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Carnets de vol: Marcel Barré

Carnets de vol: Marcel Barré

Carnets de vol: Marcel Barré

Entré sous les drapeaux avant la fin du deuxième conflit mondial, Marcel Barré a connu les balbutiements de la toute jeune Force Aérienne à peine sortie du giron de la RAF. Une période intense, riche en événements et où tout était à construire.

"Pendant la guerre, je me rendais souvent chez mes grands-parents, à Tourinnes-Saint-Lambert, à quelques kilomètres de Beauvechain. Je voyais les avions qui attaquaient l'aérodrome et ça m'impressionnait. J'avais déjà cette envie de voler qui me prenait et dès que j'ai eu terminé mes humanités en 1944, je suis allé de moi-même à Bruxelles, sans en parler à mes parents, pour demander à m'engager comme élève-pilote. J'ai d'abord eu quelques difficultés à être admis car il y avait beaucoup de pilotes et de candidats pilotes à cette époque. Mais finalement, ma candidature a été retenue. Le début a été un peu laborieux. J'ai d'abord été dans la 108e promotion avant d'être incorporé finalement dans la 109e. La 107e est partie la première en Angleterre et nous avons dû attendre 1945 pour la rejoindre. Et là aussi, le training n'avançait pas très vite. Un jour un Group Captain anglais avec sa "big moustache" est venu nous voir et nous a dit que si nous voulions que ça aille plus vite, nous n'avions qu'à signer pour combattre contre le Japon, toujours en guerre à cette époque. Nous avons tous signé mais ça n'a pas été beaucoup plus vite.

J'ai pour ma part eu la chance de faire quelques vols en Tiger Moth à Bottisham avant de rejoindre la Belgique et Diest en juin 1946. Nous étions casernés dans la ville. Nos instructeurs étaient quasi tous d'anciens de la RAF. Il y avait bien quelques pilotes d'avant-guerre mais ils n'étaient pas nombreux. Les infrastructures de la base n'étaient pas très importantes, tout au plus un ou deux hangars pour abriter quelques Tiger Moth. Je n'ai pas gardé un grand souvenir du Tiger Moth. Moi, ce qu'il me fallait, c'était un avion qui aille vite. Gonflé à bloc, je me voyais déjà sur Spitfire.

Nous sommes ensuite allés à l'Ecole de Pilotage Avancé sur T-6, avion sur lequel nous avons effectué environ 80 heures. C'était pour moi une grosse brique. Il n'allait pas très vite mais c'était déjà plus un avion par rapport au Tiger Moth. C'est quand on passe du Harvard au Spit que l'on se rend compte de ce que c'est qu'un vrai chasseur ! Le Spit IX était pour moi l'avion par excellence. J'ai souvent eu des discussions animées avec 'Cheval' Lallemant qui préférait le Spit XIV, bien plus puissant.

Le Spit XIV avait un moteur de 2 250 cv entraîné par une hélice à cinq pales. Au décollage, on mettait les gaz progressivement tout en mettant le palonnier à gauche pour contrer l'effet de couple. A la moitié de la piste, on était plein pied à gauche et dès qu'on avait décollé, il fallait tout de suite centrer le palonnier. En vol, l'avion se manœuvrait très bien mais il fallait faire attention à l'atterrissage et ne pas arrondir trop vite sinon il repartait.

La transition du Harvard au Spit IX était rapide. Un jour, mon moniteur m'a annoncé que le lendemain matin je faisais mon dernier vol sur Harvard et que l'après-midi je volais sur Spit. J'ai donc lu attentivement les pilot's notes et le lendemain, il est venu près de moi pour m'expliquer le démarrage de l'avion et je suis parti. Nous avions à ce moment environ 250 heures de vol, autant dire que nous n'étions encore nulle part même si nous pensions tout savoir. C'est pour ça que quand on se retrouve commandant d'escadrille ou flight commander on gueule sur les jeunes pour qu'ils ne se tuent pas. C'est tout simple mais c'est comme ça.

