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Carnets de vol: Thierry Grisard

Carnets de vol
Carnets de vol: Thierry Grisard

Alors qu’il termine ses études secondaires, Thierry Grisard envisage de s’engager dans les blindés mais il se laisse convaincre par un camarade de classe de s’enrôler avec lui à la Force Aérienne. Finalement, il est le seul à endosser l’uniforme bleu des élèves-pilotes.

“Je me suis d’abord retrouvé embarqué dans toute une série d’examens médicaux, physiques, etc. Après les avoir réussis, j‘ai intégré la 130e promotion et je suis arrivé à Gossoncourt. Je ne connaissais rien à l’aviation et je voyais avec étonnement tous ces avions tournoyer dans tous les sens. Quand est venu mon tour, j’ai fait un premier vol de familiarisation avec mon moniteur, De Geyter. J’étais assis à l'arrière, lui à l'avant et juste au-dessus de lui se trouvait un rétroviseur. Je ne pouvais voir que ses yeux mais lui voyait tout derrière. Et puis l’avion a décollé et j’ai commencé à voir la terre tourner dans tous les sens, à gauche, à droite, devant, derrière. Je me suis retrouvé pendu dans les straps et je me suis dit : “C’est ça l’aviation ?!”. En fait, il essayait juste de savoir si j’étais malade. C’était un premier test qui était déjà éliminatoire. Après quelques minutes, nous nous sommes posés et il m’a demandé si ça allait. Je lui ai répondu que oui mais que je ne comprenais pas bien ce qu‘il avait voulu faire.

Finalement, au fur et à mesure, j’ai pris goût au pilotage. Ça m’a beaucoup plu. Ce que j’aimais surtout, c’est qu’on pouvait aller chercher la quintessence de l’avion. C’était surtout le cas avec le Meteor et le Hunter notamment, qu’on allait chercher jusqu’à la limite. On volait “aux fesses”, comme on disait. Tout ça m’amusait beaucoup. Sur 104, c’était fini. L’avion était entièrement électronique. On ne pouvait rien faire avec. C’était une fusée mais c’était tout.

Je n’ai pas gardé de souvenirs exceptionnels du SV4. C’était un avion très simple. Le programme prévoyait à l’époque 75 heures sur la machine. Je me rappelle qu'on faisait entre autres du PSV sous une capote orange. Ce n’était pas très amusant. En plus, j’avais un moniteur qui hurlait mais c’était quelqu’un que j’appréciais beaucoup.”

Au SV4 succède rapidement le Harvard.

“Le Harvard était déjà beaucoup plus évolué. Il était plus difficile à piloter. Il y avait beaucoup de types d’appareil différents : des Bulawayo, des Harvard anglais, des américains, etc. Certains pouvaient faire des vrilles d’un côté et pas de l’autre. Ils flickaient. Quand on partait en virage serré, on pouvait se retrouver tout d’un coup sur le dos.

Kamina était une base magnifique. Elle avait à peine deux ou trois ans quand je suis arrivé, en 1955. On se rendait au flight à vélo, c’était spécial. Mais sur les 80 que nous étions au départ à Gossoncourt, il n’en restait que 40 à Kamina. A la fin de notre formation à Kamina, nous n’étions plus que 20 et quand nous avons eu fini l’OCU à Coxyde, nous n’étions plus que sept ! C’était impressionnant. On voyait disparaître les copains en se demandant quand viendrait notre tour. C’était stressant.

