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Carnets de vol: André Perrad

Carnets de vol


Carnets de vol: André Perrad

Originaire de Neufchâteau, ce n'est pourtant pas dans la forêt ardennaise mais dans la brousse africaine qu'André Perrad passe une partie de sa jeunesse, son père, militaire, étant à cette époque en poste au Congo. Lors d'un retour en Belgique, l'un de ses oncles a l'idée de l'emmener voir un meeting aérien à Chièvres.

"J'ai trouvé ça fantastique et c'est resté dans un coin de ma mémoire. À la fin de mes humanités, en 1960, j'étais bien décidé à devenir pilote militaire. Mon père m'a alors dit de faire une année de spécialisation en math à Malonne. Cette année me serait surtout utile parce que j'étais nul en néerlandais et que, venant d'Afrique, je ne connaissais rien de la géographie de la Belgique. Or les questions des examens à l'École royale militaire ou de l'examen A étaient assez pointues. Il m'a également incité à d'abord devenir officier parce qu'il y a avait toujours un risque que je ne réussisse pas les épreuves pour devenir pilote. Si ça avait été le cas, j'aurais opté pour les paracommandos. J'ai donc présenté l'examen A puis je suis passé à l'Ecole d'Infanterie d'Arlon avant d'être pendant quatre mois chef de peloton au 2e Chasseurs à pied, à Charleroi, et de rentrer à l'EPSLI (1) à Laeken. Quand s'est posée la question de l'orientation, j'ai choisi la carrière de pilote, malgré la pression exercée par l'École d'Infanterie où j'avais manifestement laissé de bons souvenirs. Et c'est ainsi que je me suis retrouvé en janvier 1964 à Gossoncourt... en kaki. Ce qui n'était pas nécessairement l'idéal. Nous étions deux de l'EPSLI à entrer à l'EPE, incorporés dans la promotion 64B. Dès notre arrivée, nous avons été consignés comme les autres élèves-pilotes qui venaient de recevoir leurs vaccins et qui étaient donc interdits de sortie. Puis, on a voulu me faire faire le drill avec les autres et finalement, comme je m'entendais bien avec les sous-officiers sur place, c'est moi qui ai commencé à donner le drill. J'ai aussi donné le cours NBC. Ça faisait passer les choses un peu mieux mais mon copain n'a pas supporté cette situation et il a abandonné après cinq semaines pour rejoindre l'École d'Infanterie. Quant à moi, je me suis adapté à la mentalité tout à fait différente qui régnait à la Force Aérienne.

J'ai eu un premier moniteur avec qui les choses ont été relativement difficiles. Nous ne nous entendions pas, au point qu'après un vol, j'ai failli lui mettre mon poing sur la figure. Mais heureusement, après huit ou neuf heures de vol, j'ai été repris par le commandant Feyten, qui était mon Flight Co. Quatre heures plus tard, il me lâchait sur SV4. Et alors que je venais d'être solo, j'ai encore reçu une lettre de l'École d'Infanterie qui me disait que si je revenais je pourrais réintégrer ma promotion sans conséquences. Mais j'étais lâché et j'ai continué sur ce SV4 qui était une petite machine merveilleuse vous procurant vraiment toutes les sensations de base du pilotage.

Nous nous sommes ensuite retrouvés à Brustem, à l'EPA où je n'ai pas rencontré de difficultés particulières. Évidemment, en tant qu'officier, j'avais la chance de loger au mess officiers au château de Bevingen. J'évitais ainsi les chambres peu confortables que partageaient mes collègues élèves-pilotes.

La mentalité était déjà un peu différente, même si elle restait une mentalité "école". Mais les contacts avec les moniteurs étaient plus agréables. J'ai beaucoup de bons souvenirs des moniteurs avec lesquels j'ai volé. Nous avions tous un moniteur de base – j'en ai même eu deux, d'abord Braken puis Vantwembeke – mais nous volions aussi avec d'autres, en fonction des disponibilités. Et puis, nous devions passer des tests avec des moniteurs qualifiés à cette fin.

