• Accueil
  • Carnets de vol: Luc Van den Haute

Carnets de vol: Luc Van den Haute

Carnets de vol

Carnets de vol: Luc Van den Haute

À la fin de ses études, Luc Van den Haute envisage une carrière de pilote dans le civil.

"En 1967, je passais des examens pour obtenir la licence de pilote de ligne. À l'époque, la SABENA disposait d'une école à Grimbergen où elle formait ses pilotes sur des Tiger Moth. J'avais réussi les examens d'entrée, qui étaient vraiment d'un niveau équivalent à un niveau universitaire, mais par la suite, j'en ai raté un... pour deux petits points. Les examinateurs étaient désolés mais me conseillaient de représenter l'examen d'entrée. Comme j'avais commencé à voler à Grimbergen et que j'étais bien coté, je savais que je n'avais aucun problème en vol. J'avais d'ailleurs été très vite lâché. J'ai donc décliné cette offre et je me suis inscrit comme candidat-pilote à la Force Aérienne."

Luc Van den Haute intègre ainsi la promotion 68C et entame bientôt sa formation au sein de l'Ecole de Pilotage Élémentaire de Gossoncourt.

"J'ai réussi tous les tests, notamment les examens médicaux, qui étaient très poussés. Sur les nonante candidats inscrits au départ, nous nous n'étions plus qu'une quarantaine après les tests psychotechniques, médicaux et sportifs. Nous avons d'abord suivi une première formation militaire à Brustem avant de partir à Gossoncourt pour apprendre à voler.

J'ai commencé ma formation en vol en juin 1968. Notre premier avion était le SV-4. C'était un biplan un peu comparable au Tiger Moth mais, contrairement à lui, ses ailes n'étaient pas munies de slats et il était beaucoup plus maniable. Le SV était un avion agréable mais il n'était pas facile à piloter selon les critères de nos moniteurs, dont certains avaient encore fait la guerre dans la RAF. Ils nous faisaient faire de l'acrobatie en formation et, inutile de dire qu'à la fin de ces vols, nos combinaisons étaient trempées ! Après avoir été lâchés solo, nous avons commencé les vols en formation - ce qui n'était pas évident sur SV-4 - et à faire de la voltige, de la navigation, etc. Nous faisions aussi du vol aux instruments sous une capote qui nous empêchait de voir quoi que ce soit à l'extérieur. Je me souviens lors d'un test de vol aux instruments que le moniteur avait pris les commandes et avait retourné l'avion dans tous les sens avant de me dire : "OK, tu as les commandes." L'avion était évidemment dans une position d'où il fallait sortir, en stall ou en vrille, par exemple. Heureusement, cela ne m'a pas posé de problème et j'ai réussi ce test. Cette partie de la formation a été assez rapide, j'ai effectué en tout 32 heures en doubles commandes et 18 heures en solo.

Après Gossoncourt, nous sommes passés sur Fouga Magister à Brustem, où nous avons été rejoints par des élèves hollandais. Les élèves belges et hollandais étaient mélangés et nous pouvions tout aussi bien avoir un moniteur belge qu'hollandais. Chaque moniteur avait quatre élèves mais s'il était absent ou en congé, on pouvait très bien voler avec un autre moniteur.

