• Accueil
  • Carnets de vol: Jean Fleisheuer

Carnets de vol: Jean Fleisheuer

Carnets de vol: Jean Fleisheuer

Carnets de vol: Jean Fleisheuer

Jean Fleisheuer entre à la Force Aérienne en décembre 1967. Après sa formation de base et l'apprentissage du vol sur SV-4 à l'Ecole de pilotage élémentaire de Gossoncourt, il passe sur Fouga Magister à l'Ecole de pilotage avancé de Brustem avant de gagner Twenthe aux Pays-Bas où l'attend le T-33.

"La formation se faisait en commun avec les Néerlandais et on voyait qu'il existait une certaine rivalité entre instructeurs et élèves des deux pays. Chaque élève belge avait son moniteur belge attitré mais volait parfois aussi avec un moniteur néerlandais qui en profitait pour "taper" un peu dessus. Les moniteurs belges ne se privaient pas de faire la même chose avec les élèves hollandais d'ailleurs.

Pour nous, le T-33 était presque un avion de chasse. C'était un jet dérivé du Shooting Star, un des premiers chasseurs qui avait fait la Corée. C'était donc un avion qui avait une certaine prestance. Déjà, il fallait prendre une échelle pour entrer dans le cockpit alors que pour monter dans le Fouga il suffisait de passer la jambe. Il était plus difficile à taxier aussi car la roue de nez avait parfois tendance à se mettre de travers. Il était très différent du Fouga. Il était moins stable et allait beaucoup plus haut, beaucoup plus vite. Je me souviens de la première fois où je suis monté à plus de 30 000 pieds, ce qu'on n'arrivait pas à faire avec un Fouga, et où j'ai vu clairement le changement de la couleur du ciel. La formation se déroulait essentiellement au-dessus des Pays-Bas et de l'Allemagne et comprenait des vols en formation, de la navigation ou encore du vol sans visibilité avec le cockpit recouvert d'une bâche… y compris sur les taxiways !

Par rapport aux avions français, le cockpit des avions américains était très spacieux. C'était notamment le cas de celui du T-33. Quant à celui du F-84F c'était carrément une baignoire. Il fallait presque se "déstraper'"pour régler ses instruments. Sur Mirage, par contre, on se retrouvait serré dans le cockpit. On pourrait dire en caricaturant que les Américains construisaient un avion autour du pilote tandis que les Français construisaient d'abord un avion et se demandaient ensuite où ils allaient mettre le pilote. Sur F-84F on pouvait pratiquement prendre son sandwich et le manger dans l'avion alors qu'en Mirage on était vraiment à l'étroit dans le cockpit mais on faisait plus corps avec l'avion. La conception était totalement différente.

Après Twenthe, je suis parti pour Florennes où j'ai fait partie de la première promotion qui a fait l'O.C.C., l'Operational Conversion Course, pour passer sur F-84F. C'était en 1970. La formation durait trois quatre mois avant l'intégration en escadrille. Elle comprenait notamment du vol de nuit, l'utilisation de l'armement, etc.

Avant le premier vol, on faisait un taxi avec le moniteur car l'avion n'était pas facile à manœuvrer au sol et puis, le lendemain, on partait en solo, avec le moniteur dans son aile qui donnait ses conseils à la radio. Et puis voilà, on mettait le gaz à fond et on se retrouvait en l'air aux commandes d'un avion qui, pour les jeunes pilotes que nous étions, était énorme et très impressionnant avec son imposante entrée d'air et son aile en flèche. C'était fou de se dire : " Je vais monter là-dedans alors que je n'ai même pas une heure de double commande !". C'était une vraie bête cet avion. Ce qui était incroyable c'était les moniteurs. Ils restaient tout le temps dans notre aile et étaient capables de dire exactement ce qu'on était en train de faire dans le cockpit, c'est comme s'ils étaient avec nous dans l'avion.

