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Carnets de vol: André de Failly

Carnets de vol


Carnets de vol: André de Failly

Originaire de Bruges, André de Failly est passionné de mécanique. Il s'engage dans des études techniques à l'issue desquelles il passe les tests à la Force Aérienne pour devenir candidat-pilote.

"Je suis arrivé à Gossoncourt, en battle-dress, bottines de fantassin et kit-bag boudin à l'épaule, avec la 131e promotion en septembre 1954. Nous étions au moins 120 élèves. Il n'y avait à l'époque que sept ou huit SV4 et une dizaine de moniteurs. Comme la 130e n'avait pas terminé sa formation, nous avons dû attendre, plusieurs mois ! Pour nous occuper, les sergents nous faisaient faire du drill pendant des heures et nettoyer les chambrées à grandes eaux. A l'époque, les autorités engageaient un paquet d'élèves, quitte à en rayer beaucoup. La chance et le savoir-faire faisaient la différence. La 131e promotion a commencé à voler en juin 1955. Lorsque nous avons quitté Gossoncourt, en octobre 1955, nous n'étions plus qu'une septantaine d'élèves-pilotes avec une moyenne de 75 heures d'SV au Log-Book.

Le SV4 était, dans son genre, un épatant petit avion. Un petit biplan de bois et de toile, cousin germain du célèbre Tiger Moth anglais. Moteur Gipsy à 4 cylindres inversés de 150 chevaux. Il vibrait fort au démarrage, dans un bruit de haubans et de carlingue creuse. Au décollage, il sautillait gaiement dans l'herbe de "l'aérodrome" avant de trouver sa portance. En vol, il grimpait bien en pétaradant sec, le sol se dérobait alors brusquement et le paysage semblait distant et ralenti. Il n'était pas question de rêvasser, car le moniteur nous surveillait étroitement, d'un œil impatient, collé au rétroviseur.

De "détails en détails", la progression allait bon train. Nous faisions beaucoup "d'acrobaties" pour "se faire la main" et prendre confiance. Les loopings bien droits s'enchainaient avec des vrilles, des tonneaux plus ou moins barriqués, des renversements, etc. Très vite nous avons appris à faire des circuits et des atterrissages en trois points, à tenir une vitesse de descente, à juger du "base leg", moteur réduit, avec ou sans vent. La belle manœuvre était souvent suivie d'un énergique overshoot bien rectiligne.

Je reconnais avoir eu de la peine à bien comprendre ce que mon moniteur attendait de moi. Il était plutôt autoritaire et taiseux et il n'aimait pas se répéter. Il fallait donc beaucoup deviner et anticiper. Heureusement, je n'étais pas trop maladroit, faut-il croire, et j'ai connu, comme des centaines d'autres candidats pilotes, l'étrange et joyeuse sensation de voler un premier solo. Ensuite ont débuté les premières navigations, bien souvent en triangle et avec deux check-points, les premières lectures de carte, en survolant lentement des paysages parfois étrangers et parfois déjà vus.

La fin de stage a vu l'arrivée de l'indispensable et sévère PSV, (pilotage sans visibilité ou vol aux instruments). Il s'agissait de piloter l'avion dans des manœuvres de montée et de descente et de virages calibrés, sans référence au sol ni horizon. En bref, il fallait réagir exclusivement à la lecture des instruments de bord, en faisant fi de ses impressions physiologiques... Au début, il faut se forcer un peu.

Le SV4 n'est bientôt plus qu'un doux souvenir pour la 131e promotion qui s'envole pour l'EPA de Kamina.

"Après Gossoncourt et son EPE, nous avons eu un mois de congé. Puis, nous nous sommes embarqués dans un DC-4 du 15e Wing à destination de la fameuse base de Kamina. Melsbroek, Kano by night, Léopoldville et Kamina. Full stop.

