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Carnets de vol: Robert "Bob" Corbeel

Carnets de vol: Robert "Bob" Corbeel

Carnets de vol: Robert "Bob" Corbeel

La carrière de pilote de Robert Corbeel est étroitement liée à l'histoire du 7e Wing de Chasse de jour de Chièvres. Pourtant, quand il endosse sa combinaison de vol pour la première fois, il a déjà passé quelques années sous les drapeaux.

“J’ai commencé ma carrière militaire en Irlande, à la quatrième Brigade. En hiver 1944 a eu lieu l’offensive Von Rundstedt. Dès que mon père a entendu que les Allemands revenaient, comme j’avais fait partie de la résistance armée et que j'avais même été prisonnier politique à 15 ans et demi, en 1941, il m’a envoyé en Irlande. J'ai donc débarqué là-bas en mars 1945. Nous faisions partie de l’armée britannique mais nous étions commandés en grande partie par des officiers qui avaient été prisonniers de guerre et par quelques jeunes officiers qui sortaient de la résistance armée. Ceux qui avaient été prisonniers pendant cinq ans avaient conservé leur mentalité d'avant-guerre. Heureusement, ils ont été assez rapidement mis hors circuit et nous nous sommes retrouvés dans une ambiance et un esprit purement britanniques.

Je me rappelle que nous faisions ce l’on appelait le “battle inoculation”. On nous tirait dessus à une hauteur de 70 centimètres environ et nous devions ramper en dessous des rafales, d’abord des rafales de Bren puis des rafales de Schmeisser pour que nous puissions entendre la différence de bruit. Comme les tirs se faisaient à balles réelles, il fallait faire très attention aux ricochets.”

A son retour en Belgique, Robert Corbeel s’engage à l’école de sous-officiers de Seilles.

“A Seilles, nous faisions aussi du “battle inoculation” en rampant sous des barbelés. Et, un jour, je suis un commandant qui avait été prisonnier de guerre et qui, pour devenir officier supérieur, devait réussir tous ces tests. On tire, il s’arrête, on tire encore, il se lève et il n’a plus de tête ! Eh bien, on a retiré son corps et aucun d’entre nous n’a assisté à son enterrement. On a rapidement repris les exercices. Je me suis retrouvé à la ligne suivante et ce jour là, j’ai vraiment rasé le sol en passant à côté des traces de sang. Heureusement, nous avons eu la chance d’avoir un instructeur exceptionnel, un ancien légionnaire qui avait fait Bir-Hakeim et qui nous a appris qu’un homme n’atteint jamais ses limites. Et il nous l’a prouvé. Tout cela pour dire que je suis content de ce que j’ai appris à la Force terrestre. J’ai fait des tas de choses qui ne se pratiquaient pas à la Force Aérienne et que je n’aurais jamais apprises comme pilote.

Ensuite, à l’école d’infanterie, le Major Cumont - qui était l'officier à origine de la Brigade Piron - m’a demandé ce que je voulais faire. J’ai répondu les parachutistes ou les blindés. Mais il n’était pas d’accord et comme j’avais terminé mes gréco-latines, il m’a proposé d'entrer dans l'artillerie. Et c’est ainsi que, finalement, je me suis retrouvé en Allemagne comme sous-lieutenant commandant d’une batterie antichar pendant deux ans.

En 1948, la Force Aérienne ne comptait plus que quelques escadrilles de chasse sur Spit. Quelques mois plus tard, quand a débuté la guerre de Corée, on s’est aperçu que les communistes avaient des Mig 15. On s’est donc empressé d’acheter des Meteor, d’abord des Meteor F.4, puis des F.8. Le Meteor était un bon avion mais il avait une aile droite et, à part en palier, il n’était pas plus rapide que le Spit. Et les Australiens, qui en avaient en Corée y ont perdu pas moins de douze avions. C'est pourquoi le remplacement du Meteor par le Hunter a été rapidement envisagé.”

En 1948, il s’inscrit comme élève-pilote et est incorporé dans la 112e promotion.

