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Carnets de vol: Emile Lemercinier

Carnets de vol: Emile Lemercinier

Carnets de vol: Emile Lemercinier

Pilote de reconnaissance pendant plus d'une décennie sur Mirage avant de passer sur F-16, Emile Lemercinier a fait une entrée en deux temps à la Force Aérienne. Et c'est dans un train qu'il a trouvé sa voie.

"Mon arrivée à la Force Aérienne a été tout à fait fortuite. Un jour, j'étais dans un train et j'ai rencontré un copain avec qui j'avais fait mes humanités. Au cours de la discussion, il m'a dit qu'il s'était présenté à la Force Aérienne mais qu'il avait été refusé à cause d'un problème de vue. Il m’a en outre expliqué la procédure de la sélection des pilotes mais aussi les difficultés de la formation. Toutes ces explications m’ont vraiment enthousiasmé et j’ai compris que cette profession correspondait à mes attentes et à ma personnalité mais aussi qu’elle était "accessible". C'est vrai que j'avais toujours été passionné par l'aviation. Ma famille comptait parmi ses membres un pilote qui avait volé pendant la seconde guerre mondiale et qui avait terminé sa carrière à la SABENA. Pendant toute mon enfance, j'avais été bercé par toutes ses histoires. Tous ces bons souvenirs sont revenus en ma mémoire et j’ai décidé de devenir pilote de chasse. J'ai pris des renseignements complémentaires et je me suis inscrit. J'ai passé et réussi les tests et étonnamment, je ne me suis pas présenté pour faire partie de la promotion 76A car ma copine de l'époque ne souhaitait pas que j’exerce ce dangereux métier. J'ai donc trouvé un emploi de cadre dans une compagnie d'assurance. Parmi mes collègues, deux s’étaient présentés antérieurement à la sélection pour devenir pilote mais avaient échoué. Ils en avaient été fort déçus et ils ne comprenaient pas ma décision.

Quelques mois plus tard, je me suis rendu compte de mon erreur, celle d’avoir renoncé à cette fabuleuse aventure et j'ai décidé de me représenter. Je me suis entraîné pour être au "top" de ma forme et j'ai revu les matières car il fallait que je "cartonne" si je ne voulais pas être refusé. J'ai réussi à nouveau les tests et j’ai pu convaincre les officiers en charge de l’interview que mon désistement précédent n’était pas un manque de motivation mais un "aveuglement amoureux". Ma franchise leur a plu et j’ai été retenu pour la promotion 78B.

En octobre 78, nous nous sommes retrouvés à une quarantaine à la caserne de Brustem pour la formation militaire de base. Trois autres élèves-pilotes de la promotion précédente ont rejoint notre promotion. Ils avaient raté l’examen d’anglais. Il faut dire que le niveau demandé était élevé surtout pour ceux qui n’en avaient jamais fait. Les journées alternaient cours au sol, drill, tir, sport ..... C’était varié et très intéressant. Après ces trois mois intensifs, nous avons rejoint la base de Gossoncourt pour l’écolage en vol au début de l’année 1979.

Nous étions la première promotion à passer directement de Marchetti vers Alpha Jet. Le programme était donc différent des promotions précédentes. Cent cinquante heures de vol dont trente en solo étaient prévues au programme en plus des cours au sol.

Dès notre arrivée, nous avons remarqué que la mentalité était différente de celle de Brustem. Ici, il y avait peu d’espace pour la "rigolade". Que ce soit pour les cours au sol comme pour les vols, il fallait être au sommet de sa forme. C’était d’autant plus difficile que nous dormions dans des chambres communes et qu’il y avait beaucoup de "virages" [1] . Certaines nuits, il était impossible de dormir et le lendemain, il fallait participer aux cours ou voler. Les résultats s’en faisaient ressentir et beaucoup de candidats ont abandonné.