Les installations y étaient magnifiques. Tout était neuf et bien construit. Nous étions logés dans des chambres de deux, à l'ombre d'une barza bien ventilée. Le mess était d'une propreté irréprochable et les cuistots africains excellents et stylés à la façon "Congo belge". Kamina était une très grande base en bordure du Katanga. Dotée de deux pistes intercontinentales parallèles, elle abritait aussi un détachement de paras. DC-4, DC-3 et DC-6 allaient et venaient. L'organisation générale semblait aller de soi. Le courrier passait bien. Nous étions habillés en kaki tropical, avec un énorme casque colonial, et qui voulait pouvait se procurer un solide vélo noir pour rejoindre le "Flight"

Mon premier moniteur était l'adjudant Guérin. Il avait quatre élèves qui marchaient bien, J'ai volé mes 30 premières heures de Harvard avec lui. Le gros moteur en étoile était assez impressionnant. Cet avion avait une odeur particulière, il sentait l'huile chaude, les cylindres torrides et l'essence. Familiarisation, premiers vols en double, l'inoubliable solo en T-6, derrière son gros capot rond et luisant, acrobaties diverses en "Bulawayo", premiers vols en formation, et crack ! J'ai dû brusquement changer de moniteur. Avec le recul du temps, je pense que mon moniteur avait toujours ses 4 élèves... tandis qu'un autre moniteur n'en avait plus un seul... J'ai bien cru que mon compte était bon. Pourtant je m'en suis tiré, quoique assez laborieusement.

Le vol de nuit était particulièrement impressionnant. On volait une heure, une heure trente en trois legs de 20 à 30 minutes. L'avion s'enfonçait résolument dans le noir épais, On ne voyait pas grand-chose au sol, à part quelques odorants feux de brousse et les loupiotes des copains dans le circuit. Il y avait heureusement quelques gros points de repère et parfois une formidable lune tropicale. Revenu dans le circuit, et gaz réduits, de longues flammes bleu-vert jaillissaient de l'échappement (T-6 US). La piste était bien éclairée et y atterrir tranquillement dans le noir, tous sens en éveil, était une savoureuse récompense. L'incomparable ralenti du moteur en "basso continuo" achevait de nous tracter, tout content, jusqu'à la "Ligne".

L'acrobatie, les vols aux instruments, le Link Trainer, les premières formations, s'enchainaient au quotidien. En IFR, les exercices se faisaient en virage "rate one". Il fallait évoluer en effectuant un demi-tour de 180 degrés en une minute tout en grimpant de 500 pieds/minute. Le tout devait être rigoureusement coordonné avec le gyro, le chrono, le vario, l'altimètre et l'airspeed. Le chrono tournait tout comme le compas et l'altimètre. C'était un exercice assez complet qui demandait une grande concentration. Je me souviens avoir eu du mal a bien visualiser les approches au radiocompas, les angles d'attaque sur le QDM, le QDR etc. A part le "Link", nous n'avions pas le matériel didactique moderne d'aujourd'hui.

Pendant la saison des pluies, d'octobre à mars, il y avait des orages fréquents et réguliers en fin d'après-midi. Les cumulus se formaient aux mêmes heures et quasiment aux mêmes endroits. Ils se développaient en cumulonimbus à grosses enclumes pour éclater finalement en orages parfois très impressionnants, surtout la nuit. C'était aussi la saison des petits matins avec des visibilités en vol de 100 à 150 km. Le spectacle était irrésistible. Pour cette raison, nous volions dès l'aube et par beau temps seulement. L'après-midi était consacrée aux cours au sol. Météo, air traffic control, moteur, aérodynamique, instruments de bord, etc. Ces cours étaient donnés par les moniteurs.

L'ambiance était bonne, et nous nous entraidions cordialement. Nous passions des tests régulièrement et, bien souvent, avec une certaine inquiétude car quelques tests ratés nous renvoyaient irrémédiablement à Saint-Nicolas-Waas, synonyme de fin des haricots et d'adieu définitif aux avions.

