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Carnets de vol: Yvan (Yvon) Moriamé

Carnets de vol: Ivan Moriamé

Carnets de vol: Yvan Moriamé

Très attiré par l’aviation, Yvan Moriamé s'informe des possibilités qu'offre la Force Aérienne aux jeunes de son âge. Il franchit le pas et s'engage peu après ses humanités.

"Tout en travaillant chaque jour à Charleroi, je m'étais inscrit comme candidat élève-pilote à la Force Aérienne. C'était l'époque de la guerre de Corée. C'était aussi l'époque du plan Marshall par lequel les Américains offraient des centaines d'avions de chasse à leurs alliés et la possibilité d'entraîner les élèves-pilotes aux Etats-Unis. Il s'agissait donc pour la Belgique et les autres bénéficiaires du don américain de recruter au plus vite en trouvant des formules attrayantes.

La Belgique a inventé la formule du recrutement des officiers auxiliaires. On pouvait entrer sans examen et commencer son entraînement à condition d'avoir un diplôme d'humanités. Si on était breveté pilote, on devenait automatiquement sous-lieutenant aviateur auxiliaire. Après avoir passé les examens légaux et les cours de formation, on pouvait devenir officier aviateur d'active. D'autres choisiront de faire carrière à la Sabena à qui on offrait la possibilité de venir faire son recrutement dans les bases de la FAé.

Je garde un bon souvenir et une véritable émotion des tests médicaux et physiques que j'ai passés à la caserne Géruzet, à Etterbeek. C'est avec une énorme fierté que je suis sorti de la caserne : j'étais admis comme élève-pilote et je venais de subir des tests physiques qui n'étaient pas à la portée de tout le monde. Une vraie vie s'ouvrait, j'en avais l'espoir en tous cas.

Le 5 mai 1952, je me suis présenté à nouveau à la Caserne Géruzet pour des formalités, et notamment la réception de mon premier uniforme. J'entrais donc comme candidat officier aviateur auxiliaire. J'ai aussi souhaité faire mon entraînement aux Etats-Unis. Nous avons ensuite été envoyés à Gossoncourt pour un mois d'entraînement militaire. Nous avions déjà la satisfaction de voir voler des avions et de rencontrer des vedettes de la FAé, pour des raisons différentes d'ailleurs mais surtout pour leurs voitures sport, tels le major De Smet et le Commandant Muller. C'étaient pour nous des monstres sacrés, impossible de les approcher. Il y avait là quelques personnages très typiques comme un jeune moniteur de sport et I'adjudant 'sidol', adjudant de quartier. Quand je me suis présenté chez lui, il m'a dit en flamand : "Il faudrait vous faire couper les cheveux". J'étais interloqué et j'ai compris : "Etes-vous allé chez le coiffeur ?". J'ai évidemment répondu : "Non" et lui de s'écrier : "Jaaaa...". J'avais compris ma gaffe mais que voulez-vous ? Je n'avais pas encore le flamand dans I'oreille."

Après un mois d'instruction militaire à Gossoncourt, c'est le départ pour Coxyde et les premiers pas sur SV4. La formation comprend 25 heures de vol sur le biplan, avec lâcher solo après une douzaine d'heures.

"Cette formation avait pour but d'éviter d'envoyer aux Etats-Unis quelqu'un qui n'avait aucune chance de réussir. Pour les vols, nous allions de Coxyde à Raversijde, l'aérodrome d'Ostende, en camion, mais deux ou trois élèves-pilotes pouvaient faire la liaison en avion avec le moniteur. Ce fut mon cas, le premier jour. En I'air, je ne comprenais rien de ce que me disait mon moniteur, le Major Denis, qui faisait de grands gestes de mécontentement dans le cockpit avant. Lorsque nous nous sommes posés et que nous sommes sortis de l'avion, il s’est tourné vers moi et m’a dit sur un ton très agressif : "Hé, Fieu, il faudra te faire nettoyer les oreilles." Il m'était difficile d'admettre que je ne pouvais pas entendre. Donc, après avoir quitté le moniteur, je me suis dirigé vers le mécano à qui j'ai expliqué l'incident. Il a vérifié les batteries de la radio de bord : Elles étaient complètement plates.

