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Carnets de vol: Frans Boerewaart

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Carnets de vol: Frans Boerewaart

Originaire de Temse, Frans Boerewaart fait son entrée à la Force Aérienne après avoir effectué ses 21 mois de service militaire.

"Je me suis engagé en novembre 1952. J'ai d'abord passé quelques semaines à Gossoncourt et en décembre, je suis parti à Wevelgem où s'effectuait la sélection pour les élèves-pilotes destinés à suivre leur formation aux Etats-Unis. Ceux qui se portaient volontaires subissaient ensuite des tests pour voir s'ils répondaient aux critères de sélection. La formation en vol comptait une vingtaine d'heures de Tiger Moth. Je suis arrivé aux Etats-Unis le 17 mars 1953 et j'ai été versé dans la Class 54L.Nous étions vingt Belges mais la class comptait des pilotes qui venaient d'un peu partout dans le monde, comme des Français, des Hollandais, des Norvégiens, des Turcs ou même des Colombiens, des Mexicains et des Thaïlandais. J'ai débarqué à Lackland où se donnaient des cours d'anglais et d'autres cours préparatoires avant que débute la formation proprement dite. Tout a bien marché pour moi, au point que j'ai été dispensé des cours d'anglais de base. Les cours d'anglais technique et de droit américain étaient par contre obligatoires pour tous.Nous avons ensuite été répartis dans cinq différentes bases pour y suivre nos premiers cours de pilotage. Mon entraînement au vol a débuté en juin à Spence, en Géorgie. Nous avons commencé par 25 heures de Piper Cub suivies de 125 heures sur T-6 au cours desquelles nous avons appris le vol en formation, la navigation, l'acrobatie, le vol de nuit, etc.Selon les termes du MDAP, l'instruction de base était confiée contractuellement à des écoles civiles, sous la surveillance d'un détachement militaire, bien entendu. Les moniteurs étaient souvent d'anciens militaires mais tous les tests étaient passés avec des pilotes militaires de l'USAF.

Nous menions une vie à l'américaine. Par exemple, des séjours étaient organisés dans des familles de la région. Les familles qui le souhaitaient pouvaient demander à accueillir un élève-pilote pendant le week-end. Il suffisait alors de s'inscrire. Le samedi midi – car on travaillait encore le samedi matin – le parking près de l'entrée de la base était rempli de voitures. Les familles qui avaient été averties qu'elles pourraient recevoir un élève-pilote brandissait une pancarte avec notre nom. Et pendant un week-end nous vivions comme eux, nous allions au cinéma, au restaurant, à la piscine... Et le dimanche soir, ils nous reconduisaient à la base. C'était intéressant car cela nous permettait de pratiquer l'anglais et les familles, de leur côté, appréciaient de rencontrer quelqu'un qui n'était pas Américain.Je me rappelle aussi que j'avais une voiture. L'obtention du permis était très facile, il suffisait de se rendre au commissariat de police. Un policier prenait place dans la voiture et nous demandait de faire le tour du quartier. De retour au commissariat, après s'être garé en marche arrière sous l'œil vigilant du policier, on recevait son permis !Cette partie de la formation s'est très bien passée. Il faut dire que le temps était excellent. Notre seule restriction de vol concernait le survol des Everglades, pour des raisons de sécurité car en cas de problème, il aurait été difficile de nous localiser et de nous secourir.

"Fin 1953, changement de base et cap sur Webb AFB, au Texas."

Ça a été plus dur pour moi car nous étions trois Belges seulement et que mes deux camarades ont été assez rapidement éliminés. Je me suis donc retrouvé seul Belge pour cette phase de l'entraînement sur T-28, un avion particulièrement lourd mais très stable à l'atterrissage. Le cockpit était un véritable salon. Nous avons effectué une trentaine d'heures sur cet avion avant de passer sur T-33 pour le reste de la formation, avec au final les ailes, que j'ai obtenues le 24 juin 1954. Pour l'anecdote, après avoir reçu mes ailes, j'ai fait l'objet d'une erreur administrative et j'ai été désigné pour partir en Corée. Ils s'en sont évidemment rendu compte.

Webb AFB, se situait dans une région désertique du nord du Texas. Comme le disait un slogan là-bas : au nord il n'y a rien, à l'est il n'y a rien, au sud il n'y a rien et à l'ouest il y a un cactus...Après la remise des ailes, nous avons fait nos bagages pour Laughlin AFB, dans le sud du Texas, près de la frontière mexicaine. Nous y sommes restés cinq ou six semaines pour notre formation "gunnery", l'apprentissage du tir et du bombardement. Nous volions toujours sur des T-33 armés de mitrailleuses. A proximité de la base se trouvaient plusieurs champs de tir où nous attaquions de vieux camions."