Puis après, il fallait encore atterrir. Parce que ce n'était pas tout de décoller et d'aller faire un tour mais il fallait bien se poser ensuite, avec cet avion lourd qui avait tendance à tanguer. L'atterrissage se faisait toujours avec le moniteur dans notre aile pour nous guider. Et ça y était, on l'avait fait et on ne demandait qu'une seule chose c'était de pouvoir repartir.

Je n'ai connu que la fin des F-84F puisque je n'ai fait que 200 heures sur cet appareil mais c'était une période fantastique que je n'aurais pas voulu rater. Le Streak était un avion de première génération, lourd et lent. Il fallait se battre pour le garder en l'air, il fallait jouer constamment avec le moteur. Mais on avait le sentiment d'être entouré par cet appareil. C'était vraiment très spécial. Je me rappelle en tous cas avoir fait quelques décollages JATO car il restait encore des stocks de fusées qu'il fallait écouler et que ça faisait partie de la formation. Le plus surprenant, c'est quand les fusées s'arrêtaient. L'avion semblait s'arrêter lui aussi du fait de la perte de puissance. On refaisait alors un tour de terrain pour venir larguer les fusées au-dessus de la base car en temps de paix il n'était pas question de les droper dans la nature. Ce passage consommait pratiquement le carburant supplémentaire emporté qui justifiait l'emport des JATO !

On volait beaucoup. Il y avait encore à l'époque des white cards, des green cards, des master green cards qui indiquaient les différents niveaux de qualification. Ceux qui étaient les plus qualifiés volaient le plus alors que celui qui avait une white card ne volait pas dès que les conditions météo se détérioraient. Quoi qu'il en soit, la moyenne était quand même de 200 à 220 heures par an.

Nos missions consistaient à faire du bombardement. On s'entraînait principalement à Helctheren où on faisait du "skip bombing" avec de petites bombes, du tir de roquettes de 5 pouces, du tir canon, du largage de napalm. Je me rappelle qu'on descendait jusqu'à 35 pieds pour larguer nos bombes mais il faut dire que l'avion ne volait qu'à 350-360 nœuds en vitesse de croisière alors qu'en Mirage on passait déjà à 420 nœuds. On entrait dans une autre catégorie.

Le Mirage était aussi un avion très particulier. Il ne faut pas oublier que pour nous c'était l'avion avec lequel les Israéliens avaient abattu de nombreux Mig durant la Guerre des six jours.

Ce qui m'a d'abord impressionné c'est que lors de mon premier ou deuxième vol je me suis retrouvé avec mon moniteur à Mach 2.2 à 40 000 pieds. Mais le plus impressionnant c'étaient les possibilités de cet avion. Je me suis un jour retrouvé avec un autre pilote à 600 nœuds et à 50 pieds d'altitude - c'était lors d'un Tactical Air Meet – tout en continuant à suivre ma route en consultant ma carte. Au début, je pensais que ce n'était pas possible… mais c'était possible car le Mirage était un avion qui le permettait. Le plus incroyable c'était de se dire au retour que finalement c'était tranquille.

La 2ème escadrille, dont je faisais partie, a été la première convertie sur Mirage. Nous sommes passés par groupe par le flight de conversion implanté à Florennes qui allait donner naissance à la 8ème escadrille. La conversion a été très bien organisée, chaque groupe comprenant des pilotes chevronnés et d'autres moins expérimentés. Pendant un temps, une partie de l'escadrille a continué à voler sur F-84 alors que l'autre était déjà sur Mirage. La 1ère, elle, fut la dernière à voler sur Streak.

Il y avait une certaine rivalité entre escadrilles à l'époque et, à part quelques exercices, on n'effectuait pas de missions en commun. D'ailleurs, au niveau exercice OTAN, la 2e faisait partie de l'AMF Nord (1) et devait être déployée en cas de problème dans le Nord, en Norvège par exemple, tandis que la 1ère faisait partie de l'AMF Sud et devait se déployer en Grèce ou en Turquie. Il n'y avait donc pas vraiment de point commun entre les escadrilles. C'était assez marqué.

