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Carnets de vol: Steve Nuyts

Carnets de vol: Steve Nuyts

Carnets de vol: Steve Nuyts

Steve Nuyts rejoint la Force Aérienne en mars 1954. Il est d’abord incorporé dans la 129ème promotion.

"J’ai été versé dans cette promotion qui était la dernière à envoyer des élèves aux Etats-Unis. Comme j’étais volontaire pour ce détachement, à l’issue de mon instruction militaire j’ai été envoyé directement à Wevelgem où j’ai commencé à voler sur Tiger Moth, avion sur lequel j’ai été lâché solo. En plus du vol, je suivais quasiment tous les jours des cours intensifs d’anglais car j’avais fait des études techniques avec très peu d’anglais. Malheureusement, je n’ai pas réussi mon examen, ce qui a mis fin à mes espoirs d'aller aux States. Je me suis alors retrouvé premier élève de la 130ème promotion.

J’ai suivi la formation classique à Gossoncourt avec des cours au sol et l’apprentissage sur SV 4, un avion un peu similaire au Tiger Moth mais beaucoup plus confortable. Il avait un cockpit fermé et disposait d’une radio alors que pour communiquer en Tiger Moth on utilisait un "speaking tube", un simple tuyau dans lequel il fallait littéralement gueuler pour se faire entendre."

En mars 1955, c'est le départ pour l’EPA de Kamina où se poursuit la formation sur Harvard. Six mois plus tard, de retour en Belgique, la 130ème promotion rallie l'Ecole de Chasse de Coxyde. Steve Nuyts passe rapidement solo sur Gloster Meteor.

"Le 1er février 1956, j'ai eu un accident à la Section sport. Un poêle qui avait été raccordé à un système permettant de faire chauffer de l'eau pour les douches a explosé à cause du gel (il faisait –16° à Coxyde à cette époque) et j'ai eu une fracture ouverte à la jambe. Ça m'a coûté près d'un an de formation. J'ai poursuivi les cours au sol avec la 131ème promotion, puis je suis passé à la 132ème et finalement à la 133ème."

Cette promotion est la dernière à voler sur Meteor.

"Le Meteor n'était pas très confortable mais c'était un avion qui volait bien. Dans notre promotion, une partie d'entre nous volait sur Meteor – c'était mon cas – et l'autre, sur T-33. Ceux qui avaient été formés sur le T-Bird partaient ensuite à Kleine-Brogel ou Florennes pour voler sur les F-84 de construction américaine, tandis que ceux qui avaient volé sur Meteor partaient pour les escadrilles de Hunter. Avant de nous envoyer à Chièvres, on nous a quand même lâchés sur T-33 pour que nous ayons un peu d'expérience sur avion monomoteur."

Steve Nuyts effectue sa conversion sur Hunter dans les installations de la 9ème escadrille dissoute du 7ème Wing de chasse de Chièvres.

"Nous étions les premiers jeunes brevetés à voler directement sur Hunter. J'ai d'abord volé sur le F.4 avant de passer sur le F.6, une machine fantastique. C'est le meilleur avion sur lequel j'ai volé. Il était très agréable à piloter, un véritable avion de pilote. Il atteignait Mach 0.95 à 50.000 pieds."

Vient enfin l'arrivée dans la première unité opérationnelle : la 8ème escadrille.

"Comme le Hunter n'était pas équipé pour mener des opérations de nuit, nous effectuions uniquement des missions de chasse de jour. On maintenait des avions en stand-by à 5 minutes du lever au coucher du soleil.

Chaque année, l'escadrille complète partait un mois en période de tir à Sylt. On faisait aussi énormément de combats aériens. Ces rencontres en plein ciel n'étaient pas organisées mais quasiment tous les jours on se frottait aux SMB2 de Cambrai ou aux F-86 Sabre canadiens basés en Allemagne. En combat aérien, le Sabre était supérieur au Hunter mais nous avions plus de puissance moteur. Quand nous partions plein pot en spirale le Sabre ne parvenait pas à suivre et à nous aligner dans sa ligne de mire. Il fallait donc fuir et puis revenir pour tenter de l'abattre mais c'était un appareil très maniable. Il disposait de "slats" (1) qui réduisaient sa vitesse de décrochage. Quand on se retrouvait en ciseaux à la limite du décrochage et que le pilote du Sabre en avait assez, il dégageait tout d'un coup vers le haut et il était inutile d'essayer de le suivre.