Cela dit, il y avait une très bonne ambiance dans la promotion et tous les soirs à l’étude, on s’entraidait pour arriver tous au niveau. Par contre pour le vol, on était livré à soi-même et à son moniteur. Au début, j’ai rencontré certaines difficultés notamment pour la phase d’atterrissage puis le déclic s’est produit et grâce aux talents et à la perspicacité de mes moniteurs, j’ai pu surmonter toutes les difficultés et ainsi réussir toutes les phases de la formation. De plus de quarante élèves-pilotes en début de formation, nous n’étions plus qu’une quinzaine pour terminer Gossoncourt.

Malgré les difficultés, je me souviens de grands moments. Le premier vol, j’étais émerveillé de découvrir la Terre vue de haut, mais à côté de moi, mon instructeur s’énervait car je n’étais pas attentif à ses explications. J’ai compris après quelques heures que nous n’étions pas là pour faire du tourisme. Les vols qui suivirent furent empreints de plus de rigueur de ma part. L’autre grosse émotion fut le "solo secteur" pendant lequel vous partez seul pendant une heure dans le secteur pour faire de l’acrobatie. Dans ce programme était prévue une mise en vrille suivie de la récupération. Avec un moniteur à côté, tout va toujours très bien mais quand on seul, j’avoue avoir eu quelques anxiétés avant de déclencher cette première vrille.

Le Marchetti était une superbe petite machine. Il était rapide, il avait de la réponse, il permettait de faire de l'acrobatie et d’accomplir toutes les disciplines de vol. Il avait un bon potentiel et beaucoup d'atouts. Si je devais me faire plaisir aujourd'hui, c'est certainement sur Marchetti que j'irais voler."

La promotion 78B gagne ensuite Brustem pour entamer sa formation sur Alpha Jet.

"A Saint-Trond, l'ambiance a changé du tout au tout. Nous avions le grade d’adjudant et donc moins de contraintes "militaires". Le confort était meilleur, nous étions dans des chambres de deux et nous avions accès au mess des officiers. De plus nous pouvions "sortir" de la caserne quand nous le souhaitions. Certains de mes collègues disaient volontiers qu’on se sentait comme au "Club Med".

Vu le nouveau programme, nous sommes arrivés directement à la 11e escadrille sans passer par la 7e. Nous avons eu la chance de tomber sur des instructeurs qui étaient de vrais gentlemen et des pilotes très compétents ayant beaucoup d’expérience sur avions d’arme (Mirage ou F-104). Ces moniteurs aimaient leur profession et cela se ressentait partout, que ce soit au cours au sol où on apprenait les aspects opérationnels de ce métier, en vol où ils partageaient avec nous leur amour du métier et in fine au bar où toutes leurs "war stories" illuminaient les soirées parfois bien arrosées.

Le seul bémol dans cet océan de quiétude était le simulateur. En effet, c’était la première fois que la Force Aérienne s’équipait d’un instrument de formation aussi sophistiqué. Le programme établi était très sélectif et il fallait satisfaire aux exigences du "simu" avant de pouvoir prétendre monter dans l’avion. Tous les instruments de bord, les check-lists et procédures étaient mémorisés à l’aide de ce simulateur. De plus, toutes les phases de vol y étaient d’abord apprises. Comme nous étions la première promotion à passer de Marchetti vers Alpha Jet, nous étions sous surveillance. Cela ne veut pas dire que les instructeurs étaient plus tolérants, mais il y avait beaucoup de visites de l’état major. Vu le caractère très innovant de ce simulateur, nous avons même eu le privilège d’accueillir Sa Majesté le Roi Baudouin au sein de l’escadrille. La sélection était importante et certains élèves-pilotes se sont fait "recaler" au simulateur et n’ont jamais pu voler ce superbe avion. C’est dommage car il nous procurait de fabuleuses sensations.

