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Carnets de vol: Herman Devos

Carnets de vol

Carnets de vol: Herman Devos


Fils d'agriculteurs, Herman Devos n'envisage pas de suivre les traces de ses parents. Diplôme d'électricien A3 en poche, il postule pour la Force Navale et la Force Aérienne. C'est cette dernière qui lui ouvre ses portes. Nous sommes en 1953.

"L'aventure a commencé à Gossoncourt, où nous avons d'abord fait notre instruction militaire pendant six semaines, puis à Wevelgem où nous attendait le Tiger Moth. Notre promotion, la 126e, était la première à partir pour Kamina. Comme notre groupe n'était pas encore au complet, nous avons quitté Wevelgem et nous sommes retournés à Gossoncourt, en attendant notre départ. C'est ainsi que j'ai pu voler sur SV. Comparé au Tiger Moth, il était splendide. Dommage qu'il n'était pas mieux équipé pour la navigation.

Nous sommes ensuite partis à 43 à Kamina pour poursuivre la formation sur Harvard. Lorsque nous sommes arrivés là, il n'y avait aucun avion ! Tous les appareils arrivaient dans des caisses et les mécaniciens les remontaient au fur et à mesure. Nous leur donnions un coup de main parce que nous voulions voler. Nous sommes aussi partis chercher des Harvard à Bulawayo, en Rhodésie. A l'aller, nous en avons profité pour aller voir les chutes du Niagara à Livingstone. C'était magnifique. Nous sommes ensuite revenus d'une traite à Kamina en Harvard.

A notre arrivée, la base ne comptait encore qu'une seule piste. Les hangars étaient construits, ainsi que la tour provisoire. Pour le personnel, il y avait juste un bloc pour les élèves-pilotes. Les maisons des officiers et sous-officiers étaient encore en construction. Les mécaniciens logeaient, eux, dans des baraques.

Les vols étaient répartis entre les francophones et les néerlandophones, nous volions ainsi les premiers un jour sur deux. L'après-midi, il faisait très chaud et nous suivions des cours théoriques. Et pour le reste, question amusement : zéro. Il n'y avait même pas de route. Pour aller à Kamina-ville, qui se trouvait à une trentaine de kilomètres, il fallait au moins une heure et demie. Et s'il avait plu, ce n'était même pas la peine d'essayer. Nous avons quand même pu visiter les villages indigènes de la région et nous nous sommes rendus en Dakota à Elisabethville, où nous avons notamment visité une école.

Nous avons commencé à faire du vol de nuit. Au début, c'était affreux car il faisait tout à fait noir, il n'y avait aucune lumière pour se repérer et puis nous n'avions pas encore beaucoup d'expérience. Mais avec le temps, j'ai fini par apprécier ces vols.

Finalement, cette période s'est très bien passée, même si le Harvard était un avion que je n'aimais pas tellement car il était assez compliqué. On avait par exemple deux manettes des gaz, une pour le pitch, le pas de l'hélice, et l'autre pour les tours moteur. De plus, c'était un appareil assez vicieux. Si on avait trop peu de vitesse, il avait tendance à se retourner sans prévenir. Et puis, il était lourd."

Après neuf mois passés à l'EPA, la 126e promotion rentre en Belgique.

"Nous avons été postés à Coxyde, où se trouvaient l'OCU et l'OTU. Nous étions les premiers élèves à voler sur Meteor et non plus sur Spit. Nous avons commencé par faire quelques vols en Meteor 7 avant de passer sur Meteor 4. C'était un avion très difficile à voler sur un moteur et il fallait donner beaucoup de pied pour contrer l'effet de couple. Dans cette configuration, il valait mieux tenir sa vitesse à l'œil.

Je me souviens également qu'un jour, en approche GCA, j'ai oublié de sortir mon train d'atterrissage. Machinalement, j'avais annoncé à la tour que j'avais les trois vertes mais les roues n'étaient pas sorties. J'ai touché la piste sur les nacelles des moteurs mais j'ai pu remettre le gaz et remonter. Heureusement, le train est ensuite sorti sans problème. J'ai évidemment reçu un endossement rouge.

Le problème du Meteor, c'est qu'il était limité en vitesse. Il ne dépassait pas les .82 Mach. Au-delà, il devenait incontrôlable. Le Meteor 8 était meilleur et était déjà plus puissant."

Les ailes bien fixées sur la poitrine, Herman Devos est posté au 7e Wing de Chièvres.