Par rapport au SV avec son hélice à pas fixe et son moteur de 140 chevaux, le pilotage devenait bien plus exigent. Le Fouga était un bimoteur à réaction, plus puissant, même si les deux moteurs offraient moins de poussée que ceux des Fouga français, ce qui constituait un handicap. Nous avons commencé par du vol général, puis par du vol en formation - qui devenait plus sérieux car nous volions souvent à quatre avions - et de l'acro en formation. Il faut dire que les Diables Rouges à l'époque étaient tous moniteurs sur Fouga et cela nous motivait à réussir. Rappelons aussi qu'à la base, tous les élèves-pilotes étaient formés pour devenir des pilotes de chasse. Et sur Fouga déjà, on sentait bien si l'élève était fait pour ça ou non. Notre initiation comprenait d'ailleurs des missions de tir et de bombardement sur le champ de tir de Pampa Range à Helchteren. Le Fouga pouvait être armé de deux mitrailleuses dans le nez et pouvait également tirer des roquettes et larguer des bombes d'exercice. Pour le tir air-sol, nous tirions sur des cibles qui faisaient quatre mètres sur quatre. Nous commencions à tirer à 400 mètres et nous faisions notre ressource à 150 mètres. La période sur Fouga a été plus longue car j'ai fait 88 heures en double, 286 heures en solo et 4 heures 20 en doubles commandes et 8 heures 5 en solo de nuit."

Après Brustem, la promotion de Luc Van den Haute quitte la Belgique pour la base de Twenthe, aux Pays-Bas, où l'attendent les T-33.

"Contrairement au Fouga, le T-33 était équipé d'un siège éjectable. Nous avons d'ailleurs reçu un entraînement chez les paras qui nous avaient appris à utiliser un parachute. C'est là que nous avons effectué nos premiers sauts d'entraînement du haut d'une tour. Le siège du T-33 disposait de deux 'armrests' (accoudoirs) que nous pouvions relever pour plus de confort. Mais quand on les relevait, cela armait la gâchette du système d'éjection. Et si l'on tirait sur cette gâchette, la verrière partait et le siège suivait !

Le T-33 était un dérivé du F-80 Shooting Star, un chasseur qui avait combattu en Corée. C'était un avion qui préfigurait bien les avions de combat sur lesquels nous devrions voler ensuite. Il était vraiment plaisant à piloter. Son cockpit était bien plus large. Il était plus lourd, plus rapide. Au taxi, il fallait faire attention de ne pas bloquer la roue de nez qui était libre mais qui avait un débattement de quasiment 90 degrés.

Nous naviguions autant aux Pays-Bas qu'en Belgique. Un jour, je faisais une navigation à basse altitude et en passant la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas, j'ai changé de fréquence radio. C'est ce moment-là que j'ai entendu un pilote belge qui rentrait en Belgique et qui parlait avec un contrôleur. Ça a attiré mon attention et à un moment donné, j'ai vu devant moi un point qui grandissait rapidement. J'ai juste eu le temps de faire une barrique et l'autre avion est passé juste en dessous de moi ! Et il ne m'a jamais vu. Nous venions face à face à un bon 350 nœuds chacun. Il s'en est fallu de peu. Le problème, c'est qu'à l'époque, les militaires volaient beaucoup à très basse altitude et que les radars ne les voyaient pas. En Ardenne, il y avait des low level routes où l'on pouvait descendre à 300 pieds, mais nous volions souvent plus bas que ça.

Le 3 avril 1970, à la fin de notre formation à Twenthe, nous avons reçu nos ailes. Nous n'étions plus que 15.

Normalement, nous aurions dû passer sur F-84F à Eindhoven mais cette partie de la formation a été supprimée. Les Hollandais sont restés aux Pays-Bas et nous sommes rentrés en Belgique, à Florennes où nous avons suivi un Operational Conversion Course (OCC) sur F-84F. C'est là que nous avons appris à voler sur le Streak, qui était bien plus facile à voler qu'un T-33 d'ailleurs. Mais comme il n'y avait pas de version biplace, les essais de roulage se faisaient cockpit ouvert avec l'instructeur sur l'aile qui regardait ce que vous faisiez. Pour la formation en vol, l'instructeur était dans un autre avion et restait dans votre aile en vous donnant les instructions par radio. J'ai pour ma part fait mon premier vol sur Streak sur le FU-160, le 28 avril 1970. Le point noir du Streak, c'était la radio, qui était installée dans un compartiment sur le dos de l'avion et qui manifestement n'était pas suffisamment refroidi. Parfois, on se retrouvait sans communications avec personne. Il fallait alors directement rentrer à la base.