Le Fouga était un avion relativement facile, même s'il manquait indéniablement de moteur et s'il était un peu lent dans la réponse au stick. Un slow roll demandait pas mal de talent. Mais quelle élégance quand il était présenté en vol. Et puis, avec ses deux moteurs, il était fiable et il planait bien. Nous avons été initiés au tir à Pampa range, le champ de tir d'Helchteren. Je me rappelle que les avions étaient préparés et armés dans des zones où ils étaient orientés le nez face à des merlons pour des raisons de sécurité.

Arrivés dans cette partie de l'entraînement, nous maîtrisions déjà bien l'avion, nous faisions beaucoup de formation et nous étions plus sûrs de nous. Je n'ai donc que de bons souvenirs de cette période."

À la fin de son séjour à Brustem, c'est pourtant une mauvaise surprise qui attend André Perrad.

"Un peu avant le départ pour Woensdrecht, aux Pays-Bas, les médecins ont décelé une tache sur un de mes poumons. J'ai donc été interdit de vol et j'ai perdu six mois avant de pouvoir recommencer à voler avec la promotion suivante. J'ai refait cinq vols en doubles commandes avant d'être à nouveau lâché solo.

Comme j'étais descendu de prom, j'ai eu l'occasion de faire beaucoup plus de vols en formation que les autres. C'est d'ailleurs quelque chose que j'ai toujours aimé faire.

Nous sommes ensuite partis à Woensdrecht. Après quelques cours, nous avons commencé à voler sur le T-33, une machine qui avait beaucoup plus de moteur que le Fouga et qui était vraiment bien conçue. Par exemple, par rapport au F-84F ou au Mirage, il avait un "gang start". Si vous aviez un arrêt du réacteur en vol, il suffisait d'appuyer sur UN bouton et toute la séquence de redémarrage se faisait automatiquement. Il avait aussi du "range". En altitude, de Florennes on atteignait le sud de l'Italie.

Le programme des cours n'était pas difficile mais ne manquait pas d'intérêt. Nous faisions de l'acro et le T-33 était très bon dans cet exercice. Nous faisions aussi des "flame-out patterns". Le moniteur nous demandait alors de tout réduire, comme si nous n'avions plus de moteur, et là, il fallait se débrouiller pour rejoindre un terrain et se poser. C'était particulièrement intéressant.

C'est aussi au cours de cette période que nous avons commencé l'entraînement à l'éjection : le dinghy drill dans la piscine de Soesterberg où on pouvait générer des vagues."

Le 30 juin 1966, jour de la remise des ailes de la promotion 65A, André Perrad troque enfin officiellement son uniforme kaki pour celui de la Force Aérienne.

"À ce moment-là, c'est Van Essche qui était le patron des Diables Rouges. Je m'entendais très bien avec lui et je lui ai demandé s'il n'était pas possible que les Diables Rouges viennent faire une démo. Il a accepté et il a pris les contacts nécessaires. À l'issue de la cérémonie de la remise des ailes, ils ont décollé pour effectuer une magnifique présentation. Lors de l'éclatement final, Van Essche a fait un loop et est revenu vers la tribune au ras du sol, obligeant les autorités à s'aplatir par terre. C'est à partir de ce moment-là que les Diables Rouges ont été interdits aux Pays-Bas... Nous avons donc terminé sur une fausse note.

Quand nous sommes passés à Eindhoven, nous avons été reçus dans une escadrille néerlandaise. J'ai eu comme moniteur le capitaine Motshagen qui était tout à fait charmant. Je l'ai revu 25 ans plus tard avec plaisir. Nous avons évoqué mon premier vol sur F...

Comme on pouvait commencer à voler sur F-84F en fonction des résultats des tests écrits et des tests sur simulateur, j'ai passé tous les tests avant les autres pour pouvoir être le premier à être lâché. J'ai d'abord effectué mon tour taxi avec Motshagen assis sur l'aile. Et puis, il y a eu le premier vol. Le briefing pour ce vol - directement en solo - était plus que complet, un véritable endoctrinement. On connaissait la mission de A à Z, détail par détail, depuis le start-up jusqu'au retour au parking. Etaient passés à la loupe aussi bien les ordres que leur exécution.