“Je suis arrivé à Diest où j’ai fait environ 80 heures de Tiger Moth. Nous partagions le terrain avec les paras. Une demi-journée pour la Force Aérienne et l’autre pour eux. Comme nous suivions des cours au sol, cela marchait très bien. Nous avions d’ailleurs de très bonnes relations avec les paras, ce qui m’a d’ailleurs permis de sauter en "fan" (1) avec eux. Je n'ai pas pu sauter en parachute car c'était interdit aux élèves-pilotes. Quand les Dakota venaient les lâcher au-dessus de la plaine, ils attendaient que le dernier soit au sol et faisaient un “bubble turn” pour venir les survoler à quelques mètres du sol. Et les paras aimaient bien ça. Je n'ai pas d'avis particulier sur le Tiger Moth. A l'époque, j'essayais juste de réussir mon écolage.

Ensuite, je suis passé sur Harvard à Brustem, un avion très différent du Tiger Moth. C'était un appareil peu puissant mais très large et qui impressionnait plus. Personnellement, je ne l’ai jamais aimé parce qu’il était sous motorisé et qu’en acrobatie il “flickait” facilement. Il avait comme qualité d’avoir une bonne autonomie. C’était un excellent avion pour faire de longues navigations mais quand on essayait d’en faire un avion d’entraînement à la chasse, il devenait vicieux du fait de ce manque de puissance. Ce n'était donc pas l'avion idéal mais il n’y en avait pas d’autre ! En plus, il était compliqué. Avant de passer sur Spit, on devait faire ce que l’on appelait des “Spit approaches” en place arrière du Harvard. On en faisait trois et si c’était bon, on nous mettait directement sur Spit IX. Le Spit, par contre, était un avion fabuleux, que vous dominiez ou qui, c’est évident, vous dominait. Le IX était très fin, beaucoup plus que le XIV qui avec ses 2 100 chevaux était une vraie bête de guerre.

J’ai eu deux accidents sur Spit XIV, tous les deux au départ de Coxyde. Pour le premier, j’étais à l’Ecole de Chasse. J’évoluais ce jour-là comme numéro trois dans une formation. J’essayais de rattraper le numéro 1 et le numéro 2 mais je n’avançais pas. Le moteur fonctionnait correctement mais l’hélice tournait au ralenti. J'étais juste au-dessus de la mer, au nord de La Panne. Ça n'allait vraiment pas et je me suis dit qu'il ne me restait plus qu'à me poser sur le ventre sur la plage. Nous étions en février, il y avait beaucoup de vent et il n’y avait pas de plage ! L’eau montait jusqu’aux dunes. Heureusement, j’avais encore assez de vitesse et j’avais le vent dans le dos qui me poussait. J'ai passé les dunes, j'ai sauté une maison, qui en fait était un poste de la douane française et je me suis crashé dans un champ brun qui me tendait les bras. Comme j’avais oublié de resserrer mes straps - on les desserrait toujours un peu pour pouvoir atteindre le compas - ma tête est venue heurter le tableau de bord. A partir de là, je ne me souviens plus de rien. Je me suis réveillé un peu plus tard et j’avais de l’essence qui coulait entre mes jambes mais qui heureusement n'a pas pris feu. J'étais plein de sang et j'ai réalisé que je venais de me crasher. J’ai ouvert ma verrière et j’ai essayé de sortir. La tête me tournait mais j'ai aperçu un homme qui se dirigeait vers moi en faisant de grandes enjambées. C'était justement le directeur de l’hôpital de Ghyvelde. Il m'a aidé à sortir de l'avion et m'a soigné avant que l'on me ramène à Coxyde.

