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Carnets de vol: Jean De Rycker

Carnets de vol: Jean De Rycker

Carnets de vol: Jean De Rycker

Fasciné qu’il était par les combats aériens qui se déroulaient devant ses yeux d’enfant, il ne faisait aucun doute que Jean De Rycker deviendrait un jour pilote. Entre la construction de sa caisse à savon en forme d'avion à ses lectures d'adolescent, la poursuite de cet idéal ne l’a jamais abandonné. Alors qu’il préparait son entrée à l’université de Liège, une rencontre imprévue va même achever de le convaincre.

"J'avais réussi la partie mathématique de mes examens d'entrée en première session et pour les littéraires ratées, mon père m'avait envoyé à Spa chez un répétiteur. Et un jour d'août, alors que nous révisions dans le jardin, un Meteor est passé au-dessus de nous, a viré et a refait un passage au ras du sol avant de repartir très vite. C'était en fait le beau-frère de mon répétiteur et j'avais été très impressionné par cet événement. Et par chance, quelques jours plus tard, ce pilote, qui s'appelait Alex Moriau (1) , s'est arrêté à Spa pour y loger. J'ai profité de la soirée pour lui poser d'innombrables questions. Je voulais vraiment devenir pilote de chasse mais je n'avais à l'époque que 18 ans. Il m'a alors dit que je pourrais toujours entrer au Flight universitaire et, après mes études, décrocher mes ailes et devenir pilote réserviste. Je me suis donc orienté dans cette voie et j'ai fait, sans grand succès deux années d'université. Puis, un jour j'ai vu une publicité de la Force Aérienne qui recrutait des pilotes. Je me suis présenté et j'ai passé les examens, sans en parler à mes parents. J'avais exactement 21 ans. Quelques semaines plus tard, j'ai reçu un courrier m'informant que j'étais reçu. Mes parents, et surtout ma mère, étaient catastrophés mais finalement je suis entré fin 1959 à la Force Aérienne, dans la 143e promotion qui comptait 36 candidats pilotes.

La formation a débuté à l'EPE de Gossoncourt et j'ai tout de suite adoré le vol sur SV4, en particulier l'acrobatie. J'étais bien sûr un peu tendu lorsque j'ai fait mon premier solo mais tout s'est bien déroulé. Il faut dire que l'écolage était vraiment bien organisé et était progressif. Au début, on mécanisait les vols. On décollait, on repérait par exemple trois arbres sur le parcours qui servaient de point de repère, on virait sur la gauche et on faisait et refaisait sans cesse des circuits. Petit à petit, cet aspect "mécanique" faisait place aux automatismes et on ne calculait plus. Mais, curieusement, et je crois que je n'étais pas le seul, si tout marchait bien en vol, à un moment donné j'ai eu des problèmes pour atterrir. On m'a alors envoyé faire un vol avec un autre moniteur qui était un vrai spécialiste du vol à basse altitude et qui m'a fait faire du rase-mottes à quelques centimètres du sol sur toute la longueur de la piste en m'indiquant bien les points de repère à suivre. Ensuite, il m'a lâché et je n'ai plus eu de problème."

Cinq mois plus tard, les élèves-pilotes de la 143e promotion se retrouvent dans le DC-4 qui va les conduire à l'EPA de Kamina, rejoindre la 142e promotion.

"Entre élèves, nous avions un véritable esprit de corps tout en étant conscients d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Je me rappelle d'un gars de la 142e qui m'avait expliqué comment faire le circuit sur Harvard et qui quinze jours plus tard s'était fait virer, alors qu'il était déjà solo. C'est une expérience qui marque mais qui soude ceux qui restent.

Côté distractions, il y avait d'abord le bar des élèves-pilotes auquel mêmes les moniteurs n'avaient pas accès si on ne les invitait pas. C'était assez curieux mais comme la plupart étaient en ménage avec femme et enfants, ça ne les intéressait pas vraiment de rester au bar avec les élèves. Evidemment, lorsque nous organisions une petite fête, ils étaient invités. C'était assez sympa. Il y avait un labo photos, dont je me suis occupé, un "hobby shop" où nous pouvions travailler le bois, faire de petits meubles, des tabourets, etc. Et puis, il y avait le sport, la piscine.