Je suis donc monté dans l'avion et j'ai effectué les vérifications d'usage. Arrivé au test radio, je me suis rendu compte que ma radio était vraiment mauvaise. J'entendais vaguement le moniteur me dire quelque chose et je devinais ce dont il s'agissait car je connaissais par cœur mon briefing. Et puis, je voulais absolument être le premier de la prom à voler sur cet avion ! Les choses se sont passées comme suit : Nous avons taxié, nous avons décollé et nous sommes montés dans le secteur qui nous était assigné. J'entendais à peine le moniteur qui dirigeait la séance d'exercice et je devinais à peu près ce qu'il me disait. J'ai poursuivi mon vol, toujours avec une radio qui ne fonctionnait quasiment pas. Au moment de me présenter pour les simulacres d'atterrissage avant de me poser, elle est carrément tombée en panne. Je n'entendais plus rien. Au cours de la deuxième finale, j'ai soudain aperçu mon moniteur qui me dépassait. Il a battu des ailes et m'a fait signe de venir en formation sur lui. Il avait bien vu que je ne réagissais pas à ce qu'il me disait à la radio. J'ai donc terminé mon premier solo sur Thunderstreak par un atterrissage amené en finale en formation. Les nombreuses heures de formation en Fouga n'avaient pas été inutiles.

La suite de la formation sur F-84F s'est poursuivie sans problème. Nous avons enchaîné navigations, vols en formation, vols de nuit. Pour les vols de nuit, nous décollions en dusk, à la tombée de la nuit. Un soir, il faisait très beau et l'un des pilotes hollandais de notre promotion s'est laissé aller à faire un virage à haute altitude tout en contemplant le coucher de soleil. Son avion est parti en vrille. N'arrivant pas à en sortir, il a eu la présence d'esprit de tirer son drag chute. La rotation a cessé et l'avion s'est stabilisé. Il a alors largué le drag chute et il est revenu se poser. Toute la prom a retenu la leçon pour le cas où nous devrions un jour nous trouver dans pareille situation.

Ce qui était dommage, c'est que le contact au sein du squadron, s'il n'était pas hostile, n'était pas chaleureux. Et puis il y a eu l'histoire du canon... Un jour où il faisait très beau, je prenais le soleil à l'extérieur du squadron à quelques pas du canon qui se volait d'une unité à l'autre. Sur sa plaque de blindage, il y avait une série de petites plaques commémoratives indiquant "volé telle date à telle unité par telle unité". Un moniteur hollandais m'a dit : "Eh, Perrad, tu peux bien le regarder, tu n'arriveras quand même pas à le voler." Il devait en être sûr car il y avait deux barres d'acier autour de l'axe des roues. Je n'ai pas répondu mais j'ai sérieusement commencé à considérer la chose. J'ai soudoyé un mécano de la base et, comme il me fallait un sérieux chalumeau pour couper les barres, je suis allé trouver les usines Daf qui parrainaient l'escadrille. J'ai expliqué mon plan au patron de l'usine en lui disant que le vol de ce canon serait l'occasion de faire une fiesta car il ne bougeait plus depuis des années. Intéressé, il a accepté et a prêté le matériel. Le soir précédant le long week-end de la Toussaint, à cinq pilotes belges plus le mécano, nous nous sommes laissé enfermer sur la base et nous avons mis une tente sur le canon pour qu'on ne voie pas les étincelles faites par le chalumeau. Pendant que nous nous occupions du canon, d'autres surveillaient au cas où une patrouille se serait approchée.

Avec l'aide du mécano, qui disposait des outils nécessaires, on a donc démonté complètement le canon que l'on a placé dans cinq voitures. J'avais une toute nouvelle Fiat 1500 dans laquelle on a placé le tube, ce qui a complètement démoli mon siège avant. On est sorti de la base en cisaillant la clôture et on a quitté la Hollande, dans le brouillard, par les petites routes pour éviter la douane. On avait coordonné l'opération avec Florennes et on avait prévu d'être vers minuit-une heure du matin chez Rosette, un café où Jean-Marie Hourlay nous attendait. Finalement, on est arrivé vers quatre heures du matin. J'avais demandé qu'on puisse déposer le canon au groupe de vol car aucun de nous ne savait dans quelle escadrille il allait être muté. Mais il a été mis à la 1re... et j'ai été affecté à la 2e.