Au début, je n'ai pas eu beaucoup de chance : j'ai eu successivement deux instructeurs qui ne pouvaient s'empêcher de 'gueuler'. Comme j'étais très jeune et encore un peu timide, j'étais impressionné au point de me crisper. J'en ai parlé avec un de ces instructeurs qui m'a dit qu'il ne pouvait faire autrement même quand il apprenait à conduire à sa femme. Le Commandant Claessen, commandant de détachement, a heureusement compris la situation. J'ai fait un court vol avec lui à la suite duquel j'ai été lâché solo. C'était sur le V13. J'ai ressenti une profonde joie. Chaque fois que, sur un autre avion, j'ai connu la même expérience, la même joie a été renouvelée. Le Commandant Claessen est devenu plus tard officier de détachement aux Etats-Unis. J'ai toujours eu plaisir à le revoir."

Le 20 août 1952, un DC-3 du 15e Wing embarque à Melsbroek 22 élèves-pilotes pleins d'espoir à destination de Londres. La traversée de l'Atlantique s'effectue ensuite dans un appareil de la BOAC.

Nous avons été accueillis par un attaché de I'ambassade qui nous a précisé nos destinations. Nous avons été répartis en groupe de deux, trois ou même quatre par base. André Willems et moi sommes partis vers Greenville, Mississipi, pour un voyage de quatre jours en train-couchettes. A la gare de Greenville, un cadet belge nous attendait et nous a emmenés à la base. Nous logions dans des chambres à deux lits. Mon compagnon de chambre était Américain, ce qui était un plus pour l'apprentissage de l'anglais. Nous avons commencé par un "preflight" d'un mois durant lequel nous ne volions pas mais nous apprenions à connaître les règlements américains et la discipline qui était tout à fait particulière. Les Américains travaillaient avec un système de classes. Toutes les six semaines, il y avait une nouvelle "class". On commençait à la quatrième, puis on passait à la troisième, à la deuxième et enfin à la première."

A l'issue du "preflight", les cadets de quatrième classe entament leur instruction en vol sur T-6.

"C'était formidable. On était lâché après une dizaine d'heures. J'ai fait mon premier vol solo sans difficulté le 19 novembre. L'entraînement comprenait 140 heures de vol réparties sur six mois avec au programme de l'acro, de la navigation, du vol de nuit, du vol en formation. Quand on faisait une grande navigation, qui durait au moins trois heures, on partait d'abord avec le moniteur. Ensuite, on la refaisait tout seul. A Greenville, tous nos moniteurs étaient des civils, généralement d'anciens pilotes de l'USAF."

Début avril 1953, Yvan Moriamé et André Willems quittent Greenville pour Foster AFB, Texas, base équipée de T-28 et de T-33. La "class 53-F2" comprend à ce moment 9 Belges. Ivan Moriamé fait son premier vol sur T-33 en juillet, mois au cours duquel il est lâché solo sur l'appareil. La météo perturbe le programme des vols mais la formation se poursuit. Le 1er octobre 1953, les Silver Wings sont accrochées sur les poitrines des jeunes pilotes. Le retour en Belgique se rapproche mais il reste encore à effectuer deux périodes de "gunnery", à Del Rio et à Luke, sur T-33 d'abord et sur F-84G ensuite. En février 1954, après 18 mois, vient enfin le moment de reprendre le chemin du pays.

"Quand je suis rentré en Belgique, il était prévu que je soit envoyé à Kleine-Brogel. Heureusement, j'ai pu m'entretenir à l'Etat-Major avec le Général Leboutte qui m'a accordé d'être posté à Florennes, beaucoup plus près de chez moi. Je suis donc arrivé à Florennes, le 18 février 1954, et j'ai été affecté à la 3e escadrille, commandée par le Major Branders.

J'ai commencé à voler en Belgique sur F-84G Thunderjet, appareil sur lequel j'avais déjà volé à Luke. C'était un avion très stable et robuste qui avait été un élément important de la guerre de Corée, comme chasseur-bombardier à côté du F-86, superbe avion de chasse pure. Nous volions régulièrement mais pas toujours d'une manière planifiée : dès qu'un avion était disponible en cours de journée, il fallait le mettre en l'air. C'est ainsi que nous faisions régulièrement des vols seuls. Ce n'était pas toujours négatif car cela nous permettait de pratiquer I'acrobatie et le vol aux instruments. Les deux disciplines étaient vitales car la première préparait au combat aérien et la seconde permettait de rentrer lorsque les conditions atmosphériques étaient devenues difficiles. Il y avait quand même beaucoup de vols en formation. Comme notre mission à Florennes était 'Chasseurs-bombardiers', nous faisions beaucoup de navigations en Allemagne avec attaque simulée d'un objectif : un pont, un centre de contrôle, un aérodrome... Le tir air-sol se faisait avec les mitrailleuses, les roquettes, les bombes et les charges au napalm. Bien que chasseurs-bombardiers, nous faisions quand même du tir air-air, notamment à Sylt.