Nous avons refait nos valises pour l'Europe en mai 1955, avec 145 heures de Harvard.

Durant les six mois de notre séjour à l'EPA, nous avons pu bénéficier de deux longs week-ends de congé. Au premier, j'ai pu prendre le "vapeur" de Kamina-ville vers Kolwezi et retour. Wagons-lits à intérieurs bois vernis, déjeuners soignés, personnel au maintien correct, propreté générale dans la lente et pittoresque savane katangaise. Forêts-galeries, petits ponts en fer, dans le léger balancement qu'offraient les voies de la célèbre BCK. (chemins de fer du Katanga). Arrivée à Kolwezi l'industrieuse, confortable gîte chez les pères bénédictins de l'abbaye de Saint-André. Les moines étaient en soutane blanche, avec large ceinture de cuir et casque colonial sur la tête. Ils avaient un beau potager et cultivaient des olives.

Deuxième grand week-end : mon "co-koteur" s'était fait inviter au Kivu par d'authentiques colons de l'époque. Monsieur de Munck est venu nous chercher à Kamembe (Bukavu) avec un Piper Tripacer (nose-wheel). Nous avons survolé le lac Kivu en longeant l'île d'Ijdwi et les plantations de café des Princes de Ligne, pour atterrir 25 minutes plus tard à Goma. Nous étions logés dans des paillotes de luxe dans leurs belles installations de la Rutshuru. C'était du "Karen Blixen" pour un week-end. Des jeunes boys tutsis ciraient nos chaussures ABL avec ardeur. Nous avons visité Goma dans toute sa splendeur d'alors avec nos charmants hôtes.

De retour au pays et après quelques jours de congé, André de Failly rejoint ses camarades à l'Ecole de Chasse de Coxyde.

"Nous sommes arrivés à Coxyde, en juin 1956. Nous étions encore une trentaine d'élèves. L'Ecole de Chasse, c'était le moment venu de voler sur avion à réaction, le nec plus ultra de l'époque. Nos moniteurs venaient tout droit d'escadrilles opérationnelles, ils avaient beaucoup d'expérience et d'heures de vol à leur actif. Ils étaient vraiment excellents et l'ambiance au Flight était détendue et franchement plaisante.

Au bout de quelques mois de progression en vol, on nous a fait choisir entre les avions intercepteurs et les chasseurs-bombardiers, deux types de missions différentes avec des installations géographiquement disséminées. Une vingtaine d'entre nous ont achevé leur formation sur Meteor et les autres sur T-33. Personnellement, j'avais une préférence pour le Meteor, avion anglais bien typé avec deux moteurs Rolls-Royce Derwent, de bonne réputation et le premier avion à réaction des forces alliées en 1944.

Nous commencions à voler sur le Meteor 7 biplace avant de passer sur Meteor 4 et 8. J'ai fait très peu de Meteor 4. Le Meteor n'avait pas beaucoup d'autonomie. Les vols duraient en moyenne une quarantaine de minutes. Nous faisions énormément d'interceptions et des missions "GF" (general flying). Chaque mission s'achevait par une partie de "tail chase" ou simulacre de combats. Cet exercice nécessitait de rester impérativement proche de son leader et de le protéger. Nous volions régulièrement par pair et aussi par squadron de quatre avions. D'autres squadrons nous repéraient et nous prenaient en chasse. Il arrivait que 12 avions se mettent à tournoyer au plus fin dans une sorte d'essaim de Meteor. Il s'agissait d'avoir du bon look-out, quitte à se tordre un peu le cou en tirant les G. C'était une habituelle "moulashka" et bien des pilotes sortaient de leur avion la "combine de vol" trempée. Moi le premier.

