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Carnets de vol: Jean-Marie Dupont

Carnets de vol: Jean-Marie Dupont


Carnets de vol: Jean-Marie Dupont

Arrivé à la Force Aérienne à l'époque où l'aviation militaire belge était en pleine expansion, Jean-Marie Dupont fut notamment instructeur et pilote de démonstration. Il a accepté de lever un coin du voile sur sa longue et riche carrière de pilote sous les cocardes belges.

"Je suis entré à la Force Aérienne en novembre 1954. A cette époque, la guerre de Corée venait de se terminer et il y avait beaucoup d'élèves-pilotes. J'ai fait mon instruction militaire et au moment de passer aux cours au sol, l'Etat-Major a décidé de clôturer la 131ème promotion dont je faisais partie et le couperet est tombé juste devant moi. Avec 2 ou 3 autres élèves nous avons débuté la 132ème promotion qui s'est constituée par petits groupes, tous les huit jours, tous les quinze jours, avec pour conséquence que j’ai refait mon mois d’instruction militaire 8 à 9 fois, jusqu'au moment où la promotion a été entièrement formée. Et donc pas de vol à l’horizon, il fallait attendre que la "prom" soit au complet, pour passer aux cours au sol. Le dernier groupe a dû arriver vers juillet-août 1955. Nous étions à Gossoncourt à ce moment entre 200 et 250 élèves-pilotes. Toutes les chambres avaient des lits superposés et comptaient une trentaine d'élèves, nous allions manger en deux shifts.

J'en avais vraiment ras le bol et j'ai même failli tout plaquer. Pour nous occuper, on nous faisait jouer continuellement au petit soldat, activité qui s'accompagnait de son lot de brimades, corvées, gardes, piquets, etc. Il faut se dire que la plupart des instructeurs étaient des élèves-pilotes rayés passés dans le cadre d'instruction. Ces mois ont été particulièrement pénibles. Pour partir en permission, par exemple, il fallait passer l’inspection et tous les prétextes étaient bons pour nous consigner. Les instructeurs passaient dans les chambres avec des gants blancs, vérifiaient l'alignement des lits, les armoires, les paquetages. Nous étions vraiment soumis au diktat de ces gens frustrés d'avoir été rayés.

Je suis resté à Gossoncourt dix-huit mois, soit le temps généralement nécessaire pour être breveté ! Mais, finalement, on a commencé à voler en octobre 56. Comme j'étais le plus ancien de la prom, j'ai eu la chance de commencer dans le premier groupe. Ma promotion comptait plus d'une centaine de gars et la manière dont les choses se passaient était incroyable. Chaque moniteur avait quatre élèves et dès qu'un gars était rayé, un autre venait prendre sa place. Et certains étaient rayés après à peine quatre ou cinq heures de vol ! Le système était celui-ci : le service militaire durait dix-huit mois et on signait comme élève-pilote pour deux ans plus trois ans. Le gars qui était rayé continuait donc à faire ses vingt-quatre mois, payé, qui comptaient pour son service militaire. Je me rappelle que dans les chambres nous étions répartis alternativement entre francophones et néerlandophones et que les Flamands volaient le matin et nous l'après-midi. Parfois, en rentrant dans la chambre on s'apercevait que son voisin n'était plus là. Radié le matin, il était parti le jour même pour Saint-Nicolas-Waas finir son service militaire. Ça entretenait un stress permanent. Les radiations étaient nombreuses, d'autant qu'après le quatrième ou le cinquième vol de la journée, les instructeurs devenaient beaucoup moins patients.

Le premier groupe, dont je faisais partie, a eu le droit de choisir son moniteur. Et parmi ceux-ci un certain nombre avaient la réputation d’être très sévères. Comme j'avais passé quasiment un an à Gossoncourt sans même avoir volé, un très bon copain de la prom précédente – ma prom d'origine – m'a conseillé de demander comme moniteur Robert Souvenir, qui faisait partie de ce groupe avec un sérieux palmarès de radiation. Comme ça, je serais tout de suite fixé. C'est ce que j'ai fait. J'étais d'ailleurs le seul à l'avoir demandé. Et ça a bien marché. Je voyais les gars autour de moi qui partaient alors que je continuais. Ça m'a remonté le moral.