Après quelques mois, nous avons appris que Florennes allait recevoir des F-84F Thunderstreak. Dix pilotes allaient être désignés pour suivre le premier cours sur le nouvel avion. Je n'ai jamais imaginé être parmi eux. Il y avait à l'escadrille beaucoup de gars plus anciens que moi. Quelle surprise, lorsque j'ai appris que j'étais le dixième sur la liste. Je n'ai évidemment pas refusé ce bonheur.

La 3e escadrille fut la première à passer sur Thunderstreak. Le premier vol en F-84F avec passage du mur du son fut exécuté le 30 août 1955 par le Major Branders et I'officier d'opérations de l'escadrille, le Commandant Laloux. Ils avaient tous deux fait la guerre en Angleterre et ailleurs. Pour l'anecdote, nous nous sommes bien fait avoir à cette occasion par une escadrille canadienne qui faisait un séjour d'une semaine sur la base. Ils volaient sur F-86, avions transsoniques comme le F-84F d'ailleurs. Ce premier passage du mur du son était un grand événement : toute la presse était là ainsi que quelques invités de marque. Au moment où nous nous réunissions tous pour voir nos deux chefs belges démarrer leur moteur et décoller, nous avons entendu quatre 'bang-bang' : Les Canadiens nous avaient brûlé la politesse. C'était vache mais bien joué !

Mon tour est venu de faire mon premier vol en F-84F, un vol directement en solo puisqu'il n'y avait pas de biplace. Je n'ai pas oublié la date, le 20 septembre 1955, jour de mon anniversaire. Tout s'est bien passé. C'est le Major King qui m'accompagnait. C'était, avec le Major Cook, l'un des deux moniteurs de l'USAF détachés à Florennes pour les conversions sur Thunderstreak. Mon vol eut lieu en début de soirée. Je fus aussi fier et heureux que pour mes solos précédents.

J'ai continué à voler suivant le programme et j'ai commencé à prendre des ailiers. Un lundi midi, alors que le plafond était resté très bas toute la matinée, nous sommes autorisés à décoller, Guy Renard et moi. C'était pour mon ailier une familiarisation au vol en formation. Après 20 minutes, je le fais passer devant et je vole dans son aile, ce qui implique des ajustements constants de manette-moteur pour garder la bonne position. Subitement, juste après un ajustement de moteur, celui-ci s'éteint. Evidemment, grosse émotion surtout que le plafond est toujours bas et que je dois être rapide pour faire la procédure de rallumage. Je reprends mon sang-froid et commence la procédure, sans succès. Je vérifie mes instruments et je me rappelle parfaitement que mon compte-tours indique 33 % et que la température d'éjection des gaz est aux environs de 350°. Bizarre et anormal pour un 'flame out' mais normal pour un moteur au ralenti. Néanmoins, je recommence la procédure. Rien ne change sauf que mon ailier, qui s'était positionné derrière moi, me hurle vraiment "Tu as une énorme flamme à ta sortie moteur. Bail out". Là, je n'ai plus eu beaucoup à réfléchir. J’ai tiré sur la poignée d'éjection et j’ai retrouvé I'air extérieur. Je voyais successivement du gris et du noir et j'avais I'impression que je restais bloqué dans mon siège alors que j'avais fait sauter les boucles des harnais du siège avant l'éjection. Soudain, j'ai cru voir quelque chose passer sous moi. Ce devait être mon siège. Il me restait à tirer la poignée de mon parachute et à attendre. Presque immédiatement, j'ai ressenti un choc dans les épaules suivi d'un autre et je me suis retrouvé assis dans un champ labouré. La première chose que j'ai réalisée était que mon parachute gonflé par le vent me tirait vers l'arrière. Je n'avais jamais été suspendu dans mon parachute et je n'avais jamais vu le sol. Sans doute un record, que je n'ai jamais eu I'envie de battre.

Je me suis relevé, j'ai fait sauter les boucles de fermeture de mon parachute et je me suis retourné. Une dame et sa petite fille accouraient de la rue toute proche. Je me demande encore comment elles m'avaient vu. Quoi qu'il en soit, elles étaient là. Je me suis tourné vers la dame et je lui ai dit, assez énervé : "Madame, je vous rends responsable de mon parachute, que personne ne le touche, je vais revenir. Où y a-t-il un téléphone ?

- Là, à la ferme, il y a un panneau S.O.S qui l'indique, m'a-t-elle répondu.

