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Carnets de vol: Jean-Luc Herijgers

Carnets de vol: Jean-Luc Herijgers

Carnets de vol: Jean-Luc Herijgers

C'est dès l'adolescence que Jean-Luc Herijgers commence à marquer de l'intérêt pour l'aviation.

"Fils d'officier d'infanterie, après avoir passé mon enfance en Allemagne occupée, donc en milieu militaire, c'est au retour en Belgique, vers l'âge de15 ans, que m'est venue l'envie de devenir pilote d'avion de chasse. C'est ainsi que j'ai rejoint les Cadets de l'Air. J'y suis resté deux ans mais je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de suivre une formation en vol sur planeur car au cours de la première année, j'ai dû passer des examens au collège pour passer dans la classe supérieure où je suivais la filière Latin/Sciences. Comme je donnais bien entendu la priorité à mes études, je n'ai pas pu participer au camp d'été au cours duquel il était prévu d'apprendre à voler en planeur. Deux ans de Cadets de l'Air et pas un seul vol...mais pas démotivé pour autant. Ces deux années m'ont, en effet, donné un avant-goût permettant de présager de l'ambiance que je trouverais au sein de la Force Aérienne.

Après un séjour de trois mois à Londres pour y perfectionner mon anglais, je me suis présenté, le 12 décembre 1965, à la caserne Géruzet à Bruxelles où j'avais été convoqué après avoir admis comme candidat élève-pilote. J'ai été intégré dans la promotion 66B où nous étions douze à rêver de devenir pilote. Nous n'étions donc, en fait, pas vraiment nombreux. La carrière militaire et de facto celle de pilote dans les Forces Armées n'attirait plus autant les jeunes qu'au cours des années précédentes. Les rémunérations à l'armée étaient en effet nettement inférieures à celles d'un quelconque emploi dans le milieu civil en plein boom économique. C'était particulièrement vrai pour les pilotes. Mais, pour ma part, j'étais attiré par le métier de pilote de chasse et non de ligne. Au cours de ces années, de nombreux pilotes ont quitté la Force Aérienne pour aller rejoindre la Sabena qui était en manque et donc très heureuse de pouvoir intégrer des pilotes formés et chevronnés dans ses rangs.

J'ai donc rejoint l'EPE à Gossoncourt pour y apprendre à voler sur le mythique biplan SV4. Mon premier vol, je l'ai effectué le 25 janvier 1966 avec l'adjudant-chef Gilbert Haway, un ancien de la Royal Air Force qui, quant à lui, effectuait ses tout derniers vols avant la mise à la retraite. C'était très émouvant pour moi de pouvoir faire ce vol avec un pilote qui avait volé pendant la guerre sur le mythique Spitfire. L'élève était installé à l'arrière, cockpit ouvert, parce que, selon certains, en cas de nécessité, cela lui permettait de quitter rapidement l'avion et permettait ainsi au moniteur de glisser rapidement la verrière vers l'arrière, sans être bloqué par celle de l'élève paniqué. A mon sens, cependant, cela permettait surtout à l'élève de sortir la tête hors du cockpit pour pouvoir tenir la direction au sol au taxi et pendant le décollage tant que la roulette de queue ne s'était pas levée avec l'augmentation de la vitesse. En effet, en trois points, on ne voyait rien devant soi et il fallait sans cesse zigzaguer pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'obstacle devant l'avion. Pour décoller, bien entendu pas question de zigzaguer, il fallait donc sortir la tête afin de prendre un point de repère et ainsi tenir sa direction. Notre léger casque de cuir avec écouteurs et les lunettes caractéristiques qui y étaient associées étaient notre seule protection contre le vent. Le visage quant à lui était un peu protégé par le petit masque en caoutchouc qui contenait le micro de la radio. Comme la formation de notre promotion avait débuté en plein hiver, outre le gros pull à col roulé fourni par l'armée à mettre sous la salopette de vol, j'aimais porter une écharpe aux couleurs de la RAF que j'avais achetée lors de mon séjour d'étude à Londres. Cette expression visible de mon admiration pour la "Royal Air Force '' n'était nullement de nature à déplaire, en particulier à mon moniteur qui avait volé en son sein.