En janvier 56, j'ai même failli partir au Canada. A cette période, quelques promotions ont été choisies pour poursuivre leur formation dans ce pays. Nous étions alors en hiver, un hiver particulièrement rigoureux – il y a eu des températures jusqu'à -20° c et lors des séances de "drill" nos mains collaient littéralement aux fusils – et le premier groupe destiné à partir au Canada n'avait pas pu être lâché solo. Comme nous étions quelques uns à être déjà solo, on nous a demandé si nous voulions partir au Canada. Au début, j'avais demandé à aller aux Etats-Unis mais la Force Aérienne n'envoyait déjà plus d'élèves-pilotes là-bas. J'ai donc accepté. Je suis allé à la caserne Géruset pour y effectuer les formalités mais entretemps, le temps s'est amélioré, les gars de l'autre prom ont été lâchés solo et sont partis à notre place.

C'est ainsi que je me suis finalement retrouvé dans un DC-4 à destination de Kamina via Las Palmas, Tripoli, Kano, Lagos et Léopoldville. Là, le dépaysement était total. C'était le bout du monde, surtout quand on pense que certains d'entre nous n'avaient même jamais vu la mer ! Et puis c'était la rencontre d'autres civilisations, d'autres cultures. C'était fascinant.

L'ambiance à l'EPA était déjà meilleure. L'écrémage avait déjà été fait en partie et les moniteurs avaient déjà une idée des capacités de chacun car nous avions quand même derrière nous 80 heures d'SV.

A part la piscine et le cinéma il n'y avait pas énormément de divertissements car nous étions au milieu de nulle part. On n'était pas payé beaucoup – environ 3 000 francs belges – dont 1 000 francs étaient retenus sur un livret d'épargne pour ceux qui étaient âgés de moins de 21 ans. Une fois qu'on avait payé son mess, il ne restait plus grand chose. Le confort était nettement meilleur qu’à Gossoncourt. Nous avions des chambres de deux personnes (un néerlandophone et un francophone), un vélo pour nos déplacements, un excellent mess. On se levait très tôt, vers 5 heures du matin, car le salut au drapeau avait lieu à 6 heures au Flight.

On ne volait que le matin. On rentrait, on mangeait et on avait le droit de faire une sieste jusqu'à 14 heures. Après quoi, on avait cours jusqu'à 16 ou 17 heures. C'étaient les heures les plus chaudes de la journée et l'attention n'était pas des plus soutenues, d'autant qu'on mangeait très bien au mess… Ma prom fut la première à compter des élèves de l'Ecole Royale Militaire en grand nombre. Comme ils avaient un niveau de formation supérieur au reste de la classe, et parfois au prof qui donnait cours, ils s'arrangeaient pour l’accrocher sur l'un ou l'autre sujet technique, ce qui nous laissait le temps de récupérer un peu ! Comme nous formions un plus petit groupe, il y avait un plus grand esprit de cohésion entre nous.

Le Harvard était vraiment super. Il ressemblait déjà à un avion de guerre. Il était en métal, il avait une aile basse, un moteur plus puissant. Il taxiait plus difficilement mais était plus stable que le SV-4. Sur SV on devait faire six ou huit heures de vol aux instruments. Les instruments comme le gyro dataient d'avant-guerre et on voyait directement quand un élève effectuait un vol aux instruments car le SV tirait à droite et le gars se retrouvait très vite après le décollage à 90 degrés de l'axe de piste. C'était sans doute un bon exercice mais il ne valait pas les heures que nous devions y consacrer car les instruments étaient tellement archaïques. Sur Harvard, c'était déjà autre chose. Nous faisions notamment du vol de nuit, de la formation, ce qui n'était pas rien et – petite anecdote – quand le vol de nuit ou le vol de jour n'avait pas été très bon, le moniteur débarquait l'élève au bout de la piste, avec son parachute et le gars rentrait à pied au Flight, qui se trouvait quand même à deux ou trois kilomètres. Donc, quand on voyait l'avion revenir avec seulement le moniteur, on savait que trois quarts d'heure plus tard, le type se pointerait avec son parachute sur le dos. Là ausssi j’ai eu la chance d’avoir un bon moniteur, Léon Hanson, avec qui le courant est bien passé.