Le Meteor avait un train d'atterrissage très stable, équipé de gros pneus à basse pression, qui permettait de faire des atterrissages très doux. Ses réacteurs étaient très fiables. On s'entraînait au vol sur un moteur. Parfois, au décollage, le train à peine rentré, le moniteur coupait un des moteurs. Aussitôt, il fallait compenser l'asymétrie de la poussée en "donnant du pied" pour continuer à voler droit tout en adaptant la faible montée. Il arrivait que l'avion se traîne longuement au-dessus de la mer du Nord en grappillant laborieusement les quelques centaines de pieds indispensables. Dans mon souvenir, cette démo était parfois un peu "limite".

Le Meteor 7 n'avait pas de sièges éjectables. En cas de problème, la théorie voulait que l'équipage ouvre la verrière en se courbant fort, se déstrape, passe sur le dos, et se laisse voguer avant d'ouvrir le parachute par la poignée.

Cet avion n'était pas équipé d'un dispositif de pression de cabine. Et donc, le "stoempje" aux choux de Bruxelles servi au mess sous-offs décuplait de volume à 30 000 pieds. A cette altitude, il m'arrivait d'être enflé jusqu'aux yeux et, trop serré dans mes straps, j'aspirais à la plus inconvenante des délivrances.

Le Meteor 8 était mieux équipé, il avait des "intakes" plus grands et un peu plus de "push", des instruments de bord plus perfectionnés et un bon Martin Baker. Et le pilote volait "dans son bac" en solo, ce qui est toujours plus gratifiant. A l'OCU, nous n'avons eu aucun crash, ni même un fâcheux incident, preuve que les moniteurs étaient d'une bonne trempe et avaient "du métier"."

Brevetés en novembre 1956, les pilotes de la 131e promotion prennent le chemin de Brustem où stationne l'OTU.

"Nous avons continué à voler sur Meteor pendant les quatre mois de l'OTU. C'était l'hiver 1957. Notre temps se partage entre vols en formation, navigations, sweeps, tirs "air-air" à la caméra, sur la flag remorquée entre Athus et Macquenoise, tirs air/sol au champ de tir de Helchteren, approches aux instruments(GCA), etc. Nous avons également commencé à pratiquer des interceptions avec les radars au sol de Glons et de Semmerzake. Il nous arrivait de nous faire accrocher par les Sabre canadiens de Marville. Ce genre de "dogfight" était sans pitié pour nos Gloster Meteor.

Au champ de tir réel, les quatre canons de 20 mm faisaient feu dans une forte vibration sourde et une âcre odeur de poudre dans le cockpit. L'avion avait tendance à se dandiner légèrement, comme tout bon bimoteur, et la visée se faisait un peu baladeuse.

A la fin de la formation, nous avons reçu nos affectations. J'ai demandé à retourner à Coxyde sur Meteor. J'ai été affecté à la 25e escadrille dès avril 1957. J'y étais très content. La mer, les avions, la Flandre occidentale et les Brugeois pas loin.

Je me souviens d'un de mes premiers vols internationaux, alors que je venais d'arriver en escadrille. Mon C.O. m'a donné pour mission de convoyer un Meteor de Coxyde à Sylt, base d'où s'effectuaient les tirs air-air anglais et belges. Vol en altitude, par beau temps, de part en part de la Hollande, par Schiphol, la Frise puis la célèbre île d'Heligoland. Un vol magnifique en ligne droite.

Le tir réel était particulier. Il y avait de rigoureux patterns à respecter, pour des raisons de sécurité et d'efficacité. La visée était corrigée par un système de gyroscope en fonction des G dans les approches. Il fallait placer le point lumineux de la visée sur la cible en essayant d'anticiper. Tout allait très vite. On disposait de quelques secondes pour tirer. L'avion vibrait quand les mitrailleuses se déclenchaient. Ensuite, il fallait dégager en passant juste au-dessus de la cible tandis que les obus se perdaient vers le large.

Les Anglais avaient encore des Venom à l'époque et nous devions faire un vol en double avec un pilote anglais pour nous faire "checker" selon leurs normes.