La conversion a été rapide et quand nous avons eu toutes nos qualifications, nous avons été envoyés en escadrille. Et je me suis retrouvé à la 2e.

Nous faisions évidemment beaucoup de tir et de bombardement, ce qui m'a encore donné l'occasion de lâcher quelques bombes au napalm sur de vieux chars dispersés sur le range. Ensuite, il y avait les missions de navigation, dont certaines que l'on appelait 'beer barrel' qui nous amenaient le long de la frontière avec l'Allemagne de l'Est, où nous avions des objectifs désignés. Lors de ces vols, nous étions très contrôlés par les radars car il n'était pas question de franchir le Rideau de fer.

Je n'ai jamais passé le mur du son sur F. D'abord parce que cela demandait un avion 'clean', sans bidons, ce qui réduisait énormément son autonomie et ensuite, parce que les Mirage arrivaient et que donc cela ne valait plus vraiment la peine. Sur Mirage, nous faisions des vols supersoniques en biplace avec un instructeur. Nous décollions de Florennes et nous grimpions jusqu'à la tropopause, là où le rendement du moteur est optimal. Quand nous arrivions au-dessus de Bitburg, nous virions en direction du TACAN de Florennes et nous demandions à Belga Radar l'autorisation de passer en supersonique. Nous mettions alors la manette des gaz à fond jusqu'à atteindre Mach 2. Il ne nous fallait pas plus de 2 minutes 30 pour nous retrouver à la verticale de Florennes. Nous tirions alors 5 ou 6 G en montée pour faire tomber la vitesse en subsonique et les contrôleurs de Florennes nous ramenaient pour un full stop landing. Il nous restait environ 15 minutes de carburant, juste de quoi permettre une diversion si nous ne pouvions pas nous poser à Florennes.

J'ai fait ma conversion au sein du premier OCC, en avril 1971. Passer du F au Mirage, c'était comme passer d'un camion à une voiture de sport, taillée pour la vitesse. Malheureusement, cet avion, qui avait été conçu pour être un chasseur, avait été transformé en chasseur-bombardier. Il n'avait pas de radar dans le nez, juste un lest de 150 kilos.

Nous faisions donc beaucoup de bombardement et de tir air-sol, notamment lors de campagnes de tir à Solenzara. Le champ de tir se trouvait près de la base. Pour larguer les bombes, on descendait jusqu'à 100 pieds. On reprenait ensuite de l'altitude pour faire un nouveau passage et tirer nos roquettes. Là, on plongeait à 40 degrés. Il fallait rapidement faire sa ressource et surtout ne pas dépasser la 'foul line', le point à partir duquel on ne pouvait plus tirer. Les dernières passes étaient des passes canons, sous un angle beaucoup plus faible, de 12 degrés si je me souviens bien. Ça n'a l'air de rien, mais quand on part de 2000 ou 3000 pieds, on arrive vite très bas. Et on ne passait pas très haut au-dessus des cibles. Il y a d'ailleurs eu des avions qui ont été touchés par des cailloux projetés par les obus ! Ce à quoi il fallait faire très attention, c'était la 'target fascination'. Certains étaient tellement concentrés sur la cible qu'ils en oubliaient d'effectuer leur ressource. Inutile de dire qu'il y en a qui se sont fait très peur !

La particularité de l'avion était que ses deux canons de 30 mm étaient positionnés en dessous des entrées d'air. Et quand on tirait, on perdait environ cinq pour cent de régime moteur. Dès que le tir s'arrêtait, le moteur retrouvait son régime initial. C'est pourquoi, avant de tirer, on actionnait une manette qui allumait les bougies d'allumage. Comme ça, si le moteur coupait, comme les pompes à carburant débitaient toujours, il était possible de le rallumer plus rapidement.

