ça suivait bien. On configurait deux ou trois avions en 'towships' (remorqueurs). Tout était réglé comme du papier à musique : créneaux, routes, secteurs... On a d'abord tiré que sur flag (un simple drap) puis on a commencé à utiliser des cibles Tetraplans et puis des « Tetra » acoustiques, ce qui donnait à la cible un certain volume.

En combat aérien, les enveloppes missiles étaient très limitées. On disposait d’AIM-9 Bravo. Nous nous entraînions au tir sur le champ de tir au large de Leeuwaarden. Cela se faisait à deux avions en formation armés chacun d’une roquette et d’un missile. A tour de rôle, l'un tirait sa roquette et l'autre tirait ensuite son missile qui devait accrocher la roquette. Si l'un des avions était en panne, l'autre partait seul et tirait d’abord sa roquette et puis le missile. Ce n'était pas très convaincant, mais bon…, On avait tiré un missile… ! Par la suite, sur F-16, on a racheté un lot de Bravo aux Danois et on a fait du tir sur des flares largués par un C-130 qui venait de face. C'était déjà plus réaliste. On voyait le flare à quinze nautiques et quand le C-130 avait croisé le chasseur, le pilote avait encore le temps d’effectuer son tir. Ça fonctionnait bien.

En air-sol, j'ai aussi largué quelques bombes à Pampa Range et à Solenzara et fait un peu de tir au canon sur cible fixe, mais pour nous, l'essentiel, c'était le tir air-air.

Je n'ai jamais fait de vol strato - je n'avais pas d’équipement à ma taille - mais je suis monté une fois très haut. Je ne sais pas à quelle altitude. Ce jour-là, j'effectuais un Mach 2 run. Le 104 accélérait à Mach 2.2 mais il fallait l'arrêter lorsque la température CIT (5)  atteignait 100 degrés. Et pour ralentir, il fallait lever le nez. L'avion montait et il ne fallait pas réduire trop rapidement les gaz, il fallait gérer la réduction moteur. Arrivé en bout de course AB, je suis passé en 'full mil' comme prévu et là, en regardant à l'extérieur, je me suis rendu compte qu’en plein jour le ciel était noir et je distinguais nettement la courbure terrestre avec la limite entre le bleu ciel et le noir de l’espace. C'est une image qui me restera toujours. Mais après, il fallait penser à redescendre. J'ai donc basculé un peu l'avion sur le côté et j'ai attendu qu'il retombe. Et je n'ai pas pensé à regarder mon altimètre."

La vie en unité opérationnelle est également émaillée d'échanges d'escadrilles.

"Nous avons reçu les Italiens d'Istrana. Je suis aussi allé à Leuchars (Ecosse), où ils volaient sur Phantom FGR.2. Nous avons énormément volé. Le contrôle aérien était encore assuré par un Shakleton. On volait avec l'exposure suit (6) car il y avait beaucoup d'étendues d'eau et il faisait très froid. Les Anglais nous avaient raconté que quelques semaines avant notre arrivée, un pilote avait dû s'éjecter à quelques milles de la piste. L'hélicoptère était arrivé jusqu'à lui en moins de dix minutes mais il était mort simplement parce qu'il y avait un petit trou dans sa combinaison.

On a aussi reçu des Phantom américains de Bitburg qui ont vraiment été surpris en combat le premier jour, car pour les Américains the 'rule is the rule'. Nous, on savait qu'on n’aurait pas deux chances et qui si on ne développait pas des trucs 'un peu tordus' pour les prendre par surprise, on serait vus à tous les coups. Et ça marchait. On volait au ras du deck et on attaquait tout ce qui se présentait plus haut que nous. Parfois, ils ne savaient même pas qu'on était venu.
 
À basse altitude, le radar était inefficace. À haute altitude, par contre, on pouvait trouver un avion pour autant qu'il n'active pas de contre-mesures. Ce qui était intéressant dans le F-104, c'est que quand on avait un lock, en actionnant une commande, le système montrait sur le viseur où se trouvait le target. C'était utile pour retrouver le contact et parfois même son leader, s'il faisait brumeux, par exemple.

À basse altitude, nous étions autonomes, mais on pouvait aussi travailler avec les contrôleurs de Glons. Nous entretenions d'excellents contacts avec eux. Au moment où l’on passera sur F-16, les Rapcon (7)  seront installés sur les bases et régulièrement, des contrôleurs de Glons viendront sur les consoles à Beauvechain pour s'entraîner avec nous. Cela permettra de créer une relation de confiance rarement égalée."

Léon Stenuit reste à la three-four-nine jusqu'en 1978 avant d'aller passer un an à l'Institut royal supérieur de défense.