J'avais I'obsession de prévenir, mais pas n'importe qui, mon Commandant d'escadrille. Je me suis donc dirigé vers la ferme qui était située à Leuze-Longchamp, sur la route Namur-Louvain. J'ai sonné et je me suis assis sur le seuil. Une dame est venue ouvrir : "Madame, je viens de sauter en parachute, je voudrais téléphoner". J'ai d'abord téléphoné au bureau du Major Branders. Je crois que quelqu'un m'a répondu qu'il était parti mais pas question de parler à quelqu'un d'autre que mon Commandant d'escadrille. Réalisant que c'était I'heure de midi, j'ai téléphoné à son domicile. Madame Branders a répondu. Je lui ai expliqué ce qui venait de m'arriver. Elle m’a demandé si je n'avais rien. J’ai répondu en pleurnichant : "Non, mais c'était l'avion du Major !". Elle m’a rassuré et m’a dit que I'essentiel était que je n'avais rien. La dame qui m'avait accueilli, voyant que j'avais quand même subi un choc, m’a proposé, en attendant la délégation de Florennes qui ne pouvait tarder, 'un petit verre'. J’ai mis un moment pour me remettre de mes émotions. Je réalisais aussi que je venais de passer juste à côté du grand saut. J'ai attendu et quelques temps plus tard sont arrivés des gens de Florennes dont le Major. Nous sommes allés ensemble voir les restes de l'avion, qui était à peine à deux ou trois cents mètres du lieu où j’étais tombé. Le Major m'a désigné un endroit en disant : Tu vois, si tu ne t'étais pas éjecté, c'est là qu'on t'aurait retrouvé". Je connaissais son genre d'humour et je savais qu'il souhaitait détendre I'atmosphère. On m'a ramené à Florennes. Toute l'escadrille m'attendait et chacun était joyeux et m'embrassait. Il faut dire que l'avion était immatriculé FU-13 et chacun était heureux de se voir débarrassé de ce numéro maudit.

La commission d'enquête a été constituée et on m'a interrogé sur mon 'flame-out'. Je revenais toujours avec mes observations : 350° de température des gaz d'éjection du moteur et 33 % de tours moteur. On m'affirmait que c'était impossible, jusqu'au mercredi ou jeudi où la base a reçu un télégramme de France disant qu'ils avaient eu plusieurs cas de déconnexion de la tringlerie du contrôle du moteur. Il était possible, d'après les instructions techniques, de mal fil-freiner (brancher les câbles par la gauche ou par la droite, une seule était bonne) une connexion et alors le moteur retournait automatiquement au ralenti. Je n'avais donc pas eu de flame-out et mon moteur tournait au ralenti. Les restes du moteur ont complètement confirmé la déconnexion. Par la suite, des modifications ont été apportées aux appareils pour qu'en cas de déconnexion le régime moteur se maintienne à 80 %.

En 1957, je suis devenu Commandant de flight à la 1ère escadrille qui était alors commandée par le Major Dewulf, un ancien pilote des Diables Rouges. Plusieurs d'entre nous avons suivi à Florennes des cours pour préparer l'examen A, en vue de devenir officier d'active. Après avoir passé et réussi I'examen A, on ne devenait pas automatiquement officier. Il fallait suivre des cours légaux et une école a été créée dans ce but à Coxyde. Nous suivions les cours trois semaines et nous rentrions en base pour voler une semaine.

J'étais à la 1ère escadrille lorsque j'ai eu mon deuxième accident presque fatal. J'étais le leader d'une formation de quatre avions qui devaient faire des exercices de tir au sol à Helchteren. Nous avions décollé en retard car les avions n'étaient pas prêts et j'avais ouvert un peu 'la gomme' pour rattraper un peu de ce retard et ne pas être amputé de ce temps sur le 'range'. Juste au moment de passer sur le champ de tir pour faire notre 'spacing pass' (passe d'espacement), j'ai réduit le moteur. A ce moment, j'ai senti une sorte de souffle dans le cockpit. Ce n'était pas une explosion mais je savais que quelque chose venait de se passer. J'ai vérifié mes instruments et j'ai constaté que j'avais 850° de température moteur, alors que la normale à ce pourcentage de tours/moteur (91 %) était de 500°. J'ai donc appelé mes coéquipiers et leur ai dit que j'avais un problème moteur et que j'allais atterrir à Kleine-Brogel. Vic Quick, qui volait comme numéro 2, m'a accompagné, pour une aide éventuelle. Le Major Dewulf et un autre ami ont poursuivi la mission. A ce moment mon avion volait et j'étais persuadé de pouvoir atteindre la piste. J'ai donc descendu mon train et mes volets. Alors, j'ai constaté que je perdais rapidement de la vitesse et forcément de l'altitude. Alors, j'ai tout rentré et j'ai ouvert mon moteur à 100 %. Je ne voulais plus regarder ma température moteur. Tant pis ! J'ai tout fait pour que l'avion ne soit pas en perte de vitesse et je me suis posé droit devant moi sur le ventre dans un champ sans choisir quoi que ce soit.