Après avoir décroché nos ailes, nous sommes partis pour trois mois à Coxyde, à l'Ecole de Chasse, pour y apprendre le métier de chasseur, sur Spit XIV cette fois. Nous avons fait du tir, du dogfight, du tail chase, etc. C'est là que j'ai perdu mon premier copain, Jean Bastin, et que j'ai failli mois aussi y laisser ma peau. Nous effectuions un exercice de bombardement à Lombardsijde avec quatre Spit armés de petites bombes d'exercice. On volait à 8 000 pieds, on piquait à 45 degrés sur l'objectif, on lâchait la bombe à 4 000 pieds et on partait en ressource. Jean était le troisième dans la formation et moi le quatrième. A un moment donné, alors qu'il effectuait sa ressource, j'ai vu son aile se briser comme une allumette. Elle est arrivée vers moi. J'ai dû passer tout près mais je ne l'ai pas touchée. J'ai tiré comme un fou sur le manche et je me suis retrouvé à 12 000 pieds. L'avion de Jean est parti en vrille, ne lui laissant aucune chance de s'en tirer."

Après l'Ecole de Chasse, Marcel Barré est affecté en 1948 à Florennes.

"Je suis arrivé à la 1ère escadrille, commandée par De Wever. L'escadrille commençait seulement à s'étoffer. 'Cheval' commandait la base qui était en pleine reconstruction."

L'année suivante, pourtant, il fait déjà mutation à Beauvechain.

"Il fallait 30 pilotes pour voler sur Meteor à Beauvechain. J'ai été sélectionné avec Delelienne. Nous étions les deux seuls de la 109e promotion. Nous avons fait environ trois heures de Meteor 7 biplace avant de passer sur Meteor 4. L'avion volait très bien mais il fallait faire attention lorsqu'on se retrouvait à basse vitesse sur un seul moteur. On s'entraînait pour ça et on effectuait un restart en altitude à peu près tous les mois. Mais parfois le moteur ne reprenait pas. C'est ainsi que mon ami Delelienne s'est tué. On a annoncé à la radio qu'il rentrait sur un moteur. J'étais à l'escadrille et je suis sorti voir. Il est passé à grande vitesse au-dessus du terrain, il a sorti ses dive breaks puis son train mais n'a pas rentré ses dive breaks. Il a dû mettre de plus en plus de moteur mais sa vitesse était insuffisante et il s'est écrasé. Ça m'a fait beaucoup de peine car nous étions très proches.

Le plus frappant par rapport au Spit, c'est qu'en Meteor on est dans le nez de l'avion et qu'on découvre littéralement qu'il y a une piste devant soi. Et puis quand on met les gaz à fond, on se retrouve collé sur son siège, une sensation qu'on n'avait pas dans le Spit. En dehors de cela, sa vitesse ascensionnelle était sensationnelle pour l'époque. C'était un bon avion qui permettait même de voler un certain temps sur le dos. J'en garde un bon souvenir. Et puis nous volions beaucoup à cette époque. Il n'était pas rare de faire 30 heures de vol par mois.

J'ai été affecté à la 349e escadrille pendant 3 ans avant d'être désigné pour l'EPA comme moniteur. Revoler en T-6, ça ne me plaisait pas du tout. Je suis allé voir le général De Soomer mais il est resté inflexible et je me suis retrouvé à Brustem. J'étais bien décidé à boycotter l'affaire et ça a marché car j'ai rapidement été muté au 10e Wing qui était en formation à Chièvres. Je suis arrivé à la 27e escadrille. Elle était équipée de Spit XIV en attendant la livraison des F-84 qui étaient transportés par bateau des Etats-Unis jusqu'à Rotterdam avant d'être convoyés, généralement par des pilotes de Florennes, jusqu'en Belgique. J'ai donc revolé sur Spit tout en continuant à effectuer des vols sur Meteor au 7e Wing puisque j'étais qualifié sur l'avion.

J'ai été lâché très rapidement car j'avais déjà plus de 1 000 heures de jet. Le cockpit du F-84 était une vraie salle de danse. C'était un avion très agréable à piloter mais une brique à poser alors que le Meteor se travaillait encore un peu. La 27e escadrille s'est retrouvée avec 27 pilotes et 27 avions flambant neufs. C'est un souvenir qui m'est toujours resté. Tous les pilotes étaient des gars qui avaient été brevetés aux Etats-Unis, promotions 52 Able et 52 Baker, si je me souviens bien.

Contrairement aux escadrilles de Meteor qui étaient organisées selon le modèle britannique et se composaient de deux flights, A flight et B flight, les escadrilles américaines étaient constituées d'un squadron commander, d'un operation officer et de quatre flights. J'étais ops officer et comme l'escadrille ne comptait aucun flight commander, j'ai été chargé de former le plus rapidement possible des section leaders. Et c'est ce que j'ai fait.