A Kamina, j’avais un moniteur qui, comme mon premier moniteur, était un gueulard. Nous étions trois à voler avec lui. Quand le premier avait terminé son vol, il se posait et sortait de l’avion tandis que le suivant montait, etc. Et quand on avait fini tous les trois, on revenait et notre moniteur faisait le débriefing. Il commençait par engueuler pendant dix minutes le premier et lui donnait une feuille rouge (1). Même traitement pour le deuxième, qui recevait également une feuille rouge et il terminait avec moi en disant : “Et toi, Grisard, pour ne pas faire de jaloux, tu auras une rouge aussi !” De nouveau, c’était stressant car si on avait dû compter le nombre de feuilles rouges que j’ai reçues, j’aurais été éjecté car normalement après trois rouges, c’était fini. J’en ai reçu certainement une vingtaine et pourtant je suis sorti premier de ma prom ! Mais c‘était la façon de faire à l‘époque.”

Après avoir quitté l’Afrique, Thierry Grisard rentre en Belgique où l’attendent Coxyde et ses Meteor.

“Quand nous étions à Gossoncourt, nous avions déjà visité la base de Coxyde où la 125e promotion volait sur Spitfire. Nous voyions passer les Spit devant nous. Quelles machines ! Mais à Kamina, on nous a annoncé que la formation sur Spit était terminée et que nous aurions le choix entre le T-33 et le Meteor. J’ai choisi le Meteor parce qu’on m’avait dit qu’il y en aurait bientôt à Bierset, près de chez moi.

Nous arrivons donc à l’OCU, l’unité de conversion. On me désigne un moniteur qui est très bien. Après quelques vols en Meteor T.7, il me propose pour le solo test. Je tombe pour ce test sur un certain Lebrun et nous voilà partis pour le vol. Les moteurs du Meteor étaient assez éloignés l’un de l’autre et voler en “single engine”, ce n’était pas pour rigoler. Il fallait mettre plein trim et plein pied. On allait chercher la vitesse critique jusqu’à ce que l’élève ne puisse plus tenir l‘avion. Et puis, quand on venait en finale sur un moteur, on mettait d’abord un quart de flaps, puis encore un peu plus et quand on avait mis tous les volets, il n’était plus question d’overshooter, il fallait se poser. Mon vol se passe bien, je me présente en finale et je descends tous les volets et j’entends hurler dans mes écouteurs : “Overshoot !”. Je redresse les ailes et je remets du moteur et j'entends : “OK, tu as raté. Tu ne pouvais plus overshooter.” Ce n’était pas très fair-play. Je refais donc deux vols avec mon moniteur, qui ne trouve rien à redire à ma façon de voler et je repasse mon test, toujours avec Lebrun. Le vol n’a pas duré deux minutes. Nous sommes partis plein pot et dès que les roues ont été rentrées, il a coupé un moteur et il s’est mis à hurler. Je ne savais pas pourquoi. On a donc atterri et il m’a dit une fois encore que j'avais raté parce que je n’avais pas mis du pied du bon côté, ce qui n’était pas vrai car dès qu’on voyait partir le nez de l’avion, on mettait directement du pied en sens inverse. Bref, j’ai été appelé chez l’officier supérieur qui m’a demandé s’il y avait quelque chose qui n’allait pas car j’avais encore raté mon test. Je ne comprenais vraiment pas ce qui m’arrivait. Il m’a alors dit que je ferais un autre vol avec le Lieutenant Tonet et que si c'était bon, je pourrais continuer. Mais il m’a précisé que ce vol ne figurerait jamais dans mon carnet de vol. J’ai fait ce vol, je l’ai réussi et j’ai pu passer solo. Cela montre bien que l’échec ou la réussite tenait parfois à peu de chose. Il suffisait d’un regard ou d’un sourire qui ne plaisait pas et on pouvait se retrouver dehors.