Il y avait plusieurs types de Harvard à Kamina. Les "Bulawayo" rachetés à l'Afrique du Sud, les Harvard en version anglaise et les "IV M" d'origine américaine. C'est à cette époque que s'est produit un accident qui a causé la mort de deux moniteurs au cours d'un vol acrobatique et les IV M, qui étaient les plus lourds, n'ont plus servi qu'à la navigation et au vol aux instruments.

Pour les navigations, on n'avait que quelques points de repères majeurs, comme le lac d'Upemba dans le sud ou les voies ferrées. On volait avec des cartes peu précises. C'était déjà un problème à Gossoncourt. On utilisait des cartes toilées qui dataient d'avant-guerre, avec dans les plis un centimètre sans aucune indication. Plusieurs gars se sont d'ailleurs perdus et ont dû se poser dans les champs. Je me souviens de ma première navigation en SV solo où je devais relier Genappe et Ampsin et rentrer à Gossoncourt. Arrivé dans la région de Charleroi, je me suis complètement perdu. J'ai pris le cap au 180 en me disant que je finirais par tomber sur une rivière. J'arrive effectivement au-dessus d'une rivière et d'une ville. Et je me dis que je connais cet endroit. C'était mon patelin ! Et c'était un mercredi car il y avait marché. J'ai alors suivi la Sambre jusqu'à Namur, puis jusqu'à Ampsin et je suis revenu à Gossoncourt après deux heures trente de vol au lieu de l'heure quarante prévue.

A la fin de l'EPA, nous sommes rentrés à une bonne vingtaine de Kamina et nous sommes allés à Coxyde. Là, on a eu le choix entre le Meteor et le T-33 mais comme la Belgique recevait ses F-84F des Etats-Unis, beaucoup ont été transformés sur T-33. Pour nous qui avions vingt ans c'était comme recevoir une Porsche. Par rapport au Harvard, assez rudimentaire, il était très compliqué avec de très nombreux instruments. Si le manuel de vol du Meteor était un carnet de 36 pages, moitié du format A4, qui comprenait les procédures, les "emergencies" et que l'on mettait dans la poche, celui du T-33 était déjà un véritable manuel assez épais. C'était donc déjà une machine complexe, qui volait deux à trois fois plus vite que le Harvard. Il avait aussi un bon rayon d'action.

Après 2 mois à Coxyde, tout l’OCU à déménagé à Brustem… Superbe période où les moniteurs vivaient en célibataire en attendant le déménagement des épouses et où une réelle complicité s’est installée avec mon moniteur Marcel Bieuvelet.

A l'époque, il n'y avait pas de plan de vol. On faisait du rase-mottes, on partait voir les miradors à la frontière avec l'Allemagne de l'Est. Je me souviens d'un vol de nuit où nous sommes partis à Londres que nous avons survolé à 1 000 pieds avant de mettre le cap sur Paris et de rentrer à Brustem. Il n'y avait pratiquement aucun contrôle en vol. Les plans de vol ne sont arrivés qu'après, quand j'étais déjà à Florennes.

Il n'y avait pas non plus d'assistance radar. Quelques jours avant d'être breveté, j'ai été envoyé solo en vol de nuit car il me manquait une heure de vol de nuit pour compléter le syllabus prévu. On s'est retrouvé à plusieurs avec Roger Fagnoul et Jean Masuy. La nuit tombait. On a fait un peu de dogfight entre nous et j'ai poursuivi mon vol. La couverture nuageuse était alors à 7 000 pieds et le plafond en dessous était à 1 200 pieds. Au moment de revenir vers la base, j'ai eu une panne d’instruments. J'ai averti Brustem et deux moniteurs ont décollé pour me retrouver mais ils n'y sont jamais parvenus. Mon fuel diminuait de plus en plus et, à un moment donné, à travers les nuages j'ai aperçu une lueur. Je suis descendu et je suis arrivé au-dessus d'une ville que j'ai identifiée comme étant Tirlemont. J'ai suivi la route qui menait à Saint-Trond et je me suis finalement posé.