A l'EPA, mon moniteur était Jean Siccard, un pilote très exigeant et très pointu. Il était très "hot" et c'était très excitant de voler avec lui. Tout se passait pour le mieux et il ne me faisait plus faire que des circuits avant de me lâcher quand, tout à coup, comme à Gossoncourt, j'ai commencé à avoir des problèmes pour évaluer mon altitude au moment de me poser ! Il faut se dire que le Harvard était un avion bien plus pointu que le SV4. Le problème n'a pas duré longtemps car Siccard m'a confié à Delobel qui, après un seul vol, m'a lâché.

J'ai volé ensuite avec l'adjudant Tomé, un grand maigre nonchalant qui était vraiment un très bon moniteur. Il m'emmenait d'ailleurs faire du vol aux instruments, une discipline qui était mon point faible et que j'ai de ce fait beaucoup travaillé. Puis, un jour, je suis retombé sur Alex Moriau qui était à Kamina pour passer son brevet de moniteur. J'ai eu l'occasion de voler 30 à 40 heures avec lui. J'en ai vraiment gardé un très bon souvenir.

Mon écolage à Kamina s'est dans l'ensemble bien déroulé même si j'ai vécu une expérience qui aurait pu mal se terminer. J'adorais le vol en formation. C'était assez difficile, surtout au début. Un jour, j'étais en solo et je volais en formation avec un autre avion mais mon appareil était mal trimé et j'avais l'impression de voler de travers. Je me suis donc écarté pour trimmer l'avion avant de reprendre ma place. J'ai réglé les deux trims, j'ai tout lâché et, voyant que mon Harvard volait bien droit, j'ai viré vers l'autre avion pour resserrer sur lui. Et j'ai vu cet avion qui se rapprochait à une vitesse folle. Que faire ? Passer au-dessus était trop dangereux. J'ai donc poussé dans le stick pour le garder à vue, j'ai redressé et je suis revenu dans son aile. J'avais eu le bon réflexe mais le moniteur avait tout vu. Une fois rentrés, il m'a bien dit de ne jamais montrer mon ventre à l'autre avion. Dans cette situation, c'était sans doute la première chose qui venait à l'esprit car elle permettait de freiner l'avion mais elle faisait surtout perdre le visuel sur l'autre appareil. Je n'ai jamais oublié cette leçon.

Autre expérience, le Harvard était un avion qui permettait de tirer pas mal de G et nous n'avions pas de combinaison anti-G à l'époque. Et quand je faisais de l'acro tout seul, je tirais un peu plus fort dans le stick et il m'arrivait de tomber dans les pommes. Ça m'est arrivé deux ou trois fois mais je n'osais pas en parler, de peur de me faire renvoyer. Finalement, je suis allé voir le médecin et je lui ai d'abord demandé s'il était tenu par le secret professionnel. Après en avoir eu la confirmation, je lui ai tout expliqué. Il m'a dit que ce n'était pas grave. Comme j'étais grand et mince, c'était normal et il m'a montré comment contracter mes muscles pour empêcher le sang de descendre dans le bas du corps. Je n'ai plus jamais eu ce problème."

La situation politique au Congo va pourtant porter un coup d'arrêt à la progression des élèves de la 143e promotion.

"Au printemps 1960, les premiers troubles ont commencé à éclater. Il y avait dans la région des Tutsi et des Hutu. Il y en avait qui travaillaient sur la base également. Toujours est-il qu'un jour on a retrouvé un noir égorgé dans les matitis. Les élèves officiers qui avaient fait l'Ecole militaire ont reçu un revolver, contrairement à nous. Ça n'a duré qu'un temps car les para commandos, qui avaient reçu l'ordre de désarmer les européens pour éviter d'envenimer la situation ont commencé à nous revendre ces armes ! Quand nos chefs hiérarchiques l'ont appris, ils nous ont ordonné de les rendre mais nous avons pour la plupart préféré les cacher. Après une fouille dans les chambrées, des balles laissées dans une armoire par l'un de nous ont été trouvées. Cette fois, plus d'échappatoire : ou nous rendions les armes, ou nous étions radiés. C'est ainsi qu'elles ont toutes été rassemblées dans une caisse qui a été confiée à l'aumônier. Et les choses en sont restées là.