A la suite de l’accident, la commission d’enquête s’est réunie et on m’a demandé ce qui s’était passé. J’ai expliqué que le moteur tournait mais que l’hélice était au ralenti. Et en examinant l’avion, on s’est aperçu que le réducteur de l’hélice, au bout du vilebrequin, était cassé. On m’a ensuite demandé : “Comment as-tu fait pour sauter au-dessus de ce petit pont ? Tu t‘es crashé ici, puis il y a un large fossé traversé par un petit pont qu’utilise l‘agriculteur à qui appartient le champ et ton avion, s‘est arrêté là.” Je ne me souvenais absolument de rien. J’ai l’habitude de dire que c’était mon ange gardien qui pilotait. C’était tellement étonnant que quelques semaines plus tard, un autre pilote a eu un accident similaire dans un champ de la région et lui, s'est retourné dans un fossé. J’ai donc eu énormément de chance car cinq degrés à gauche ou à droite et je me retrouvais moi aussi dans le fossé. Je remercie donc mon ange gardien qui est encore intervenu pour moi à plusieurs reprises.

Quelques jours plus tard, j’ai recommencé à voler. On a fait des formations, on a appris à tirer, à faire du tail chase, etc. Ça y allait fort car nous étions entraînés par des instructeurs qui avaient tous fait la guerre. Nous étions toujours dans cette mentalité de la deuxième guerre tout en préparant déjà la troisième, contre les Soviétiques. C’est pour ça que la formation se donnait à un rythme si rapide.”

La première affectation opérationnelle de Robert Corbeel est la deuxième escadrille de Florennes, également équipée de Spit XIV.

“L’escadrille se rendait régulièrement à Coxyde pour y faire du tir. Pour le bombardement, nous allions larguer de petites bombes d’entraînement à Lombardsijde. Ce jour-là j’avais comme flight commander “Ponpon” de Ligne - le Prince Antoine de Ligne de Beloeil, un type formidable. Nous revenions d’un vol où nous avions fait du tail chase et nous rentrions nous poser à Coxyde. J'ai sorti le train, j’ai eu mes trois green mais j'ai reçu de la tour une fusée rouge. On m'a dit quelque chose à la radio mais je n'ai pas compris. "Ponpon" a redécollé, est venu près de moi et m'a dit “Rentre ton train. Tu viens avec moi jusqu’à Wevelgem et tu te poses sur le ventre. Après tout, tu as l’habitude ! Mais, cette fois-ci, attache-toi bien.” Nous sommes arrivés au-dessus de Wevelgem, j'ai fait un break et je me suis posé. L’avion s'est mis à glisser. J’avais l’impression qu'il allait se retourner car les entrées d’air sous les ailes accrochaient le sol mais l’avion a ralenti et est retombé en arrière. Quand je me suis extrait du cockpit, je ne savais toujours pas ce qui se passait. Le commandant de la base est arrivé et m'a demandé ce que je faisais là. Je lui ai expliqué la situation et on a amené une grue pour soulever l’avion. On a sorti le train et c’est là que je me suis aperçu que j’avais perdu une roue ! Cette roue, c’est un agriculteur qui est venu la rapporter à Coxyde quelques jours plus tard. Et pourquoi avoir atterri à Wevelgem, me direz-vous ? Et bien, c’est sur cette base qu'étaient conduits les avions destinés à la casse ! Quoi qu’il en soit, si je m’étais posé sur mon train à Coxyde, je me serais retourné et là ... "Ponpon" est venu me rechercher en voiture et m’a dit : “Heureusement que tu obéis bien et que tu as l’habitude de crasher !”

Début 1951, Florennes est sur le point de toucher ses premiers Thunderjet mais Robert Corbeel est muté à Chièvres, une nouvelle base où va s’établir le 7e Wing de Chasse de jour.

“Je suis d’abord passé à la 4e escadrille à Beauvechain pour faire ma conversion sur Meteor. J’ai fait quelques vols en Meteor T.7 avant de passer sur Meteor F.4 puis sur Meteor F.8. Le passage sur Meteor F.8 s'est fait très rapidement, alors que nous ne connaissions même pas certains instruments de l’avion, comme le compas, qui était différent. Nous avions juste des pilot’s notes mais on ne nous expliquait rien. La Force Aérienne achetait les avions et on nous lâchait directement dessus. C’était typique de l’esprit de l’époque. Et puis, il y avait toujours cette crainte que la guerre éclate. On créait quasiment une nouvelle escadrille par an.