Le Meteor F.4, comme le T.7, était assez rustique. Il n’était pas équipé d’un siège éjectable et avait un stick semblable à celui du Spit. Ses commandes étaient entièrement mécaniques, comme sur le F.8 d'ailleurs. Son instrumentation était très simpliste. Si le train ne sortait pas, on avait une barre télescopique qui servait à pomper. Le train sortait généralement par gravité et on ne pompait que pour le verrouiller. Les radios étaient également les mêmes que sur le Spit. Elles avaient de gros boutons qu’il fallait enfoncer pour sélectionner les fréquences. Un samedi matin, on m’envoie faire un vol. Et je ne sais pas ce qui se passe mais à un moment donné, je n’ai plus de radio. J’étais seul en vol et je passe derrière la tour en me disant qu’ils vont me voir et qu’ils vont m’envoyer une fusée rouge si je ne peux pas me poser. Bref, j’arrive et je vire en finale tout en continuant à regarder la tour qui ne m’envoie toujours aucun signal. Je me pose et je rentre au parking. Mais le comité d’accueil m’attendait. Non seulement je m’étais posé sans autorisation mais j’avais failli heurter un brave gars qui traversait la piste à vélo et qui avait dû se jeter par terre pour m’éviter ! Autant dire que mon week-end était à l’eau."

Vient ensuite le moment tant attendu de la remise des ailes et le passage à l’Ecole de Chasse sur Meteor F.8

“A l’Ecole de Chasse, nous avons fait du tail chase, des vols en formation à quatre pour apprendre à faire des virages, etc. Tout cela faisait partie de l’apprentissage du vol opérationnel. Nous avons fait également du vol de nuit, du PSV.

Je suis ensuite arrivé à la 26e escadrille. C’était en 1956, année qui marquait la fin des Thunderjet à Bierset. Comme on refaisait la piste avant l’arrivée des Meteor, je suis resté un mois et demi à Chièvres puis un mois à Beauvechain avant de rentrer à Bierset. A mon arrivée, j’ai d’abord fait un vol en Meteor T.7 avec le commandant d’escadrille. Puis, avec les autres nouveaux, j’ai débuté ma formation pour devenir pilote opérationnel. Il y avait des tas de choses à faire pour le devenir, notamment obtenir en PSV la “white card”. Il fallait faire des navigations opérationnelles, de jour comme de nuit, des vols en formation, etc. avant de recevoir sa qualification de pilote opérationnel par le commandant d’escadrille. C’est ainsi que j’ai été envoyé en navigation solo de nuit au départ de Beauvechain. Je devais me poser à Chièvres puis continuer ma navigation et rentrer à Beauvechain. Je suis donc parti pour mon premier leg avec atterro à Chièvres. La lune brillait et je pouvais la voir très clairement se refléter dans le canal de Condé qui part vers Ath, Saint-Ghislain et la France. A cet endroit, le canal fait vingt kilomètres en ligne droite. Je me suis posé sans problème, on a refait le plein de mon avion et j’ai redécollé pour Beauvechain. Et au moment de passer sur la fréquence de Glons, plus de radio. Que faire ? Je me suis dit que si je faisais demi-tour, je retrouverais immédiatement le canal qui me ramènerait tout droit à Chièvres. Erreur que je n’aurais jamais dû commettre ! Les navigations étant préparées à l’avance, il me suffisait de naviguer au “time and heading”, comme on disait, et je serais revenu à Beauvechain. Mais j’ai paniqué et j’ai fait demi-tour.