L'étape suivante pour Frans Boerewaart et ses jeunes collègues, c'est Luke AFB, en Arizona.

"La base était immense. Il y avait d'ailleurs des navettes de bus entre le dispersal et les parkings car nos avions se trouvaient parfois à 500 ou 600 mètres. Après quelques vols de familiarisation sur T-33, nous sommes passés sur F-84E Thunderjet. Nous étions là pour faire du bombardement en piqué et du bombardement à basse altitude. Nous tirions à balles réelles ainsi qu'avec des bombes sur des véhicules déclassés disposés en colonnes ou regroupés. Ces véhicules attiraient également les convoitises et des gens venaient récupérer la nuit des pièces sur les champs de tir. Cette pratique était tolérée mais chaque matin, un avion venait faire quelques passes pour avertir qu'une demi-heure plus tard les tirs réels allaient commencer.La prise en main du F-84E était assez rapide après le T-33, qui lui n'était pas si facile que ça à poser. Il fallait veiller à bien atterrir sur les deux roues du train principal. Si on avait le malheur de toucher trop vite sur la roue avant, il commençait à rebondir alternativement sur le train avant et le train principal. Le Thunderjet se cabrait plus et la roue de nez restait donc plus haut lors du toucher des roues.Il faisait très chaud dans cette région. Le briefing était donné à 5 heures du matin. On volait jusque midi ou midi et demi et parfois encore à partir de 18 heures jusqu'au crépuscule. Pendant les heures les plus chaudes, les techniciens ne parvenaient pas à travailler sur les avions brûlants et les ravitailler en carburant représentait également un danger. L'autre problème, c'étaient les "dust storms", les tempêtes de sable. Quand on en annonçait une, tout le monde était mis à contribution pour bâcher les avions car la poussière rentrait vraiment partout.Un jour, il y a eu un incident avec un pilote turc. Il volait dans une formation de quatre avions et moi dans une autre. Nous étions sur la même fréquence radio et tout d'un coup, nous avons entendu : "Turkish officer on fire, Turkish officer bailing out". Et effectivement, nous l'avons aperçu qui s'éjectait de son appareil en feu. Mais, un peu plus loin dans une autre formation qui se rendait sur un autre objectif, il y avait un autre pilote turc qui a entendu ce message, qui pris ça pour un ordre et qui s'est lui aussi éjecté alors que son avion était en parfait état de vol ! L'histoire a dû faire le tour du monde à l'époque.Le trafic était intense et chaque formation avait un "slot" pour rentrer dans le circuit. Si pour l'une ou l'autre raison ce n'était pas possible, il fallait quitter le circuit et attendre plus loin des instructions, ce qui rallongeait parfois de beaucoup le temps de la mission. L'autre image que je garde de cette période, c'est la quantité de F-84F alignés sur les parkings. Ces avions ne volaient plus. Ils étaient en attente de réparation. Nous passions devant en rentrant au parking. Il y en avait des centaines."

C'est enfin le retour en Belgique pour les pilotes de la 54L. Frans Boerewaart et dix autres jeunes pilotes sont postés à Bierset, au 9e Wing.

"Je suis arrivé à la 26e escadrille, qui était équipée de F-84G. Le G était un peu plus puissant que le E. Nous avons fait d'abord quelques vols sur T-33 pour reconnaître la région, puis un ou deux vols sur Thunderjet avec un chase pilot. C'est au cours de son premier vol sur F-84G que Flor Vanderpooten a eu son accident. Le vent était contraire et en finale il a dévié de l'axe de la piste. Plutôt que d'overshooter, il a serré son virage. Son avion s'est mis en perte de vitesse et il s'est écrasé sur l'infirmerie de la base. Il y a eu 13 tués. Inutile de dire que nous étions tous sous le choc !