Quand nous sommes revenus à Einhoven pour les tous derniers vols et l'administration de départ ..., scandale ! Le canon n'était plus là. Les Hollandais ont soupçonné pendant deux ou trois jours d'autres escadrilles ou des unités d'artillerie de chez eux mais finalement, comme je l'avais promis, j'ai fait publier un petit article dans un journal d'Eindhoven indiquant que le canon se trouvait en sécurité sur une base aérienne en Europe. Je ne sais pas si quelqu'un avait vendu la mèche, mais ils ont fini par savoir que c'était nous qui l'avions piqué. Et là, ça s'est mal passé. Il n'y a d'ailleurs pas eu de pinte de départ. La période s'est donc, ici aussi, terminée sur une mauvaise note.

Le canon a été volé assez souvent entre la 1re et la 2e jusqu'à ce qu'il soit fixé dans un bloc de béton. On s'en est même servi pour tirer des fusées, parfois additionnées de thunderflashs. Finalement, transporté plusieurs fois par la grue Letourneau, il a été endommagé. Comme j'ai fini par quitter Florennes, je ne m'en suis presque plus préoccupé et actuellement, je ne sais pas ce qu'il est devenu."

Une bonne partie de la promotion se retrouve donc à Florennes, toujours sur F-84F.

"Nous savions sur quelle base nous allions mais pas dans quelle escadrille. J'ai été affecté à la 2e. C'était une grosse escadrille. Elle comptait au moins 25 pilotes. Je me rappelle encore, près de notre dispersal, la ligne où se trouvaient côte à côté 25 avions. Ça faisait très forte impression. Après la guerre des Six Jours, l'OTAN a commencé à réfléchir et on s'est mis à disperser les avions et à construire des hangarettes. Pour en revenir à la ligne, un jour, un mécano effectuait un test sur un avion et je ne sais pas pour quelle raison, le démarreur a pris feu. Comme les avions se trouvaient au-dessus du réseau d'égouttage qui recueillait les trop-pleins de carburant, le feu s'est répandu vers les autres appareils. Tous ceux qui étaient présents se sont rués vers les avions pour les évacuer. Heureusement, en F, il suffisait d'actionner deux switchs – le contact et la bouteille d'air comprimé – pour les démarrer. Il n'y a pas eu de perte collatérale.

Nous faisions beaucoup de navigations longue distance jusqu'au Rideau de fer. Nous devions d'ailleurs connaître ces routes pour monter de QRA. Nous voyagions beaucoup aussi, de la Norvège à la Turquie. Et puis il y avait deux fois par an un mois de campagne de tir air-sol et air-air à Solenzara. La TAF organisait également des exercices de survie. J'adorais ça et je me portais toujours volontaire, jusqu'au jour où on m'a interdit de survie car j'en faisais trop ! Tout ça pour dire qu'entre les QRA, les missions à l'étranger et les exercices, nous ne dormions pas très souvent à la maison ! Parlant de survie, l'OTAN avait décidé d'organiser un cours en Norvège. Nous étions quatre de la 2e, le CO Devolder, Mullenders, Laporte et moi à y participer. Nous nous sommes retrouvés dans un hôtel près d'un glacier, à Spöting. Il y avait des pilotes venus d'un peu partout et qui volaient sur toutes sortes d'avions. On a attribué à chaque délégation un petit chalet. Nous avons d'abord suivi des cours théoriques en classe et à l'extérieur. Puis, il y a eu les applications. Et quelles applications ! Pour l'une d'entre elles, nous avions reçu une ceinture en cuir avec à l'intérieur une lame de scie. Quand cette lame était courbée, elle pouvait être utilisée pour couper des blocs de glace. Une des épreuves consistait à aller dormir, par deux si je me rappelle bien, dans le glacier ! Nous avons donc dû faire une "snow cave", en creusant d'abord un tunnel d'environ trois mètres, en ligne droite, puis en faisant un virage à angle droit pour aménager un espace et y disposer nos couchettes. Nous n'avions en tout que notre équipement de vol et une peau de renne pour isoler notre couchette de la glace. Il fallait ensuite reboucher la grotte, en laissant juste un trou pour laisser passer l'air, et allumer à un mètre de l'entrée une bougie qui devait permettre à un moniteur norvégien de voir, toutes les heures, s'il y avait suffisamment d'oxygène dans la grotte pendant que nous dormions. Je me souviens qu'à mon réveil, j'avais le plafond pratiquement sur le nez. Impossible de me retourner. Avec la chaleur dégagée par nos corps, il avait fondu. Il faisait 6° dans l'abri, mais -37° dehors... Nous avons également marché dans le blizzard en utilisant des raquettes que nous avions dû fabriquer. C'était une expérience vraiment intéressante. Je m'y connaissais bien en survie en pays chaud, mais en pays froid, j'ai tout appris là-bas."