Le 7ème Wing devait fournir régulièrement des pilotes pour voler sur CF-100 au 1er Wing. Pour nous, pilotes de chasse, ce n'était pas intéressant. Nous considérions plus cet appareil comme un bombardier que comme un chasseur. De plus, on volait avec un navigateur. Pour passer sur CF-100, il fallait avoir un certain nombre d'heures de vol et avoir sa "carte verte" attestant qu’on avait la qualification supérieure pour le vol aux instruments. C'est à cette époque que les premiers Fouga Magister sont arrivés à Kamina. Je me plaisais bien à Chièvres mais comme je ne souhaitais pas me retrouver à Beauvechain sur Canuck, j'ai fait comme beaucoup d’autres ma demande pour partir comme instructeur à Kamina. C'est ainsi que je me suis retrouvé au FFM (2) en mars 1960.

Quelques mois plus tard, les troubles qui ont conduit à l'indépendance du Congo ont éclaté. Nous sommes partis à Léopoldville avec quatre Fouga. Plusieurs Harvard armés se trouvaient déjà sur place. Finalement, la situation s'est un peu calmée et nous sommes rentrés à Kamina. Nous avons encore fait plusieurs missions de "border recce", sur Harvard cette-fois, au-dessus du Katanga déclaré indépendant. Pendant ces missions, on volait avec en place arrière un UDA armé d'un Thompson avec plusieurs chargeurs pour nous protéger si jamais on devait être abattus dans la brousse."

Quelques semaines plus tard, c'est le retour en Europe.

"Dans les premières semaines qui ont suivi mon retour, j'ai effectué pas mal de vols de convoyage de nouveaux appareils. Plusieurs fois par semaine, nous nous rendions en Pembroke à Toulouse où nous attendaient les Fouga.

Comme la promotion en cours à Kamina n'avait pas terminé sa formation sur Harvard, ses pilotes ont été envoyés avec quelques moniteurs à Gilze-Rijen. Après ces quelques mois passés aux Pays-Bas, je suis rentré à Brustem, toujours comme moniteur. Je n'ai assumé cette fonction qu'à temps partiel car entre-temps j'ai passé l'examen A, l'examen d'entrée à l'Ecole militaire, et j'ai ensuite suivi deux années de cours de formation pour devenir officier.

En 1965, j'ai été désigné comme aide de camp du Général Dumonceau de Bergendal, Commandant de la TAF, (3) as de la Seconde Guerre Mondiale … un très grand Monsieur."

Deux ans plus tard, Steve Nuyts renoue avec la Chasse. A la 350ème escadrille de Beauvechain cette fois. Le 1er Wing est à cette époque équipé de F-104G. Grâce à ses excellentes performances, le Starfighter, est employé notamment dans le cadre de vols stratosphériques, également appelés "Zoom Flights".

"On a été les premiers à faire ça. A l'époque, nous avions tous notre combinaison personnelle, ajustée à nos mesures, que nous allions faire tester en caisson. C'était très impressionnant. Le caisson était divisé en deux : il y avait un grand compartiment et un petit compartiment. On nous installait dans le petit. On faisait alors un premier "check" en réglant la pression à 40.000 pieds. Puis, on dépressurisait l'autre compartiment en simulant une altitude de 100.000 pieds. Et puis on ouvrait la porte entre les deux compartiments. La décompression provoquait une terrible explosion – je ne l'oublierai jamais – et la combinaison se gonflait instantanément.

Le vol stratosphérique en lui-même était aussi très impressionnant. On ressemblait un peu à des astronautes. Ces vols se faisaient avec un avion en configuration lisse. On accélérait à la tropopause (± 36.000 pieds). On prenait un maximum de vitesse, jusqu'à Mach 2 en vol horizontal avant de grimper sous un angle compris entre 10 et 30 degrés. Le reste du vol était purement balistique. J'ai atteint pour ma part l'altitude de 78.000 pieds mais d'autres sont allés encore plus haut. La montée s'effectuait plein moteur et ce qui est étonnant c'est qu'à 65.000 pieds, quasi au pied près, la postcombustion s'arrêtait. L'avion, lui, continuait sur sa lancée. On pouvait même bouger le stick dans tous les sens, ça n'avait aucun effet. A cette altitude, on voyait déjà la courbure de la terre et le ciel devenait bleu foncé. L'appareil redescendait ensuite, en reprenant de la vitesse. Il redevenait maniable vers 70.000 pieds. Ces vols ne duraient que quinze-vingt minutes car, comme on restait longtemps en AB, ça consommait beaucoup.