A Coxyde, il m'est arrivé de perdre mon hood en vol. Nous volions à toute vitesse et à 1000 pieds au dessus de la base dans un spectaculaire "line abrest". Une multitude de petits cumulus rendait l'air très turbulent. Soudain, et à grand fracas, je me suis retrouvé en Meteor décapotable. Dive brakes out et moteurs réduits, j'étais illico en downwind, sans histoire.

Après être resté un peu plus d'un an à Coxyde, André de Failly fait mutation à Chièvres pour effectuer sa conversion sur Hunter, à la 7e escadrille avant d'être affecté à Bierset.

"Le 9e Wing comptait deux escadrilles, les 22e et 26e. J'étais à la 22. Et ici aussi, le boulot consistait essentiellement à faire des interceptions en altitude. Nous en faisions tous les jours pratiquement. Heureusement alternées par des navs, des sweeps, du tir, etc. Nous interceptions des Javelin ou des Canberra anglais, qu'il fallait parfois aller chercher en l'Allemagne. Parfois aussi on attrapait des Vautour français mais c'était plus rare car leurs bases étaient assez éloignées de Bierset.

Le Hunter F.6 était un magnifique avion. Son moteur était très puissant et il était très agréable à piloter. Nous volions avec des bidons qui nous donnaient une autonomie d'une heure environ. C'était le premier appareil dont les commandes étaient assistées hydrauliquement. Elles étaient donc beaucoup moins lourdes que celles du Meteor. J'ai un jour eu une panne hydraulique. Je pouvais encore utiliser les flaps, le train et les dive brakes mais je n'avais plus d'assistance au stick. Les commandes en manuel étaient très lourdes mais je savais d'avance que l'avion restait pilotable. J'ai fait une longue approche de bombardier avec le major Blume dans mon aile et je me suis posé sans problème.

Pour moi, Bierset était une des plus laides bases de toute la Belgique. Pour rejoindre Bruges et les miens, je faisais 500 km par week-end dans ma sautillante petite Renault Dauphine.

A cette époque, quelques sous-offs ont quitté la Force Aérienne pour voler au Congo. Je suis resté à Bierset jusque fin 1959. C'était l'époque où on demandait des volontaires pour aller prêter main forte au Congo à la veille de l'indépendance et ça me tentait assez. Je me suis donc retrouvé au Congo en juin 1960 sur DC-3. C'était un tout nouveau contexte, j'étais au 15e Wing, second pilote dans un équipage de cinq vieux navigants qui avaient leurs habitudes. C'était une période troublée, rythmée par les ordres et les contre-ordres. Parfois, on décollait à quatre heures du matin pour larguer des paras et lorsque nous arrivions au-dessus de l'objectif, l'opération était annulée. J'ai vu de mes yeux vu le sauve-qui-peut de Luluabourg. Un grand désordre agité, des Européens qui courent en tous sens, de vraies débrouilles et de vrais désespoirs. De belles voitures subitement abandonnées en bordure de l'aéroport, les portes ouvertes, des tas de fusils de chasse empilés dans les matitis, des africains agités et imprévisibles, etc. En escale à N'Djili, de mon perchoir de DC-3, j'ai aperçu un maigre africain très agité et barbichu qui parlait trop en gigotant des bras et des jambes. C'était Patrice Lumumba qui chapitrait le monde entier.

A Kamina, une subtile et très avenante suggestion circulait sous cape pour recruter qui voulait à rejoindre Elisabethville et le Katanga de Tshombe. Quelques Fouga Magister ont décollé subrepticement. Sans tambour ni trompette.

Deux tristes tragédies durant cette période : Emmanuel Kervyn de Mérendrée, pilote d'hélicoptère, accompagné d'André Rijckmans, qui ont perdu la vie dans une mission de sauvetage dans la région mutinée de Thijsville. Baudouin de Changy a quant à lui trépassé dans son Harvard, au cours d'une mission d'appui-feu dans le Bas-Congo.

