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Carnets de vol: René Van Bever

Carnets de vol: René Van Bever
Carnets de vol: René Van Bever
René Van Bever entre à la Force Aérienne en mai 1960. Incorporé dans la 145ème promotion, il effectue son premier vol sur SV 4 à Gossoncourt en septembre de la même année. Si l'appareil n'était pas dangereux, il était très délicat à l'atterrissage.

"En vol ça marchait très bien mais je n'arrivais pas à faire atterrir cette machine. Au début je n'avais pas de problème. J'ai commencé à voler avec le commandant Godfroid et tout se passait très bien. Puis, il est parti en vacances et on m'a mis avec un autre moniteur qui criait fort, ce qui me faisait perdre mes moyens. Finalement, plus rien n'allait. Après avoir passé plusieurs tests, j'étais le dernier à ne pas être lâché solo. Un jour, à l'issue d'un vol avec le commandant d'escadrille, je rentre au parking mais il me demande de laisser tourner le moteur. Il descend de l'avion et va parler à mon premier moniteur qui venait de rentrer de congé et qui avait volé avec un autre élève.

Après quelques instants, le commandant Godfroid vient me voir et me demande ce qui se passe. Je lui réponds : "Je ne sais pas, je ne sais plus atterrir". Il monte dans l'avion et pendant qu'on se dirige vers le point de décollage - nous sommes sur un terrain en herbe car il n'y a pas encore de piste en dur à Gossoncourt à cette époque - il me dit : "Regarde un peu l'horizon, il passe sur les haubans. Tu vois ?

- Oui.

- Et bien c'est là que l'horizon doit être lorsque tu atterris, puisque l'avion est par terre.

Et je n'ai plus jamais raté un atterrissage. Il m'avait donné le truc, tout simplement

Tous les avions avec une roulette de queue sont difficiles à faire atterrir. Sur SV 4, il faut vraiment se poser en trois points. Si vous vous posez sur le train principal, la moindre petite bosse dans l'herbe fait se soulever le nez de l'avion et comme il a encore de la portance, il redécolle aussitôt. Il faut vraiment le poser à l'angle auquel il n'a plus de portance pour l'empêcher de repartir."

Le SV 4 avait aussi ses particularités :

"Deux types de moteur équipaient les SV 4 : le Gipsy Major et le Blackburn Cirrus. Le Cirrus avait énormément de difficultés à s'arrêter. Il y avait de l'auto-allumage et on avait beau le couper, il continuait à tourner. Au début je ne le savais pas et au retour d'un vol, je coupe le moteur et je vois qu'il ne s'arrête pas. C'est à ce moment là que le moniteur me dit : 'Ce n'est rien, c'est parce que c'est un Cirrus'. Je me suis demandé ce que les cirrus venaient faire si bas ! On avait suivi des cours de météorologie et les seuls cirrus que je connaissais c'étaient les nuages..."

Après 38 heures de vol sur SV 4, il passe sur Fouga Magister à Brustem et enfin sur T-33.

"Le T-33 était une machine pratiquement indestructible. Et pourtant j'en ai eu un qui a cassé au décollage mais que j'ai malgré tout ramené à la base. C'était un vendredi de 1968, en Corse. J'étais arrivé la veille avec des pièces pour un F-104 qui était tombé en panne. A cette époque le stock de pièces détachées n'était pas suffisant pour tous les appareils des deux bases (Beauvechain et Kleine Brogel) et quand une unité était en campagne de tir, il fallait aller porter les pièces sur place. Pour l'occasion, le T-33 était équipé d'un "travel pod" sous le fuselage.

Au décollage, mon appareil, le FT-33, avait la particularité d'avoir beaucoup de shimmy à la roue de nez mais nous y étions habitués. J'ai aligné l'appareil sur la piste, j'ai lâché les freins et j'ai décollé de Solenzara. Tandis que j'effectuais mon virage pour prendre mon cap, j'ai constaté que les vibrations ne cessaient pas. Ce n'était pas normal d'autant que la pression hydraulique grimpait à 2.000 psi alors qu'elle devait être de 1.000 psi. Je me suis dit que même s'il y avait un problème hydraulique, ça n'empêcherait pas l'avion de continuer à voler. Seul le train devrait être abaissé en mode de secours. J'ai donc poursuivi mon vol mais je ne suis pas retourné à Kleine Brogel rapporter les pièces. Je me suis posé à Bierset, où étaient d'ailleurs basés les T-33 à cette époque. Après le week-end, les mécanos m'ont appelé pour me montrer l'avion. En examinant le réacteur on s'est aperçu que seule une aube de turbine était restée intacte, les autres avaient des coups ou étaient parties et pourtant le moteur avait continué de tourner. Les vibrations avaient été tellement fortes que le régulateur du débit de carburant pendait dans le vide. Il ne tenait plus que par les tuyaux et la tringlerie et on pouvait faire bouger à la main les boulons qui tenaient la queue. Et l'avion avait volé comme ça pendant deux heures !