Ces missions avaient dans une certaine mesure une application opérationnelle car par la suite nous nous sommes entraînés à effectuer des interceptions à très haute altitude. A l'époque, l'ennemi était censé venir de très haut. On devait alors pouvoir faire un "zoom", tirer un missile et retourner à la base. On faisait surtout des interceptions à 65.000 pieds. Le 104 était un avion qui volait extrêmement bien en supersonique. A Mach 1.4 il volait incroyablement bien, il était vraiment dans son élément."

En plus des missions d'interception et de combat aérien qui constituent le quotidien de tout pilote de chasse, Steve Nuyts se lance dans une autre aventure : le vol acrobatique sur F-104G. Avec Palmer De Vlieger, il va constituer un duo acrobatique qui restera dans les mémoires, The Slivers.

"Quand je suis arrivé à Beauvechain, les démonstrations solo sur F-104 étaient assurées par "Sus" Jacobs qui avait pris la succession de Bill Ongena. Comme je m'entendais bien avec lui, il m'a demandé de l'accompagner avec l'avion de réserve dans les meetings aériens. Pendant un an, je l'ai donc suivi comme "spare". Puis, en 1968, il y a eu un meeting à Brustem et Ongena, qui à ce moment était posté au Cabinet de la Défense, est revenu, bien décidé à faire son show. Mais comme "Sus" Jacobs était le pilote de démonstration officiel, ils ont finalement décidé de faire le show ensemble. Ce n'était pas un show synchronisé comme le serait celui des Slivers. Ils faisaient chacun leur démonstration en alternant les figures. La seule chose qu'ils ont fait – et j'ai moi-même fait par la suite beaucoup d'efforts pour obtenir l'autorisation de le faire – c'est le décollage face à face. Une manœuvre impressionnante mais qui ne pose vraiment aucun problème.

Après cette expérience, Jacobs m'a proposé de faire un show à deux. On en a parlé à l'OSN (4) et au Chef de corps, le Colonel Dewulf, qui était un ancien Diable Rouge. Ils étaient favorables à cette idée mais il restait à convaincre l'Etat-Major. En attendant, on a commencé à s'entraîner à Bertrix, en face à face mais bien sagement, avec la piste entre les deux avions. Pendant ce temps, le "Sus" continuait ses solos et on lui a demandé de faire une démonstration pour la série télévisée "Les chevaliers du ciel". Et c'est pendant un entraînement qui précédait les prises de vue qu'il s'est tué. A partir de ce moment-là, l'Etat-Major n'a plus voulu entendre parler de démonstrations sur F-104, d'autant qu'Hadelin D'Hoop s'était lui-aussi tué en démonstration quelques années auparavant.

En théorie, cela signifiait la fin des vols de démonstration sur 104 mais Dewulf a commencé à pousser pour convaincre l'Etat-Major de reprendre les démos. Ils ont fini par céder mais ont imposé toute une série de restrictions. On ne pouvait plus faire de loopings, plus de "BLC flying", c'est-à-dire des passages "full flaps", plus de ceci, plus de cela. Bref, on ne pouvait pratiquement plus rien faire ! Quand Dewulf m'a montré cela, je lui ai clairement fait comprendre qu'une démonstration sur F-104 avec autant de restrictions, ça ne m'intéressait pas. Mais je lui ai proposé de faire un duo, comme je le faisais avec le "Sus". Je lui ai dit qu'à deux, avec les mêmes restrictions, il y avait moyen de faire quelque chose. Et chose incroyable, l'idée a été acceptée. J'ai donc cherché un deuxième pilote. Au début, Palmer De Vlieger ne voulait pas mais finalement il a dit oui. Et c'est ainsi que The "Slivers" (5) sont nés.

Au début, on a commencé avec la piste entre les deux avions car il fallait être sûr l'un de l'autre. C'est d'ailleurs pour cela qu'on a gardé la même équipe pendant sept ans. Petit à petit, on a travaillé avec la "centerline" entre les avions et finalement, ce qui était le plus facile, avec un avion au-dessus de la piste et l'autre au-dessus de l'herbe, avec comme limite le bord de piste. Pendant le vol, on annonçait nos positions, l'un disait "grass" et l'autre "runway". On se positionnait puis on regardait devant soi et l'autre devait être là.