"J'ai été envoyé à la 8e escadrille. Le premier jour de mon arrivée, j'ai reçu huit jours de balle ! J'habitais Diest à l'époque et j'avais pris le train jusqu'à Ath via Louvain et Bruxelles, puis j'avais continué jusqu'à Mevergnies. Et de là, il me restait encore pas mal de chemin à faire à pied jusqu'à la base. Bref, je suis arrivé avec deux heures de retard... ce qui m'a valu huit jours. Ça commençait bien.

La vie opérationnelle à l'escadrille se partageait entre combats aériens, navigations, formations, campagnes de tir à Sylt... Le Meteor tirait pas mal mais ce n'était pas le chasseur idéal. Il n'avait pas une très grande autonomie, sauf si on lui mettait des réservoirs supplémentaires. Mais, alors il aurait mieux valu le construire directement en béton, il aurait pesé moins lourd...

Comme jeune pilote, tout était à apprendre et il fallait mordre sur sa chique. Nous devions passer par plusieurs stades pour devenir pair leader (deux avions), section leader (quatre avions) et squadron leader (huit avions et plus). L'atmosphère était excellente. Il y avait à Chièvres quelques figures de la Force Aérienne comme Bladt, Corbeel, Dewulf, Lauwers ou Van Keymeulen. A l'époque, nous avons aussi eu un OSN anglais, Davies.

Le Meteor 8 a été remplacé par le Hunter 4, que nous n'avons gardé que très peu de temps car le Hunter 6 est rapidement arrivé. C'était une toute bonne machine qui, en insistant, pouvait passer le mur du son. Pour moi, c'était le premier véritable avion de chasse. Il était très maniable. C'était le premier avion à disposer d'un système d'assistance hydraulique des commandes des gouvernes, alors que sur le Meteor, les commandes étaient purement mécaniques. Il disposait aussi de quatre canons de 30 mm qui pouvaient tirer à 780 coups par minute. Les canons n'étaient pas testés au sol, tellement le recul était important.

Comme il n'y avait pas de Hunter biplaces, il fallait commencer par tout étudier par cœur. Nous passions d'ailleurs un test où, en aveugle, nous devions être capables de désigner les différents instruments du cockpit. Le Hunter était aussi très sensible. Au point que lors du premier vol, les pilotes, habitués au Meteor, surcorrigeaient leurs mouvements et l'avion se mettait systématiquement à marsouiner.

Le Hunter 4 démarrait à l'aide de cartouches. Il y en avait six je pense. Lors d'un exercice d'alerte, j'ai eu un "low burner", c'est-à-dire que la cartouche s'est allumée mais n'a pas fourni la puissance nécessaire pour mettre le réacteur en marche. Normalement, quand ça arrivait, l'indicateur des tours moteur montrait qu'il n'y avait pas assez de puissance et on attendait que la cartouche se consume avant d'en tirer une autre. Ici, l'indicateur ne montrait rien. Comme je devais décoller le plus rapidement possible, j'ai sélectionné une autre cartouche et la première a continué à brûler mais elle n'était plus dans son logement mais devant la tôle du moteur. Les pompiers sont intervenus tout de suite mais je n'ai pas attendu et j'ai sauté de l'avion, parachute au dos. Et pourtant le Hunter était déjà assez haut !"

En 1958, Herman Devos fait sa demande pour devenir moniteur à Kamina.

"Je suis parti pour Kamina pour y suivre, pendant trois mois, mon cours de moniteur au FFM (1) . J'ai ensuite terminé ma formation à Beauvechain car des travaux étaient en cours à Brustem. J'ai obtenu mon brevet mais, entre-temps, les troubles avaient commencé au Congo. Il fallait envoyer là-bas deux pilotes pour intimider les populations en faisant des passes à basse altitude. Comme Jean Siccard et moi venions de terminer le cours FFM, nous sommes retournés à Kamina. Nous avons sillonné le pays en Harvard. Et partout où nous nous posions, nous étions quasiment considérés comme des sauveurs. Nous étions reçus comme des rois chez les Européens. Nos appareils n'étaient pas armés et nous devions passer très bas au-dessus des villages. Mais finalement, les Noirs ne se laissaient plus impressionner et je suis même rentré un jour avec des flèches dans le fuselage. Je garde en tous les cas d'excellents souvenirs de cette période.

Nous sommes ensuite rentrés à Brustem. Les Fouga venaient d'arriver mais j'ai aussi eu l'occasion d'encore voler sur T-33 comme instructeur IRE, Instrument Rating Examinator, pour faire passer les cartes blanches et vertes aux pilotes. J'ai cependant été rapidement désigné comme moniteur sur Fouga. Et j'y suis resté dix ans.