Le SV4 était un excellent avion d'écolage car il pardonnait tout en vol mais il était, par contre, assez difficile à atterrir car il fallait se poser en trois points, là aussi la tête hors du cockpit. Lorsque Gilbert Haway est parti à la retraite, j'ai eu comme moniteur Armand De Wilde, un jeune capitaine très stylé, très calme et très aimable. Je n'aurais pas pu rêver de meilleur profil comme moniteur pour moi et je me demande si je serais jamais devenu pilote si j'avais été l'élève d'un de ces moniteurs qui prenaient un malin plaisir à faire croire qu'ils déconsidéraient leurs élèves en les mettant toujours dans le doute et sous stress pour mieux les former ( ? ), mais surtout les sélectionner... Sur les douze candidats que nous étions, cinq (soit près de la moitié) ont été éliminés à l'EPE. Le 24 mars 1966, j'effectuais mon premier vol en solo, après treize heures quarante de vol en doubles commandes. C'était dans la norme et tout allait bien. Mais, lors d'un vol solo suivant, les choses ont soudain pris une autre tournure. Je me trouvais en fin de journée dans le circuit et je ne parvenais plus, ou à vrai dire n'osais plus, atterrir... Il est vrai que le vent qui n'était pas exactement dans l'axe d'atterrissage s'était fort renforcé. Je n'arrivais plus me positionner correctement et je remettais à chaque fois les gaz pour refaire un nouveau circuit afin de me représenter en finale. J'étais stressé car en outre mon carburant avait de ce fait sérieusement baissé. Il n'y avait plus que moi dans le circuit, les avions au sol avaient déjà été rangés dans les hangars et tout le monde attendait que j'atterrisse pour pouvoir fermer la base. C'est alors que le moniteur responsable des vols à la tour de contrôle m'a donné, en des termes loin d'être aimables mais par contre très clairs, l'ordre formel de me poser, quoiqu'il advienne ! Il s'est avéré que c'était le discours à tenir pour que je mette enfin l'avion au sol et qui plus est de façon tout à fait correcte, donc sans rien casser... Je m'attendais néanmoins à un débriefing des plus sévères et craignait pour mon avenir. Le capitaine De Wilde m'a pris à part et, loin de m'engueuler comme d'autres l'auraient sûrement fait, il a tenté de savoir pourquoi cette soudaine perte de confiance et m'a dit : " Si je te laisse voler en solo, c'est que j'ai confiance en tes capacités. Demain on va voler ensemble et tu verras, cela ira à nouveau bien, ne t'inquiète pas ". C'est ce que nous avons fait et je n'ai plus jamais eu aucun problème tout au long de mon séjour à Gossoncourt."

L'apprentissage de la vie militaire passe inévitablement par celui de la discipline.

"Les conditions de vie à l'EPE étaient assez spartiates, à l'image de l'avion que nous pilotions. Nous étions logés dans de grandes chambrées chauffées par un seul poêle à charbon, qui devait être éteint à 22 heures. Le matin, au lever à 6 heures, il faisait donc bien froid lorsque nous partions nous laver à l'eau froide avant d'aller à la gymnastique et puis d'enfiler notre battle-dress gris bleu en toile de couverture qui grattait de partout pour aller déjeuner. C'était quand même assez dur...