Quand je suis arrivé à Chièvres, il y avait juste un Anson sur la base. J'ai été lâché sur l’appareil et quelques temps plus tard, on m'a demandé de conduire cinq pilotes pour prendre livraison des Meteor qui étaient toujours livrés à Melsbroek. L’Anson avait des freins pneumatiques qu’il fallait actionner au moyen d’une manette. Après m'être posé, j'ai tiré sur la manette et elle m'est restée en main ! L’avion déviait. Je donnais un coup de moteur à gauche, un coup à droite. Ça permettait de maintenir l’avion sur la piste mais ça ne le freinait pas. Heureusement, avant la fin de la piste, il y avait un tas de charbon dans lequel je suis parvenu à stopper l'appareil. A peine étions nous à l'arrêt que le “Follow me” est arrivé et m'a dit qu'il était interdit de stationner là !.

Très rapidement, nous avons reçu nos Meteor 8 flambant neufs d’Angleterre. Pour ma part, j’étais triste de quitter le Spit. C’était un avion qu’on sentait. Il était inutile de regarder le badin, on sentait vraiment les variations du moteur. Sur jet, on ne ressentait rien. Il fallait constamment regarder les instruments. On glissait littéralement dans l’air.

Nous avons eu la chance d’avoir comme premier commandant de base "Mony" Van Lierde, qui avait abattu 37 bombes volantes pendant la guerre. C’était un taiseux mais un type extraordinaire. J’ai admiré “Cheval” Lallemant et j’ai mis sur un piédestal "Mony" Van Lierde. C’étaient des icônes pour moi.

Un jour, nous étions partis à plusieurs faire de l’accro aux abords de la base lorsque soudain, alors que je mettais les gaz à fond pour effectuer un loop, j'ai entendu CRRRRRRAAAAAAAAA et j'ai vraiment eu l'impression qu'on me tirait dessus. J'ai redressé et j'ai regardé autour de moi. Mon moteur droit était en partie ouvert. En fait, les aubes du compresseur venaient de passer à travers le capot. Et c’est ça qui faisait un bruit de mitrailleuse. J'ai demandé l’emergency pour venir me poser. J'étais encore relativement haut. J'ai actionné la manette du train. La nosewheel est descendue ainsi que la roue de gauche mais pas celle de droite. A ce moment, l’indicateur feu s’est allumé. J’ai enclenché l’extincteur mais rien ne s'est passé. Je me suis présenté devant la piste en espérant toujours que ma roue descende. Mais rien. J'ai remis alors plein gaz sur le moteur gauche et je me suis retrouvé à 90 degrés ! Quelques semaines avant, j’avais vu un gars de Beauvechain faire la même chose mais il ne s’en était pas sorti et était venu s’écraser sur une maison. J’ai eu la terrible impression que j'allais me tuer. J'ai réduit et face à moi il y a des maisons et des arbres. J’ai visé les arbres et je suis passé à travers. Nous étions en octobre et devant moi se trouvait un champ de betteraves.

Et j'ai glissé, en passant une clôture, deux clôtures, trois clôtures, quatre clôtures. J'ai vu arriver un jardin et l’avion s’est enfin arrêté. J'ai sauté dehors et j'ai regardé mon moteur. Il était éteint. Les feuilles de betteraves qu’il avait ingérées avaient étouffé les flammes. Et mon train d’atterrissage ? J’avais oublié de le rentrer. Heureusement, il a été arraché quand je suis passé dans les arbres. Mon ange gardien était là, une fois encore. Dans cet accident, j’ai eu le réflexe de passer dans les arbres et j’ai eu la chance de pouvoir me poser sur le ventre. De plus, on nous avait toujours dit qu’en cas de crash avec un moteur en feu, il fallait d’abord larguer la verrière. Ça aussi, j’avais oublié de le faire. Et heureusement car j’ai traversé quatre clôtures qui sont venues s’encastrer dans la verrière. Mon oubli m’a sauvé. Sinon, j’aurais été décapité. On peut vraiment dire que ma vie ne tenait qu’à un fil ! A la suite de cela, on a un peu changé les procédures en laissant au pilote le choix d’ouvrir ou non la verrière. Comme le Meteor F.8 était équipé d'un siège éjectable, j'aurais théoriquement pu l'actionner mais Mony Van Lierde refusait que ses pilotes volent avec des explosifs prêts à sauter sous les fesses. Les cartouches d'éjection n'avaient donc pas encore été installées ! Elle ne le seront que lorsque les pilotes de la 7e auront testé leur efficacité sur la rampe d'éjection à l'usine Martin-Baker”

La vie en escadrille est parfois aussi agrémentée d’épisodes cocasses.