Après avoir été breveté en mai 1957, je suis parti une dizaine de jours à Saffraanberg pour suivre des cours au sol sur le F-84F puis à KB, à la 27e escadrille, pour effectuer ma conversion sur Streak. On a eu quelques briefings, un taxi avec le moniteur sur l'aile et puis le solo qui servait de prise en main de l'avion. C'était une machine impressionnante mais 'safe' à tout point de vue. Un vrai tracteur. Le syllabus prévoyait lors du 3e ou du 4e vol un passage du mur du son. Ce vol se faisait en 'clean' car avec les bidons l'avion était limité à 0.9 Mach. On montait d'abord à 35 ou 36 000 pieds avant de piquer à la verticale pour passer le Mach dans une zone réservée au-dessus de la Mer du Nord. C’est au cours de ce vol que mon chef de prom., Marcel Pondant, c’est tué avec le Capitaine Symaes … J’étais pour la première fois confronté à la dure réalité de la vie en escadrille.

Nous n'avons pas fait tout l'OTU à KB car des travaux devaient être réalisés à la piste et nous sommes partis à Florennes avec les moniteurs pour terminer la formation. Nous avons volé dans les différentes escadrilles sans être assignés à l'une ou l'autre d'entre elles. Quand notre formation a été terminée, nous avons été répartis dans les escadrilles. J'ai demandé à aller à la 2e parce que j'y connaissais quelques pilotes. J'ai eu la chance d'être pris en main par le 'Snatch' Van Malderen. C'est grâce à lui et à quelques autres, comme le 'Tam' Tamborijn ou José Marette, que j'ai appris les bases du métier.

Fin 1960, les Américains sont arrivés et après la phase I et II de conversion j'ai été choisi avec le Capitaine VDB comme instructeur Strike. J’ai participé à la conversion Strike de la 2e escadrille. On entraînait les autres pilotes pour leur qualification Strike. On leur apprenait à faire des 'run in' à 500 nœuds, des manœuvres de HABS et LABS sur les champs de tir, etc. C'est lors d'un de ces entraînements qu'est survenu un accident qui restera dans les annales. Gilbert Ravits volait au sein d'une formation partie faire un tir LABS à Vlieland, aux Pays-Bas. La manœuvre consistait pour chaque pilote à faire son 'run in', à monter à la verticale et à larguer sa bombe d'exercice qui suivait alors une trajectoire parabolique et retombait sur la cible. Alors que Gilbert entamait sa manœuvre, l'aile de son appareil a soudain été heurtée par la bombe lâchée par l'avion qui le précédait dans la formation. Son appareil est devenu incontrôlable et il a dû s'éjecter. Malheureusement, il est tombé au large de l'île et s'est noyé avant que l'on puisse le repêcher. Le plus étonnant dans cet accident, quand on y pense, ce sont les circonstances dans lesquelles il s'est produit. Si l'on tient compte de la vitesse de l'avion à ce moment – près de 250 mètres/seconde – de la largeur de l'aile et du diamètre de la bombe d'exercice, les probabilités d'une collision en vol étaient quasi nulles. Un centième de seconde plus tôt ou plus tard, une rafale de vent, un dixième de degré de décalage à gauche ou à droite et il ne se serait rien produit. Mais quand la fatalité frappe…