Et puis un jour, nous sommes partis à Kleine-Brogel. Contrairement à ce qu'on a pu écrire, j'ai eu l'honneur d'être le premier à me poser à KB. La formation devait se composer de huit avions répartis en deux sections, Red section et Blue section. du Monceau de Bergendael commandait la section Red et moi la Blue. Malheureusement pour lui, il n'a pas pu mettre son moteur en marche et il m'a lancé à la radio : "Marcel, you take over". J'ai donc leadé les deux sections vers Kleine-Brogel. L'atterrissage a été mémorable car il n'y avait pas encore de taxitrack utilisable. Après s'être posé, chaque appareil s'est dirigé en bout de piste et s'est arrêté perpendiculairement à la piste pour pouvoir ensuite faire demi-tour une fois tous les avions au sol. Les travaux n'étaient pas terminés mais du Monceau tenait absolument à occuper la base. Il nous a rejoints une heure plus tard.

De la 27e, je suis passé à la 23e, commandée par Van Molkot, aussi un ancien de la RAF. On volait beaucoup pour former les jeunes de l'escadrille. Je faisais au minimum trois vols par jour, deux le matin et un l'après-midi. C'était fatigant mais nous étions jeunes à l'époque et ça ne nous posait pas de problème. Les pilotes formés aux Etats-Unis avaient reçu une très bonne formation, sauf en navigation. Certains m'expliquaient qu'aux Etats-Unis, en décollant ils voyaient parfois déjà le prochain point de leur navigation. Ça a posé quelques problèmes au début mais tout est finalement rentré dans l'ordre, après un temps d'adaptation malgré tout assez long. Pour l'anecdote, il y avait au sud de Kleine-Brogel un aérodrome de secours qui était en construction et je me souviens d'un pilote qui avait terminé sa navigation et qui a demandé à la tour les instructions pour l'atterrissage puis s'est posé sur cet aérodrome, à Zutendaal. J'étais en l'air à ce moment-là et je l'ai entendu appeler la tour et dire : "Tower, I have landed on a stranger airfield!" J'ai tout de suite compris ce qui s'était passé. Je l'ai contacté et je lui ai dit de redécoller en lui indiquant que l'aérodrome se trouvait quelques miles plus au nord. J'ai engueulé la tour par après car ils l'avaient autorisé à se poser sans même prendre la peine de le suivre en visuel.

En 1953, j'ai été envoyé aux Etats-Unis, à Moody Air Force Base comme "instrument instructor on jet aircraft", c'est-à-dire moniteur de pilotage sans visibilité sur T-33. C'était un cours très intéressant. Nous avions un jour de cours suivi d'un jour de vol, et ainsi de suite. Après mon retour à KB, du Monceau m'a appelé dans son bureau pour me dire : "Marcel, OK you made it, maintenant tu vas avoir du boulot. Tu vas commencer par tous les vieux comme moi et les commandants d'escadrille pour délivrer les cartes vertes ou blanches de vol aux instruments". Et c'est avec eux que j'ai eu le plus de difficultés, avant de m'occuper des autres pilotes de l'escadrille. J'avais beaucoup de travail car j'étais à la fois ops officer et moniteur sur T-33 mais cela me permettait de voir les erreurs que certains pilotes commettaient. Je me rendais compte que tel ou tel était nerveux en vol ou distrait. Certains avaient des défauts assez frappants. Et comme je ne distribuais pas les cartes gratuitement, je n'hésitais pas à les renvoyer en escadrille et je les reconvoquais le mois suivant. Je me rappelle de l'un d'eux qui volait très bien en escadrille et qui se débrouillait pas mal non plus aux instruments. Je devais lui faire passer sa green card. Le vol se déroulait très bien. Après être passés à 20 000 pieds au-dessus du beacon, nous devions descendre à 12 000 pieds puis tourner pour effectuer une approche GCA et nous poser. Nous sommes descendus et à 12 000 pieds mais il n'a pas viré. Il a poursuivi sa descente et a tourné à 2 000 pieds, tout en continuant à perdre de l'altitude. Je l'ai laissé faire avant de reprendre les commandes à 300 pieds. Il ne comprenait pas ce qui s'était passé et je lui ai dit "Eh bien, tu es mort !". Il avait fait une erreur de lecture de l'altimètre. Une bêtise, mais qui aurait pu lui être fatale…