Seulement voilà, les nuages étaient sans doute apparus entre-temps et, sans la lumière de la lune, je ne suis plus parvenu à retrouver le canal, ni la base. Que faire maintenant ? J’étais perdu. Je ne pouvais plus poursuivre ma navigation puisque je ne partais plus du bon endroit. J’ai donc évalué un cap vers Bruxelles en me disant que je ne pouvais pas rater ce beau grand point lumineux. La couche nuageuse se trouvait à 3000 pieds environ et les lumières du sol s’y reflétaient facilement. Je courais d’une zone lumineuse à l’autre mais sans jamais trouver Bruxelles. Et, pendant tout ce temps, je continuais à parler à la radio en disant : “Mais espèce de c..., tu vas devoir t’éjecter ! Tu parles d‘une nav’ opérationnelle !” Le carburant diminuait dangereusement et au moment où je pensais que c’était foutu, j’ai vu une autre tache lumineuse : Bruxelles ! J’ai immédiatement regardé sur ma carte et pris un cap au 120 vers la route de Louvain et Tirlemont. Je suis passé en plein dans le circuit de Melsbroek. J’ai survolé Louvain et, avant Tirlemont, j’ai mis le cap sur Beauvechain où je me suis posé. En taxiant vers le hangar et j’ai vu un monde fou qui m’attendait. Je me demandais ce qu’ils me voulaient. En fait, quand j’avais changé de fréquence en quittant Chièvres, le transmetteur s’était bloqué. Moi, je ne pouvais plus entendre mais par contre tout le monde pouvait m’entendre. Donc, pendant les quarante minutes qu’a duré cette navigation, je suis passé d’une fréquence à l’autre en continuant à me traiter de tous les noms et tout le monde m’entendait… J’ai été chaleureusement applaudi !”

La formation peut aussi parfois apporter son lot de surprise.

“On nous avait toujours dit que si on entrait en formation dans les nuages et que l’on perdait son leader, il fallait s’écarter de dix degrés pendant quelques secondes et reprendre un cap parallèle jusqu’à ce que l’on soit à nouveau en visuel. Nous le savions tous mais... Un jour, alors que j’étais encore à Chièvres, nous avons décollé à plusieurs mais pas en formation, one by one. La couche nuageuse n’était qu’à 1000 pieds et quand on était derrière, on essayait toujours de prendre de la vitesse et de venir le plus vite possible se placer en formation. Et ce jour-là, alors que j’étais encore à une quarantaine de mètres de mon leader, il est entré dans les nuages. Pas le choix, j’ai viré de dix degrés et j’ai repris le cap et, tout à coup, dans une toute petite trouée dans les nuages, je l‘ai aperçu, à quelques dizaines de mètres de moi. Je me suis aussitôt dirigé vers lui mais il a replongé dans les nuages et je l’ai encore perdu. Je me suis donc dit que j’allais prendre à nouveau dix degrés mais quand j’ai regardé mes instruments, tout était sens dessus dessous. En fait, j’étais en train de piquer droit vers le sol. Dans les nuages, je ne m’en étais pas rendu compte évidemment. Il a fallu que je stabilise l’avion et que je le reprenne en main. Je ne me suis pas tué mais si j’avais continué cinq ou dix secondes de plus à chercher mon leader, il aurait été trop tard. Il suffit parfois de pas grand chose... Tous les pilotes ont vécu de petites expériences de ce type. En vol, il n’y a pas de routine.

Nous sommes ensuite rentrés à Bierset, avec les pilotes de l’escadrille qui avaient commencé leur conversion sur Meteor alors que nous étions à Chièvres. Je dois dire que pour certains, ça a été beaucoup plus difficile que pour nous. Ils avaient reçu une formation différente sur T-33 pour devenir ensuite chasseurs-bombardiers et j’ai même vu des pilotes brevetés aux Etats-Unis qui ont rejoint ma promotion à Coxyde, qui ont raté leur conversion Meteor alors qu’ils étaient sous-lieutenants aviateurs et qui ont dû quitter la Force Aérienne alors qu‘ils auraient pu être postés à Florennes ou à Kleine-Brogel.

A notre arrivée, le balisage de piste n’était pas encore en place. Nous avons donc fait du vol de nuit avec les “goose necks”, les lampes à pétrole. Comme les mèches de ces lampes faisaient de la fumée, elles étaient placées en fonction du vent à gauche ou à droite de la piste. Au début, c’était impressionnant, surtout avec le Meteor qui n’avait même pas de phare d’atterrissage. Nous nous posions dans le noir le plus complet avec pour seul repère la rangée de “goose necks”. De plus, le Meteor avait des freins pneumatiques et la plupart du temps, à la fin du vol, ils n’étaient plus efficaces. On taxiait donc au moteur. Et quand on était en descente, c’était très embêtant car on ne pouvait plus s’arrêter. On dirigeait l’avion avec les manettes des gaz et on attendait une côte pour pouvoir stoper ! Mais c’était le début des moteurs à réaction. Il ne fallait pas être trop brusque avec la manette sinon on risquait le “flame out”, ce qui arrivait d'ailleurs très souvent en combat aérien. En cas de flame out ou de double flame out, il fallait se mettre en piqué, évacuer tout le kérosène dans le ou les moteurs et rallumer. Et pendant tout ce temps-là, on continuait à se faire attaquer par les autres!