La discipline qui nous était imposée ne me déplaisait cependant pas vraiment, même si comme tout le monde j'ai, moi aussi été puni. Nous avions deux instructeurs, un adjudant et un premier sergent-major, qui étaient passés maîtres dans l'art de nous embêter en permanence ! C'était comme s'ils en avaient fait leur job. Nous partions en week-end le samedi après-midi et le matin était réservé aux corvées de nettoyage des locaux. A midi, nous devions nous mettre en rang pour l'inspection avant de pouvoir quitter le quartier en uniforme avec des chaussures dites '' de ville''. En semaine, nous portions, en effet, de grosses bottines militaires noires avec des guêtrons et un ceinturon blancs qu'il était bien pénible à maintenir dans un état impeccable. Pour partir en week-end, nous ne les portions heureusement pas. Lors d'une de ces inspections du samedi, outre la brillance du cirage, l'instructeur décida d'examiner les semelles des chaussures... Et, il a ainsi pu remarquer que mes semelles étaient quelque peu usées et qu'elles présentaient un début de trou. J'aurais dû mettre mon autre paire pour partir en week-end. Mais l'autre paire, je ne la possédais pas car je l'avais mise en réparation dans la chaîne logistique militaire, ce qui prenait un certain temps. Conclusion : j'ai été puni pour "manque de prévoyance" car je n'avais pas prévu que ma seconde paire de chaussures serait trouée avant que l'autre ne revienne de réparation ! J'ai écopé de deux heures de retenue, c'est-à-dire d'étude, à comptabiliser à partir de quatorze heures. A seize heures, le week-end était déjà bien avancé et il fallait encore que je me rende à la gare de Tirlemont pour prendre un train tardif pour rejoindre à Bruxelles où habitaient mes parents. Heureusement que ma retenue n'était pas cumulée avec une autre punition car, comme la journée se terminait à dix-sept heures, lorsqu'on avait ramassé quatre heures de retenue, la quatrième heure devait se faire entre huit et neuf heures le lendemain ! Autre anecdote : j'ai un jour été surpris par l'un de nos deux instructeurs les mains en poche. En guise de punition, ils m'ont fait coudre les poches de mon pantalon pour toute une semaine. Je me souviens d'un autre élève qui, pour avoir omis par distraction de saluer, a dû se placer au garde-à-vous devant le dispersal et saluer pendant toute la journée tous les supérieurs qui passaient, c'est-à-dire tout le monde puisque nous n'étions que caporaux.

Au moment même, c'était dur à admettre et cela semblait ridicule mais c'était une façon de mettre notre volonté et notre détermination à l'épreuve. C'était là une des facettes du prix à payer pour devenir pilote. Donc, on acceptait...Et surtout, pas question de se révolter !"

L'écolage de la promotion 66B se poursuit à Brustem

"A Brustem, j'ai eu la chance d'avoir comme moniteur un jeune capitaine qui s'appelait Alex Malpas et qui faisait partie de la patrouille acrobatique « Les Diable Rouges ». Nul doute qu'il fut le premier à me transmettre l'envie de pouvoir un jour participer comme lui à des présentations et à des meetings aériens. Chaque fois qu'il en avait l'occasion, lorsque nous avions fini le programme du vol, il reprenait les commandes pour effectuer quelques minutes d'acrobatie. C'était l'époque où on commençait à faire des figures en vol sur le dos, ce que le Fouga permettait parfaitement car il était équipé d'un réservoir prévu pour cela. J'ai donc fait beaucoup de vol dos à basse altitude avec Alex Malpas. Il lui était par ailleurs venu à l'idée de vouloir présenter des loopings en vol inversé. Les G négatifs à encaisser n'étaient pas évidents, surtout lorsque l'on subissait les manœuvres en tant que passager. D'ailleurs, lors d'un de ces loopings en vol inversé, j'ai eu les vaisseaux sanguins de mes yeux qui ont éclaté. Je suis donc rentré de vol avec les yeux tout rouges. Malpas n'était pas à l'aise car il ignorait si cela allait ou pas se résorber facilement et rapidement. En fait, il a fallu deux à trois semaines pour que cela se résorbe, mais c'était inconfortable car la lumière ou l'éclairage m'éblouissait et je devais porter des lunettes solaires même le soir...Je n'en ai cependant gardé aucune séquelle. J'ai au contraire eu beaucoup de plaisir à pouvoir bénéficier de cette initiation privilégiée à l'acrobatie aérienne. Alex Malpas, s'est malheureusement tué un an après mon départ de Brustem, en juin 1968, au cours d'un entraînement, en accrochant Jos Lelotte alors qu'ils effectuaient ensemble un tonneau en miroir. Un an auparavant, lorsque je terminais Brustem, c'était René Braeken, lui aussi Diable Rouge, qui se tuait à l'entraînement."

