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Carnets de vol: Léonard Hanot

Carnets de vol: Léonard Hanot


Carnets de vol: Léonard Hanot


Depuis sa plus tendre enfance, Léonard Hanot rêvait de devenir aviateur.  

“J’ai fait mes humanités à Marche, avec un ami qui partageait la même passion. Nos bancs doivent encore porter la marque des avions que nous avions gravés dessus. Ensuite, je suis allé à l’Ecole des Officiers de Nivelles mais j’ai dû être hospitalisé trois semaines, ce qui fait que je n’ai pas pu terminer ma formation. Je me suis alors inscrit comme élève-pilote. Comme on ne formait pas de promotion dans l’immédiat, j’ai joué quelques temps les instructeurs au Centre d’instruction de Saint-Nicolas-Waas. Une fois incorporé dans ma promotion, comme je n’avais plus aucun espoir de voler sur Spit, je me suis porté candidat pour suivre l’entraînement aux Etats-Unis. Notre instruction a d’abord commencé à Wevelgem, sur Tiger Moth. C'était fin 1952. Pour partir aux Etats-Unis, nous devions faire vingt heures de vol et être lâchés solo sur cet appareil.

Nous avons ensuite sauté l’Atlantique. La première partie de notre entraînement, le “preflight“, s’est déroulée à Lackland, près de San Antonio. D’une durée de trois mois, le "preflight" avait surtout pour but de nous perfectionner en anglais. Nous étions 47 Belges et 275 Français ! La promotion était majoritairement composée d’Européens, ce qui n’empêche que nous avons dû nous plier aux règles américaines qui étaient vraiment très strictes. La discipline était très sévère mais, finalement, ça nous faisait du bien. Certains, dont environ 10 pourcent des Français, ont dû abandonner car ils n’étaient vraiment nulle part en anglais. Contrairement aux Français, en Belgique, nous devions réussir des tests d’anglais pour pouvoir partir.

Après le "preflight" a débuté le “primary”, à Marana, dans l'Arizona, où nous devions réaliser une vingtaine d’heures sur Piper Cub, ce qui n’était plus qu’une formalité vu que nous avions été lâchés sur le Tiger Moth qui pardonnait quand même moins que le Piper.

Suivirent ensuite 120 heures sur T-6. Marana était un aérodrome civil, une “contract school”, comme ils appelaient ça. Les instructeurs étaient aussi des civils. Chacun d'eux avait en charge quatre élèves. Le mien était un ancien de l’USAAF qui avait terminé la guerre sur Thunderbolt. C’était bizarre pour un Américain, je m’en suis rendu compte plus tard, mais il m’a appris beaucoup de choses qui ne se trouvaient pas dans le manuel. Il ne disait rien en vol mais il n’oubliait rien et au débriefing, il m'indiquait tout ce qui n’avait pas été.

L’avantage de l’Arizona, c’est qu’il y fait toujours beau. Sur six mois, nous avons eu deux jours de la pluie. Mais c’était des pluies torrentielles, à un tel point que les poubelles se baladaient entre les avions sur le tarmac. Mais une heure plus tard, on pouvait revoler. Le T-6 était un avion léger dont le moteur développait quand même 500 chevaux et qui ne pardonnait pas grand chose. C’était un appareil suffisamment difficile pour former de bons pilotes. Je dis ça parce qu’après nous sommes partis à Williams, près de Phoenix, où nous avons fait une cinquantaine d’heures de T-28, un avion sur lequel je n’ai vraiment rien appris. C’était un gros tonneau avec deux ailes et un train tricycle qui, un peu comme les jets, s’enfonçait en finale si on coupait trop vite la gomme. Le T-6, par contre, planait très bien. C’est sur cet appareil que nous avons appris à voler en formation, ce qui était facile, d’autant qu’entre Belges et Hollandais nous nous étions déjà entraînés au vol en formation en “stoemelings” (1) .

Nous avons ensuite effectué notre transformation sur jet. Nous avons fait 120 heures sur T-33. Le T-Bird était pour moi beaucoup plus facile que le T-6 sur lequel il fallait être beaucoup plus attentif au décollage et à l’atterrissage.