Le vol était différent de ce que nous avions fait auparavant. Je me rappelle notamment que je n'avais jamais traversé de nuages. Aux Etats-Unis, c'est simple, il n'y en avait pas. Je me concentrais sur mes instruments et il m'a fallu quelques vols pour m'habituer et acquérir les réflexes nécessaires. Du point de vue de la navigation, les choses allaient plus vite aussi. Il y avait beaucoup plus de petits villages, des rivières, des ponts alors qu'en Amérique, il n'y avait que des plaines désertiques. Au Texas, le vol de nuit, par exemple, se faisait toujours à moyenne altitude, entre 9000 et 10 000 pieds et quand vous aviez décollé, vous pouviez déjà voir votre target. C'était généralement une petite ville éclairée, la seule de la région, et la visibilité était illimitée. En Belgique, ça pouvait être plus compliqué mais, bon, comme on dit, un pilote n'est jamais perdu, il est juste temporairement désorienté... Il était toujours possible de retrouver un point de repère pour retrouver la base.Le Thunderjet était un avion qui ne présentait pas trop de difficultés. Je me souviens que pendant que j'étais à Bierset, nous avons été limités en altitude à cause d'un problème d'approvisionnement en oxygène. Nous ne pouvions pas dépasser les 15 000 pieds.C'était une bonne plate-forme de tir. Nous allions à Sylt, à la frontière danoise, en campagne de tir air-air. Nous tirions sur des "flags" tractées par des Meteor du Towing Flight.

Nous faisions aussi du vol de nuit. Nous terminions généralement vers minuit mais je me rappelle qu'une fois, pour assurer le programme, nous avons prolongé les vols plus tard. Et le lendemain, matin, l'état-major a reçu plusieurs coups de téléphone de personnes qui se plaignaient que les avions avaient volé jusqu'à 1 heure 30. Informé, le chef de corps a dit à son adjoint de dire aux gens qu'à cette heure là ils devaient dormir et pas écouter les avions..."En 1956, Frans Boerewaart quitte Bierset pour Gossoncourt où il devient instructeur. Il n'a alors que 25 ans."La 26e escadrille a été dissoute et les pilotes ont été répartis dans différentes unités. J'ai été affecté à Kamina pour y suivre trois ou quatre mois de cours moniteur au FFM [1] . J'ai ensuite été désigné pour Gossoncourt, sur SV4. J'y suis resté jusqu'en 1958 avant d'aller suivre pendant un an des cours à Coxyde, à l'EFOA [2] , en vue de passer du statut d'officier auxiliaire à celui d'officier de carrière.Ensuite, j'ai été muté à Kleine-Brogel, à la 27e escadrille, l'OTU [3] , parce que j'avais un brevet de moniteur. Le passage sur F-84F Thunderstreak a été assez facile, un ou deux vols escortés, pas plus. L'escadrille comptait une quinzaine de moniteurs et formait tous les pilotes qui venaient d'avoir leurs ailes à Brustem et qui étaient désignés pour les escadrilles de chasseurs-bombardiers. La formation prévoyait du tir et du bombardement, au napalm notamment. Nous allions nous entraîner à Pampa Range. Les bidons de napalm n'étaient pas entièrement remplis mais les explosions étaient déjà très impressionnantes. On effectuait aussi des décollages JATO, un Mach run pour montrer aux pilotes ce que c'était. L'avion était transsonique et il fallait piquer à trente ou quarante degrés pour passer le mur du son. Cela n'était pas particulièrement impressionnant et on ne s'en rendait compte qu'en regardant l'indicateur de vitesse. Le programme des vols était assez soutenu, surtout au début du programme. On faisait en sorte que les pilotes qui avaient fait leur premier vol le matin fassent le second dès l'après-midi, par exemple.

Nous avions parfois des instructeurs américains à l'escadrille et un jour, un de ces pilotes devait prendre en charge un major qui devait effectuer sa conversion sur F-84F avant de partir pour Florennes. A l'issue de son premier vol, l'instructeur lui a reproché d'y être allé un peu fort lors en finale, au risque de mettre son avion en perte de vitesse. Le major s'est alors employé à lui démontrer au tableau, courbes à l'appui, qu'aérodynamiquement l'avion était tout à fait capable de supporter une telle manœuvre et qu'il n'y avait pas de danger. L'Américain l'a écouté attentivement, puis il lui a dit : "Major, you are perfectly right but the aircraft does not know anything about aerodynamics! " [4]