Le Meteor était limité en vitesse à Mach 0.82 et tout ce que nous faisions en formation en altitude, nous le faisions à Mach 0.8. Nous étions toujours au maximum et chaque fois que l’un d’entre nous perdait du terrain par rapport aux autres, il devait redescendre pour prendre de la vitesse et ensuite revenir se mettre en position. C’était un avion extrêmement solide mais très simple. Le Meteor F.4 n’était même pas pressurisé. Quand on montait à 30 000 pieds, on attrapait un ventre énorme !”

En novembre 1957 débute à Bierset la conversion sur Hunter F.4

“Nous avons reçu les Hunter de Beauvechain puisque le 1er Wing passait sur Canuck. Le Hunter était une superbe machine. C’est l’avion que j’ai préféré. Il était vraiment amusant à piloter. On en faisait ce qu’on voulait. Il était limité au point de vue carburant - on ne faisait en général qu’une heure dix de vol - mais pour un intercepteur, c’était suffisant. S’il avait pu avoir des ailes un rien plus fines, il aurait été magnifique. Quand on était plein pot, on volait à Mach 0.95 - 0.96. On sentait vraiment le mur du son mais on ne le passait jamais, sauf en piqué.

Nous faisions déjà sur Hunter des décollages sur alerte, mais uniquement de jour. Les missions de nuit étaient effectuées par les Canuck de Beauvechain. Lors de la crise du canal de Suez, nous étions en alerte, sur Meteor. Les avions n’étaient pas armés mais devaient être prêts. Et nous volions même le week-end. Et je me rappelle même Blume, qui était également à Bierset durant cette période, qui disait : “Eh bien, puisque nous sommes ici à 7 heures du matin, on va réveiller le village.” On décollait à quatre et il faisait du rase-mottes au-dessus des maisons. Puisque nous étions debout, tout le monde devait être debout!

A l’époque, il ne fallait même pas rentrer de plan de vol quand on passait la frontière. Nous allions en France, en Hollande, en Allemagne. On partait de Bierset et on allait attaquer les F-100 Supersabre à Bitburg au moment où ils décollaient. On restait à distance et on les voyait taxier. Au moment où ils s’alignaient sur la piste, on mettait plein pot et on les attaquait au ras du sol. Et tout ça sans même être sur la fréquence de Bitburg. On n’imagine plus ça aujourd’hui. C’était une période magnifique où on faisait ce qu’on voulait. Je me souviens aussi qu’on allait attaquer le Karel Dorman, le porte-avions néerlandais, qui se trouvait à quai dans le port de Rotterdam. On faisait aussi des simulacres d’appontage dessus. On sortait le train, on faisait notre approche et à une dizaine de mètres du pont on remettait les gaz. Tout ça en pleine ville et sans prévenir personne !”

En 1960, la base de Bierset ferme ses portes et Thierry Grisard doit recevoir une nouvelle affectation.

“Tout le monde aurait voulu aller à Chièvres et continuer à voler sur Hunter mais nous ne pouvions pas. Quatre-vingt pour cent des pilotes sont alors partis à Florennes ou à Kleine-Brogel et moi j’ai demandé avec quatre ou cinq autres à aller au Flight de remorquage de Sylt en attendant de voir. C’était le bon choix car je suis resté quatre mois à Sylt avant qu’on ne ferme la base et puis j’ai pu aller à Chièvres, sur Hunter.