A cette époque, la Guerre froide battait son plein et c'était du sérieux. La vie n’était pas rose. On montait de QRA 24 heures sur 24… 365 jours par an… Le "Stalag 17'"comme nous l'appelions à cause de la double rangée de barbelés et des patrouilles avec chien était situé entre les deux pistes. Il se composait de quatre hangarettes en tôle pour les avions et de deux bâtiments. Nous logions par deux dans deux chambres et les mécanos et armuriers dans une seule pièce. Les repas se prenaient dans un local commun et nous disposions également d'une salle de télévision. On entrait au QRA à 17h00 et on en sortait le lendemain à 17h00. En préparation de ces missions, nous effectuions des navigations jusqu'au Rideau de fer. Nos objectifs étaient prédéfinis. Il y en avait initialement quatre. La bombe devait être reconfigurée toutes les deux heures, de jour comme de nuit. Il fallait intégrer ce que l'on appelait les 'settings' de largage et le 'timer' (en fonction de la météo). La sécurité était à son maximum, chaque avion était gardé par deux soldats, un américain et un belge. Pour approcher son avion, le pilote devait absolument être accompagné des gardes américain et belge. Il fallait toujours être à trois. Des codes et diverses manipulations, dont l’armement de la bombe par l’officier américain, garantissaient la sécurité. C'était pour moi ma première réelle approche d’un professionnalisme à l’américaine.

A Florennes, j'ai aussi volé sur Meteor comme tracteur de cible pour les campagnes de tir. En 1961, un cours PAI a été organisé à Florennes pour la FAé on a demandé des volontaires pour remorquer (le F-84 n’était pas génial pour le remorquage). Comme j'avais fait quelques heures sur Meteor à Coxyde, j'y suis retourné pour être lâché sur l'appareil. Ça m'a permis de voler énormément. En campagne de tir à Zara, je 'clashais' volontiers pour aider les pilotes du Flight remorquage, je descendais de l'avion, puis, je repartais faire un vol en 'F'… Bref, je faisais pas mal d’heures de vol. Et c'est ainsi que j'ai eu la chance avec le Commandant Van Keymeulen de faire le dernier vol sur Meteor 7 en Belgique. Partis à deux avions de Solenzara, nous avons rallié Coxyde où, à peine posés, les appareils ont été poussés dans l'herbe et vidés du reste de leur carburant. La fin d'une époque…

A un moment donné, on m'a proposé de présenter le F-84F dans les meetings. J'ai accepté. Je l'ai fait pendant deux ans, en 1967 et 1968. Le F-84F n'était pas très puissant et il fallait miser sur le bruit, la basse altitude, le 'crazy flight', les tonneaux train sorti, etc. J'avais aussi sur l'avion un smokepod qui avait été bricolé par un armurier de la base. Il fallait prendre la démonstration du point de vue du spectateur qui n'a pas souvent l'occasion d'approcher l'avion et qui est déjà impressionné par le simple fait de le voir passer à quelques mètres de lui.

Ce que j'aimais bien, c'était de discuter avec les gens après la démonstration. On voyait qu'ils étaient vraiment heureux de pouvoir nous rencontrer. Il y avait un véritable engouement, surtout en Angleterre où on devait gagner l'aérodrome 5 à 6 heures avant le meeting pour ne pas être pris dans les embouteillages, parmi les milliers de spectateurs.

Plus tard, j'ai aussi fait les démonstrations sur Mirage. C’était formidable car nous avions un petit arrangement entre pilotes de démonstration. Je faisais la répétition du show le samedi en BD, ce qui me permettait d'emmener un pilote d’une autre patrouille avec moi. En contre partie, j’ai pu voler avec les Red Devils, les Red Arrows, la Patrouille de France, ...

Pour le Mirage, ça s'est fait simplement. Une semaine avant la présentation du Mirage au Roi Baudouin, le chef de corps m'a demandé d'organiser un petit show pour présenter l'avion. J'ai continué les démonstrations jusqu'en 1976. Le Mirage était une machine qui en imposait beaucoup, notamment par sa configuration delta très particulière. De plus, il était auréolé de la gloire acquise par les pilotes israéliens pendant la Guerre des six jours. Je me souviens d'ailleurs d'avoir rencontré à Solenzara des pilotes israéliens qui venaient prendre livraison des premiers Mirage IIIC. Ils étaient tellement 'short on fuel' qu'ils se faisaient tracter jusqu'en début de piste. Ils mettaient en route en bout de piste pour gagner quelques litres. C'était donc un avion un peu mythique. Et puis, c'était un vrai avion de pilote avec une enveloppe de vol formidable. Un avion qui se pilotait encore aux fesses. C'est au point de vue vol pur l'un de ceux qui m'ont apporté le plus de plaisir.