Je n'ai que de bons souvenirs de cet avion mais c'est un appareil qu'il fallait apprendre à connaître. En instruction, on n'en avait pas le temps car il fallait d'abord passer solo, apprendre à naviguer aux instruments, faire du combat aérien, tout ça en quelques heures. Ce n'est qu'après, quand j'ai été moniteur au Flight VSV (vol sans visibilité) entre 1967 et 1969 que j'ai vraiment appris à apprécier cette machine."

Breveté en novembre 1961, il passe six mois à la 27ème escadrille stationnée à Kleine Brogel pour apprendre à voler sur F-84F Thunderstreak. Après les cours théoriques et un vol de familiarisation sur T-33 pour reconnaître les alentours de la base, il effectue son premier vol sur F-84F le 6 décembre.

"Sur Thunderstreak, il n'y avait pas de simulateur de vol, ni de biplace. Quand on avait réussi l'examen théorique sur les aspects techniques propres à la machine, on effectuait un "blindfold cockpit check". On nous bandait les yeux et on nous demandait de trouver tel ou tel instrument, manette ou interrupteur. Il fallait obtenir 80 % à ce test, soit retrouver huit instruments sur dix. Ensuite, on lançait le moteur et on faisait un taxi pour se faire une idée de la sensibilité des freins et du comportement de l'avion au sol. L'instructeur nous guidait, assis sur une chaise posée sur l'aile. Et enfin venait le jour du premier vol. Pour moi c'était en hiver et la piste était enneigée. Le matin il avait fallu la dégager à la pelle. Je me souviendrai toujours de ce premier vol. Je me suis aligné sur la piste avec cette étrange sensation d'avoir oublié quelque chose. Je me trouvais là, tout seul, dans un avion deux fois plus lourd que le T-33, équipé de commandes hydrauliques et doté d'une aile en flèche. Mon commandant d'escadrille, qui m'accompagnait, s'est placé à mes côtés sur la piste et m'a fait signe et puis, comme on dit, quand il faut y aller, il faut y aller. J'ai lâché les freins et l'avion commencé à rouler. Comme à cette époque la piste était constituée de dalles en béton, j'entendais le bruit sourd de la roue de nez puis du train principal qui passaient sur les joints, de plus en plus vite, et puis, plus rien. Ca y était, j'étais en l'air.

Le F-84F était une machine qui volait excessivement bien. Il était sous-motorisé mais une fois qu'il était lancé il ne consommait pas beaucoup et allait relativement vite pour la puissance moteur dont il disposait. Il avait la particularité en décrochage de partir en arrière au lieu de baisser le nez et même avec le stick à fond contre le tableau de bord, il fallait bien deux à trois secondes avant qu'il replonge vers l'avant. C'était assez surprenant."

La transformation se termine en mai 1962 par une campagne de tir à Solenzara.

"En tir air-sol, le Thunderstreak se comportait bien mais en tir air-air il connaissait des problèmes car le radar de tir n'était pas fiable. Si on voulait faire un bon score, il fallait venir très près de la cible. On tirait également avec des roquettes de 5 pouces dont les têtes étaient heureusement inertes car on s'approchait tellement près des cibles qu'on aurait été touché par des débris ou des éclats. J'ai un copain qui est un jour revenu d'un exercice de tir et quand il a atterri, on a retrouvé de la terre au-dessus du cockpit !"

Un mois plus tard, René Van Bever rejoint Florennes et la 1ère escadrille de chasseurs-bombardiers. Missions et exercices se succèdent à un rythme soutenu.