“Un jour, je reçois un coup de téléphone. On m’annonce qu’une parade officielle doit avoir lieu à Cambrai mais que le plafond est trop bas pour envoyer des Meteor faire une passe en formation. Je contacte “Rog” Van Sandvoort et lui propose d’y aller en Oxford. Il faut savoir que l’Oxford est équipé d’une trappe ronde permettant de prendre des photos aériennes. Je lui dis que nous allons embarquer un mécano avec un rouleau de papier WC et un bâton et que, au moment voulu, on déroulera le papier. Et nous voilà partis. Arrivés au-dessus de Cambrai, la parade est bien là avec drapeaux et tout. Tout le monde est au cordeau. Le papier se déroule comme prévu et je fais un virage pour revenir sur la piste. Et là, il n’y a plus de parade. Ça court dans tous les sens ! En fait, les Français pensaient qu’il s’agissait d’un avion qui lançait des pamphlets communistes ! Quand ils se sont rendu compte que c’était un avion belge, ils ont téléphoné à Chièvres et sont arrivés. Ils ont mis tellement de papier autour du mess qu’on ne pouvait même plus y rentrer ! Tout ça s’est terminé à Bruxelles car je voulais leur montrer Mannekens Pis que, la bière aidant, nous avons tous imité ! Le tout devant une équipe de la télévision suédoise qui filmait !. C‘est ainsi que, d’abord officieusement puis officiellement, la 7e a été jumelée avec le 1/12. Cela m’a permis d‘ailleurs d’être lâché sur Mystère IV et sur SMB2. A l’époque, c’était possible. On discutait le matin des caractéristiques de nos avions respectifs et l’après-midi, on se les échangeait.

Autre anecdote, aussi en Oxford : nous avions deux Oxford à l’escadrille. Les jeunes pilotes n’étaient pas lâchés sur ces appareils. Le “lange” (2) Van Keymeulen, qui était Flight Co A, et moi, Flight Co B, nous tapions toutes les missions ennuyeuses sur Oxford pendant que les jeunes, eux, volaient sur Meteor. On allait conduire un mécano à Coxyde, chercher une pièce sur une autre base, etc. Bref, nous en avions marre. Nous avons alors décidé de lâcher quelques jeunes sur Oxford. Le “lange” a donc pris un type et l'a briefé sur l’appareil qui avait la particularité d’avoir la manette de rentrée du train juste à côté de celle des flaps. Et en plus, ces deux manettes se ressemblaient. Quand ils n'étaient pas effacés, on apercevait sur l'une un "U" pour undercarriage et sur l'autre un "F" pour flaps. Il a mis l’avion en route, a descendu les flaps et quand il a voulu les remonter, il s'est évidemment trompé et a remonté le train. BOUM ! Moteurs tournant, plus d’Oxford. Quand ils sont descendus, tout le monde rigolait bien. C'est alors à moi qu'on a demandé de reprendre ce pilote et de le lâcher sur Oxford. J’y suis allé, j'ai mis en marche et à ce moment, il m'a demandé : “Mais, sir, qu’est-ce qu’il a fait le “lange” (2) ?

- Ben, ça tiens ! “

Et nous voilà, nous aussi, par terre. Deux Oxford en quatre jours ! Qu’est-ce qu’on s’est foutu de moi. Quand j’arrivais au briefing, il y avait une place spéciale pour "Bob, le pilote d’Oxford". Toute la Force Aérienne était au courant. On me téléphonait d’autres bases car ils en avaient marre de leurs Oxford et ils me demandaient de venir les chercher ! J’y ai laissé une partie de mes primes de vol mais on s’est aperçu qu’Airspeed avait inventé un système que les mécanos devaient activer et qui devait empêcher ce genre d’accident quand le poids de l’avion était sur son train. Et ça n’avait pas été fait.”