"Je n'étais donc pas là à l'arrivée des premiers F-16. Après l 'IRSD, je suis rentré à Beauvechain comme Ops & Training du 1 Wing. De son côté, le corps médical se posait des questions sur ma capacité à passer sur F-16. Mon CO, 'Wif' De Brouwer a demandé que je passe des tests supplémentaires et, au final, j'ai été déclaré fit. J'ai intégré le CC2 (8)  et je suis passé solo sur F-16. Mais je savais que c'était une position instable, car comme j'avais terminé l'IRSD, j'allais sans doute être affecté en état-major. Le hasard a voulu qu'arrive une demande pour effectuer les essais du Rapport III à Eglin AFB en Floride. Fort de ma spécialisation en électronique à l’ERM, j'ai posé ma candidature et en 1980, j'ai été retenu et suis parti pour Eglin avec Jan Fransen et une équipe technique d'une bonne quinzaine de personnes, essentiellement de Beauvechain pour tester et évaluer ce nouveau système de guerre électronique.

Nous sommes allés chercher les 2 F-16 qui avaient été modifiés en conséquence à Fort Worth, Texas, et nous avons commencé les tests contre différents systèmes d’arme ennemis ou leurs répliques. Les essais n’étaient pas encore terminés quand on m'a annoncé que j'allais reprendre le commandement de la 350 en septembre1981. Je suis donc rentré rapidement en Belgique."

En 1981, Léon Stenuit se retrouve donc au 1er Wing de Beauvechain.

"Quand je suis arrivé à la 350, j'ai pris la tête d'un jeune squadron F-16. On n'avait plus de pilotes de 104. Les derniers étaient en conversion F-16 et on faisait face à une pénurie de tout. D'abord dans les heures de vol mais aussi sur le plan du personnel et du matériel. Pour reprendre l’image bien réelle du moment, il n'y avait plus de bic, plus de cirage pour les chaussures, plus de photocopieuse et même plus de personnel de support... ! C'était assez effrayant mais l'État-major ne semblait pas s'en émouvoir et admettre la situation. L'escadrille alignait toujours 18 avions mais pas 18 pilotes à l’effectif. De plus on avait toujours un pilote de QRA, un autre descendant de QRA, des pilotes au cours de langue, au cours examen A, etc. Certains jours, il m’arrivait même de me retrouver tout seul à l'escadrille et de devoir fermer le bâtiment à clef avant d’aller voler… ! L’OTAN demandait aux pays de donner 240 heures de vol par an aux pilotes opérationnels et spécifiait qu’avec moins de 180 heures, il n’était pas possible d’être opérationnel. Mes pilotes avaient 120 heures par an et comme CO, j'avais à peine 80 heures. De plus, pour se donner bonne conscience, il fallait mettre en avant le principe qu’il fallait donner priorité aux jeunes qui devaient voler plus que les « vieux ». C'était totalement irréaliste car ce n’est pas sain de faire voler les jeunes sans supervision. De plus, si la météo n'était pas bonne, les jeunes ne volaient pas et s'il y avait des missions imposées dans ces conditions, elles étaient forcément confiées aux anciens. Mathématiquement parlant, on ne pouvait pas faire voler plus les jeunes que les vieux.

Le F-16 était aussi un jeune avion (nous l’avions quasiment choisi sur plan) et il y a eu des problèmes moteurs et mécaniques. Tout cela a fait que l'on a eu des accidents. Je crois qu’il ne faut pas pointer l'une ou l'autre cause spécifique isolément. D'un point de vue général, ce fut une période extrêmement difficile. Mais nous débordions d'enthousiasme. Nous avions un avion fantastique qui faisait tout. Ça, c’était tout simplement extraordinaire mais nous l’avons payé très cher.

Un petit retour en arrière pour signaler que finalement, nous n'avons pas acquis le Rapport III. Ce qui nous intéressait, nous les opérationnels, c'est que c'était un système ECM monté en interne, ce qui ne pénalisait pas cet avion à la maniabilité exceptionnelle et ne limitait pas l’emport de charges extérieures. Les choses ont donc évolué autrement.

L’électronique (avionics) est en évolution ultra rapide et je me souviens que l'un des arguments de vente du F-16, c'était qu'il était 'available for growing potential'. Et c'est vrai que le F-16 d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec celui qu'on a connu au début. L'avionique a fait des progrès extraordinaires grâce à la puissance de calcul phénoménale disponible aujourd’hui.