En 1970, la 2e escadrille entame sa transformation sur sa nouvelle monture, le Mirage.

"La transformation s'est effectuée très vite. Après quatre ou cinq vols, nous étions lâchés. Évidemment, on avait bien étudié l'avion mais ce n'était finalement pas si facile car, pour nous qui étions habitués à l'anglais, toute la documentation était en français. Il a donc fallu se familiariser avec cette nomenclature.

Avec le Mirage, nous nous croyions à la pointe du progrès. Il avait la postcombustion et de la poussée (un délire de béatitudes pour ceux qui avaient décollé en F avec un full et 30° ou plus sur la piste). Je me souviens aussi de ce nez qui s'abaissait et se relevait au taxi quand on donnait un coup de frein...Quel confort, quelle souplesse. Nous, pilotes de F, étions éblouis par toute cette nouveauté. Avec le recul, nous nous sommes rendu compte que nous avions acheté un appareil (démuni de radar, sans tables de tir) pour préserver les structures de la Force Aérienne mais que nous n'avions pas acheté un véritable système d'arme.

Un merveilleux avion à piloter ? ...Oh oui ! Mais attention aux pièges de l'aile delta ! Dans le domaine du tir, le système de visée des canons était correct, mais pour le largage de bombes il a fallu improviser avec la basse altitude et le tube de pitot comme point de référence. Nous larguions très bas et si nous avions dû effectuer de réelles opérations dans ces conditions, soit les bombes n'auraient pas eu le temps de s'armer, ce qui aurait été notre chance, soit nous aurions sauté avec. En tâtonnant, et avec le temps, nous avons appris à utiliser l'avion de manière plus efficace. Pour les roquettes, il a aussi fallu tâtonner. Je me rappelle avoir été le premier pilote de Florennes à en tirer à Vlieland, supervisé par le commandant (ou major) aviateur Vanesse. Et ce jour-là, pour pouvoir fixer les roquettes sur l'avion, je suis allé acheter moi-même la clef ad hoc (pas encore fournie par Dassault) à la quincaillerie située sur la Place Verte à Florennes. La FAé m'a remboursé un peu plus tard.

Un jour, alors que je devais avoir environ 80 heures de vol sur l'appareil, on nous a demandé d'aller faire une démonstration de tir à Helchteren pour des parlementaires qui voulaient comparer le Mirage au F-104G. J'étais section leader et, avec mes trois ailiers, je suis parti au tir. Nous avons commencé par larguer des bidons de napalm. Puis, je me suis aligné pour faire une passe de tir canon. J'ai visé... j'ai tiré... et au moment de tirer sur le stick, il n'a pas bougé ! Mon knee pad, avec élastique, avait glissé et tourné entre mes jambes, entre le siège et le stick. J'étais à 450 nœuds et très près du sol. J'ai écarté la jambe et j'ai tiré très/trop fort car j'avais vraiment peur. L'avion est parti en "high speed stall". Je ne sais pas comment j'en suis sorti. J'ai rendu la main pour stopper le tangage, j'ai enclenché l'AB et je suis passé au ras des cibles. Comme j'étais très cabré, que j'étais en postcombustion et qu'il faisait très sec, des spectateurs ont vu un nuage de poussière et ont cru voir mon avion exploser au sol. Il y a eu un silence pendant quelques secondes, avant que la tour ne m'appelle à la radio pour vérifier si j'étais toujours en vie ! Nous avons malgré tout terminé la démo en achevant le tir canon et en tirant nos roquettes. Nous avons remis le cap sur Florennes. Après m'être posé, je suis bien resté cinq minutes dans le cockpit, incapable de sortir. J'avais subi quatorze ou quinze G positifs, six G négatifs envoyant ma tête, heureusement casquée, dans le canopy. À la suite de cet incident, l'attache du knee pad a été modifiée.