Les années d’après-guerre, si elles voient la montée en puissance de la Force Aérienne, sont également dévastatrices. Le taux d’attrition prend parfois des proportions effrayantes.

“Entre 1951 et 1967, année où j’ai remis la base aux Américains avec Mony Van Lierde, nous avons eu à Chièvres 35 tués, l’équivalent d’une escadrille et demie. Tous les mois ou tous les deux mois, nous assistions à un enterrement. Pour moi, l’accident le plus terrible est survenu alors que nous étions en exercice de tir à Coxyde. J'ai eu un coup de téléphone de Chièvres pour me demander de prendre six avions et de venir faire quelques passes en formation pour une école qui était en visite sur la base. J'ai donc fait un briefing et j'ai décollé avec cinq autres gars. Nous sommes passés au-dessus de Chièvres et à un moment donné j’ai ordonné un changement de formation. Tout à coup, j’ai entendu hurler “Bail out !” et la tour qui criait aussi de sauter. Je ne savais pas à qui ils s’adressaient mais je me suis aperçu très vite que trois des avions qui derrière moi étaient entrés en collision. Je ne me rappelle plus comment je suis rentré à Coxyde. C’était terrible. Perdre cinquante pour cent de sa formation, c’est affreux. D’autant que j’en avais vu un s’écraser sur une maison. Là, j’ai failli tout arrêter. Quand je me suis posé, je pensais qu’il n’y avait que deux avions impliqués mais on m’a téléphoné pour me dire qu’il y en avait trois. Et là, je me suis écroulé.

Le CO de Coxyde a eu la présence d’esprit de ne pas faire effacer du tableau du briefing les changements de formation que j’avais prévus et l’enquête a débuté. Pendant plusieurs jours, matin et après-midi, on m’a interrogé et après une semaine, ma responsabilité directe dans l’accident a été écartée. En fait, c’est le numéro cinq de la formation qui était venu percuter et sectionner la queue du numéro quatre. Et la queue était venue écraser le numéro six dans son cockpit.

Je n’étais pas responsable mais il y avait quand même trois gars qui n’étaient plus là, dont le fiancé de ma soeur ! J’étais très mal. C’est alors que le CO, Fernand Piquin, m’a proposé d’aller à Gosselies tester un nouveau Meteor et, s’il était bon, de le ramener à la base. Et c’est ce que j’ai fait. Il avait compris comment, psychologiquement, il fallait me remettre en selle. J’ai fait quelques vols comme ça puis il m’a dit qu’il me prenait comme numéro deux. Et c’est ainsi que je suis reparti ! Mes accidents, à côté de ce drame, ce n’était rien, juste de l’expérience. Ils ne m’ont jamais empêché de revoler. J’avais deux avions et quand je me suis crashé avec le Meteor, c’était un matin et l’après-midi, je tournais déjà autour du site du crash avec mon deuxième appareil.”

Très vite, le 7e wing perçoit ses premiers Hunter.

“Nous avons d’abord eu le Hunter F.4, qui était un vrai Spitfire à réaction, puis le Hunter F.6, beaucoup plus puissant qui n’avait plus les problèmes de moteur que connaissait le 4 quand il tirait. Je me rappelle qu’on m’avait demandé d’aller tirer au-dessus de la mer et de voir si le moteur ralentissait vraiment. Et c’est vrai que quand on tirait, on voyait l’aiguille qui dégringolait et quand on avait fini la rafale, le moteur était en “idle” ! Tout ça en sept ou huit secondes. En fait, les gaz des tirs étaient avalés par le moteur qui s’étouffait. Le plus bizarre, c’était qu’Hawker n’avait jamais fait de tests. Au fond, nous avions acheté des avions qui, sur le plan opérationnel, ne pouvaient pas tirer. Finalement, on a mis une sorte de bouche à feu à l’embouchure des canons pour dévier les gaz et on a installé ce que nous appelions des “nichons” pour récupérer les douilles qui autrement venaient frapper l’”elevator”.