Un jour, à Wevelgem, on était parti pour une démonstration. Il faisait très beau mais brumeux et on a quand même décidé de continuer. Pour ces démonstrations nous avions des points de repère au sol que nous choisissions d'après des photos aériennes ou lors des entraînements et qui nous servaient à régler la synchronisation. Quand, par exemple, l'un de nous était un peu trop loin il criait "out" et l'autre effectuait immédiatement une correction pour garder la synchro. Bref, ce jour-là on a quand même essayé de faire un passage car la visibilité était bonne vers le bas, même si on ne voyait pas bien sur le plan horizontal. Arrivé en finale, j'ai regardé devant moi. Rien ! Puis, tout à coup, j'ai vu Palmer droit devant ! Heureusement, on avait mis au point une procédure d'urgence qui prévoyait que dans un cas pareil je devais pousser le stick en avant et lui le tirer. Et ça a marché. On a tous les deux eu le bon réflexe et nous sommes passés vraiment juste au-dessus l'un de l'autre. Inutile de dire que nous n'avons pas continué la démo et que nous sommes tout de suite rentrés à la base !

La clé de nos démonstrations, c'était la synchronisation. On volait toujours à la limite pour rester le plus près possible du public. Sur le F-104, il y avait sur le stick un système qui annonçait le décrochage. Il y avait d'abord ce que l'on appelait le "shaker", qui venait assez rapidement, puis le "kicker", qui repoussait d'un coup le stick en avant. Et bien, à la fin on connaissait si bien l'avion qu'on savait exactement prédire quand le "kicker" allait se produire. On était dans le "shaker" tout le temps et puis on sentait venir le "kicker" et dès qu'il arrivait, on criait "kicker" et l'autre faisait immédiatement une correction, une espèce de "kicker" artificiel, pour compenser. A la vitesse à laquelle on volait, c'était extrêmement difficile, surtout qu'on voulait rester le plus longtemps proches du public."

De 1969 à 1975, les Slivers vont effectuer pas moins de 68 shows et enthousiasmer les foules à travers l'Europe. La patrouille est dissoute lorsque Steve Nuyts, promu major, change d'affectation.

Après avoir été officier Ops & Training au 1er Wing, il se retrouve une nouvelle fois Brustem pour prendre le commandement de la 11ème escadrille, équipée de T-33. En 1976, il passe au CFE pour préparer l’arrivée des nouveaux Alpha Jet acquis par la Force Aérienne avant de suivre un cycle d'études d’un an à l'Ecole de guerre et de rejoindre l'Inspection du personnel navigant, à l'Etat-Major.

En 1981, il devient OSN au 1er Wing, où les Starfighter ont fait place aux F-16.

"Le F-16 est un avion fantastique, très facile à piloter. C'est travailler avec qui est très difficile. Point de vue pilotage, les pilotes de ma génération l'aiment moins car c'est le "Flight Computer" qui fait tout. On n'a pas beaucoup de plaisir. Mais c'est une machine impressionnante. Je me rappelle que quand je volais en doubles commandes avec un pilote qui n'avait jamais volé sur F-16, je mettais le nez de l'avion au-dessus de l'horizon, je lui passais les commandes et à très basse vitesse je lui faisais faire un tonneau, ce qui sur un avion conventionnel aurait été quasiment impossible à faire. En fait, c'est l'ordinateur de bord qui fait le tonneau. Il commence et, comme il s'aperçoit que la vitesse est trop basse, il fait retomber le nez avant de le relever et de terminer le tonneau. D'ailleurs, c'est impressionnant de voir comment les gouvernes de la queue battent dans tous les sens pour parvenir à effectuer la manœuvre. Le pilote, lui, donne simplement l'impulsion avec le stick et l'ordinateur pilote l'avion."

Deux ans plus tard, Steve Nuyts retourne pendant trois ans à l 'Etat-Major. Devenu Colonel, il se retrouve ensuite Chef des opérations à la TAF. Il ne reste à ce poste que quelques mois puisque, mais ça devient une habitude, il est affecté une fois encore à Brustem. Après quatre années passées à la tête du 9ème Wing Training, il terminera sa carrière en 1991 à la TAF comme Chef d'Etat-Major. Les quelque 5.000 heures de vol inscrites dans son logbook témoignent d'une carrière bien remplie et de trois décennies aux commandes de quelques uns des avions les plus mythiques de l'Histoire.


(1) Becs de bord d'attaque.
(2) Flight Formation Moniteurs
(3) Tactical Air Force.
(4) Officier supérieur navigant, commandant du Groupe de vol.
(5) Les "Echardes". Pour la petite histoire, le nom des "Slivers" a été emprunté à "Snake" Reaves, pilote d'essais chez Lockheed, qui appelait le F-104 le "Silver Sliver".


Interview: V. Pécriaux
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