Pour les passes de tir, nous venions à quatre avions. Pour trois d'entre eux, les obus avaient été colorés. Ils laissaient une trace sur la cible, ce qui permettait de déterminer le nombre de coups au but. Tirer avec les obus non colorés pouvait avoir des avantages, car même si on faisait un mauvais tir, les cailloux projetés par le tir pouvaient trouer la toile. Cela donnait parfois des résultats supérieurs au nombre d'obus tirés... C'était amusant."

Les missions de navigation font également partie intégrante du métier de pilote de chasseur-bombardier. Et certaines sont parfois plus mémorables que d'autres.

"Un jour, nous étions en navigation à quatre Mirage en France et, à un moment, nous sommes passés en formation serrée sous le pont de Tancarville. Cela ne posait pas vraiment de problème car le pont était haut mais, à notre retour, nous avons été appelés chez le colonel qui nous a demandé si nous avions fait une navigation en France et si nous étions passés sous ce fameux pont. Il y en a malheureusement un qui a dit oui et le leader de la formation a été viré de l'armée ! Quant à nous, nous avons toujours dit que nous n'avions rien vu car nous étions trop occupés à garder notre position dans l'aile du leader... Il faut dire que comme le Mirage était un avion à aile delta, nous pouvions évoluer en formation très serrée et qu'il fallait réagir très vite aux actions du leader pour tenir la formation.

L'avion se pilotait sans problème mais les choses devenaient plus délicates lorsqu'on arrivait en finale pour se poser. On venait au break à 300 nœuds, on cassait la vitesse dans le virage, moteur au ralenti. On se présentait alors en finale à une vitesse de 170-180 nœuds, mais il fallait alors remettre du moteur pour éviter de mettre l'appareil en perte de vitesse. Ce qu'on sentait très fort, c'est qu'à basse vitesse lorsqu'il était en fort cabré, il créait une trainée énorme. Et en Mirage, le nez ne basculait pas vers le bas, c'est tout l'avion qui s'enfonçait. Il fallait être très vigilant et toujours avoir un œil sur la vitesse car une fois qu'elle diminuait, elle diminuait vite !

Nous faisions aussi de l'acro en formation serrée. C'était délicat car la distance entre les avions était parfois d'un mètre à peine. Et le slot, qui était dans la box, devait éviter le flux du réacteur du leader. Quand il était bien en position, il le sentait dans la queue. Mais comme le Mirage avait une aile basse, le flux ne passait jamais sur l'aile. C'était différent sur des appareils à aile haute, comme l'Alpha Jet. Et là, ça pouvait secouer. Et sur les avions qui avaient le plan de profondeur sur le dessus de la dérive, comme le F-104, c'était encore pire.

J'ai fait environ 300 heures de vol sur Mirage. Mon dernier vol a eu lieu le 21 décembre 1972. J'aimais bien cet avion. Ce qui me plaisait avant tout, c'était le vol, et beaucoup moins les tâches administratives à effectuer en plus à l'escadrille. C'est pourquoi, quand on a lancé un appel pour des moniteurs, je me suis porté volontaire."

Luc Van den Haute retrouve ainsi Gossoncourt où les SV4 ont entre-temps fait place aux Marchetti.

"J'ai d'abord suivi une formation de moniteur pour pouvoir apprendre ce métier.

Chaque moniteur prenait en charge quatre élèves. On effectuait donc quatre vols sur une demi-journée car le reste du temps était consacré aux cours au sol. C'étaient des vols de maximum une heure et il n'y avait donc pas de temps à perdre. À la fin d'un vol avec un élève, on rentrait au parking, on laissait le moteur tourner et l'élève suivant prenait directement place pour effectuer son vol. Ces vols étaient évidemment suivis d'un débriefing. Les cours au sol étaient donnés par des spécialistes, pas toujours des pilotes d'ailleurs.

En plus de cela, nous devions voler avec des pilotes visiteurs, généralement des officiers en poste à l'état-major, qui devaient effectuer 9 heures de vol par trimestre. Ce n'était évidemment pas suffisant pour qu'ils puissent voler seuls en toute sécurité."