Comme j'étais bilingue, je pouvais aussi bien voler avec un élève hollandais qu'avec un Belge francophone ou néerlandophone. C'était important car je pouvais remplacer l'un ou l'autre moniteur absent par exemple. On ne pouvait pas laisser trop longtemps les élèves sans voler. Il faut dire que sur les 8 ou 9 mois qu'ils passaient à Brustem, ils bouclaient entre 160 et 180 heures de vol.

C'est à cette époque que Red Dewalheyns a reformé les Diables Rouges sur Fouga. Le peloton se composait de van Essche, Lelotte, Janssens, Fagnoul et Malpas. Et quand Red Dewalheyns a été muté, Pol Van Essche et Jos Lelotte ont demandé que je rejoigne le peloton. C'est ainsi que j'ai fait partie des Diables Rouges pendant deux ans, en plus de mon travail d'instructeur. Nous nous entraînions deux à trois fois par semaine en dehors des heures de formation et nous ne touchions aucune indemnité pour ça mais c'était notre job et notre amusement.

Et puis, nous avons voyagé un peu partout. Nous volions beaucoup car, quand il y avait un meeting, nous partions le vendredi pour le week-end et nous revenions le lundi. Et il n'y avait pas de récupération, le lendemain, le travail de moniteur reprenait. Mais grâce à cela, j'ai pu voler en place arrière avec les Frecce Tricolori, avec les Red Arrows, en Gnat, et avec la Patrouille de France, qui avait aussi des Fouga mais ceux-ci étaient plus puissants que les nôtres.

Mais après deux ans chez les Diables Rouges et dix ans comme instructeur, je voulais faire autre chose. Comme j'avais acheté un appartement à Evère, près de Bruxelles, j'ai demandé ma mutation à Melsbroek."

Herman Devos est donc muté au 15e Wing. Les circonstances font qu'il n'y reste pourtant que quelques mois avant de repasser à la Chasse, à Beauvechain cette fois.

"J'ai d'abord suivi des cours théoriques à Saffraanberg, puis j'ai commencé ma transformation sur F-104 à Beauvechain. Il m'est d'ailleurs arrivé un incident lors de mon premier vol solo. La base recevait la visite d'élèves de Gossoncourt ce jour-là. J'ai mis l'avion en route, j'ai eu la clearance et j'ai commencé à rouler. A un moment, j'ai entendu du bruit, comme des explosions dans le moteur. Et je suis donc rentré au parking. A l'inspection, ils ont trouvé un headset dans le moteur. En fait, un des élèves l'avait déposé dans l'entrée d'air pour examiner l'avion et l'avait oublié. Et quand j'avais enclenché l'AB, il avait été aspiré...

J'ai ensuite été envoyé à la 350e escadrille. J'y suis resté quelques mois, partageant mon temps entre les interceptions, les combats aériens, les alertes, ... A cette époque, le lieutenant-colonel Louis Brignola, que j'avais très bien connu puisqu'il avait été mon moniteur à Kamina quelques années auparavant, était OSN à Beauvechain. Et un jour, il m'a appelé et m'a dit qu'il avait besoin de moi... comme moniteur ! C'est ainsi que je me suis retrouvé au Flight TF, comme instructeur Air Combat Manoeuvring. Je devais prendre en charge les nouveaux dès qu'ils avaient été lâchés et qu'ils comptaient quelques heures de F-104 et leur enseigner l'art du combat aérien. Et là, je dois dire que je me suis amusé comme un petit fou ! Je m'occupais aussi bien des jeunes pilotes qui sortaient de Brustem que d'anciens qui avaient déjà volé sur Thunderstreak ou Mirage.

La mission du Flight TF consistait d'abord à lâcher les pilotes, ce qui demandait trois ou quatre heures, puis à les faire voler en formation. Ensuite, on leur apprenait à faire des interceptions, à se servir du radar et à faire de l'ACM, ce qui n'était pas facile. Nous disposions aussi d'un simulateur de vol. La transformation durait une soixantaine d'heures avant l'affectation en escadrille.

Le Flight TF était commandé par le commandant Dasseville, avec comme instructeurs le commandant Schepers, qui s'occupait des vols aux instruments (IPC) (2) , et trois sous-officiers qui avaient chacun leur spécialité. "Bod" Bodart s'occupait des cours théoriques, du radar et de la navigation. "Guy-guy" Famenne et moi, de la formation et surtout de l'ACM.