Quand la 27e escadrille a été dissoute, je suis devenu Ops and Training au groupe de vol pendant un peu plus d'un an puis, plus tard, Ops officer à la 23e escadrille.La 23e était une escadrille opérationnelle qui s'entraînait notamment pour des missions strike. Nous étions en plein cœur de la guerre froide et deux avions armés chacun d'une bombe atomique étaient en permanence en stand-by. Les entraînements aux tirs LABS [5] s'effectuaient sur le champ de tir de Vlieland, aux Pays-Bas. Ce champ de tir se trouvait en bord de mer et au retour d'un de ces entraînements, je suis entré en collision avec une mouette qui a pénétré dans l'entrée d'air du moteur. L'impact a détaché une petite plaque métallique qui est venue se coller dans l'entrée d'air, entraînant une hausse de température dans le moteur. Heureusement, les grilles de protection du réacteur étaient en place – c'était obligatoire au-dessus de ce champ de tir – et elles l'on arrêté. Lorsqu'elles étaient déployées, les grilles limitaient la puissance moteur. J'ai réduit les gaz à 85%, je crois, pour éviter que la température du moteur grimpe trop. Finalement, tout s'est bien terminé et j'ai pu ramener l'avion et me poser sur un autre terrain."Après une année passée à l'Etat-Major, Frans Boerewaart reprend contact avec le monde de l'entraînement."En 1966, j'ai été repris comme commandant de la deuxième escadrille Fouga à Brustem. C'était une escadrille belgo-néerlandaise. Il y avait un officier de liaison hollandais et la moitié des élèves étaient aussi Hollandais. Il y avait aussi quelques moniteurs hollandais mais ils prenaient en charge tant des Belges que des Hollandais, les instructeurs belges faisaient d'ailleurs la même chose.

Le Fouga était un excellent avion, peut-être même un peu trop facile. Son seul problème, c'était son endurance. Nous allions au tir à Solenzara, et en Fouga il fallait faire trois étapes. On faisait un premier arrêt à Dijon, puis nous allions à Salon-de-Provence avant de faire la traversée vers la Corse. Nous emmenions une dizaine d'avions. Certains élèves nous rejoignaient avec l'équipe technique, en C-119.Il y avait deux ou trois promotions par an et chaque promotion effectuait sa période de tir, à la fois air-air et air-sol. Avec ses mitrailleuses dans le nez, le Fouga tirait assez juste et il possédait un viseur tout à fait correct et bien adapté à l'avion."Passé major, Frans Boerewaart change à nouveau d'affectation."J'ai été désigné pour le service des relations publiques, VS1-IRP. Ce service était plus interne qu'externe. Nous nous occupions notamment de la revue de la Force Aérienne. Il y avait bien entendu des conférences de presse avec les journalistes mais l'armée fonctionnait plus en vase clos à l'époque. J'y suis resté une petite année avant de passer au SID, le service d'information de la Défense, qui était beaucoup plus tourné vers la presse. Le travail n'était pas toujours évident et il fallait peser ses mots. De plus, le ministre de l'époque, Paul Vanden Boeynants, insistait, lorsqu'il voyait une critique dans la presse, pour qu'il y ait un droit de réponse de la même longueur et à la même place dans le journal, ce qui n'était pas toujours facile.Après plus de quatre années au SID, je voulais réintégrer une unité volante. C'est alors que s'est ouvert le poste de commandant du groupe de vol à Brustem. Nous étions en 1978, quelques temps avant l'arrivée de l'Alpha jet, ce qui m'a permis de faire quelques vols sur la machine. Je suis resté OSN pendant deux ans environ avant d'être désigné comme chef de corps au CRC Glons. Le travail était intéressant mais tout à fait différent de ce que fait habituellement un aviateur.A cette époque, il y a eu des observations d'OVNI au-dessus de la Belgique et on nous a sollicités plusieurs fois mais, objectivement, je ne me rappelle pas que nous ayons fait des observations non explicables. Nos interventions pouvaient être demandées ou commandées. Je me souviens d'un petit avion de tourisme qui s'était perdu dans la région de Spa et qui n'arrivait plus à retrouver l'aérodrome. Nous avons envoyé un Marchetti qui se trouvait dans la région pour le guider et finalement, il s'est posé à Bierset. Les alertes commandées résultaient souvent de la perte de contact radio avec un avion de ligne, par exemple. On faisait décoller des avions car on ne savait pas si cet avion était ou non en difficulté. Finalement, cette période s'est bien passée. Nous avons même obtenu un Rate One de l'OTAN."

Frans Boerewaart est resté Glons jusqu'en 1980 avant de devenir Sous-chef d'Etat-Major au Groupement Instruction, fonction dans laquelle il termina sa carrière en 1983.


[1] Flight de Formation Moniteurs
[2] Ecole de Formation des Officiers d'Active
[3] Operational Training Unit
[4] Major, vous avez tout à fait raison mais cet avion n'y connaît rien en aérodynamique !
[5] Low Altitude Bombing System


Interview : V. Pécriaux (9 octobre 2010)
Mise en page : D. De Wispelaere


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