Entre 1976 et 1979, Luc Van den Haute retrouve également le Fouga Magister et le T-33 à Brustem.

"Lorsque l'Alpha Jet est arrivé en 1978, j'ai posé ma candidature pour devenir moniteur sur cette machine, sur laquelle j'ai fait mon premier vol en mai 1979. C'était l'appareil qui, à terme, allait remplacer le Fouga et le T-33.

Pour moi, l'Alpha Jet est l'avion le plus amusant que j'ai piloté. À 300 nœuds, si vous lui mettiez le nez cinq degrés au-dessus de l'horizon, si vous mettiez les ailerons en déflexion maximale, il faisait un 'roll' à 420 degrés par seconde ! À l'époque, aucun avion de chasse n'avait un taux de roulis aussi important. Mais, personnellement, je pense que c'était un avion d'entraînement trop facile."

Après ces quelques années comme moniteur, Luc Van den Haute change à nouveau d'orientation et est affecté à la 21e escadrille du 15e Wing de Melsbroek.

"À l'époque, il manquait des pilotes de transport. Comme c'était ce que j'avais toujours voulu faire, je n'ai pas hésité. L'avantage pour moi, c'est qu'une qualification sur multimoteur lourd m'ouvrirait ensuite les portes dans le civil. Je suis donc arrivé au 15e Wing de Melsbroek où j'ai d'abord fait une conversion sur Merlin puis, assez rapidement sur Mystère 20, pour lequel je suis allé faire quelques heures sur simulateur à Paris.

Le Mystère 20 avait les ailes d'un chasseur et il était de ce fait très maniable, très agréable à piloter. De plus, il était assez puissant. Nous faisions régulièrement des vols VIP, pour la famille royale, par exemple. L'appareil pouvait emmener huit passagers. La plupart des destinations étaient à l'intérieur de l'Europe.

Enfin, je suis passé sur 727. La Force Aérienne avait racheté à la SABENA deux avions de type 'mixtes'. Leur plancher était équipé de galets et de billes pour le transport de marchandises. La porte cargo se trouvait sur l'avant à gauche. Le loader sur lequel se trouvaient les palettes se mettait à hauteur de la porte et on les amenait dans le fond de l'appareil. Chaque palette pouvait peser jusqu'à cinq tonnes, ce n'était pas rien car l'avant de l'avion était un peu plus bas que l'arrière et il fallait pousser les charges. Le loadmaster devait calculer avec précision le poids des palettes et leur emplacement dans l'avion pour avoir un centrage optimal. Si on avait besoin de sièges, on reconfigurait l'avion, ce qui prenait une petite heure. Les rangées de sièges étaient prémontées sur des sortes de palettes que l'on glissait sur le plancher. Il arrivait aussi que l'on transporte du fret et des passagers. Les sièges étaient alors installés à l'avant. L'avion possédait aussi trois soutes sous le plancher, deux à l'avant et une à l'arrière, plus petite. Bien chargé, en mode cargo, l'appareil pouvait emporter 40 tonnes. En configuration sièges, il pouvait emmener 125 passagers.

Sur avion de transport, il fallait être attentif aux oiseaux. Lors du briefing, nous recevions d'ailleurs toutes les informations nécessaires sur les migrations d'oiseaux dans les zones où nous opérions. En 727, j'ai un jour ramassé un canard qui est venu s'écraser sur le bord d'attaque de l'aile et qui l'a percé. Cela n'a pas eu d'effet sur le vol même mais il a bien évidemment fallu réparer. J'ai eu une expérience encore plus impressionnante quand, toujours sur 727, un oiseau est venu s'encastrer dans le pare-brise. Ça a fait un énorme 'clac'. Les vitres étaient pleines de sang et de chair. Heureusement, le pare-brise était épais et avait deux couches de verre blindé, plus une couche avec des fils chauffants pour le dégivrage, tellement fins que l'on ne les distinguait quasiment pas. Même lorsque les conditions météo ne l'exigeaient pas, le dégivrage du pare-brise était activé avant le décollage car cela contribuait à l'efficacité du blindage.