Le F-104, avec ses petites ailes et son gouvernail haut n'était pas facile à manœuvrer, surtout en ACM. Heureusement, il y avait un APC (3) qui, quand on dépassait un certain angle d'attaque, nous prévenait en faisant trembler le stick (shaker). Si on insistait, il poussait le stick brutalement vers l'avant (kicker). Si l'avion se mettait en pitch up, son nez se dressait violemment et il devenait incontrôlable ou se mettait en vrille. Il fallait apprendre aux pilotes à contrôler l'appareil avec un maximum d'efficacité en employant correctement l'AB et les flaps, en apprenant quand tourner court ou vite, en tirant parti de la position du soleil et des nuages et surtout, en profitant des erreurs de l'adversaire.

A cette époque, nous faisions aussi des zoom flights. Pour monter le plus haut possible, il valait mieux que les températures soient relativement basses. L'air étant plus dense, la poussée était meilleure. Le but était de monter jusqu'à 40 000 pieds environs, là où l'avion accélérait encore assez facilement, d'accélérer jusqu'à Mach 2 puis de grimper pour le zoom. Une fois au sommet, l'air était si peu dense que l'on ne contrôlait plus efficacement l'avion, qui finissait par redescendre tout seul.

En plus des campagnes de tir à Solenzara, nous faisions aussi, mais c'était rare, du tir de missile au-dessus de la Mer du Nord. J'ai eu l'occasion de faire un de ces tirs. Pour l'occasion, nous emportions une roquette sous une aile et un missile sous l'autre. On partait du côté de Leeuwaarden et on virait en direction de la mer. On tirait alors la roquette, qui servait de cible, et on l'accrochait vite avant de tirer le missile.

Comme les pilotes en escadrille, nous participions aussi à l'IAF (4). Quatre avions étaient en alerte, instruments préchauffés électriquement, prêts à démarrer. Dès qu'il y avait un scramble, les avions devaient pouvoir être en l'air en cinq minutes. Comme neuf fois sur dix la piste en usage était la 22, de l'autre côté de la base, nous devions taxier au plus vite. Certains cowboys roulaient à 100 ou 120 à l'heure et, parfois, arrivaient tout juste à freiner à temps. Ces missions n'étaient que des exercices mais il m'est arrivé d'intercepter au-dessus des eaux internationales un Badger quand nous étions en exercice à Aalborg. Il arrivait aussi, lorsque nous longions le Rideau de fer, de voler en patrouillant parallèlement à des chasseurs russes qui patrouillaient eux de leur côté. Pour nos missions de défense aérienne, nous avions notre secteur et différents patterns à haute et à basse altitude où nous devions intercepter les ennemis avant qu'ils n'arrivent au-dessus de la Belgique. Pour les HLSP (5) , nous utilisions notre propre radar et étions aidés par les radars au sol, comme celui de Glons, qui voyaient l'ennemi beaucoup plus loin et nous guidaient. Le nombre d'avions engagés était déterminé par le radar au sol et la décision transmise via le Wing Ops. Les LLSP (6) se faisaient surtout en visuel car le radar était moins efficace. Et nous consommions beaucoup de carburant. Je me rappelle que mon vol le plus court pendant un exercice a duré 17 minutes. Après le décollage, j'ai tout de suite été engagé et je suis resté en AB pendant tout le combat et jusqu'à l'atterrissage. Evidemment, si on mettait quatre bidons au F-104, il pouvait aller plus loin mais alors c'était un vrai veau. A 40 000 pieds, si on prenait 40 ou 50 degrés d'inclinaison, il dégringolait presque.

J'ai passé des années formidables au Flight TF mais quand le F-16 est arrivé j'ai quitté Beauvechain car il fallait des moniteurs sur Marchetti. Mais le fait que les sous-officiers ne soient pas autorisés à voler sur F-16, même avec plus de 5000 heures de vol à leur actif, n'était pas étranger à cette mutation..."

C'est donc à Gossoncourt qu'Herman Devos clôturera plus de 25 ans d'une carrière passionnante couronnée par plus de 6200 heures de vol dont une bonne partie sur trois générations de chasseurs.


(1) Flight Formation Moniteur
(2)
Instrument Performance Check
(3)
Automatic Pitch Control
(4)
Interceptor Alert Force, dénomination utilisée à l'époque pour désigner le QRA (Quick Reaction Alert).
(5)
High Level Search Pattern
(6)
Low Level Search Pattern


Interview : V. Pécriaux (23 octobre 2010)
Mise en page : D. De Wispelaere


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