Nous, à l’époque, nous avons eu la version F-16 de base, hyper légère (avec la petite queue encore) et je me souviens que lorsque nous volions en lisse, il n'y avait pas plus agiles que nous et ça tournait dans tous les sens dans un 'mouchoir de poche'. Avec notre mentalité de pilotes de F-104, on a dû réinventer les règles du jeu. Avec huit F-104 en combat aérien, s'il y en avait un à 1 nautique, le temps qu'il arrive, on avait le temps de voir où étaient les autres et de réagir. C'était gérable mais en F-16, le volume avait énormément réduit et tout allait vraiment plus vite. En quelques secondes, ils étaient derrière toi ou tu te plaçais derrière eux et celui devant toi avait fait demi-tour.

L'armement aussi à fortement évolué. Aujourd'hui, on n'est plus obligé d'aller chercher le combat aérien rapproché. Quand j'étais en escadrille, on n'avait toujours pas de missile AIM-9 Lima et encore moins de missiles guidés par radar. Nous devions donc attaquer par le secteur arrière. Lorsque nous sommes allés à Red Flag en 1986, j'ai suggéré au général Terrasson qu'il demande aux Américains qu'on puisse avoir des Lima en prêt pour, d’une part, pouvoir commencer à s'entraîner et, d’autre part, se faire une idée de la menace que cela représentait pour nous. Mais nous en étions toujours à devoir chercher le combat rapproché.

C'est à cette époque que le QRA a été déplacé de l’autre côté de la piste de Beauvechain. On prévoyait en période 'normale' un dispositif à quatre avions, deux à dix minutes et deux à une heure. On avait donc toujours deux pilotes sur place et deux de stand-by chez eux. Les avions étaient abrités dans des hangarettes, près du bord de piste.

Autre événement marquant, en 1982, nous avons participé au TAM, le Tactical Air Meet, à Jever. La Belgique était présente avec un élément recce de la 42, commandée par Thierry Fontaine, les Mirage de la 1ère, commandés par Jean-Pol Sparenberg,et la 350 commandée par moi, tous trois de la même prom, la 71 C. Ensemble, nous avons a vraiment fait du bon travail. On voyait que le TLP avait mis ses marques, que la mentalité avait changé et que les tactiques avaient évolué."

En 1983, Léon Stenuit effectue son premier tour en état-major au Commandement de la Tactical Air Force.

"Quand j'ai eu terminé mon tour de CO, je suis passé à la TAF où j'ai pris le Bureau de défense aérienne qui s’occupait des missiles, du C&R (9) et de la chasse. Nous organisions des évaluations (Close Contact). Je programmais et organisais également les exercices Red Strike et Blue Strike, sorte de petits TLP de chez nous, et j'étais directeur des cours de DACT à Solenzara. Puis, comme des places se sont libérées, j’ai repris le bureau Ops & Training avec donc également les opérations défensives, offensives ainsi que le contrôle aérien. Cette position m'a permis de préparer l’exercice Red Flag 86/4 à Nellis AFB (Nevada), auquel nous avons participé avec les Norvégiens et les Hollandais dans le cadre de l’EPAF. Dans ce cadre, j’ai assumé le commandement du détachement belge pour toute la durée du détachement (environ 2 mois) ainsi que, pour la dernière période, de l'ensemble du détachement EPAF. J’ai également été le commandant du Ferry flight. Il s’agissait de faire traverser l’Atlantique à 15 F-16 (5 de chaque pays) via l’Islande (Keflavik), le Labrador (Goose Bay) et les Etats- Unis (Wright Patterson AFB et Sheppard AFB). Les F-16 avaient en support : 2 C-130 (1 norvégien et 1 belge), 1 Boeing 727 (belge) et pour le Search and Rescue, un Gulfstream (danois). C’était une fameuse expédition et une belle organisation.

Red Flag est en quelque sorte un TLP à grande échelle. Pour moi, à l'époque, le TLP était plus réaliste puisqu'il se déroulait dans notre zone géographique, dans nos conditions météo, avec des gens avec qui on allait travailler tous les jours et avec des contraintes réelles. Mais nous avions des limites, notamment en vol à basse altitude. À Red Flag, on avait une bien plus grande liberté de mouvement. Mais ces 2 exercices sont tout à fait complémentaires et Red Flag a vraiment servi à préparer les opérations que l'on mène actuellement. Nous avons appris là-bas à travailler avec des moyens colossaux qu'on n'aurait jamais imaginé avoir un jour à disposition en Europe. On mettait parfois une heure et demie pour mettre tout le monde airborne tant nous étions nombreux et il fallait attendre son tour pour aller aux tankers, il fallait tout coordonner pour arriver jusqu'au target au moment prévu. On larguait aussi de vraies bombes et ça, ça change quand même l'impression, car quand on a un gars devant soi qui tire à arme réelle, être cinq secondes trop tôt ou trop tard, ça change la donne un fameux coup. Il y avait ce stress dès les zones d'armement ou au taxi. Il y avait donc une rigueur toute américaine qui ne nous était pas coutumière, à nous Européens.