Après l'indépendance du Congo, je suis rentré en Belgique. Affecté au 15e Wing, j'ai été lâché sur Pembroke. Je volais peu et me morfondais passablement.

Après une bonne année, André de Failly quitte Melsbroek et rejoint le 2e Wing de chasseurs-bombardiers de Florennes.

Après quelques mois comme candidat moniteur sur Fouga Magister, et stage où je me suis trouvé dans un cuisant échec et mat, Je me suis refait une santé sur T-33. Attiré par les monoplaces, je suis arrivé à Florennes à la 2e escadrille, commandée par le major Hubert. Il y régnait une excellente ambiance et j'ai vite été lâché sur F-84F. C'est une époque où j'ai beaucoup volé. Je me souviens des magnifiques navigations en Allemagne.

L'avion était résolument américain. Avec un très large cockpit, il pouvait emporter une invraisemblable panoplie d'armement. Il était un peu lourd au décollage, stable en vol, avec une autonomie de plus d'une heure trente, selon les missions. C'était un chasseur-bombardier qui volait loin à basses et moyennes altitudes. Il était équipé d'un étonnant horizon artificiel "à boule".

Pour les navigations vers l'Allemagne, nous prenions des caps de sorties par Karlsruhe, le patelin de Rudolf Diesel, par-dessus les Ardennes et le massif de l'Eiffel, à quelque mille pieds, d'où nous pouvions discrètement admirer l'alternance des 4 saisons d'années en années. Les nuances de vert dans les champs et les bois, les taches de lumière et d'ombre sur les sols vallonnés, le roussi des automnes aux lumières rases. Les arbres tout nus, noirs et droits dans la neige en hiver. Les bourgeons du printemps qui semblaient hésiter si longtemps à éclater. Et en sus, les plafonds bas, la mauvaise visibilité, les antennes à voir absolument, etc.

Sorties par Venlo aussi, en flirtant longtemps avec la Meuse. Ce fleuve large et sinueux, parfois prêt à déborder, qui rejoint le Rhin dans un imbroglio de méandres et de canaux où les Hollandais s'activaient sans cesse, et par tous les temps, dans des travaux gigantesques.

Nous allions aussi sur des objectifs en Bavière. Vols mémorables encore par-dessus l'Escaut, le Jura, les Alpes, le Mont-Saint-Michel, Solenzara, ... C'étaient des Navs "low-high" bien calculées ou "low level" avec des "targets" finement imposés. Les pilotes plus confirmés se lançaient dans des échanges d'escadrilles lointains jusque dans le nord de la Norvège ou dans le fin fond de la Turquie.

La 2e escadrille était une unité strike, avec un armement américain. Nous étions en pleine période de "Guerre froide". Pour faire face à toute sinistre éventualité, nous montions la garde dans un site bien déterminé, appelé QRA. Les procédures étaient assez contraignantes et voulaient que l'on se rende à l'avion à trois militaires se surveillant l'un l'autre. Le pilote, la sentinelle belge et la sentinelle américaine devaient impérativement être ensemble pour effectuer les fins réglages dans le cockpit, ou sur l'armement, en fonction de la météo sur l'objectif. Seul l'Américain était armé...