Je me suis donc retrouvé à nouveau sur Meteor mais comme à l’époque nous recevions des Meteor pour assurer le remorquage des cibles lorsque l’escadrille partait en campagne de tir, j’avais conservé ma qualification sur l’avion.

Le Flight comptait une dizaine de machines et environ douze pilotes. C’était un poste amusant car entre les périodes de tir, nous volions entre nous. Le remorquage, c’était autre chose. Quand on tire vers vous avec de vrais obus, même inertes, c’est impressionnant. Les avions tireurs ne pouvaient pas être en dessous de dix degrés par rapport à la cible. Les tirs se faisaient entre 250 et 200 yards. Les bons tireurs descendaient jusqu’à 180 yards et même moins. Si les avions étaient trop dans l’axe, on entendait vraiment le bruit des canons et je peux vous dire qu’on se faisait tout petit derrière notre plaque de blindage ! Les appareils du Flight avaient été modifiés pour permettre la fixation du câble. Celui-ci était disposé en zigzag le long de la piste et se tendait lorsqu’on décollait. Dès qu’on était en l’air, on grimpait pour que la cible quitte le plus vite possible le sol. Il ne fallait pas abîmer le poids sinon la "flag" se retrouvait de travers ou se mettait à tourner sur elle-même. On ne remorquait jamais à plus de 180 noeuds. Les attaquants faisaient leurs passes de tir à 350-450 noeuds.

J’ai passé là-bas quatre mois très agréables. Ce n’était pas tout près évidemment mais nous faisions régulièrement le trajet jusqu’à Coxyde pour ramener les avions en maintenance. On rentrait le vendredi soir et on repartait à la base le lundi matin, ce qui nous permettait de passer le week-end à la maison.

Après Sylt, je suis rentré à Chièvres et j‘ai été affecté à la 7e escadrille. J’ai conservé ma qualification comme remorqueur, ce qui m’a permis de participer deux fois aux compétitions de tir à Cazaux. Comme j’étais réserve dans l’équipe de tir, j‘étais aussi “clasheur”.

Dès que nous avions un vol de libre, aussi bien en Meteor qu'en Hunter, nous allions au-dessus des Pyrénées. Mais le Meteor, comme le Hunter, n’avait rien comme instruments de navigation. Le Hunter avait juste un DME qui donnait une distance et un azimuth par rapport à la base. Quand on allait en Meteor de Chièvres jusqu’à Cazaux, on calculait les distances et on faisait Paris - Tours - Cazaux. Dès que nous arrivions sur la fréquence française, ils nous disaient de rappeler telle ou telle balise, ce que nous ne pouvions évidemment pas faire. Alors quand nous estimions que nous étions au-dessus des nuages au-dessus de Paris, par exemple, nous rappelions pour dire que nous étions au-dessus de la balise et on se faisait chahuter parce qu’ils voyaient très bien que ce n’était pas vrai. Et ça se répétait à l’approche de Tours. Nous allions à Solenzara comme ça aussi. La navigation se faisait vraiment à vue.

Comme j’étais bon tireur, j’ai fait partie de l’équipe de tir. J’ai même remporté le trophée du meilleur tireur en 1963 avec un score de 43 % de moyenne, ce qui avec des canons n’était pas mal du tout si l’on considère la dispersion des obus. Nous avions quatre canons de 30 mm sur le Hunter mais en période de tir nous n'en utilisions qu'un. De plus, lors de ces compétitions, que ce soit à Cazaux ou à Leeuwarden, il fallait tirer ses 100 obus en deux rafales. On commençait à 400 yards et on redressait à 200. Le canon était harmonisé à 300 yards. Comme on ne pouvait faire que deux passes de tir, s'il s’enrayait ou que l’une des rafales n’atteignait pas la cible, la moyenne retombait directement. Les passes s’effectuaient à une altitude de 25 000 pieds et il fallait que le "pipper" reste constamment sur la cible sinon on était sûr de ne mettre aucun obus dedans. Inutile de dire que stabiliser sa visée à 450 noeuds entre 400 et 200 yards sur une cible qui évolue à 180 noeuds, ce n’est pas évident. Ça va très vite.