Les disciplines à couvrir étaient similaires à celles déjà abordées mais avec le facteur vitesse et autonomie en plus. Cela impliquait une plus grande rapidité pour tout effectuer à l’intérieur du cockpit. Il y avait bien sûr beaucoup de nouveaux contenus et éléments à apprendre, comme le tir et le largage de bombes. Pour ça, nous sommes allés en Corse. Ce sont deux semaines pendant lesquelles on apprend vraiment le métier de pilote de chasse.

C'est en Corse également que nous avons effectué notre première survie. C'était une période très instructive."

Après la remise des ailes et la fin de la formation vient la transformation sur avion d'arme.

"Au début de l’année 1981, la base de Beauvechain était déjà en pleine conversion F-16, il n’y avait donc plus de possibilités pour les francophones de voler sur F-104. Beaucoup d’entre nous furent donc postés à Bierset pour une conversion sur Mirage 5. Mais comme la piste de Bierset était en travaux, nous n'y avons suivi que les cours au sol. Toute la partie vol s'est faite à Kleine-Brogel. Nous y sommes restés six mois et ce fut une expérience enrichissante tant du point de vue opérationnel qu’humain. Le sol bémol au niveau vol fut la période de tir que nous avons dû effectuer à KB plutôt qu’à Solenzara. L’ambiance et le temps ne sont pas identiques dans le Limbourg et en Corse. Vu les trajets, nous ne travaillions qu’un jour sur deux et nous faisions du "car-pooling" aussi bien entre pilotes fraîchement diplômés qu’entre moniteurs ; cela avait un très bon impact sur l’ambiance.

J’ai ensuite eu mon posting pour Florennes avec trois autres pilotes, deux furent envoyés directement à la 2e escadrille, tandis qu’un autre et moi-même étions postés à la 42e escadrille. La mission principale de la 42 consistait à faire des vols de reconnaissance. La plupart de ces missions se réalisaient "seul". Peut-être était-ce dû à mon caractère assez individualiste mais je me suis tout de suite senti très bien à la 42. C'était pourtant une escadrille où il y avait beaucoup d'anciens et Il y avait une certaine discipline, il fallait vouvoyer l’Ops, tous les flight co, les pilotes plus anciens etc. Pour l'anecdote, le jour de mon arrivée, j’ai rencontré le commandant Materne, qui était ARLO (air liaison officer) à l'escadrille mais qui était aussi mon voisin et un ami. Donc, je l'appelais Raymond. Le fait qu'un jeune sous-lieutenant tutoie l'ARLO dérangeait certaines personnes.

Néanmoins, la vie en escadrille était très agréable même s’il y avait parfois des aspects beaucoup plus militaires que ceux que j'avais connus à l'entraînement."

Le métier de pilote de reconnaissance nécessite en outre une parfaite connaissance des matériels amis et ennemis.

"La journée commençait par le briefing au groupe de vol. Venait ensuite un briefing très "recce" à l’escadrille suivi pour les "nouveaux" d’un costaud briefing d’initiation à la reconnaissance. Ces briefings au sein de l’escadrille étaient donnés par les IP’s (interprétateurs photos) les ARLO’s ou par les officiers INT. Nous devions connaître tout le matériel militaire OTAN et WP (Warsaw Pact) ; les ponts et les bâtiments militaires étaient étudiés sous toutes les coutures ainsi que toutes les antennes et autres éléments de communication. Puis, sur des clichés aériens, en voyant une roue ou une antenne, nous devions être capables d'identifier le matériel auquel elle appartenait. A la longue, nous nous étions habitués à reconnaître n’importe quoi d'un simple coup d'œil. Mais ce n'était pas si évident que cela et pour devenir pilote opérationnel, il fallait entre un et deux ans.

La 42 était une grosse escadrille et nous avions de très bonnes relations avec tout le personnel. Cela favorisait l'esprit d'escadrille et c’était bien utile dans des exercices nationaux et internationaux. Cette relation choquait parfois les pilotes étrangers car l'escadrille comptait des officiers et des sous-officiers et lorsque nous organisions des festivités, nous étions tous ensemble. Nous allions régulièrement déjeuner chez les mécanos. Il existait une véritable convivialité entre nous et nous prenions les avions en toute confiance.