Dès que I'avion a touché le sol, j'étais tellement secoué que je ne pouvais plus percevoir aucune image. L'avion s'est arrêté à environ 80 mètres du bois qui se trouve juste avant le seuil de piste et j'ai réalisé que j'étais toujours vivant mais l'avion était déjà en feu du coté droit. J'ai essayé d'ouvrir le canopy mais il était bloqué. J'ai fait sauter mes sangles, me suis renversé et j'ai frappé des deux pieds dans le canopy qui alors s'est ouvert. Je suis sorti par le côté gauche et j'ai tout de suite repéré un groupe de personnes à peine à 30 mètres sur ma droite. C'était une réunion de gardes forestiers. J'ai tout de suite couru vers eux et leur ai dit de s'éloigner car l'avion était chargé de munitions. J'ai demandé un de leurs vélos et je suis parti vers la base qui était tout près. Dans le chemin qui menait à la base, j'ai rencontré une jeep avec un Commandant d'escadrille, le Major Muller, et un autre pilote, qui étaient de garde au 'Runway Control'. J'avais toujours mon casque sur la tête mais mon visage était tout ensanglanté. Nous sommes retournés sur les lieux du crash. En fait, je m'étais posé dans une clairière juste devant un bois épais qui se trouve devant la piste de K.B. On m'a dit ensuite qu'au passage, j'avais tué une vache.

On ma 'emmené à I'infirmerie où on a soigné mes blessures au visage et où on m'a appliqué un très gros pansement. K.B. avait fait le nécessaire pour qu'on envoie un T-33 de Bierset pour me ramener à Florennes. Je suis resté deux ou trois semaines sans voler car il fallait que mes plaies cicatrisent. De plus, je m'étais fait mal au dos et il aurait été pénible de voler dans ces conditions.

Après ce deuxième accident, Il m'est encore arrivé un incident. C'était à l'époque de l'Expo 58. Un vendredi. Nous avions un exercice et j'avais déjà fait un vol le matin. Il y avait de fréquentes averses et je m'étais posé dans la pluie. Il faut dire que nous volions sur la petite piste qui faisait moins de 6 000 pieds et que l'atterrissage, même par temps sec, pouvait être un challenge. On ne décollait qu'avec un plein largement limité. Après mon décollage, pour ma deuxième mission, j'ai noté que la température des gaz d'échappement fluctuait considérablement. Je croyais que c'était une erreur de l'instrument mais si ce n'était pas le cas, on m'aurait reproché de ne pas avoir atterri. J’ai donc décidé de rentrer à la base. Il y avait une averse assez violente, mais comme ça s'était bien passé lors du premier vol, il n'y avait pas de raison de ne pas essayer. Mal m'en prit car, par les averses successives, la piste était devenue bien plus inondée et glissante. Il faut dire aussi que je n'avais pas non plus consommé beaucoup de carburant et que l'avion devait être plus lourd que lors de mon premier atterrissage. J'ai glissé jusqu'au bout de la piste où on avait creusé à moins d'un mètre, un fossé pour des câbles ou des tuyaux dans lequel je suis tombé. L'avion s'immobilisa rapidement mais le train d'atterrissage était abîmé. J’ai été appelé par le Commandant de base, le Colonel Crekillie, mais aussi un peu plus tard par le Colonel Donnet, Commandant du Groupe de Chasse, qui m'administra une punition de, je crois, quinze jours d'arrêts, et une retenue sur mon salaire...

Après cet incident, je suis devenu officier de sécurité aérienne au Groupe de vol. J'ai occupé plusieurs fonctions au Groupe de vol. Pour devenir officier Renseignements ('Intelligence') de la base, je suis allé suivre un cours d'un mois à Wiesbaden et ce en prévision de I'arrivée de bombes atomiques à la 2e escadrille. Avec les bombes, arrivèrent également plusieurs dizaines d'Américains : techniciens, sécurité, opérations, etc. En plus du QRA proprement dit, le Groupe de vol organisait des tests. On faisait des scrambles sans bombe avec mission fictive. A ce moment, j'étais Capitaine et je me rappelle avoir fait mon test en vol de Major au cours d’une mission strike. Ce test faisait partie des examens pour accéder à un grade supérieur.