Lorsque j’étais à Chièvres, un nouvel OSN est arrivé à la base. Comme il n’avait jamais volé sur Hunter, il venait chez nous pour apprendre. Et un beau jour, on m’a demandé de faire un vol en formation avec lui. Il faisait “hazy”. Il y avait de la brume, la visibilité était limitée à 1,5 kilomètres et le plafond à 3000 pieds. Je me suis donc dit que pour l’habituer, on décollerait, on ferait un large virage par la gauche pour revenir le long de la piste puis prendre le secteur de montée. Nous avons donc décollé et au moment où nous passions vent arrière, au lieu de rester sur la fréquence d’approche de Chièvres, j'ai fait l'erreur de passer sur Glory, la fréquence de Glons. Alors que j’étais toujours en virage pour prendre l’axe de piste, j’ai aperçu deux Hunter qui fonçaient droit sur moi ! J’ai eu la peur de ma vie. J’ai donné un coup dans le stick pour les éviter et j’ai entendu un grand “boum”. J’en ai vu passer un des deux juste à côté de moi. L’autre, je ne l’ai pas vu. J’avais déjà les mains sur la poignée d’éjection mais l’avion semblait continuer à voler et je l’ai repris en main.

Comme je ne voyais plus mon numéro 2, je l’ai appelé à la radio. Pas de réponse. J’ai alors appelé la base pour leur demander de regarder aux jumelles mon appareil tandis que je passais devant la tour. Ils ne voyaient rien mais ils m’ont envoyé quelqu’un qui faisait sa carte PSV sur T-33. Lorsque l’appareil est arrivé près de moi, le pilote qui était en place arrière, que je connaissais bien, m’a annoncé en riant que je n’avais plus de queue ! J’ai alors consommé un maximum de fuel et je suis revenu me poser. L’avion était complètement tordu et le palonnier ne répondait plus. Il a d’ailleurs été déclassé et a servi pendant un temps de stock de pièces de rechange.

En fait, ce n’est pas le gars d’en face qui m’a percuté mais mon ailier. Au moment où j’ai viré, il a heurté ma dérive avec le bout de son aile. Il a vu passer ma tête à cinquante centimètres de son avion et il a cru qu’il m’avait écrasé dans le cockpit alors que je ne l’avais même pas vu. De plus, comme les antennes radio se trouvaient sous le ventre de l’avion, en me heurtant, il les avait endommagées et était incapable de communiquer. Il a fait une brusque chute de tension mais est parvenu à ramener son appareil. Choqué, il a été immédiatement emmené en ambulance à Bruxelles et n’est revenu à la base que quinze jours plus tard. Quant à moi, je n’avais rien mais la commission d’enquête a déterminé que comme je me trouvais encore à la limite de la CTR de Chièvres, je n’aurais pas dû changer de fréquence. Conclusion, j’ai reçu un endossement rouge et quinze jours d’arrêt de chambre...”

A la fermeture de la base de Chièvres, Thierry Grisard entame sa conversion sur F-104G à Norvenich.

“Je suis parmi les premiers de Chièvres à avoir fait cette conversion en septembre 1963. Quand je suis arrivé à Beauvechain, la 350e escadrille était en pleine formation. Elle ne comptait que huit pilotes et les avions arrivaient au compte-gouttes.