Autre anecdote. J'avais prévu de faire avec Georges Dubois une navigation longue distance jusqu'à Izmir, en Turquie. Il faisait mauvais en Belgique et on avait retardé le départ. Finalement, nous avons décollé assez tard à destination de Gioia del Colle. C'était limite-limite. Arrivés là-bas, nous avons pris encore un peu de retard mais nous avons refait le plein et avons décollé. Il commençait à faire nuit mais comme le plan de vol avait été accepté et que nous étions tous les deux qualifiés pour le vol de nuit, cela ne nous inquiétait pas. Nous avons donc poursuivi en suivant le plan de vol. Au-dessus de la Grèce, aucune communication mais c'était "SOP " (2). On savait bien que les plans de vol ne passaient quasi jamais de la Grèce vers la Turquie – et inversement d'ailleurs. Nous avons atteint l'espace aérien turc à haute altitude. Le soleil s'était entre-temps couché. Nous avons contacté l'approche à Izmir pour demander un pick-up GCA. Réponse des Turcs :
- Le GCA est en panne.
- OK, mais le TACAN ?
- En panne aussi. Utilisez l'ILS.
Donc, pas de GCA, pas de TACAN nous n'avions pas d'ILS et il faisait nuit noire ! J'ai demandé une diversion. Il n'y avait plus de diversion... Là, on était mal. À un moment donné, j'ai aperçu les lumières d'un avion civil en descente pour atterrir. Nous l'avons suivi. Et après qu'il se soit posé, nous sommes venus au break et nous avons atterri. Nous n'avons pas eu le moindre problème avec les Turcs qui ont trouvé ça tout à fait normal. C'était chaud mais quel pilote n'a pas eu des expériences en Grèce ou en Turquie. Et quand nous sommes revenus de notre trip, Elefsis était la première étape en Grèce. Lorsque nous avons contacté la base, on nous a répondu qu'elle était fermée (le plan de vol avait pourtant été accepté). C'était un jour de fête. Mais, après un moment, nous avons quand même reçu l'autorisation de nous poser. En fait, c'était une journée porte ouverte et il y avait un monde fou. Alors, n'écoutant que notre bon cœur, plutôt que de brûler du carburant en altitude, nous leur avons fait un petit show. Inutile de dire que le soir, nous avons été très bien reçus."

En 1973, André Perrad quitte Florennes pour le Centre de Perfectionnement de Brustem.

"Le major Masselis s'est tué en F-104. Il était visiteur à Beauvechain et enseignait au C Perf et on m'a envoyé (cela correspondait opportunément avec quelques tensions avec mon chef de corps) pour donner des cours aux candidats majors (en étant candidat major moi-même !) Durant cette période, j'ai revolé sur T-33 et aussi sur Fouga avec l'un ou l'autre copain au backseat vide. Cela me rappelle un vol que j'effectuais dans le back seat de mon copain "Duc". Nous étions près de la côte. J'avais les controls et nous sommes passés à un moment donné au-dessus de la tour de l'Yser. Des gens au sommet de la tour nous ont fait signe. Et pour leur répondre, j'ai déclenche un aileron roll ... comme on le faisait en T-Bird ou en F... Nous avons vu clairement les clôtures de barbelés. Je n'avais pas remonté le nez ! Il est de ces erreurs ...!