La plupart de nos missions se déroulaient en Allemagne et, suivant la météo, nous allions soit au nord au centre ou au sud. Si le temps était vraiment mauvais sur tout le territoire allemand, nous volions en France ou aux Pays-Bas. Suivant la localisation des "targets", on faisait tout à basse altitude et s'il fallait aller plus loin, on choisissait le "profil low-low-high" moins gourmand en carburant. Pour les très longues missions, on volait parfois avec les deux bidons de 1700 litres sous les ailes plus un bidon ventral. Cela nous donnait un peu plus d’autonomie.

Nous volions la plupart du temps à basse altitude. A l'époque, les navigations se faisaient à 420 nœuds mais on attaquait encore des objectifs à 510 nœuds ! Dans les zones de very low level, on était limité à 250 pieds mais on volait généralement encore plus bas. Et personne ne se plaignait. Et si par hasard, c'était le cas, nous étions couverts, même par le ministre. Je me rappelle que le ministre de la Défense de l'époque (Monsieur Vreven) avait pris notre défense face à certaines plaintes et il avait précisé que les pilotes devaient s'entraîner et que notre survie dépendait de notre aptitude à voler très bas.

La France était le paradis de la navigation, il y avait de très grandes zones non peuplées et très peu de radars, nous pouvions dès lors voler très bas. La seule restriction, c'est que nous devions exécuter la mission à deux avions ou en biplace.

Au début des années 80, le Mirage n’était pas équipé de système de contre-mesures électroniques. Puis, petit à petit, tous les Mirage furent équipés du rapport II. Ce système fonctionnait vraiment bien. Il était tout à fait intégré et entièrement automatique. C'était vraiment le top de la technologie de l'époque. Le système lançait non seulement automatiquement ses chaffs et ses flares mais il générait même de faux échos aux radars adverses grâce à des programmes qui avaient été développés par l'équipe de guerre électronique d'Evère. C'était fabuleux. Ce système était vraiment très efficace et facile à utiliser et permettait au pilote de se concentrer totalement sur sa mission. Son développement prit beaucoup de temps, mais les résultats furent exceptionnels.

Les caméras "Vinten" qui équipaient les Mirage V BR étaient vraiment remarquables. Les focales étaient très performantes et donnaient d'excellents résultats, même à plus de 500 nœuds. L'avion pouvait être configuré avec différentes optiques et la panoramique faisait vraiment un boulot remarquable. Nous utilisions aussi le Cyclope [2] , un achat que je qualifierais de malheureux car le système était trop fragile. Il nécessitait une relation vitesse-altitude constante, qui était pratiquement impossible à réaliser. Conserver la même vitesse ne posait pas de problème mais conserver l'altitude en fonction du terrain, c'était autre chose. Et donc l'imagerie ne donnait pas de bons résultats. Finalement, nous avons peu volé avec ce système.

Un an après mon arrivée à Florennes, en 1982-1983, sont apparues les premières restrictions en heures de vol et suite à l’étude approfondie des abaques du "dash one" Mirage, on a découvert que la meilleure configuration pour consommer moins était de voler uniquement avec le bidon ventral. C'était exact mais cela rendait l'avion instable et peu confortable à voler. L’avantage est qu’en volant de la sorte, nous avons pu gagner quelques heures de vol.

Etonnamment, nous allions beaucoup à l'étranger. Norvège, Grèce, Turquie, nous étions très souvent partis. Je n'ai jamais autant voyagé à l'étranger qu'en Mirage. Toutes les semaines, il y avait des missions à l'étranger. C'était très stimulant de découvrir d’autres pays. Les missions étaient super bien préparées car nous devions utiliser des routes et des airways que nous n’avions pas l’habitude de fréquenter et pour lesquels le Mirage n’était pas équipé. Il fallait obtenir des clearances diplomatiques des autorités qui épluchaient les plans de vol avec beaucoup de rigueur.