J'étais pour ma part "master green", c'est-à-dire que je pouvais décoller quand je voulais. J'ai volé un jour à Kleine-Brogel alors que les conditions étaient "zéro-zéro". Il y avait un brouillard à couper au couteau. J'ai pris un pilote avec moi et j'ai décollé. Nous avons fait une petite heure de vol et nous sommes venus nous reposer en vitesse car cette fois-là, c'est moi qui avais commis une petite erreur : nous avions fait plusieurs approches GCA et à chaque fois nous reprenions de l'altitude. Quand il y avait du brouillard comme ça, vers 1 200 pieds nous nous retrouvions au-dessus de la couche. A un moment donné, la radio a commencé à faiblir et je me suis dit que si nous n'avions plus de radio, nous devrions revenir en ILS. C'est là que j'ai remarqué que j'avais oublié de noter la fréquence. J'ai dit à mon pilote que nous rentrions et nous nous sommes posés heureusement sans problème. Comme quoi, même un pilote chevronné comme je l'étais n'est jamais à l'abri d'une erreur. Heureusement, les pannes de radio ou d'instrument étaient rares, surtout sur les avions américains. Ce n'était pas le cas sur le Spit ou le Meteor où, par exemple, l'horizon artificiel "toppled", comme nous disions. Il fallait alors voler à la "needle", uniquement avec le turn and bank indicator, en évitant de déraper. En Spit, c'était encore pire qu'en Meteor, quand on faisait un tonneau, il n'y avait plus rien ! Par contre, en F-84, il en fallait beaucoup pour dérégler l'horizon artificiel."

En mai 1953, la 23e escadrille quitte Kleine-Brogel pour Geilenkirchen

"Nous sommes partis en Allemagne car le revêtement de la piste ne supportait pas le souffle des réacteurs et nous l'arrachions en décollant. C'est à cette époque que j'ai été envoyé à Weelde avec le Flight T-33, toujours pour faire passer les cartes vertes avec quelques moniteurs. Nous ne sommes rentrés à KB que des mois plus tard, quand les travaux furent terminés.

Quelques temps plus tard, j'ai reçu un coup de téléphone de l'Etat-Major. Il avait été décidé de lâcher sur Meteor les pilotes de la 2e escadrille de Florennes qui n'avaient pas encore fait leur conversion sur F-84. Comme j'avais déjà de l'expérience sur l'avion, j'avais été choisi pour cette mission. Je suis donc parti à Brustem pour prendre le commandement de la 33e escadrille qui venait d'être créée et où j'ai retrouvé 'Cheval' Lallemant comme commandant de l'Ecole de jet.

Le travail fut assez facile car c'étaient de très bons pilotes pour la plupart. Il y avait notamment Marette, Neefs, Thysen, tous des pilotes chevronnés. Il a fallu simplement attirer leur attention sur les particularités du Meteor en vol asymétrique.

En 1957, la 33e a été dissoute. Entre-temps, j'avais passé mes examens de candidat major mais j'avais échoué trois fois en néerlandais. Mon objectif a alors été de partir au 15e Wing. J'avais également pris contact avec la Sabena où j'aurais pu entrer tout de suite mais je n'avais que trente-cinq ans et je préférais rester à la Force Aérienne jusqu'à 40 ans, âge où je pourrais obtenir ma pension d'aviateur. J'espérais déjà pouvoir me faire la main sur des appareils multimoteurs de transport. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Comme j'avais de l'expérience, on m'a confié la 26e escadrille de Bierset, qui volait sur F-84G.

Comme c'était le cas à Kleine-Brogel, les missions en F-84 étaient toujours effectuées en low level. Au briefing, quand je préparais une mission avec 4 ou 8 avions, j'indiquais "altitude zéro". Je naviguais à 200 pieds et je ne voulais pas qu'un seul pilote soit au-dessus de moi. Nous nous entraînions à attaquer de nombreux objectifs en Allemagne. C'est ce qu'il y avait de plus difficile en aviation. Il fallait attaquer l'objectif, l'atteindre et parvenir à rentrer. Nous ne volions évidemment pas en ligne droite pour y arriver. Nous changions plusieurs fois de cap et à trois minutes de l'objectif, nous nous mettions en échelon port ou starboard pour l'attaque. Nous faisions aussi du combat aérien. Parfois contre les Allemands mais ils n'étaient pas très chauds car ils étaient jeunes et manquaient d'expérience. Nous rencontrions aussi les Français ou les Canadiens. C'est lors d'un combat simulé que "Coco" Leclercq, qui avait été mon flight commander à Beauvechain, s'est tué. Il volait sur Hunter et a engagé le combat contre un Canadien. Il a dépassé le mur du son et n'a pas pu redresser. Je ne sais toujours pas pourquoi il ne s'est pas éjecté. Il faut dire que c'était une période où les accidents étaient fréquents. Un jour à l'atterrissage à Kleine-Brogel, un F-84G d'une section de quatre a pris feu. Le leader a indiqué à son pilote, Haelterman, qu'il était en feu. Il était à ce moment à cinq ou six nautiques de la piste. Il a viré et à tout coupé mais il s'est posé sur la piste à quelque chose comme du 200 miles à l'heure, c'est-à-dire beaucoup trop vite. Heureusement, le train a résisté et il a pu atterrir et dégager la piste. Il a eu juste le temps de sortir de l'appareil avant qu'il s'embrase. Ce jour-là, il a eu beaucoup de chance. Malheureusement, il s'est tué quelques années plus tard aux commandes d'un Sycamore, au Congo. Une des pales de son rotor principal s'est brisée au décollage.