La 1ère a ensuite quitté Florennes où est venue s'installer la 42ème escadrille pour être à son tour convertie sur Mirage 5BR. Je suis resté à la 2ème jusqu'en 1974 avant de passer à la 42. La mission était totalement différente mais tout aussi intéressante, surtout en Mirage. Le côté reconnaissance tactique à basse altitude m'a beaucoup plu. On volait tout seul, très bas, très vite et on avait beaucoup de possibilités d'initiatives. De plus, l'avion permettait beaucoup de choses.

En recce, il nous arrivait de décoller avec deux bidons de 1 700 litres et un de 1 300 litres, ce qui fait qu'on dépassait la masse maximum au décollage et donc les limites prévues par le constructeur. Mais il est vrai que la piste de Florennes était suffisamment longue même si parfois c'était quand même un peu limite. On enclenchait la postcombustion avant de lâcher les freins pour gagner un maximum de puissance, au risque d'éclater un pneu. Il fallait lever plus rapidement le nez de l'avion car la vitesse de rotation prévue dans ce cas excédait la vitesse roulement tolérée par la roue avant et on risquait là aussi un éclatement du pneu.

Le Mirage 5BR était une bonne plate-forme de reconnaissance mais j'aurai peut-être une restriction. C'était un avion peut-être un peu trop rapide pour la reconnaissance au premier échelon – c'est-à-dire au niveau du champ de bataille. Par contre, au niveau du deuxième échelon – pour la reconnaissance de concentrations de troupes par exemple – il était petit, maniable et donc relativement peu repérable et il permettait au pilote de voir un certain nombre de choses et de faire des rapports visuels précis. Chaque fois que nous avons été en échange d'escadrilles avec d'autres unités de reconnaissance, les résultats ont été là pour le confirmer. Ce n'était pas seulement lié à l'avion mais aussi aux interprétateurs photo, au MFPU ou encore aux pilotes, qui en général osaient plus que les pilotes étrangers. Et c'était valable pour les autres escadrilles belges également, comme par exemple celles de K.B. Au Tactical Air Meet de 1978, il fallait voir le boulot qu'ils faisaient avec leurs F-104. Ils damaient régulièrement le pion aux Phantom et aux Tornado.

Dans ces missions, le Mirage se défendait très bien face aux chasseurs. Mais je pense que là aussi c'était le résultat d'une combinaison entre les performances de l'avion et la formation des pilotes. Le pilote Mirage était capable à 420 nœuds de repérer un objectif et de rapporter ses observations. La qualité de la formation des pilotes belges qui ont cet esprit indiscipliné mais toujours pour la bonne cause faisait que la Force Aérienne était très souven sollicitée. C'est ce sens de l'initiative qui fait la différence, même contre des avions comme le F-15.

Le Mirage était particulièrement performant entre Mach 0.9 et Mach 1.2 vers les 10 000-12 000 pieds et à basse altitude où il perdait beaucoup de vitesse mais restait très maniable. La seule chose qu'on aurait pu lui reprocher c'est son manque de puissance moteur par rapport à la traînée générée par sa configuration en delta. Il fallait veiller à toujours maintenir un niveau d'énergie suffisant. Une fois qu'on avait compris ça, il n'y avait aucun problème."

Après un passage par le QG Commandement TAF (2) et un retour au Wing Ops à Florennnes, Jean Fleisheuer a pris sa retraite de la Force Aérienne en 1991.


(1) Allied Command Europe Mobile Force
(2) Tactical Air Force


Interview : Vincent Pécriaux (20 septembre 2005)
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


Copyright (c) belairmil

We use cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site web. Certains d’entre eux sont essentiels au fonctionnement du site et d’autres nous aident à améliorer ce site et l’expérience utilisateur (cookies traceurs). Vous pouvez décider vous-même si vous autorisez ou non ces cookies. Merci de noter que, si vous les rejetez, vous risquez de ne pas pouvoir utiliser l’ensemble des fonctionnalités du site.