C'est aussi à cette époque que le Commandant du Groupe de vol m’a désigné pour faire les démonstrations acrobatiques dans les meetings. J'adorais l'acrobatie mais je me suis entraîné avec prudence sur les conseils précieux que m'avait donnés le Lieutenant-Colonel Dewulf. Il m'avait dit d'y aller progressivement, par exemple de commencer mes répétitions à 1 000 pieds et de descendre ensuite par paliers. Je me suis composé un programme d'une douzaine de minutes avec toutes les figures classiques. Décollage avant de s'écarter pour vérifier les paramètres moteur et autres, ensuite tonneau lent, tonneaux rapides, 'cuban eight' - c'était excellent pour se mettre en confiance avant de faire un looping complet -, Immelman, quelques virages à basse altitude, passage sur le dos sur toute la longueur de la piste. Je m'étais spécialisé dans l'atterrissage avec parachute de queue sur une distance minimale. Lors de mon premier meeting qui eut lieu à Florennes pour les fastes du Wing, j'ai reçu de José Marette, qui était mon prédécesseur en démonstration, un compliment remarquable : "Je regrette de devoir te féliciter". C'était très élégant. J’ai fait plusieurs meetings et surtout celui de Chièvres, qui clôturait les activités de la base avant que celle-ci soit transférée au SHAPE."

Alors qu'il pourrait espérer devenir un jour commandant d'escadrille, Yvan Moriamé est gravement blessé à la jambe lors d'un match de football. Cette blessure l'immobilise de longs mois et met fin à ses espoirs de commandement mais, paradoxalement, elle va lui permettre d'entrer à l'Ecole de Guerre et va marquer un tournant décisif dans sa carrière.

"Je suis entré à l'Ecole de Guerre mi-67. J'y suis resté deux ans, période pendant laquelle j'ai continué à voler comme pilote visiteur sur F-84F. J'ai ensuite reçu ma nouvelle affectation, la Section Plans et Programmes de l'Etat-Major de la Force Aérienne (VSP/E). J'ai été chargé de plusieurs études : le remplacement des hélicoptères Sikorsky, la fusion des états-majors opérationnels OTAN, les aides à I'approche et à I'atterrissage, le programme Navstar, le futur GPS... J'arrivais au bon moment car on commençait les visites des constructeurs d'hélicoptères. J'ai ainsi pu effectuer des visites chez Westland, Sud Aviation, Agusta et au Danemark où la Force Aérienne utilisait des Sikorsky S-61. Je me suis également rendu au Japon chez Kawazaki qui proposait un hélicoptère très valable mais qui n'a pas été retenu car devenu inabordable en raison l’évolution économique et du cours du yen.

En début 1973, j'ai été désigné comme Commandant du Groupe de vol au 2e Wing. J'ai d'abord fait une transition sur Mirage à Bierset avant de rejoindre Florennes. Ma transition s'est passée sans problème et j'ai eu la joie de voler sur un avion bisonique. En Belgique, nous utilisions le Mirage comme chasseur-bombardier, c'est-à-dire avec de I'armement et deux énormes réservoirs extérieurs de carburant que nous appelions 'bidons'. Parfois, on pouvait voler lisse, sans bidon. Et alors, on faisait de l'acrobatie et c'était I'extase. Le Mirage était évidemment très différent du F-84F du fait déjà que c'était un avion à aile delta. En approche à l'atterrissage il était d'ailleurs nettement plus cabré. Mais la principale qualité des pilotes étant la souplesse, ça ne posait pas de véritable problème d'adaptation.

J'ai toujours eu l'esprit créatif et inventif et je me suis toujours efforcé d'améliorer les choses. Pendant la période où j'étais à Florennes, j'ai notamment mis au point une procédure de transmission des ordres opérationnels venant du TOC (Tactical Operation Center) qui coordonnait les activités pour toute la région centre de I'OTAN. Comme nous avions une escadrille de reconnaissance et une escadrille de chasseurs-bombardiers, je m'étais mis d'accord avec le TOC : quand il nous passait une mission, par téléphone, les deux escadrilles décrochaient et le TOC commençait son message soit par 'Recce' ou 'Attack'. L'escadrille non concernée raccrochait, d'où grand gain de temps. J'avais appelé cette procédure 'Watergate' puisque tout le monde écoutait en même temps.