Quand les problèmes de survol de l’Allemagne à basse altitude sont survenus, l’état major a trouvé une solution pour combler cette restriction : Nous sommes allés nous entraîner au Maroc. Plusieurs avions et pilotes de chaque escadrille étaient déployés à Meknès et nous exécutions nos missions principalement au dessus du désert. C’était un nouvel environnement, mais la variété des reliefs était très intéressante.

Au début il y avait deux ou trois vols de familiarisation. Ensuite, on effectuait les vols opérationnels proprement dits. C’était très grisant même si les scénarios devenaient de plus en plus complexes. Le fait de retrouver beaucoup de pilotes de toutes les escadrilles rendait les vols et les briefings très riches. L’ambiance sur la base de Meknès et à l’hôtel était exceptionnelle.

Nous nous rendions également en Corse pour des campagnes de tir mais aussi pour la survie. Les périodes de tir duraient deux semaines et il fallait se qualifier dans toutes les disciplines. Les vols n’étaient pas trop compliqués, mais les résultats n’étaient pas toujours ceux escomptés. Le viseur de tir du Mirage V montrait beaucoup de lacunes et les scores s’en ressentaient. Heureusement, grâce à l’ambiance, les déceptions étaient prises avec philosophie."

En dépit des qualités de sa machine et de ses compétences, le pilote de combat doit également pouvoir compter sur une certaine part de chance dans certaines situations critiques.

"A l'époque, le taux d'attrition était assez élevé et il y avait beaucoup de "crashes", que ce soit pour des raisons techniques ou des raisons humaines.

Mon premier crash a eu lieu le 03 juillet 1985, sur le BD 06. Je volais avec Jean-Jacques Dewael. Au retour de Fürstenfeldbruck où nous avions fait du vol aux instruments pour renouveler ma carte IFR, pendant la phase d'approche, Jean-Jacques a simulé une panne d'huile. A partir de ce moment, la régulation automatique ne fonctionnait plus et il fallait utiliser un vérin électrique à la place de la manette des gaz pour augmenter ou diminuer la puissance. Arrivé en "palier", j'ai vu que le moteur ne poussait pas et j'ai mis les gaz à 100 % mais rien ne s'est passé. J'ai réalisé que Jean-Jacques avait simulé une panne d’huile, ce que je lui ai dit. Comme j’avais remarqué la panne, Jean-Jacques a voulu l’annuler. Malheureusement, malgré le fait que le système automatique se soit remis en marche, d’autres paramètres avaient été faussés et le moteur ne donnait plus la puissance demandée. Evaluer le problème ne fut pas facile car tous les paramètres du moteur étaient bons ; flux de carburant, température, etc. En fait, nous nous trouvions en "extinction riche". Nous avons commencé à perdre de l'altitude et à un moment donné, nous sommes passés entre les poteaux d'éclairage de la nationale 5. Quand Jean-Jacques a crié "Bail out", je n’ai pas hésité pour m’éjecter. La dernière vision que j’ai eue est celle de son siège s’armant devant moi avant de quitter l’avion. Ensuite, je me suis évanoui à cause des G. Quand je suis revenu à moi, j'étais encore assis sur mon paquetage de survie. Nous nous étions éjectés tellement bas que la séquence n'avait pas pu se faire complètement. J'ai eu une chance incroyable mais Jean-Jacques, qui était parti quelques fractions de secondes après moi, a eu les jambes brisées par son siège. Nous étions tous les deux vivants, mais comme Jean-Jacques était blessé aux jambes et ne pouvait pas bouger, nous sommes restés tous les deux là au milieu des champs, à quelques mètres de l'avion d’où s’échappait beaucoup de fumée. La scène était surréaliste. Nous avons attendu les secours en fumant quelques cigarettes. Les pompiers, l’ambulance et le chef de corps, le Col. Avi Bosman, sont arrivés sur place quelques longues minutes plus tard. Ils étaient suivis par des journalistes à qui j’ai pu parler et expliquer les circonstances du crash.