Après ces 120 heures, nous avons eu nos ailes et nous sommes partis à Del Rio, à la frontière du Texas. Le programme prévoyait d’abord cinquante heures de T-33. Nous faisions du tir mais uniquement du tir air-sol avec les mitrailleuses. Puis, nous avons mis le cap sur Luke, dans l’Arizona, pour y être transformés sur Thunderjet. Je dois dire que là, nous avons tous eu un petit pincement au cœur car c’était un avion monoplace et le premier solo se faisait avec un moniteur en tail chase.

A Luke, nous avons fait du tir avec les mitrailleuses, avec des roquettes cinq pouces ainsi que du bombardement au napalm. Nous avons été les derniers à larguer du napalm car cela provoquait trop d’incendies dans le désert. Ces bombardements étaient impressionnants parce qu'ils s'effectuaient à plusieurs et que nous devions passer dans le nuage laissé par l'explosion des bombes de l’avion précédent, ce qui pouvait entraîner l’extinction du réacteur.

Tous nos moniteurs là-bas étaient des pilotes qui revenaient de Corée. Ils se foutaient de la façon nous mettions les balles ou les bombes dans la cible. Tout ce qui comptait, c’était d’atteindre le target. C’était une belle période.”

Mais la formation s’achève pour la class 54 O et fait place au retour au pays.

“Quand je suis revenu, j'ai voulu aller à Florennes évidemment mais on m’a mis à Kleine-Brogel. J’ai été posté à la 31e escadrille pendant quelques mois. C'est là que j’ai fait connaissance avec la vie d’escadrille. J’ai eu notamment l’occasion d’aller en campagne de tir à Sylt. En tir air-sol, le F-84G était une excellente plate-forme, très stable. Et en tir air-air, il n’était pas mauvais non plus. Il était déjà équipé d’un petit radar de tir mais j’aimais tirer en manuel, et j’obtenais de bons résultats. Comme je n'utilisais pas le radar, je retirais légèrement le magasin du film de la caméra et je disais qu’elle était tombée en panne, ce qui irritait pas mal le commandant britannique de la base... mais, après tout, l’essentiel, c’était d’avoir les balles dans la cible.

Un jour, il a été décidé de constituer des wings unilingues. J’ai donc finalement obtenu ma mutation pour Florennes, à la 2e escadrille. Mais entre-temps, j’avais introduit une demande pour aller à la 42e escadrille recce, stationnée à l’époque à Wahn, en Allemagne. A mon arrivée à Florennes, j’ai dit à l’OSN que j’étais prêt à tout annuler mais il m’a répondu que comme j’en avais fait la demande je serais envoyé à Wahn. En fait, personne ne voulait aller à la recce. Pour ma part, ça me convenait car j’étais assez indépendant et j’aimais voler seul. Je suis néanmoins resté quelques mois à la 2e, sur Thunderjet. Comme ces avions étaient à bout de souffle, l'escadrille a été déployée à Brustem sur Meteor, en attendant la réception de ses F-84F. J’ai donc pu voler sur Meteor avant d'être muté en mars 1956 à Wahn. La 42e escadrille venait de recevoir ses RF-84F Thunderflash. Nous avons fait à l'époque beaucoup de "mapping", pour permettre la réalisation de cartes. Nous avons ainsi couvert toute la RFA.

La formation était tout à fait différente de celle des pilotes de chasse, même si nous faisions également du combat aérien. Les pilotes recce devaient tous avoir au moins un an et demi d’escadrille. L’important, c’était de bien maîtriser la navigation. A la fin de ma période à la 42e, j’étais en charge du flight qui formait les nouveaux arrivants. Je devais établir le programme des vols et préparer les objectifs. Ils devaient pouvoir les retrouver et les photographier et apprendre à jongler avec les cartes au 100 000e et au 50 000e. Passer rapidement d’une carte à l’autre n’était pas évident au début.