Au niveau météo, la communication des informations n'était pas non plus optimale. Il faut savoir que Florennes était très mal situé et que le mauvais temps qui venait de Paris avait toutes les chances d'arriver quelques temps plus tard chez nous. L'ennui, c'est que les informations des services météo français ne nous parvenaient qu'avec un décalage de trois heures. Un jour, j'ai trouvé dans un coin un bac qui contenait un néon et dont le couvercle était constitué d'un morceau de plexiglas. Je ne sais pas à quoi il avait pu servir mais j'ai placé sous le plexiglas une carte aérienne de la Belgique et d'une partie de la France et des Pays-Bas et partout où il y avait des bases, j'ai fait des trous pour y insérer des plots de couleur correspondant aux codes de couleur météo, yellow, green, red, blue, etc. Chaque matin, en arrivant, le secrétaire du Groupe de vol rassemblait les infos météo et plaçait les plots sur la carte. En allumant le néon du bac, on voyait immédiatement quel était le temps au-dessus des différentes bases. Une mise à jour régulière permettait d'avoir une vue d'ensemble des conditions météo. Le système fonctionnait bien et j'ai fait fabriquer par les Installations Aériennes d'autres bacs pour les escadrilles. Ça a dû susciter de l'intérêt en haut lieu car finalement le système a été implanté sur toutes les bases de la Force Aérienne, mais avec une mise à jour faite à partir du Wing Météo.

Mais la plus belle idée restera pour moi le concours de sécurité aérienne. Je m'étais arrangé, en sollicitant diverses firmes, pour que ce concours soit doté de prix très intéressants, le principal étant un voyage à l'étranger. J'ai demandé I'autorisation au Chef de corps, le Colonel Barthelemy, de mettre sur pied ce concours que j'ai commencé à organiser avec l'officier S.A., le Commandant Wilmart. Nous avons délimité la matière, établi un questionnaire et un lundi matin, tous les pilotes ont été mis au secret dans la 'briefing room' et ont défilé ensuite, un par un devant nous, I'officier S.A. et moi. Ils ont tous répondu oralement au même questionnaire. Donc, le classement n'a pas été difficile à établir.

La veille du jour de la remise des prix, j'ai reçu un coup de téléphone du Général De Smet, alors Commandant de la TAF, me demandant si j'avais prévenu la presse, car "pour une fois que quelqu'un avait une idée brillante" - j'en rougis encore -, un peu de publicité s'imposait. Certain que ce concours allait avoir un grand retentissement, il avait demandé au Chef d'Etat-Major de la FAé, le Général Debêche, de I'accompagner et de présider la cérémonie. Le concours de sécurité aérienne fut un succès et fut par la suite étendu aux autres bases de la Force Aérienne."

Après avoir quitté Florennes, Yvan Moriamé revient à l'Etat-Major, dans le service qu'il avait quitté deux ans plus tôt.

"Après avoir connu le Colonel Taymans à mes débuts à l'Etat-Major, j'ai servi successivement les Colonels Dedeurwaerder, Cloeckaert et Gennart auquel j'ai succédé, comme VSP en 1977. Dans cette fonction, j'avais beaucoup d'activités variées : réunions à I'OTAN dans des groupes directeurs d'armement, contacts avec les hommes politiques, réunions avec des membres d'autres départements, avec la presse et surtout avec de nombreux industriels belges ou étrangers.

En 1981, j'ai été désigné comme Chef de corps de la base de Beauvechain, une base qui venait de recevoir un nouvel avion et où tout était encore à faire. J'ai donc effectué ma conversion sur F-16 à Beauvechain. La formation commençait par un cours au sol de quinze jours et le solo se faisait après six vols. Je connaissais déjà assez bien le F-16 car j'avais participé à l'Etat-Major, à VSP/E, au choix de l'appareil. Ce qui m'impressionnait, et ce qui m'impressionne toujours, c'était le potentiel d'amélioration de l'avion. Du point de vue de l'électronique, le F-16 d'aujourd'hui n'est pas du tout comparable avec celui que nous avions au début. L'avion avait été conçu avec de nouveaux systèmes tout en laissant la possibilité à des perfectionnements futurs.

Le vol était vraiment intéressant. C'était la chasse pure et les habitudes étaient différentes de celles des chasseurs-bombardiers. Par exemple, chez ceux-ci, c'est le plus haut en grade ou le plus expérimenté qui emmène la formation. A la chasse, le grade n'a pas beaucoup d'importance et en combat, par exemple, c'est celui qui est le mieux placé par rapport à I'ennemi qui prend I'initiative. Cela se reporte sur la mentalité générale et peut-être y a-t-il encore plus de solidarité entre les pilotes en vol que chez les chasseurs-bombardiers et cela se ressent au sol aussi. Il y avait une certaine rivalité entre les chasseurs et les chasseurs-bombardiers. Je l'ai très fort ressentie quand je suis arrivé à Beauvechain. D'ailleurs, les repas de corps et les soirées étaient totalement différents Florennes et à Beauvechain.