Nous nous entraînions à ce tir particulier à Vlieland et à Solenzara. Nous faisions des tirs HABS (1) et LABS (2) . En LABS, il s'agissait de partir de quelques centaines de pieds d'altitude avec une belle dose de moteur et de vitesse pour effectuer un rigoureux immelmann à 4 G constants, bien régulier pour larguer la bombe d'exercice lorsque l'avion atteignait l'apogée de sa courbe. La bombette était calculée pour avoir une trajectoire identique à la bombe réelle. Par la vitesse et l'attitude de l'avion au moment du largage, la bombe d'exercice était catapultée à la (presque) verticale jusqu'à une vitesse zéro et altitude x, pour retomber à la verticale sur la cible. Cette subtile manœuvre permettait au pilote de prendre la poudre d'escampette avant l'explosion de son engin qui promettait d'être redoutable. Je me souviens qu'à la sortie de la manœuvre, en léger virage descendant, tout curieux du résultat, nous nous écarquillions les yeux pour apercevoir le signal fumigène qui confirmait la remarquable précision de ce tir particulier. Le HABS se pratiquait moins. C'était du bombardement en piqué."

Un jour, confronté à un problème technique, André de Failly se retrouve dans la plus fâcheuse situation qui soit, situation qui va sceller le destin du FU-12.

"L'avion avait connu des problèmes de séquence d'alimentation en carburant. Il était passé en maintenance et avait ensuite été testé lors d'un vol local d'une quinzaine de minutes et aucun problème n'avait été décelé. J'ai décollé un lundi matin et après 20 minutes de vol, le moteur s'est éteint tranquillement et sans le moindre bruit de casse. Un flame out ! J'étais dans la région de Semmerzaeke, en VMC au sud de Gand et vers les 800 pieds d'altitude.

J'ai compris qu'il s'agissait d'une panne de carburant, pourtant aucun signal lumineux ne m'avait mis en garde et la jauge était normalement positive. Pour garder les 800 pieds, la vitesse chutait pendant que je tentais nerveusement de rallumer. Trois essais de "relight" et autant de sélections de "fuel tank selector" n'ont donné aucun résultat. Il fallait que je me décide à "bail out" bientôt. Par miracle, le point de chute probable de l'avion était libre, vert, et agricole. Boum ! J'étais dehors. La séquence automatique avait bien fonctionné, j'avais fait quelques cumulets en avant et je pendouillais gaiement sous mon parachute qui freinait bien malgré une assez contrariante déchirure en quartier de tarte, et de noirs fils électriques au sol qui m'attendaient. Mon avion a continué à planer tout seul, jusqu'à notre impact simultané au sol.

Alléluia et Deo Gratias... pas la moindre casse. Le "Mori" et le "Padre" sont venus me chercher en Renault 4L, à la gendarmerie de Wanegem Lede où j'expliquais le coup, en long et en large, en remplissant une multitude de papiers. Pendant une heure trente de back seat dans la 4L blanche, je me suis vraiment demandé si je n'avais pas fait une immense boulette. Quelques mois plus tard, les très judicieux enquêteurs ont pu déterminer que j'avais fait un joli zéro faute. Ouf !

Douze mois de vols et de QRA plus tard, j'ai eu un autre incident. Je me posais normalement sur la 07 quand ma roue droite s'est dévissée carrément pour se perdre dans les herbes hautes. J'ai bien senti que mon avion tirait à droite. J'ai pensé : pneu crevé. J'ai alors essayé de maintenir l'appareil le plus longtemps possible en ligne droite en freinant le moins possible sur le pneu gauche pour l'économiser à tout prix. J'ai donc donné de petits coups de frein "touchy" tout le long de la piste pratiquement, jusqu'à ce que l'avion, devenu intenable, sorte brusquement de la piste. Je n'avais plus beaucoup de vitesse et j'ai nettement senti et entendu le craquement de la cellule qui se tordait dans la terre molle… "Scrooatch".

En 1969, André de Failly a raccroché l'uniforme et a poursuivi sa carrière dans le civil, notamment aux commandes de DC-3 en Afrique. Son intérêt pour la photographie lui a permis de saisir sur pellicule couleur quelques Hunter et Thunderstreak, témoins des quinze années qu'il aura passées à la Force Aérienne.


(1) High Altitude Bombing System
(2) Low Altitude Bombing System

Interview : V. Pécriaux (16 avril 2011)
Mise en page : Daniel De Wispelaere

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