Le 104 était une véritable fusée. Un jour, on m’avait demandé d’aller faire un exercice en France. Je devais décoller de Beauvechain, prendre mon secteur de montée, accélérer à Mach 1.6 et mettre le cap sur Dijon pour me faire intercepter par des Mirage. Et bien, j’ai lâché les freins, j’ai mis le chrono, j'ai grimpé et quatorze minutes plus tard, j’étais à la verticale de Dijon ! Le temps que je passe la frontière, que Dijon donne l’alerte et que les intercepteurs décollent, j’étais déjà sur le chemin du retour. Autant dire que je n’ai jamais vu un seul Mirage français!

J’ai aussi fait partie de l’équipe qui a remporté le Trophée Guynemer en 1965. Le plus impressionnant, c’étaient les interceptions de nuit en supersonique. Nous devions voler à Mach 1.4 et le contrôleur nous amenait sur le target qui faisait Mach 0.9. Ça allait tellement vite que je n’ai jamais aperçu la cible. On l’accrochait sur le radar et quelques secondes après, c’était fini.

Autre anecdote : j’effectuais une navigation de nuit à haute altitude comme on en faisait très souvent. Tout à coup, j’ai détecté sur mon radar un "blip" qui était pile sur ma route et venait droit sur moi. Je me suis dit que j’allais prendre son altitude. Pour cela, il fallait que je focalise mon radar sur lui à l’aide d’un curseur dont la commande se trouvait sur le stick. Une fois accroché, je pourrais voir la position sur mon radar et connaître l'altitude de l’autre avion par rapport à moi. Eh bien, je n’en ai jamais eu le temps. J’évoluais à Mach 0.9, lui aussi probablement et je n’ai jamais réussi à placer mon curseur. Tout est allé si vite que je n’ai même pas pensé à virer pour l’éviter. J’étais comme tétanisé. J’ai fermé les yeux et heureusement rien ne s’est produit!

Utiliser le radar pouvait être amusant. On pouvait par exemple traverser les Alpes rien qu’au radar, sans rien voir. On volait dans les nuages, on calait le radar 2000 pieds plus bas et tout ce qui dépassait apparaissait sur le scope. Si on voyait un obstacle, il nous suffisait de dévier légèrement. Le NASARR était un très bon radar pour l’époque même si, par rapport aux radars actuels, on ne détectait un “blip” qu’à une distance d'environ 18 miles. De nuit, on voyait très bien les fleuves ou les navires. Nous faisions des attaques de bateaux en mer en descendant à 500 pieds au-dessus des flots. Ce radar permettait de faire beaucoup de choses, sauf de l’interception à basse altitude à cause des échos parasites.

Le F-104 était un appareil très stable équipé d’un excellent moteur mais en subsonique il ne valait rien. C’était un avion fusée avec de petits moignons d’aile. Mais par rapport au Meteor et au Hunter, il représentait une évolution magnifique. Certains systèmes étaient très amusants à utiliser. Quand, par exemple, on mettait en route pour effectuer un vol de nuit et qu’on voulait savoir si le système infrarouge fonctionnait - il se matérialisait par une croix bleue sur le viseur optique - un gars allumait une cigarette à cinquante mètres et la faisait bouger. Et la croix suivait. C’était quand même pas mal, à cette distance. Et quand on taxiait, la croix passait d’une lampe de la piste à l’autre. On pouvait aussi décoller rien qu’à l’infrarouge derrière son leader, sans mettre le radar en marche. Le système avait une portée de cinq miles. Il suffisait de le régler sur deux ou trois miles et la croix se lockait sur la tuyère de l’avion qui était devant.”

En 1966, après avoir vécu ce qu’il considère comme l’âge d’or de la Force Aérienne, Thierry Grisard a quitté la chasse. Il a toutefois conservé sa passion du vol puisqu’il a poursuivi pendant vingt ans une carrière d'instructeur dans le civil.


 (1) Chaque élève recevait après chaque vol une feuille verte ou une feuille rouge selon que celui-ci était satisfaisant ou non.


Interview: Vincent Pécriaux (16 janvier 2008)
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs

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