Lorsque j'ai quitté Beauvechain en 1984, je suis revenu à l'Etat-Major en tant que Chef d'état-major à la TAF, une fonction intéressante qui fait la synthèse de tous les événements pour le Commandant de la TAF. De ce fait, je rencontrais tous les sous-chefs avant la réunion quotidienne avec le Commandant. C'était l'époque du Sahel où la FAé intervenait avec les C-130 du 15e Wing. Ce n'était pas une situation de guerre, bien que près des aérodromes, la guérilla armée essayait de profiter des vivres aéroportés.

C'est aussi à cette époque que j'ai réussi, à ma troisième tentative (malgré un effort soutenu de plusieurs années), mon examen approfondi de néerlandais, condition indispensable pour être candidat Général. J'ai été retenu et nommé le 26 septembre 1985. On m'avait prévenu après les résultats du comité d'armes que j'irais occuper la fonction 'Support' à AFCENT à Brunsum en Hollande. C'était la première fois que ce poste était occupé par un pilote. AFCENT était le QG OTAN de la région Centre, la plus sensible par rapport à AFNORTH et AFSOUTH car tout incident dans la région Centre aurait eu des conséquences graves et sans doute irréversibles. Nous étions donc sous pression à chaque instant tout en essayant de rester très discret.

Les 2 et 3 juin 1988, j'ai eu le plaisir de pouvoir aller voler sur le porte-avions 'Eisenhower'. Nous sommes allés à un petit groupe de 4 en Falcon à Naples. Le 2 au matin très tôt, nous sommes partis vers l'aérodrome. Nous ne connaissions pas notre destination sauf que c'était sur un porte-avions. Nous n'avions aucune idée de l’endroit où il se trouvait. Nous avons embarqué dans un petit turboprop chargé de nous déposer sur le Eisenhower. L'atterrissage était déjà impressionnant. Nous avons été reçus par une garde d'honneur et nous avons été dirigés directement vers le mess car nous devions voler au début de l'après-midi et nous n'avions pas beaucoup de temps à perdre. Nous avons appris en mangeant que nous nous trouvions au sud de l'Espagne et que nous allions participer à un grand exercice qui mettait en scène une puissance étrangère (nous) qui attaquait I'Espagne, défendue par ses avions de chasse. Ce fut un terrible vol qui regroupait tellement de choses que je n'avais jamais faites. Je volais dans le siège arrière d'un F-14 qui assurait la couverture pour les chasseurs-bombardiers qui pénétraient à basse altitude. Le catapultage du porte-avions et le regroupement en décrivant des cercles par formation à des étages différents, c'était vraiment comme au cinéma. Lorsque nous avons terminé la mission de base, nous avons procédé à un ravitaillement en vol et à une séance de combat aérien. C'était très excitant mais ce n'était pas fini car pour terminer, il y avait I'appontage. Fantastique !

Mon séjour à Brunsum s'est terminé en septembre 1988. Je suis rentré à la TAF comme Commandant en second. Finalement, je n'y suis resté que 3 petits mois car à la fin de l'année, J. Lefèvre et A. Moriau, l'ancien et le nouveau Chef d'Etat-Major FAé m'ont demandé si je ne voulais pas prendre le Commandement du Commandement Logistique à Gand. Ce fut une expérience assez originale puisque, une fois encore, c'était la première fois qu'un pilote occupait cette fonction. J'ai découvert un monde de la FAé que je ne connaissais pas. Je crois franchement que je n'ai pas fait de tort aux logisticiens en leur rappelant qu'ils étaient militaires et qu'ils participeraient aux opérations comme les autres si c'était nécessaire. J'avais, avec mes Chefs de corps, fixé un timing pour les neuf mois que j'allais passer avec eux. Un point important était d'exposer au Chef d'Etat-Major la situation de la Logistique de la FAé. Ce fut fait en juin, ce qui permettait de prendre les mesures découlant des commentaires du Chef avant mon départ. Ce fut un beau succès et mes Commandants de Wing Log étaient fiers d'avoir pu 'briefer' eux-mêmes le Chef : c'était une première."

Yvan Moriamé a été admis à la retraite en septembre 1989, après une carrière de 37 ans qui lui aura permis de découvrir quelques uns des principaux rouages de la Force Aérienne.


Texte : Yvan Moriamé et Vincent Pécriaux (interviews des 18 mai et 4 juin 2007)
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


+ Le Général Major Avi. e.r. Yvon (Yvan) Moriamé est décédé le 01/12/2022


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