Certains Harvard ont été armés de mitrailleuses et un Flight appui-feu a été constitué. Ces avions étaient pilotés par des pilotes brevetés et assuraient des missions de reconnaissance, d'escorte d'avions de transport ou d'appui aux troupes.

Comme nous n'étions pas brevetés, nous avons rapidement été interdits de vol et nous nous sommes occupés des réfugiés. Les appareils de transport se rendaient sur les différents aérodromes où étaient embarqués les Européens qui voulaient partir à destination de Kamina. Ils embarquaient ensuite dans des Boeing 707 de la SABENA. Je me rappelle avoir vu des 707, qui ont une capacité normale de 170 à 180 passagers, remplis de 300 personnes ! Heureusement, il n'y a jamais eu d'incident. Et je dois tirer mon chapeau aux pilotes de la SABENA pour l'énorme travail qu'ils ont accompli.

Quand tous les réfugiés ont été évacués, le rapatriement des militaires, dont nous, a débuté. Nous espérions tous pouvoir revenir en Belgique avec les Harvard. Ça aurait été une belle navigation. Mais ça ne s'est pas fait. Ramener les Harvard ne valait sans doute pas la peine puisque les Fouga commençaient à les remplacer. C'est ainsi que nous avons été embarqués dans un C-130 américain. Nous sommes rentrés à Bruxelles après avoir fait escale à Tripoli.

En théorie, nous aurions dû faire 180 heures en Harvard mais nous n'en comptions que 90 environ. Nous sommes donc retournés à Gossoncourt en attendant la suite des événements. Les Pays-Bas étaient le seul pays proche où il y avait encore des Harvard. Nous avons donc été envoyés à Gilze-Rijen où nous avons poursuivi notre formation avec des moniteurs belges – dont Steve Nuyts qui par chance m’a été assigné – mais sur les appareils néerlandais. Et c'était assez rigolo car déjà à Kamina il y avait deux types de Harvard. Certains avaient été commandés aux Etats-Unis et étaient très bien équipés. Ils servaient principalement pour la navigation. Les autres étaient plus utilisés pour faire de l'acrobatie, entre autre. Extérieurement, ils se distinguaient par une verrière différente, avec un nombre plus ou moins important de montants. Chez les Hollandais, le cockpit était pratiquement comme celui du SV4 ! Il n'avait notamment qu'une simple radio à quatre fréquences.

Pour l'anecdote, nous faisions du vol de nuit et nous nous entraînions à faire des approches GCA. Il y avait deux types de GCA. Il y avait le GCA de haute précision où on vous donnait le cap à suivre et où on vous ordonnait de monter ou de descendre et il y avait un autre GCA où le contrôleur ne connaissait pas l'altitude de l'avion et indiquait au pilote l'altitude à laquelle il devrait être à l'endroit où il se trouvait. Lors d'un de ces entraînements, le contrôleur a dit à un élève-pilote : "Your altitude should be 1,200 feet" et l'élève, distrait, a tourné la molette de réglage de son altimètre jusqu'à ce qu'il indique 1200 ! Evidemment, à un moment donné il a regardé dehors et a vu une masse sombre qui se rapprochait. C'étaient des arbres qu'il a essayé d'éviter et il a "stallé". J'étais à ce moment avec un moniteur dans un autre Harvard. Mon moniteur a allumé les phares et nous avons commencé à effectuer des piqués pour le repérer. Il n'a heureusement rien eu à part un bleu à la tête.

Nous avons terminé notre écolage avec 150 heures au lieu de 180 et sommes partis à l’école de chasse à Brustem avec trois francophones rescapés de la 144e promotion qui avaient poursuivi leur écolage sur Fouga à Salon-de-Provence, les néerlandophones, derniers sur T-6, rejoignant la 145e après avoir terminés Gilze-Rijen.