Ensuite, il a fallu répondre aux questions de la commission d'enquête, souffler dans le ballon puis je suis revenu à l’escadrille où tous les collègues du 2e wing étaient présents pour fêter cette double éjection "heureuse".

Jean-Jacques, lui, est resté quelques semaines à l'hôpital où il fut remarquablement soigné à tel point qu’il a pu revoler sur F-16 et même devenir pilote démo.

Deux ans plus tard, le 6 mars 1987, je survolais la région de Namur à bord du BR 20, quand j'ai eu un problème "moteur". Après avoir exécuté en vain les procédures d’urgence, j'ai dirigé mon avion vers une carrière du côté de Boninne (sud de Namur) et je me suis éjecté. Mon avion s’est crashé derrière un lotissement et je suis tombé dans un arbre derrière une propriété dont les habitants ont eu une grosse frayeur. Sans attendre, ils m’ont proposé leur aide. Heureusement, je n’avais ni blessure ni égratignure, mais le dos avait de nouveau "encaissé" beaucoup de G. (J’en garde toujours quelques douleurs). Mon parachute était accroché assez haut dans les arbres et je ne pouvais pas descendre. Très vite, étonnamment, les pompiers sont arrivés au pied de l’arbre avec une échelle et ils m’ont aidé à enlever mon harnais et à retrouver le "plancher des vaches". En fait, il y avait ce jour-là une manifestation à Namur et des équipes de pompiers, de policiers et de journalistes étaient en stand-by dans les environs. Les policiers ne savaient pas trop l’attitude à adopter dans ce cas mais comme je connaissais à présent la "procédure", je leur ai suggéré d'établir un périmètre de sécurité car mon avion était armé et qu'il y avait un risque d'explosion. Quelques minutes plus tard, les munitions explosaient sans aucun danger. Ensuite, j’ai pris l’initiative d’expliquer aux journalistes présents les circonstances de ce nouveau "crash"."

La série aurait pu s'arrêter là mais un dernier incident attend encore Emile Lemercinier.

"Suite au crash d’un avion au-dessus de l'Allemagne provoqué par la perte d’un bidon, l’Etat-major à décidé d’équiper les Mirage d’un système de largage automatique des bidons. Le système "auto-drop" détectait électriquement la présence des deux bidons. Si un bidon tombait, automatiquement l’autre tombait également. C’était une bonne idée, mais le système avait ses faiblesses et au fil des années, il y avait des pertes intempestives de bidons. On en a perdu des dizaines comme ça. La perte la plus médiatisée fut celle au-dessus d’une usine de voitures où quelques dizaines de véhicules furent endommagés. Tout ce qu'on espérait, c'est que ça n'arrive pas au décollage. Et, évidemment, ça m'est arrivé.

Je décollais de Bierset et alors que j’étais en pleine accélération, je me suis retrouvé "airborne" plus tôt que prévu. Mon ailier, le lieutenant J. Saive, qui me suivait de sept secondes s'est trouvé face à une boule de feu qu’il a dû traverser.

En fait, mes bidons s’étaient détachés de la voilure et avaient explosé sur et à côté de la piste. Plus question évidemment d’effectuer la mission prévue car je n’avais plus assez de carburant. De plus, l’avion de mon ailier avait avalé plein de FOD (limaille et autres débris) et avait des fluctuations "moteur" inquiétantes. Nous nous sommes alors dirigés vers les Ardennes pour vidanger les réservoirs puis nous sommes allés nous poser à Brustem. Après l'atterrissage, on a constaté que tout l'avant du moteur de son avion était laminé et marqué par de nombreuses traces des morceaux de métal qu'il avait avalés."

Le 6 janvier 1991, les Mirages du 3e Wing sont déployés en Turquie dans le cadre de l'AMF. Cette fois, il ne s'agit pas d'un exercice.