De plus, pour la conversion sur Mirage, la Force Aérienne avait mis le paquet. Nous avons été envoyés à huit en France pendant sept mois. Nous sommes partis en Renault 4, le 4 janvier 1970, pour Dijon, sous la neige. Au début, on s'est un peu cherché car les cours étaient donnés par des mécaniciens et nous ne possédions pas le vocabulaire technique français. On a ramé, surtout qu'il y avait parmi nous quatre pilotes néerlandophones. C'était un problème car nous étions habitués à toujours parler anglais. On a finalement reçu des cours plus adaptés. Puis, nous avons commencé à voler et au début mars nous sommes partis à Colmar. L’intégration a été un peu difficile au début, la météo n’était pas très bonne et les Français estimaient que nous n’avions pas assez d’expérience pour voler dans ces conditions jusqu’à ce qu’un capitaine anglais en échange d'escadrille pour deux ans remettent les pendules à l’heure… En effet à nous 8 nous totalisions pratiquement autant d’heures de vol que tous les pilotes de l’escadrille ! A partir de ce moment, tout c’est déroulé normalement.

Ensuite, nous sommes retournés à Dijon pour suivre le cours de moniteur. Là, c'était backseat, backseat et encore backseat. Ce qui n'était pas évident en approche en Mirage, surtout en vol de nuit, c'est qu'on ne devait pas voir la piste. Si on voyait quelque chose c'est qu'on était pas bien aligné. En place arrière, il fallait prendre ses repères sur le côté. Ce fut une très belle expérience et nous avons reçu une excellente formation. Durant notre deuxième séjour à Dijon, nous nous sentions vraiment comme chez nous et les moniteurs français adoraient voler avec nous… ce qui leur permettait de se laisser aller (l’armée de l’air française est très réglementée).

De retour à Florennes, il a fallu créer les syllabus, les cours, les procédures, meubler le baraquement vide en tôle qui nous avait été attribué. Mais c'était vraiment très enrichissant car on partait de rien. Le premier groupe était constitué de pilotes de l'Etat-Major et du chef de corps, le Colonel Dedeurwaerder, qui avait été mon 2e CO à la 2e escadrille et qui fut le premier à être lâché sur Mirage. Les conversions de tous les pilotes de Florennes se sont poursuivies par groupes de 6 à 8 pilotes jusqu’en 1972 où la 8ème est partie pour Bierset.

Là nous avons converti le reste des pilotes F-84F. Ensuite, n’ayant plus d’avions de murissement, la FAé nous a demandé de prendre les pilotes juste brevetés sur T-33 à l’OTU sur Mirage. Je crois que nous avons été les premiers à faire passer directement des pilotes du T-33 au Mirage. Pourtant le pas à franchir était assez grand. Je pense qu'on a fait du bon travail car tout était bien structuré, bien planifié. C'était une formation faite par des pilotes pour des pilotes.