Après 3 années à l'Université (!) d'EBST, j'ai été un an à la TAF au bureau Exercices et Manœuvres. Belle expérience où j'ai rencontré mon futur chef de corps à Bierset, le colonel aviateur Castermans. J'avais entre-temps été nommé major et j'ai été désigné comme CO à la 1re escadrille de Bierset.

La 1re était - et est toujours !!! - une TRÈS bonne escadrille. Les Mich Mandl et Audrit ont été des Ops Officers hors pair. Nous avons fait un Rate One lors des deux TACEVAL du 3 Wing Tac. En plus, c'était une escadrille très sportive. Et on peut dire que dans les compétitions, on a tout raflé : cyclisme, tir, volley-ball, marathon, natation ...

Ce fut une période extraordinaire d'expériences en vol, de contacts humains, de responsabilités ... et de moments de modestie parmi d'autres plus flamboyants.

Anecdote : Nous sommes en période de tir à Zara. Un vendredi, "Lolo" Lorange et moi partons vers Tanagra pour une mission "pair leader course". Il vole sur le BA 40 tandis que je suis sur le BA 21. A l'arrivée, je tente de me poser derrière lui. L'aile gauche décroche à l'arrondi ... et le train d'atterrissage est fauché. "Beau crash CO !" Je ne décris pas les émotions. Contrepartie : avec la commission d'enquête, nous avons passé un fabuleux week-end à Athènes. Mais, c'est TOP SECRET. Le lundi, le CO décollait vers son squadron à Zara, avec l'avion de Lolo ... Pas fier ! Plus tard, on a conclu que les vortex de l'avion qui me précédait avaient causé le décrochage de mon aile gauche.

Après mon tour de deux ans à la 1re escadrille, je suis allé à l'IRSD (3) pour suivre le troisième cycle et j'ai ensuite été muté à l'état-major, VSP/E (4). Là, j'ai notamment été en charge du Follow-on-buy du F-16. Ensuite, en 1983, j'aurais dû revenir comme OSN à Florennes, à Bierset ou à Beauvechain, mais j'ai été muté au cabinet de la Défense nationale. Toute une autre expérience ... pour promouvoir les intérêts de la FAé.

Puis, je suis revenu à la tête de VSP. C'était une période de vaches maigres due à la flambée du dollar. Nous avons notamment dû couler le Programme RAPPORT III (5). Son coût initial de 12 milliards de francs belges avait atteint les 23 ou 24 milliards. Or, on manquait déjà de moyens pour le carburant des heures de vol. Les pilotes étant limités à 145-150 heures par an, le taux d'accident repartait à la hausse.

Le ministre de la Défense nationale avait demandé une étude sur le remplacement du F-16. Nous avons donc analysé l'Eurofighter, ce qui n'a pas duré très longtemps car le programme "pédalait dans la semoule", puis le Rafale et enfin le F-16 MLU proposé par General Dynamics. Sur le plan opérationnel, le Rafale et le F-16 MLU se valaient mais le prix du chasseur français était prohibitif. Nous avons présenté le rapport final au général Lefèbvre qui, bien que très favorable au Rafale, a accepté nos conclusions. Et c'est ainsi que le midlife update F-16 a été lancé."

C'est aussi à cette période que fut lancé le MIRSIP (Mirage Safety Improvement Program) et que, dans ce cadre, Marc Despalier puis Frank De Winne sont devenus pilotes d'essais.

L'année 1989 est synonyme de retour à Florennes pour André Perrad, comme chef de corps du 2e Wing tactique qui vient de recevoir ses F-16.

"Pendant que j'étais à VSP, j'ai suivi les cours au sol et j'ai fait ma conversion F-16 à Beauvechain. C'était un avion très facile à voler. L'utiliser était par contre bien plus compliqué. Arrivé à Florennes, je passais deux nuits par semaine sur la base pour pouvoir, en soirée, étudier le Dash One. Eh bien, je ne suis jamais arrivé au bout, tellement cet avion offrait de possibilités. Et ce n'était que la version FOB ! C'était un avion extraordinaire.