"La 8e escadrille connaissait les déploiements AMF en Turquie mais ici c’était dans le cadre de l’opération "Desert storm" et ce n’était plus un exercice. Comme il n'y avait plus assez de personnel à la 8e escadrille, les pilotes de la 42e ont également été envoyés à Diyarbakir. Nous faisions des tournantes de plus ou moins un mois et nous étions prêts à toute éventualité. Nous étions présents avec toute une panoplie de bombes et de missiles. Les missiles que nous possédions n’étaient pas très sophistiqués mais ils étaient assez dissuasifs. Les canons étaient armés également.

Nous avons surtout fait des vols au-dessus de la Turquie, sans armement air-sol, car nous ne pouvions pas traverser la frontière irakienne. Seule, une incursion irakienne en Turquie nous aurait donné l’autorisation d’intervenir en Irak. Au niveau du renseignement, nous étions bien au courant de ce qui se passait. Il y avait tous les jours un officier de la mission planning qui nous briefait sur la situation globale de la "coalition" et sur l’évolution de la guerre au sol et dans les airs. Tout se passait pour le mieux mais il existait cependant une certaine tension. En effet, nous n’étions pas vraiment bienvenus dans ce fief kurde. Face aux menaces d'attentat, la sécurité était renforcée et les contrôles assez fréquents surtout quand nous prenions le bus pour aller de l’hôtel à la base aérienne et vice-versa. En tous les cas, il y a eu une très bonne collaboration avec le personnel turc. Finalement, cette expérience fut très enrichissante."

Après un Taceval où la 42 obtint un "rate ONE" exceptionnel, Emile Lemercinier quitte Bierset et la recce en mars 1992 pour faire sa conversion sur F-16.

"J'avais introduit ma demande pour voler sur F-16 dès 1988 mais j'ai dû faire deux tours d'ops à la 42 avant d'entamer finalement ma conversion à Beauvechain. Je pense qu'il aurait été préférable que je la fasse plus tôt. Cet avion était "rempli" d'électronique, ce à quoi je n'avais jamais été habitué. L’avion était relativement facile à voler mais avant de le faire voler, il fallait "loader" plein de paramètres dans les différents ordinateurs. Si tout avait été bien encodé, le vol se déroulait sans problème. Dans le cas contraire, on galérait pendant tout le vol. Par après, les pilotes ont pu utiliser des "cartridges" qui contenaient tous les paramètres du vol. Elles étaient préparées par le personnel de la mission planning et il suffisait de les glisser dans l’orifice prévu à cet effet. Il ne restait plus qu’à en vérifier l’exactitude.

Après ma conversion, j'ai été affecté à Florennes au « B » flight pour une conversion "chasse-bombe". Ma mutation vers la 1ère escadrille a eu lieu en janvier 93. Tout était différent de ce que j’avais connu précédemment. L’infrastructure était toute nouvelle et performante, la maintenance était centralisée, il y avait donc moins de contacts avec les "mécanos", et les pilotes étaient plus jeunes. On ne jouait plus aux cartes et on passait plus de temps dans les bouquins. Il faut dire que le "dash one" changeait tout le temps et c’était pareil pour le radar, il fallait sans cesse revoir les amendements. La plus grande nouveauté pour tout le monde était le "air-air refueling". C’était très impressionnant de se trouver en-dessous de ces énormes "tankers" où il valait mieux ne pas être nerveux. C’était d’autant plus stressant quand vous étiez à cours de carburant et que l’air-refueling était votre seule chance de ne pas devoir se dérouter.

Nous avons été désignés pour participer au Red Flag 95-4. C'était la première fois que nous partions au Red Flag en escadrille. Comme il y avait quelques pilotes qui n'avaient pas encore beaucoup d'expérience, nous nous sommes rendus au Maroc pour nous préparer à effectuer des missions complexes à basse altitude tout en manipulant le système d'armes et le radar. Ce fut une période très intéressante où on savoure le fait de voler un avion sophistiqué sans le "stress" de se perdre.