Par rapport au Thunderjet, qui avait des caméras dans les bidons d’aile, le RF était bien plus performant. Il avait jusqu’à six caméras dans le nez. Nous opérions souvent au-dessus de l’Allemagne. Nous ne faisions plus de navigation car nous en connaissions les moindres recoins. Il nous arrivait aussi de passer le Rideau de Fer plein pot, vers 420 nœuds, et de faire un Immelman pour nous retrouver à 10 000 pieds à peu près et remettre le cap à l'Ouest. Le plus étonnant, c’est que nous n’avons jamais été interceptés. Pourtant les radars de l’OTAN nous voyaient clairement arriver d’Allemagne de l’Est, à 10 000 pieds, mais nous n’avons jamais vu un chasseur allié.

Le RF était un avion solide et fiable. Un jour, j’ai eu une panne hydraulique un peu avant l’atterrissage. Je me suis posé et, arrivé presque en bout de piste, je me suis volontairement mis dans l’herbe. Ce que ne pouvais pas voir, c’est qu’il y a avait un morceau de béton qui affleurait le gazon et une de mes roues du train principal l’a touché. La jambe de train s’est complètement effacée. Heureusement, j’étais à ce moment quasiment à l’arrêt. L’avion n’a pas été très endommagé et a pu revoler une quinzaine de jours plus tard. Le commandant d‘escadrille, qui m’avait entendu à la radio, a prévenu la tour et s’est posé derrière moi. Mais il allait trop vite et il a bien failli ne pas pouvoir tourner en bout de piste. Il est sorti de son avion et m’a engueulé. Je lui ai fait remarquer qu’il n’avait pas été loin de faire la même chose que moi… avec un avion qui n’avait pas de problème !

La piste de Wahn faisait à l’époque 2400 mètres et c’est surtout au décollage qu’il fallait être vigilant. Sur cette distance, le RF ne pouvait pas décoller avec ses bidons de 450 gallons pleins. Pour pouvoir voler avec les 450 et les 230 gallons, il fallait aller à Kleine-Brogel, où la piste faisait 10 000 pieds. Cela dit, le RF, comme le Thunderstreak, pouvait décoller à l’aide de fusées JATO. Côté armement, il était équipé de deux mitrailleuses .50 logées près des entrées d’air. C’était une bonne plate-forme de tir, plus stable que le F, et, à poids égal, le Thunderstreak n’avait aucune chance contre un RF en combat tournoyant. Ce qui lui manquait, c’était un moteur qui aurait développé 10 000 livres de poussée. Son réacteur était limité à 8400 livres. Mais malgré cela, il était efficace.

J'ai eu l'occasion de participer plusieurs fois au Royal Flush, un exercice OTAN opposant des escadrilles de reconnaissance de la 2 ATAF et de la 4 ATAF. La compétition durait une semaine et comprenait plusieurs épreuves. Nous faisions essentiellement de la recce low level contre d'autres escadrilles équipées de RF ou de Swift. Il y avait aussi des épreuves de reconnaissance de nuit à haute altitude, réservées aux B-66 ou aux Canberra. Nous devions retrouver différents targets. Il pouvait s'agir d'une station radar, d'un site de missiles Nike, d'un centre de tri de chemin de fer ou d'un carrefour. Parfois, il fallait retrouver un petit pont au milieu de nulle part ou un champ dans lequel il n'y avait strictement rien. Les photos étaient alors ramenées le plus rapidement possible avant d'être développées et interprétées.

Nous ne nous débrouillions pas trop mal dans ces compétitions. Lors d’un Royal Flush qui se déroulait à Eindhoven, Weyers et moi avions reçu les deux mêmes targets que l’équipe américaine. Pourtant, nous sommes rentrés plus rapidement que les Voodoo. Le colonel américain nous a accusés d’avoir triché, ce qui n’était pas le cas, les photos étaient là pour le démontrer. Il a fini par nous présenter ses excuses et nous a invités sur sa base où nous avons pu faire un vol en Voodoo. Il faut dire que parfois, les Américains n’étaient pas très précis dans leur navigation. J’ai pu un jour le vérifier dans le cadre d’une autre compétition. Ils devaient photographier un carrefour du côté de Liège. Idéalement, en reconnaissance, l’objectif doit se trouver juste au tiers inférieur de la photo, pour avoir une bonne vue pour l’interprétation. Quand nous avons reçu leurs photos, il y avait une belle photo avec le target sur l’horizon, indiqué par une petite flèche ! Ils ne voulaient pas non plus voler à moins de 500 pieds. Si le plafond était à cette altitude, ils annulaient la mission et rentraient. Nous, nous passions en dessous et nous prenions les photos à 400 pieds. Mais les photos étaient là et c’est ce qui pouvait faire toute la différence entre une mission loupée et une mission réussie. Il n’empêche que nous avons eu une mission déclassée dans un Royal Flush parce que le temps était trop mauvais. Et pourtant, nous avions ramené les photos !”