Je suis resté à Bierset jusqu'en 1976 avant de demander ma mutation à Florennes où j'ai pris en charge un petit flight chargé d'entraîner les pilotes à devenir pair ou section leader, travail que j’avais déjà effectué à Florennes sur F-84F, à partir de 1965, lorsque j’ai été nommé Deputy FCo d’un flight chargé de la formation des jeunes. Cette fois encore, comme souvent durant ma carrière, j'ai eu la chance de pouvoir former des gens. J'avais l'avantage d'avoir des responsabilités sans pour autant être dans un plan de carrière vis-à-vis des officiers que j'entraînais. Il n'y avait donc aucune compétition entre nous. Je me souviens sur F-84 d’un pilote exceptionnel, nettement au-dessus des autres que j'ai dû retarder comme 'pair leader'. Il est venu me voir très fâché car il ne comprenait pas ma décision. Quelques jours plus tard, nous avons fait un vol ensemble. Je lui ai proposé pour terminer par un peu de 'tail chase' et je lui ai dit de prendre le lead. Il s’est tellement excité pour me prouver qu'il savait voler, qu’il en a oublié les 'fuel calls'. Je voyais la jauge qui diminuait et à un moment nous avons atteint les 800 pounds. Nous étions entre Rochefort et Marche. Je lui ai demandé de checker son fuel et je lui ai dit qu'il était temps de rentrer, tout en lui laissant le lead. La piste en usage à Florennes ce jour-là était la 09 mais au lieu de prendre le bon cap il a pris la direction de Huy. Je l'ai d'abord laissé partir, le fuel descendant à 600 pounds, puis j'ai repris le lead et on a pris la direction de Florennes où nous nous sommes directement posés 'sur les chaussettes', sans même faire de break. Après l'atterrissage, je lui ai dit :

"Tu vois pourquoi je ne t'ai pas proposé comme pair leader. Si tu avais eu un jeune gars avec toi, dans quelle situation vous seriez-vous retrouvés ?" Trois mois plus tard, il était lâché comme pair leader. Il avait compris la leçon. Ce n'était pas son pilotage qui posait problème mais sa responsabilité vis-à-vis des autres pilotes de sa formation. Au début de ma carrière en escadrille j’ai connu de bons pilotes qui étaient de mauvais leaders et dont le seul objectif était de ridiculiser des jeunes pilotes, c’est pour cela que je suis reconnaissant au Snatch, à Tam et à José de m’avoir inculqué les bons préceptes, qui m’ont servi tout au long de ma carrière à l’Airforce et que j’ai essayé de transmettre aux jeunes pilotes qui ont croisé ma route. A cette époque les accidents étaient nombreux et il n'y avait pas de commission d'enquête pour en tirer les enseignements… Il a fallu attendre bien après 60 pour que l’on améliore les sièges éjectables, qui étaient manuels (altitude minimun d’éjection 2 000 pieds)"

Avec près de 6 700 heures de vol, Jean-Marie Dupont a pris sa retraite en 1978 et a quitté la Belgique pour retourner en Afrique comme instructeur à la Force Aérienne Zaïroise puis comme pilote civil sur C-130, 727 et DC-10. Mais ceci est une autre histoire… Il aura en tous les cas laissé une trace dans les mémoires des amateurs de meetings aériens et sans doute aussi – même si peu s'en souviennent aujourd'hui – au sein des escadrilles de la FAé, comme en témoigne cette dernière anecdote.

"La Force Aérienne utilise encore toujours un système de clearance diplomatique automatique. Au départ, quand on allait à l'étranger il fallait remplir une demande diplomatique de survol et ça prenait parfois des semaines ou des mois car il fallait contacter toutes les ambassades des pays à survoler. Ça posait donc beaucoup de problèmes. A cette époque, Roby Debruyne était officier adjoint au Groupe de vol et j'étais pour ma part responsable de la navigation. Et au cours d'une discussion, nous nous sommes demandés s'il n'y aurait pas moyen d'organiser un système d'autorisations automatiques. Et c'est ainsi que nous avons créé les BEL et les autorisations diplomatiques permanentes qui, après quarante ans, sont toujours utilisées par la Force Aérienne. La mise au point de ce système nous a pris quasiment une année. Nous nous rendions souvent à Bruxelles pour rencontrer les personnes du bureau des 'diplomatics clearence' ainsi que les différents responsables des ambassades. Nous avons fait pour la France, l'Italie, l'Espagne, la Turquie, etc. toute une série de plans de vol automatiques valables plusieurs jours par semaine. Cela a permis d'introduire des plans de vol planifiés à l'avance. Sans le savoir, la Force Aérienne a donc gardé un petit souvenir de mon passage."


Interview : Vincent Pécriaux (29 janvier 2006)
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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