La 26e était elle aussi équipée de quelques T-33 sur lesquels j'ai continué à voler pour donner aux pilotes leur carte verte. C'était un avion que j'aimais beaucoup et sur lequel j'ai accumulé un bon millier d'heures."

Deux ans plus tard, Marcel Barré arrive finalement au 15e Wing.

"J'ai fait ma conversion sur C-119, d'abord comme copilote, puis comme commandant de bord et commandant de bord long-courrier. Le C-119 était un bon avion qui volait très facilement mais qui pouvait être dangereux quand il se retrouvait sur un seul moteur. J'ai eu quelques problèmes de ce côté-là. La première fois, j'ai eu un moteur qui a claqué à 15 minutes de Niamey. Je n'avais presque plus d'essence et j'ai atterri sans problème. Le second incident était plus critique. J'étais au Congo depuis plusieurs jours déjà. Il y avait sur chaque moteur un "boost" qui s'enclenchait au décollage et dont la puissance devait s'afficher sur les instruments de bord à 100%. Or, celui de mon moteur gauche était à 100% tandis que l'autre n'était qu'à 95%. Ce n'était pas normal. Je l'avais signalé au mécanicien qui avait fait des tests mais ne voyait rien. L'avion a donc continué à voler comme ça et quelques jours plus tard, j'ai décollé de Léopoldville à destination de Kamina. A 8 000 pieds, je me suis mis en straight and level flight, j'ai réglé les manettes et j'ai trimmé l'appareil. Au moment où j'ai voulu me mettre en pilotage automatique, le moteur droit a lâché. J'ai tout de suite coupé, j'ai mis l'hélice en croix et je suis revenu me poser à Léopoldville. Heureusement, l'avion était très bien équilibré – je veillais toujours à ce que les charges soient bien réparties pour préserver le centre de gravité – et ça s'est bien passé. Au moment où j'allais toucher, mon navigateur m'a dit : "Castard, Marcel, huit jours de congé à Léo !". Le chef mécanicien m'a expliqué plus tard que j'avais eu vraiment beaucoup de chance. Ce genre de panne était embêtant car il fallait envoyer un télex à Bruxelles pour qu'un autre avion amène un moteur. Et puis les mécaniciens devaient ensuite le monter. Bref, l'opération prenait quasiment huit jours.

En C-119, j'ai volé à travers l'Afrique et l'Europe. J'ai notamment fait de nombreuses missions en Corse, à Solenzara. C'étaient de belles missions. Nous transportions les mécanos et le matériel pour les escadrilles en campagne de tir. Lorsque nous avons commencé à aller à Solenzara, il n'y avait pas de bateau pour assurer l'air sea rescue. C'était donc un C-119, équipé d'un grand dinghy, qui était maintenu en stand-by. C'était du tonnerre car il y avait en bout de piste un parking, juste au bord de la mer. C'est là que nous attendions, en shorts, prêts tout de même à enfiler nos combinaisons et nos parachutes. L'un de nous regardait toujours la tour, d'où serait tirée une fusée au cas où nous aurions dû décoller. Ce ne fut jamais le cas et nous avons pu profiter des joies de la plage comme si nous étions en vacances. Ce sont d'excellents souvenirs.