"Au cours d'un vol de nuit nous devions servir d'objectif pour des chasseurs et je devais aller jusqu'à la pointe extrême du Danemark et puis revenir. Au moment de faire demi-tour et de mettre le cap sur l'Allemagne, la lampe 'inverter failure' s'est allumée et je me suis retrouvé sans aucun instrument de navigation et sans équipement électrique. Heureusement, il y avait un interrupteur à deux positions, 'normal' et 'alternate', qui permettait de conserver les instruments de vol, et surtout l'horizon artificiel, le giro. Je suis donc passé en mode de secours mais la lampe ne s'est pas éteinte. J'ai pris contact avec 'Den Mil' pour les informer que je n'avais plus d'équipement électrique sauf la radio et ils m'ont suivi jusqu'en Allemagne où j'ai été pris en charge par une station radar allemande. La même procédure s'est répétée aux Pays-Bas et finalement je suis arrivé en Belgique et j'ai contacté Belga Radar qui m'a demandé quel était mon problème. Je leur ai expliqué que je n'avais plus d'équipement électrique, et donc plus d'IFF non plus. Pour m'identifier sur leurs écrans, ils m'ont demandé de prendre le cap 270, ce que j'ai fait mais au moment où j'ai voulu les rappeler, plus rien ! Et je ne les ai plus entendus ! Alors, je suis passé sur la fréquence d'approche de Florennes en espérant que la radio tienne le coup et je me suis laissé guider vers la base. Je suis encore resté au-dessus de la couche nuageuse pendant trois quarts d'heure sans savoir combien il me restait de carburant et sans pouvoir descendre puisque je n'avais plus d'horizon artificiel. Finalement, un autre appareil m'a rejoint et m'a ramené à la base. Si j'avais pu, j'aurais tenu le bout de son aile tellement je craignais de le perdre dans les nuages. Je n'étais pas au bout de mes peines puisque en descendant, mon pare-brise s'est mis à geler. Le système de dégivrage, électrique lui aussi, ne fonctionnait évidemment pas. Je me suis donc posé en distinguant vaguement les lueurs devant moi et en regardant bien sur les côtés ma position et mon altitude.

Enfin, après être rentré à l'escadrille, j'ai reçu un appel de l'opérateur de la tour de contrôle :

"Alors, qu'est ce qui t'est arrivé ?

- Et bien je n'avais plus aucun instrument !

- Oh !, ce n'était que ça..."

C'est la seule fois où j'ai vérifié que mes harnais étaient bien serrés au cas où j'aurais dû sauter.

A mon époque, les F-84F étaient équipés d'un parachute de freinage mais il ne fonctionnait pas très bien car le compartiment dans lequel il était logé n'était pas étanche. A basse altitude il n'y avait pas de problème mais si vous évoluiez à haute altitude et que vous descendiez rapidement, en passant dans les nuages de l'humidité se formait et transformait le parachute en bloc de glace. La porte s'ouvrait et le petit parachute extracteur sortait mais c'était tout. Le plus curieux c'est qu'un quart d'heure plus tard on pouvait le sortir à deux doigts de son logement."

Après être parti deux ans comme instructeur au Flight VSV de Bierset où il vole sur T-33 et fait quelques heures sur RF-84F, René Van Bever entame sa conversion sur Mirage 5 en octobre 1971 et revient à Florennes, à la 42ème escadrille de reconnaissance cette fois.

"C'est une des périodes que j'ai le plus appréciées. Lorsqu'on effectue des missions à plusieurs, comme ce fut le cas pour moi à la 1ère escadrille, il y en a un qui fait la navigation et les autres suivent. En reconnaissance, on part tout seul à la recherche de l'objectif. Pour moi c'était fantastique, on nous envoyait en Allemagne photographier des objectifs qu'on ne voyait même pas tellement on volait vite mais qui se retrouvaient sur les clichés. J'ai pris comme ça des photos de Harrier camouflés dans les bois et absolument invisibles du ciel.

Contrairement au F-84F qui était quand même une machine assez complexe, le Mirage me semblait plus facile car beaucoup de systèmes étaient automatiques. Mais le grand changement, c'était la vitesse au décollage. Par rapport au Thunderstreak qui était sous-motorisé, le Mirage avait énormément de puissance et en six cents mètres il était en l'air.