J’ai eu l’occasion de présenter le Hunter pendant deux ans en meeting et j’ai également commandé la 7e escadrille. Nous avons obtenu d’excellents résultats en tir aérien à cette époque. Il faut dire qu‘en 1953, j’avais été envoyé à Nellis Air Force Base, dans le Nevada, pour devenir “Jet air firing and bombing instructor” sur Thunderjet. Tous nos instructeurs avaient fait un ou deux tours d’opération en Corée. Ce qu’ils nous ont appris et qui m’a le plus impressionné, c’était la façon de détruire les bunkers. Les Américains avaient construit dans le désert des répliques de bunker et ils nous disaient que pour les détruire, il fallait faire pénétrer la bombe par la porte. Pour ça, il fallait voler à hauteur du bunker, viser la porte et au moment où on avait l’impression de rentrer dedans, lâcher la bombe et redresser pour éviter le bâtiment. Et la bombe devait glisser et toucher la porte. C’est ce qu’ils appelaient du “skid”. Si on était trop haut, la bombe rebondissait. C’est ce qui m’est arrivé la première fois. Lors du second essai, j’ai réussi. C’était vraiment impressionnant.

Le Thunderjet était également sous motorisé, surtout le E, et à Nellis, on ne volait d'ailleurs plus à partir de 13 heures car après on ne parvenait plus à décoller, même sur une piste de 3 000 mètres. Par rapport au Meteor, il manquait vraiment de puissance. Par contre, c’était une excellente plate-forme de tir. Son problème, c’est qu’il n'était équipé que de mitrailleuses .50 alors que sur Meteor, nous avions déjà quatre canons de 20 mm. A mon retour, j’ai pu former les pilotes de la base, et notamment ceux de mon escadrille, au tir. Et c’est comme ça que nous avons remporté le concours de tir à Sylt, contre les Anglais, les Hollandais, les Danois, ..."

Entre 1964 et 1967, nouvelle mutation mais toujours à Chièvres, au Flight VSV.

“J’ai fait trois ans de T-33. J’étais déjà un pilote confirmé et expérimenté et Mony Van Lierde m’avait demandé de devenir son OSN. Le Flight VSV, dont j'avais la charge, avait pour mission de tester tous les pilotes sur leurs capacités de vol en PSV et de contrôler ceux qui avaient été absents pendant une longue durée, à la suite d’une maladie, par exemple. Cette unité, même si on l’appelait Flight, comptait quand même 25 avions. Ce que j'ai trouvé particulièrement intéressant durant cette période, c’est que tous les pilotes qui devaient passer leur qualification PSV ou qui avaient besoin d’un réentraînement passaient par mes mains. Si je n’aimais pas le T-33, j’ai beaucoup apprécié ce travail qui m’a permis de connaître tous les pilotes de chasse de Belgique.

Comme le Harvard, le T-33 était sous motorisé mai si on ne lui en demandait pas trop, c’était un excellent avion pour faire de la navigation et du vol aux instruments. Celui qui réussissait ses tests de vol aux instruments sur T-33 était capable de les réussir sur n’importe quel autre avion. Il permettait d’apprendre beaucoup. Il ne consommait pas énormément non plus. Avec un plein complet, on pouvait faire une navigation jusque dans le nord de l’Ecosse et revenir. Pour ça, il était bien.”

A la fermeture de la base de Chièvres, Robert Corbeel part au Groupement instruction et entraînement comme officier de sécurité aérienne.

“Quand je suis arrivé au GIE, le Général Laforce m’a demandé ce qu’il y avait moyen de faire pour que les Fouga puissent aller tirer en Corse. Jusqu’alors, nous allions uniquement à Helchteren. Comme le Fouga n’avait pas d’équipement de survie pour voler au-dessus de la mer, je suis allé trouver des responsables de l’Armée de l’Air qui m’ont dit qu’un système était à l’étude pour équiper le Fouga. Ce n’était pas simple car le cockpit de l’avion était très petit. Je suis ensuite allé chez Aerazur, la société qui fabriquait le dinghy pour le Fouga, qui a installé les équipements nécessaires dans vingt-quatre de nos avions.