J'ai également participé à la livraison de plusieurs Fouga Magister à Kamina que nous allions chercher à Toulouse mais les missions les plus amusantes étaient celles où nous emportions un maximum de fret et un minimum de fuel. Nous partions vers neuf heures du matin de Melsbroek pour un premier vol jusqu'à à Marseille. Après le repas, nous redécollions pour Alger où nous passions la nuit. Le lendemain très tôt, nous repartions pour Aoulef, un terrain en plein milieu du désert, pas facile à trouver, puis direction Niamey où nous faisions un night stop. Le lendemain, nous décollions pour Douala puis pour Kinshasa. Et le jour suivant nous allions soit à Kitona ou à Kamina. Nous restions au Congo pendant parfois plusieurs semaines, jusqu'à ce que l'avion doive rentrer pour effectuer son inspection. Sur place, nous faisions surtout du transport de fret mais également de passagers, civils et militaires."

Et c'est justement au Congo que Marcel Barré se trouve lorsqu'éclatent les événements de 1960.

"J'étais au Congo à cette époque, à Kamina. La base était commandée par Mony Van Lierde, encore un ancien as de la RAF. Fin juin, j'étais à Léopoldville. Ma mission se terminait et l'avion devait rentrer en maintenance. Sur place, il y avait 40 paras prêts à intervenir en cas de problème. Mais tout s'est bien passé et je suis rentré à Bruxelles. J'avais fait signer ma feuille de congé à l'avance et le lendemain, je suis parti en Bretagne avec ma femme. Nous étions là depuis à peine quelques jours quand j'ai été rappelé au 15e Wing. Tous les commandants de bord devaient former des équipages et partir pour Léopoldville. Deux ou trois jours plus tard, nous décollions pour le Congo.

J'ai effectué des vols un peu partout à travers le pays : à Kindu, à Luluabourg, etc. Pendant ces missions, nous avions tous une Thompson sous le siège et lorsque nous atterrissions, je demandais toujours aux membres de l'équipage de regarder s'ils ne voyaient pas des mutins aux abords de la piste. Si tout allait bien, je me posais et j'allais jusqu'en bout de piste pour pouvoir être prêt à redécoller rapidement. Je n'ai pas eu de problème personnellement. Je me rappelle quand même une anecdote. C'était à Kindu. J'allais rechercher des civils pour les ramener à Léopoldville et j'étais l'un des derniers avions à partir. J'avais sept paras à bord. J'ai donc fait embarquer tous les européens et j'ai contacté le gars de la tour pour qu'il vienne avec nous mais il n'a pas voulu. J'ai donc taxié lentement vers la piste quand il m'a rappelé pour me dire qu'il y avait un passager supplémentaire. J'ai coupé le moteur gauche – c'était le côté où l'on embarquait – et j'ai vu arriver une nonnette qui avait retroussé sa robe et qui courrait à toute vitesse vers l'avion ! Je n'oublierai jamais cette image. C'était comique comme tout. J'ai recontacté le type à la tour mais une nouvelle fois il a refusé. J'ai donc décollé et je n'ai plus jamais eu de nouvelles de lui…

Quand j'étais à Melsbroek, le Colonel Binon, qui commandait la base, m'a désigné comme moniteur sur C-119 à la Transport Conversion Unit. Le boulot me plaisait car j'avais toujours l'ambition de voler à la Sabena. Malheureusement, un accident de voiture m'en a empêché. Je suis resté cinq mois à l'hôpital et j'ai commencé à avoir des troubles de l'équilibre. J'ai néanmoins été autorisé à revoler et j'ai encore fait quelques long-courriers en Afrique mais ces longs vols me donnaient des maux de tête. Le Colonel Binon m'a appelé dans son bureau pour me dire que je ne pouvais plus continuer comme ça. Il était impossible que je reprenne les commandes d'un jet et je n'avais plus aucune chance de passer les tests d'entrée à la Sabena.

Il me restait trois ans à faire. Il y avait un poste d'Early Warning Radar Officer au SHAPE à Paris. Je suis allé voir le Général Henri, qui était devenu Chef d'état-major, qui a accepté que je pose ma candidature à ce poste, normalement réservé à un major. Il y avait pour ce poste neuf majors et un commandant, et c'est le commandant qui l'a eu. J'étais vraiment heureux et deux ans plus tard, j'ai obtenu un poste d'ops officer à Fontainebleau, ce qui fait qu'au lieu de partir à 40 ans, je suis resté jusqu'à 42 ans, après deux tours au SHAPE."

Après avoir quitté la FAé, Marcel Barré a entamé une belle deuxième carrière dans l'industrie à Caterpillar Belgium.


Interview : Vincent Pécriaux (9 août 2008)
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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