Certains vols peuvent parfois aussi prendre une tournure inattendue.

“Je devais effectuer un air test en RF. J’ai décollé et j’ai commencé à grimper pour atteindre les 40 000 pieds dans la région de Verviers. Comme l'avion était clean, ce qui était assez rare, j'ai eu envie de le pousser et de franchir la "red line", la vitesse limite de l'appareil. J'y suis arrivé mais soudain l'avion est parti en tonneau puis s'est mis en vrille. L'aiguille de l'altimètre à commencé à dégringoler ... 35 000 ... 30 000 ... 20 000 ... 15 000 pieds. Il est temps de se sortir de là. Ma manette était déjà dans la poche et j’ai sorti mes airbrakes. Je me suis retrouvé suspendu dans mes straps, au point que j'en ai gardé les marques pendant plusieurs jours. Petit à petit, l’avion est sorti de la vrille et j’ai redressé à 6000 pieds mais j’ai dû tirer 12 G pour y arriver. Cela montre bien la solidité du Thunderflash, qui était pratiquement incassable, comme tous les avions Republic, à commencer par le Thunderbolt comme me le racontaient mes premiers moniteurs aux Etats-Unis qui avaient fait la guerre dessus.”

En 1960, Léonard Hanot quitte la 42e escadrille, entre-temps revenue en Belgique, à Brustem, pour le 15e Wing de Melsbroek.

“Je suis arrivé à la 20e escadrille à Melsbroek en juin 1960, en plein pendant les événements du Congo. J’ai fait trois vols en C-119 et puis je suis parti comme copilote de Marcel Barré pour le Congo. J’ai atterri à Marseille, lui à Alger. L’étape suivante était Aoulef. La piste là-bas était faite de tôles posées sur du sable. J’étais en place gauche mais Marcel semblait vouloir me laisser atterrir. Je me suis demandé pourquoi on ne changeait pas de siège mais je n'ai rien dit. J'ai posé l’avion et nous avons rejoint le parking. C’est alors que je lui ai dit que c’était mon premier atterrissage en place gauche. “Quoi, me dit-il, tu n’es pas lâché ? Tu aurais pu me le dire !” Pour être lâché à gauche, il fallait 25-30 heures. J’étais loin du compte !

Le C-119 était un avion facile à voler. C’était une bonne charrette avec de trop grandes hélices qui faisaient trop de bruit. Le cockpit était très grand mais il avait une bonne climatisation. On disait souvent que c’était un avion pour les pays froids mais je n’ai jamais eu de problème en Afrique avec lui. Il était équipé de deux moteurs de 3500 chevaux qui lui donnaient une puissance plus que suffisante mais sur un seul moteur, il était faiblard. En cas de panne moteur, il fallait réagir vite pour mettre l‘hélice en drapeau, notamment à cause de la largeur des pales qui constituaient un véritable frein.

A un moment donné, on a demandé des gens pour aller voler en DC-3 à Usumbura, au Burundi. Le Dak, beaucoup le considéraient comme un vieux bac et personne ne voulait y aller. Pour moi, c’était un avion fantastique. Je suis donc allé chez le chef de corps, le colonel Laforce, pour me porter volontaire.

“OK, m’a-t-il dit. Tu peux te préparer. Tu feras quelques vols en Dak. Tu n’as pas de problème en Dak, n'est-ce pas ?”