Au Red Flag, le cursus était très rigoureux et toutes les missions étaient préparées avec beaucoup de minutie. Il fallait penser à tout et chaque phase de vol était une "épreuve". Il y avait plus de vingt avions offensifs, des chasseurs-bombardiers, une douzaine de chasseurs pour les protéger et de l'autre côté, les "Aggressors". On pouvait compter sur le support de l’AWACS et sur les avions ravitailleurs. Tout ça demandait une énorme organisation et les préparations étaient très lourdes. On se rendait à l'avion une heure à l'avance car s'il tombait en panne, on pouvait encore prendre le "spare". Comme il faisait très chaud, il fallait faire tout à l'aise. Tout était calculé pour ne pas devoir courir. Nous devions partir avec des pochettes d’eau pour nous hydrater correctement.

Nous larguions des bombes réelles sur des vrais objectifs (tanks, camions, bâtiments, ...) situés dans un range qui avait la taille des provinces de Namur et du Luxembourg réunies ! C'était incroyable. Par rapport aux missions d'entraînement habituelles, nous nous retrouvions avec sous les ailes ces bombes de 250 ou 500 kg et personne ne prenait la chose à la légère. Nous étions d'ailleurs bien contents de pouvoir nous en débarrasser, d'autant que nous n'avions pas envie de revenir nous poser avec ces bombes tant c’était dangereux pour tout le monde."

Emile Lemercinier a terminé sa carrière à la Force Aérienne en 1998, après être resté deux ans et demi au TLP.

"Je suis devenu instructeur au TLP dans la branche Academics. Ce fut un choix personnel mais j'ignorais à l'époque que je ne pourrais plus voler. Et cela m'a beaucoup manqué. Je pensais encore pouvoir voler sur Marchetti. C'était le cas de mon prédécesseur mais en raison d'une nouvelle loi, je suis devenu "non flying pilot". Certes, j'ai encore eu l'occasion de voler sur Mirage 2000 ou en F-16 biplace au TLP mais ce n'était plus la même chose. Cette privation a induit chez moi l’envie de réussir mon "TP" et voler dans le civil dès mon temps à la force aérienne terminé.

Au TLP, nous devions organiser des cours, des conférences et imaginer des scénarios en fonction des participants. J’avoue que parfois j’ai dû "potasser" pas mal d’ouvrages référentiels pour connaître les capacités des avions sur lesquels volaient les participants et pouvoir les intégrer dans nos scénarios. Le plus difficile fut d’intégrer deux B-52 dans un cours.

Quand je vois les informations internationales actuelles, je suis agréablement surpris de constater que ce que nous imaginions à l’époque est d’actualité aujourd’hui. Le TLP est une structure autonome de l’OTAN financée par les nations participantes. Nous avions beaucoup d’autonomie tout en étant peu contrôlés. Le personnel engagé en son sein était composé de gens très compétents et très motivés. Pendant les cours, nous ne comptions pas les heures ; il fallait que le travail soit fait et bien fait. En dehors des cours, il fallait bien sûr préparer les cours suivants mais la pression était moins forte et on en profitait pour améliorer le "social". A ce moment, je retrouvai l’ambiance de Florennes que j’avais connue au début de ma carrière.

Le premier jour de mon engagement en 1978, un commandant aviateur en charge des élèves-pilotes nous a annoncé que le métier que nous avions choisi était le plus beau du monde. Sur le moment, j’ai trouvé cette déclaration stupide et peu nuancée. Après vingt années passées à la Force Aérienne, je dois admettre finalement qu’il avait raison."


[1] Action menée par des élèves de promotions antérieures qui consistait à mettre tout sans dessus-dessous dans les chambres
[2] Nacelle de reconnaissance infrarouge


Interview : V. Pécriaux (19 mars 2011)
Mise en page: Daniel De Wispelaere


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