Le Fouga était un avion fantastique. Il est nettement meilleur que l’apparence qu’il donne. D’abord, il est beaucoup plus solide que l’on croit. Son problème, c’étaient ses moteurs, beaucoup trop faibles. Il est dommage que l’on ne l’ait pas équipé de Marboré VI au lieu des II pour avoir 200 kilos de poussée en plus. Mais en laissant les moteurs à plein régime, vers les 22 000 tours, il était possible d’en tirer quelque chose. Il fallait juste éviter de descendre en dessous des 19 000 tours pour garder suffisamment de “push”. C’était un avion très stable, facile à décoller, à piloter et à atterrir et il était très bon en acrobatie. J’estime qu’il était nettement supérieur au T-33 pour l’entraînement à la chasse. Je ne lui connais pas de vice, que ce soit en stall ou en vrille.

Un peu plus tard, le Général Dedeurwaerder m’a appelé et m'a dit qu’on avait besoin de moi au SGR (Service général du renseignement). J’ai suivi un cours “Intelligence service” sensationnel à Ashford, en Angleterre. Et j’ai découvert un autre monde dont je ne soupçonnais l’existence que par les polars et auquel j‘ai pris goût.

Lors du printemps de Prague, j'ai été envoyé en Suisse pour assister à l’interrogatoire d’un pilote de Mig tchécoslovaque qui avait fait défection. Je suis allé à Bern pour l'interroger. Dans le cadre d’un échange d’informations avec la Suisse, j'étais autorisé à le questionner sur les résultats de l’explosion d’une bombe H, appelée bombe EMP (Electromagnetic Pulse) que les Russes avaient fait sauter à Nova Zembia et qui avait bousillé toutes leurs communications aériennes et terrestres. Les Suisses, de leur côté, étaient très soucieux de savoir ce que l’OTAN ferait face à une explosion de ce type.

La discussion s'est poursuivie et je lui ai demandé quel était son rôle en cas d’attaque du Pacte de Varsovie. Il m'a répondu que sa mission consistait à attaquer les aérodromes belges. Il m'a révélé également qu‘il était entraîné à attaquer à très basse altitude. Et quand je lui ai parlé de la ligne de défense aérienne, composée de canons et de missiles Hawk, il m'a répondu : “Nous ne sommes pas idiots. Tous nos vieux avions sont dotés d’un système de pilotage automatique. En cas d’attaque, nous les envoyons d’abord et nous passons derrière avant que vous ayez pu recharger vos batteries de missiles. De plus, ajoute-t-il, chez vous, en Belgique, vous n’avez pas construit de hangarettes pour y protéger vos avions.” Et, de fait, nous n’avions que des merlons. Il savait exactement par où il devait attaquer les aérodromes grâce à des photos prises par des avions de l’Aeroflot dont le second pilote était systématiquement un militaire qui photographiait tout ce qu’il pouvait. Et comme tous les airways en Belgique passaient au-dessus ou à proximité des bases de la Force Aérienne, ils en profitaient...

J’ai rendu mon rapport au Général De Deurwaerder qui m’a remercié. Enfin, il disposait d’informations pour faire pression sur les politiques et débloquer l’argent pour des hangarettes. Deux ans plus tard, elles étaient construites !”

Robert Corbeel quittera ensuite le SGR pour Brunssum comme “Ops Defensive” à l’AAFCE où il terminera sa carrière en 1975.


(1) Ces sauts s'effectuaient dans un hangar. Le sauteur, équipé d'un harnais et attaché à un filin, sautait d'une hauteur de 35 mètres. Au sommet du hangar se trouvait un ventilateur géant (le "fan") dont la rotation de plus en plus rapide le freinait dans sa chute.
(2) Le "grand" en néerlandais.

Interview : Vincent Pécriaux (8 mars 2008)
Photos : via R. Corbeel, P.-A. Haegeman et G. Janssens

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