Mon tour en état-major a pris fin quand, de retour de Red Flag, j'ai été posté OSN à Beauvechain. À ce moment, la conversion F-16 de Beauvechain et de Kleine-Brogel était terminée mais on commençait à former les pilotes du 2e Wing. À cette période, comme Florennes était fermé, il y avait quasiment soixante F-16 sur la base.

En 1988, j'ai été désigné pour aller à Ramstein à AAFCE. Je n'étais pas ravi et pourtant j'allais y passer un séjour extrêmement intéressant. Je suis devenu Team chief Air Defence pour le Taceval et du point de vue professionnel, j'ai vu et j'ai appris énormément de choses. J'en ai profité pour perfectionner mon anglais, ce qui m'a servi, car ensuite je me suis retrouvé à l'OTAN, à l'état-major international (IMS). C’était dans un tout autre domaine : la planification stratégique, domaine dans lequel je ne connaissais pas grand-chose. Pendant trois ans, j'ai travaillé énormément et j'ai appris les mille rouages de l’Alliance et du développement de sa stratégie. C'était particulièrement intéressant. En plus, c'était la fin de la Guerre froide et il fallait revoir toutes les relations Est-Ouest. J'ai donc beaucoup voyagé, à Kiev, en Tchécoslovaquie, à Moscou, etc. Nous avons contribué à la préparation du nouveau concept stratégique, en ayant la possibilité d'influer sur des procédures à l'échelle OTAN. Ça valait vraiment la peine."

En 1994, Léon Stenuit retourne en unité opérationnelle et devient chef de corps du 2e Wing tactique de Florennes.

"Deux escadrilles F-16, la 1ère et la 2e, étaient au complet à Florennes et en 1996, j'ai vu arriver la 350 à la suite de la dissolution du 1er Wing. Même si les escadrilles étaient réduites à quinze appareils, cela en faisait encore 45 sur la base. La 350 a conservé son rôle de défense aérienne, rôle dans lequel venait d'être convertie la 2e également et qui a profité, je crois, de l'expertise de la 350. La 1ère restait dans le rôle offensif et commençait à développer une capacité reconnaissance de pointe.

C'est également durant ma période de commandement à Florennes qu'on a commencé à préparer les premières opérations en Bosnie. Je n'ai connu que le début des opérations, car les premiers avions du 2e Wing sont partis à Villafranca en février 1997 et j’ai quitté Florennes en juin. En tous les cas, les pilotes sont partis là-bas avec un solide bagage. On voyait que grâce aux DACT, Red Flag, Maple Flag, TLP, etc., ils étaient à l'aise dans la coalition et savaient tenir leur place. Leur savoir-faire a d’ailleurs été plusieurs fois mis en avant tant en Belgique qu’à l’étranger.

Après Florennes, je suis retourné à l'OTAN, comme Conseiller militaire de l'Ambassadeur de Belgique à l'OTAN. Cette ambassade (que l’on nomme Délégation) est la deuxième plus grande ambassade belge dans le monde, après celle à l'Europe et avant celle aux Nations-Unies. Ici, c'était la position de la Belgique qu'il fallait défendre et faire valoir. Heureusement que j'avais fait un passage à l'État-major Militaire International quelques années plus tôt, car cela m'a permis d’être à l’aise et de jouer un rôle dans cette grande institution. C'était aussi une période de travail intense, car les questions d'intervention en Yougoslavie mobilisaient fortement le Conseil et il fallait toujours essayer de concrétiser les nouvelles relations entre l’Est et l’Ouest. Ce fut pour moi une fin de carrière très intéressante."


(1)  Operational Conversion Course (cours de conversion opérationnelle)
(2)  Dissimilar Air Combat Training (entraînement au combat entre avions de types différents)
(3)  Tactical Leadership Programme
(4)  Quick Reaction Alert
(5)  Compressor Inlet Temperature (température des aubes du compresseur)
(6)  Combinaison étanche
(7)  Radar Approach Control (système de contrôle d’approche radar)
(8)  Conversion Course
(9)  Control and Reporting (stations radar)


Interview : Vincent Pécriaux (10 juin 2017)
Photos : via Léon Sténuit, Guy Famenne, Lucien Servais et Vincent Pécriaux


Copyright (c) belairmil

We use cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site web. Certains d’entre eux sont essentiels au fonctionnement du site et d’autres nous aident à améliorer ce site et l’expérience utilisateur (cookies traceurs). Vous pouvez décider vous-même si vous autorisez ou non ces cookies. Merci de noter que, si vous les rejetez, vous risquez de ne pas pouvoir utiliser l’ensemble des fonctionnalités du site.