Les moteurs du 727 avaient leurs particularités. Tout d'abord, au sol, ils perdaient de l'huile. Lors des vérifications avant-vol, il valait mieux ne pas passer en dessous. Pour descendre de l'avion, nous utilisions souvent l'escalier à l'arrière, et là aussi, il y avait un risque mais, heureusement, l'escalier se terminait à la verticale de l'avant du moteur 2. Il suffisait alors de faire un pas de côté. Il faut préciser que les taches d'huile moteur étaient indélébiles. Nous faisions donc bien attention. Une autre particularité, propre au moteur 2, le moteur central, c'est que l'entrée d'air ne se trouvait pas dans l'axe du moteur et donc, à basse vitesse ou à incidence élevée, il risquait de décrocher.

Le 727 était un avion très stable mais il n'était pas toujours facile à bien faire atterrir. Il avait des leading edges sur toute la longueur de l'aile et des slotted flaps en bord de fuite qui sortaient en plusieurs éléments entre lesquels passaient l'air. Au décollage, on mettait 5 degrés de flaps. Il y avait encore des crans à 25, 30 et 45 degrés. Quand on atterrissait à la vitesse normale, si on avait sélectionné 45 degrés de flaps et que l'on se posait bien droit, il n'y avait pas de problème, mais si on touchait sur une roue, il y avait un risque que le bout des flaps touche le sol. C'était délicat, surtout s'il y avait du vent de travers, d'autant que l'avion avait une queue de grandes dimensions et qu'il avait tendance à vouloir se mettre dans le vent. Bref, ça pouvait être assez sportif.

J'ai eu l'occasion de faire plusieurs vol transatlantiques vers Washington via Keflavik et Goose Bay. À Washington, nous nous posions à Andrews. Au retour, nous passions par Gander et Shannon pour regagner Melsbroek. J'ai aussi fait des vols sur l'Afrique. Il arrivait qu'on fasse Ghardaïa, Niamey, Brazzaville, Libreville et retour à Melsbroek à nouveau par Niamey et Ghardaïa. C'étaient de longues missions, nous étions normalement limités à 9 heures de vol par jour.

En Afrique, le contrôle aérien était pratiquement inexistant, il n'y avait pas de radar. Tout se faisait par radio. Il fallait appeler les contrôleurs et donner le numéro la route suivie, l'immatriculation de l'avion, la base de départ et la destination par la route numéro untel, en précisant qu'on avait passé le dernier point de contrôle à telle heure, à telle altitude et à telle vitesse et qu'on estimait arriver au prochain point de contrôle à telle heure à la même altitude et à la même vitesse, etc. Et on faisait cela à chaque point. Et si on devait croiser un autre avion sur même la route, le contrôle nous prévenait qu'un tel vol passerait à un tel point à telle vitesse et à telle altitude. C'était à nous d'être vigilants si l'on risquait de rencontrer cet avion."

À l'issue de cette ultime période au sein du 15e Wing, au cours de laquelle il a accumulé près de 2700 heures de vol, Luc Van den Haute a quitté la Force Aérienne pour poursuivre une carrière civile sur Boeing 727 puis Airbus A300 chez DHL.


Interview : Vincent Pécriaux (juin 2021)


Copyright (c) belairmil

We use cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site web. Certains d’entre eux sont essentiels au fonctionnement du site et d’autres nous aident à améliorer ce site et l’expérience utilisateur (cookies traceurs). Vous pouvez décider vous-même si vous autorisez ou non ces cookies. Merci de noter que, si vous les rejetez, vous risquez de ne pas pouvoir utiliser l’ensemble des fonctionnalités du site.