Pour les missions de reconnaissance, on utilisait surtout les caméras optiques dans le nez mais nous disposions également du système infrarouge Cyclope, installé sous l'avion et qui filmait en continu. Il fonctionnait bien quand il n'était pas en panne, ce qui était très rare. De plus, il fallait voler à une vitesse donnée et à une altitude bien précise si on voulait avoir des images de qualité sans distorsion. Ce système permettait en tous les cas de distinguer un véhicule dont le moteur avait tourné d'un autre dont le moteur était froid, par exemple.

Le gros problème du Mirage, c'était sa fiabilité et j'en ai fait l'amère expérience lors d'un vol au-dessus de l'Allemagne.

Ce jour-là, j'avais décidé de faire une navigation dans le sud de l'Allemagne. Après avoir préparé ma mission je me suis rendu à l'avion, le BR-11, et j'ai décollé en direction de Garmich Partenkirchen, qui était à l'époque une 'buffer zone', interdite de survol. Après avoir remonté le tremplin, j'ai regardé ma jauge qui m'indiquait que je n'avais plus assez de carburant pour rentrer à basse altitude. J'ai donc décidé de grimper. A 18.000 pieds, j'ai soudain entendu un bruit et j'ai senti l'avion bouger comme si un autre appareil venait de me frôler. J'ai regardé autour de moi, le ciel était vide. C'est alors que j'ai senti l'avion ralentir et que la lampe 'Master caution' s'est allumée. Et là tout a commencé à aller mal. J'ai poussé sur le bouton pour arrêter le klaxon mais la lampe s'est rallumée et tandis que le klaxon sonnait de plus belle. J'ai vu alors les lampes 'Hydraulique 1' et 'batterie' allumées. Je me suis dit que c'était bizarre car il n'y avait pas de rapport entre le système hydraulique et le problème de batterie. Et puis j'ai vu deux lampes indiquant que le train d'atterrissage était partiellement sorti qui s'allumaient également. Là il y avait vraiment un problème. A pleine puissance, le moteur ne dépassait plus les 40 %. J'ai réduit les gaz et j'ai essayé la régulation en secours du moteur. C'est à ce moment que la lampe 'Feu' s'est allumée ! J'ai lancé un appel de détresse en coupant le moteur. J'ai cherché un endroit pour crasher l'avion car il y avait beaucoup d'habitations dans cette région et dans mes cinq heures j'ai aperçu un bois. Le temps de terminer mon virage, je n'étais plus qu'à 3.000 pieds ! A ce stade, je ne pouvais rien faire de plus et j'ai cabré l'avion pour réduire la vitesse à 250 noeuds avant de m'éjecter. Je me suis retrouvé suspendu à mon parachute et j'ai aperçu l'avion qui était resté cabré comme je l'avais mis et je me suis fait la réflexion : 'Merde alors, il vole mieux sans moi qu'avec moi !' Arrivé au-dessus du bois, il s'est retourné avant de plonger vers le sol.

J'ai atterri dans une prairie près d'une ligne à haute tension. Dans le champ voisin, il y avait une paysanne sur un tracteur. Elle s'est approchée de moi et comme je ne parlais pas l'allemand et qu'elle ne comprenait ni le français, ni l'anglais, je lui ai montré mon parachute. Elle m'a alors regardé et a dit ; 'Ach, Flugzeug kaput !' et elle a tranquillement poursuivi sa route."

René Van Bever ne sortira pas indemne de l'aventure. Blessé au dos, il ne reprendra les commandes d'un Mirage que neuf mois plus tard.

"Tous ceux qui ont sauté d'un Mirage, dans l'enveloppe de fonctionnement du siège, s'en sont sortis mais ont eu des problèmes de dos. Il faut dire que c'est une expérience impressionnante puisqu'on encaisse 19 G et qu'on passe à une vitesse verticale de 190 kilomètres/heure en à peine quatre dixièmes de seconde."

Après quelques années encore sur Mirage, René Van Bever quittera Florennes en 1978 pour passer moniteur sur Siai Marchetti à Gossoncourt, puis sur Alpha Jet à la 7ème escadrille de Brustem avant de revenir à Florennes où il prendra en main le Flight Fouga. Il terminera sa carrière en 1986 après avoir inscrit plus de 5.400 heures de vol dans son carnet de vol.


Texte: Vincent Pécriaux
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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