J’ai répondu que non. C’était un peu gonflé car je n'avais aucune expérience sur l'avion mais ça a marché. C'est ainsi que je suis parti quatre mois là-bas pour faire du transport de matériel un peu partout : Kigali, Kamembe, Paulis, ...

Et quand je suis rentré, il m’a appelé et il m’a dit que comme je m’étais porté volontaire, je passerais sur DC-6. J’étais à l’époque jeune pilote avec à peine deux ans d’escadrille à Melsbroek et voilà que je me retrouvais sur cet avion, traditionnellement réservé aux anciens qui se bagarraient pour pouvoir le piloter. Ça a fait grincer des dents... C’est un appareil sur lequel j’ai fait beaucoup de vols passagers, dont quelques vols avec le Roi, en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud. Je me souviens que pour les vols transatlantiques nous ne pouvions pas décoller si la mer avait des creux de plus de sept mètres. Nous suivions des cours pour sortir de l’avion en cas d’amerrissage. Le DC-6 disposait de gros dinghy de 28 places et de gilets de sauvetage en suffisance. Mais c'était un avion sûr qui volait bien. Il était pressurisé contrairement au DC-4. Nous nous amusions à faire des atterrissages tout en douceur, des “tchip-tchip” comme nous les appelions.

Le 15e Wing a été une belle école d‘apprentissage, qui m‘a permis de voler aussi sur DC-4, Pembroke, Merlin et Falcon 20.

J'ai fait plusieurs détachements au Congo. Chacun d'eux durait de trois à quatre mois. Nous opérions souvent au départ d’Usumbura, de Kamina, de Léopoldville. Ce qui était bien, c’est que nous allions nous poser sur de petites pistes dans la brousse. On atterrissait en Dak sur des pistes de 600 mètres. C’était juste, il fallait venir sur ses chaussettes, d’autant que le DC-3 n’avait pas des freins très puissants. Je me suis posé un jour à Kamipini, à la ferme De Maeght. C’était lors des opérations d’Albertville, en 1964. Nous devions partir avec quatre DC-3 qui emportaient chacun une jeep. Nous devions les emmener à Kindu et prendre une escouade de Sud-Africains qui venaient par le lac en zodiac. Notre première étape était Kamipini, sur le lac Mwero, où nous devions loger avant de rejoindre Albertville. Les trois premiers Dak sont partis mais je n’ai pas pu décoller car j’avais une génératrice qui ne fonctionnait pas. Le temps de résoudre le problème, la nuit était tombée et Kamipini ne possédait pas de piste éclairée. J’ai pris contact par radio avec l'aérodrome et ils ont éclairé le bout de piste avec le tracteur de la ferme. C’est ainsi que je suis passé juste au-dessus du tracteur et que je me suis posé dans la lumière de ses phares.

Le lendemain, nous avons décollé et pris contact par radio avec les Sud-Africains qui nous attendaient près de Baudouinville. Mauvaise nouvelle, ils avaient rempli les réservoirs de leurs hors-bord avec du diesel. Ils étaient en panne et ne pouvaient plus nous rejoindre. Nous devrions donc nous passer d’eux. Nous n’avions plus que les quatre jeeps et huit paras dans chaque avion, soit 32 hommes en tout. Mais nous avons continué. Arrivés au-dessus d’Albertville, des dizaines de touques avaient été placées sur la piste ! Impossible d'y atterrir. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais la piste a finalement été dégagée et nous avons pu nous poser. Nous avons déchargé les gars et nous avons commencé à évacuer les pères missionnaires. Les paras ont sans doute été accrochés car ils se sont retrouvés avec seulement deux jeeps, plus une autre trouvée sur place dans une grange. En décollant vers Kamipini, j’ai vu qu’ils avaient installé un marquage au sol pour demander des munitions. J'ai fait un passage en rase-mottes et je leur ai envoyé quelques caisses de munitions et de grenades. Ils sont revenus plus tard, à huit sur une jeep qui ne roulait plus que sur trois roues...

Ces vols n‘étaient pas de tout repos et nous sommes parfois revenus avec des impacts de balles dans le fuselage. Nous volions armés d‘ailleurs. J‘avais un 45 et une Thompson, comme les autres gars de mon équipage, plus une caisse de grenades en réserve. Je volais avec 300 kilos de munitions de réserve dans mon Dak et pas question de les abandonner pour emporter du poisson séché ou du manioc !”