Pour moi, le T-33 sera mon bâton de maréchal à la Force Aérienne mais qu'est-ce que je me suis éclaté sur cet avion ! Il était beaucoup plus facile à piloter que le Harvard car il n'y avait évidemment pas de torque. Pour les vrais pilotes de chasse, c'était un avion poussif mais quand on venait d'un Harvard, il avait une puissance extraordinaire. Les sensations physiques étaient beaucoup plus fortes qu'entre le SV et le Harvard. Quand on volait à 400 nœuds, ça allait vite. Et nous faisions fréquemment des navigations à 350 nœuds à basse altitude. Inutile de dire que ça défilait.

C'était un avion qui pardonnait beaucoup et qui prévenait son pilote. Quand il commençait à vibrer, c'est qu'on arrivait à la limite et qu'il fallait rendre la main pour éviter de partir en vrille, par exemple.

Mon lâchage solo a pris un peu plus de temps. Je volais à nouveau avec Delobel comme moniteur et Siccard était à présent commandant d'escadrille. Et après chaque vol, nous allions voir si notre moniteur nous attribuait une carte verte ou rouge. Je n'avais que des vertes. Tout se passait de façon normale donc mais après huit ou neuf heures de vol je n'étais toujours pas lâché alors que mes copains commençaient à voler en solo. Le lâchage avait lieu en moyenne quand on avait effectué entre huit et douze heures. A un moment donné, j'ai rencontré Siccard dans les couloirs et il m'a demandé comment ça allait. Je lui ai répondu que j'avais l'impression que ça se passait bien mais que le capitaine Delobel ne me lâchait toujours pas. Et je lui ai demandé si je pouvais faire un vol avec lui car j'étais assez inquiet. Il m'a envoyé chercher son parachute, nous avons fait un vol et puis il m'a lâché. La situation était tout à fait l'inverse de celle que j'avais vécue à Kamina. Pour la petite histoire, après mon solo, j'ai rejoint Siccard au débriefing et alors que nous étions dans son bureau, Delobel est arrivé et Siccard lui a dit qu'il m'avait lâché solo et il a ajouté que je souhaitais changer de moniteur. Je peux vous dire que je serais bien rentré dans un trou de souris ! Et je me demande si cela n'a pas eu une incidence sur ma radiation de la Force Aérienne car après mon passage au-dessus de la maison de ma mère, il y a eu une plainte d'une voisine et c'est Delobel qui a mené l'enquête… Le pire, c'est que je n'ai été interdit de vol qu'après un mois et demi et que pendant tout ce temps j'ai continué à voler sans problème et sans faire l'idiot. J'ai donc été radié un mois à peine avant de recevoir mes ailes et je le regrette encore aujourd'hui…"

Jean De Rycker paiera le prix fort de sa fougue. Mais sa passion pour le vol n'a pour autant jamais faibli et il a poursuivi d'une autre manière son rêve en faisant une très riche carrière de pilote de ligne dont le récit remplirait encore bien des pages mais sort du cadre des Ailes militaires belges. Laissons-le conclure par ces quelques mots :

"Par la suite, quand j'ai débuté ma carrière civile, j'ai eu la chance de croiser encore des pilotes militaires que j'ai eu comme instructeurs. Ce qui m'a frappé chez tous ces pilotes, c'est leur façon de faire abstraction de votre passé et de vous juger sur ce que vous savez faire. Ce fut notamment le cas de Jean Feyten avec qui j'ai refait de l'acro en SV pour passer ma licence professionnelle ou encore d'Alain Blume qui à l'époque où il était officier supérieur à Bierset avait été confronté à plusieurs reprises à des plaintes parce qu'un T-33 venait régulièrement faire des "beat up" au-dessus de Liège. Ça durait depuis un moment déjà mais il avait fini par repérer et intercepter le T-Bird alors qu'il effectuait un vol avec trois autres Hunter. Il avait escorté le T-33 jusqu'à Brustem et après avoir atterri, il avait radié l'élève-pilote sur le champ ! Comme je n'avais jamais caché que j'avais été radié pour la même raison, il était convaincu que j'étais ce pilote, ce qui n'était pas le cas. Pourtant, il a sans hésité accepté de voler avec moi et de me donner des cours de pilotage IFR. Ça m'a vraiment impressionné et j'ai énormément de respect pour ça."

(1) Futur chef d'état-major de la Force Aérienne (1989 -1991)


Interview : V. Pécriaux (7 mars 2010)
Mise en page: Daniel De Wispelaere
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