Être chef de corps est le plus beau des commandements, même si on vole beaucoup moins. Commandant d'escadrille, c'est déjà fantastique, mais commandant de base, c'est encore un cran au-dessus/différent. On est en contact avec ses hommes, il faut gérer beaucoup d'intérêts parfois contradictoires. Il faut aussi savoir faire confiance quasi absolue, mais ne pas transiger sur des faiblesses faciles. J'ai eu la chance d'avoir un OSN (6) fantastique, Pierre Cornut, un OST (7) hors norme, Bob Montens, et deux commandants de Groupe Défense, Toussaint et Dachet, avec lesquels la coopération a murmuré d'harmonie. Ce fut une expérience formidable !

C'est à cette époque qu'a débuté le TLP à Florennes. Son premier commandant était Gilbert Mullenders. Un ancien collègue et véritable ami de la 2e escadrille. J'étais bien content que ce soit lui, car il y avait quelques conflits potentiels entre les intérêts de la base et ceux du TLP. Mais nous sommes parvenus à trouver un modus vivendi "convivial".

Il y avait eu quelques mois auparavant une campagne anti-TLP dans la presse. Puis on n'en a plus vraiment parlé (la chute du mur de Berlin était à la Une) et quand le TLP est arrivé, nous avons mis au point des procédures pour limiter au maximum les inconvénients pour la population des environs. Nous avions déjà accueilli deux sessions quand j'ai organisé une visite de base et un repas pour les bourgmestres des communes voisines. Et je n'ai pas évoqué le TLP. À l'issue du repas, j'ai demandé s'il y avait des questions, et l'un des invités a demandé quand le TLP allait arriver car les nuisances potentielles suscitaient des inquiétudes dans la population. Je n'attendais évidemment que cette question pour pouvoir leur dire que deux cours avaient déjà eu lieu et qu'ils n'avaient rien entendu ! La présence du TLP fut en fin de compte un succès, tant pour la base et la Force Aérienne que pour l'économie de la région.

Fin 1991, je suis revenu à la TAF. Le lieutenant-général aviateur Terrasson n'avait plus de chef d'état-major depuis six mois et il voulait assurer la relève avant de prendre sa retraite. Un honneur pour moi, mais des larmes pour quitter Florennes. Quand je suis arrivé à la TAF, j'ai été chargé de la réorganiser car on entendait dire depuis des années qu'il y avait des doubles emplois entre l'Etat-Major et la Force Aérienne Tactique. Tout le monde s'y est mis avec enthousiasme et en quelques mois, c'était fait.

Le lieutenant-général aviateur Piet Van Esse, qui commandait la TAF après Marcel Terrasson, aurait bien voulu me garder mais j'ai été affecté à VS3 (8) (Section Opérations de l'EM FAé). Ça n'a duré qu'un an car, comme j'avais déjà une expérience dans le milieu et que le chef de cabinet adjoint du ministre de la Défense nationale quittait brusquement, j'ai accepté de prendre sa place pendant deux ans. Ne souhaitant pas y terminer ma carrière, j'ai postulé à un poste d'attaché militaire au Rwanda. Malheureusement, les massacres d'avril 1994 ont commencé dans le pays deux mois avant que je prenne mes fonctions. J'ai donc sollicité ailleurs et été nommé Senior Representative de l'ONU auprès de l'Union Européenne à Mostar, en Yougoslavie à partir de juillet 1995. J'y ai fait un deuxième séjour en 1996 lorsque la Belgique a pris la présidence de l'Union de l'Europe Occidentale.

Pendant cette période, j'ai fait mon dernier vol à Florennes, en F-16 biplace (FB-20) avec Alain Renard que j'avais accueilli comme jeune pilote à la 1re escadrille. J'ai donc terminé ma carrière en faisant, évidemment, de la formation en vol."


(1)  École de Préparation à la Sous-lieutenance Interforces
(2)  Standard Operating Procedure (procédure standard)
(3)  Institut Royal Supérieur de Défense
 (4)  Département Plans, Programme et Budgets
 (5)  Système de contre-mesures électroniques
 (6)  Officier supérieur navigant
 (7)  Officier supérieur technicien
 (8)  Section Opérations


Interview : V. Pécriaux (9 novembre 2013)
Mise en page : Daniel De Wispelaere
Note : Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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