Après quinze années passées au 15e Wing, Léonard Hanot est muté à Ramstein, au QG Centre Europe de l’AFCEE.

“J’étais au départ officier de complément et j’aurais dû terminer ma carrière avec le grade de commandant. Mais j’ai pu passer les examens de major. J’ai été nommé et je suis allé à Ramstein, tout en continuant à faire quelque 300 heures de vol par an au 15e Wing. On venait nous rechercher en Merlin pour le week-end. Comme j’étais lâché sur l’avion, j’en profitais pour prendre les commandes.

A cette époque, j'ai fait partie des équipes d’évaluation lors des Taceval et j’en ai également profité pour voler sur différents types d’avion comme le 104, le Phantom, le F-5 ou le Buccaneer.”

Mais l’envie de revenir en escadrille reste toujours aussi forte et en 1978, Léonard Hanot devient CO de la 7e escadrille à Brustem, équipée de Fouga Magister.

“Après avoir été moniteur au 15e Wing sur DC-3, DC-4, DC-6 et Merlin, je me retrouvais sur Fouga, un bon appareil d’entraînement pour la formation des élèves. Je ne suis pas resté longtemps sur Fouga car les Alpha Jet sont rapidement arrivés. J’ai ainsi pu figurer parmi les premiers à être lâchés sur l’avion. Par rapport au Fouga, l’Alpha Jet était un petit bijou qui permettait, par exemple, de faire une vrille ou un slow roll. De plus, il tirait bien. Je me souviens à ce sujet d’une campagne de tir air-sol à Solenzara. J'emportais 50 obus dans le canon et j’en ai mis 48 dans la cible ! Inutile de dire que j’étais heureux du résultat. A cette époque, nous ne faisions que du tir air-sol à Zara, l’air-air se faisait au Maroc. Comme CO, je m’occupais de deux élèves au lieu de trois pour les autres moniteurs. J‘ai vécu là-bas une très belle période et j‘y ai travaillé avec des gens formidables.”

Après trois ans à la tête de l’escadrille, Léonard Hanot va retraverser l’Atlantique et terminer sa carrière à Sheppard AFB, à l’Euro NATO Joint Jet Pilot Training (ENJJPT) où il tâtera encore du T-37

“Je n’aimais pas trop cette charrette. Pour devenir instructeur, je devais repasser au flight moniteurs qui, chose aberrante, était principalement constitué d’anciens pilotes d’hélicoptère qui devaient former des moniteurs qui à leur tour formeraient des pilotes de chasse ! Bref, lors d’un de mes vols, je pars avec mon moniteur, un ancien de la Braniff, et après avoir travaillé dans la zone, nous revenons nous poser. J’arrive en finale, j’ai mes trois vertes et il me dit soudain :” Overshoot, fumée dans le cockpit !”

Et, effectivement, il y avait de la fumée mais comme j’étais face à la piste, je n’ai pas voulu overshooter et j’ai décidé de me poser. Nous avons atterri et j’ai stoppé les moteurs. Il est apparu que le réacteur droit était en feu. J’ai reçu de mon moniteur un “rouge” pour ce vol parce que je ne lui avais pas obéi. Quand il m’a demandé pourquoi, je lui ai répondu qu’en finale, il était plus logique de se poser au plus vite. Si nous avions remis les gaz, nous nous serions retrouvés downwind avec un moteur en feu, que sans doute nous aurions dû nous éjecter et que peut-être nous serions morts. Il n’a pas su quoi répondre à cela. Mais il est vrai que le manuel du T-37 prévoyait d’overshooter en cas de fumée dans le cockpit, et comme les Américains ne jurent que par le “book”...”

En 1984, après une carrière plus que remplie, Léonard Hanot prendra sa retraite, refermant un volumineux logbook de près de onze mille heures de vol.


(1) terme qui signifie: en douce, en cachette


Interview : Vincent Pécriaux (3 octobre 2009)
Mise en page: Daniel De Wispelaere
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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