Vient ensuite pour Jean-Luc Herijgers et ses compagnons de promotion le départ pour Woensdrecht aux Pays-Bas.

"A cette époque, l'entraînement était organisé conjointement par la Belgique et par les Pays-Bas. Aussi, après l'EPA à Brustem ou encore un de nos copains de promotion a dû quitter le navire, nous étions 6 à être mutés à Woensdrecht aux Pays-Bas pour y poursuivre notre écolage à l'EPT (1) . Mon moniteur néerlandais, le 1er Sergent Bennie Drenth, était à nouveau un moniteur un peu particulier, cool, ouvert et enthousiaste. Il avait, en effet, fait partie de la patrouille acrobatique de la KLu (Koninklijke Luchtmacht), les '' Whiskey Four'', qui évoluait à quatre T-33 et qui fut dissoute après avoir connu trois accidents mortels en deux ans. Voler avec de tels moniteurs était motivant car, comme élève, je rêvais de pouvoir faire un jour de même... Par rapport à d'autres moniteurs, qui suivaient le syllabus de façon beaucoup plus rigide, lorsqu'ils voyaient que nous progressions bien dans le programme, ils prenaient volontiers quelques libertés pour nous en montrer un peu plus, et c'était très gratifiant.

Je n'ai cependant jamais beaucoup aimé le T-33. Peut-être est-ce parce que j'ai passé une phase un peu plus délicate de mon entraînement à ce moment et que je l'associe à l'avion... C'était un avion beaucoup plus gros et plus lourd que le Fouga, son stick n'avait, à mes yeux, pas de position neutre bien claire et, avec ses gros bidons en bout d'aile, il semblait toujours avoir une espèce d'inertie qui induisait un balancement que je ne trouvais pas plaisant. Sans parler de la gestion compliquée du fuel avec tous ces "circuit breakers" à gérer et à actionner sans cesse au cours du vol pour éviter une extinction du moteur.

En fin d'entraînement, c'était le vol en formation qui était au programme et mon premier vol dans cette discipline a été qualifié d'insatisfaisant par mon ex "Whiskey Four" de moniteur...Il m'a dit que je n'avais pas compris que voler en formation ce n'était pas voler l'un à côté de l'autre dans la même direction, mais c'était voler aile dans aile, quasi l'un contre. Remarque frustrante pour l'ancien élève de Malpas que j'étais et avec qui j'avais fait de superbes vols en formation en Fouga. Bref, il fallait que je corrige cela pour le vol suivant. Ce vol s'est présenté le lendemain. Je devais accompagner, dans son aile, un colonel (dont je tais le nom que je n'oublierai jamais) qui venait voler comme pilote visiteur et qui devait se rendre à la base aérienne de Soesterberg. Nous sommes donc partis, ensemble avec deux avions, en formation. Après avoir fait ce qu'il avait à y faire, sans aucun commentaire de sa part, nous avons redécollé et nous sommes revenus... Ces vols je les ai faits en formation bien serrée pour montrer que j'avais bien compris la remarque de mon moniteur attitré... Or, j'ai eu droit au débriefing suivant de la part de ce "pilote visiteur" : je volais dangereusement trop près ! Et, comme nous avions fait deux vols, j'ai hérité de deux vols qualifiés "rouges", c'est-à-dire insatisfaisants, supplémentaires ! Au total cela faisait trois vols insatisfaisants l'un à la suite de l'autre et il en découlait que je devais passer en commission d'évaluation... Je n'en menais pas large car c'était mon avenir qui était en jeu et je paniquais vraiment à l'idée de me voir éliminé alors que j'étais si près du but ! La commission d'évaluation mise en place m'a accordé trois heures de vol supplémentaires et plus personne n'a eu à redire quant à mon aptitude à voler correctement en formation.

Il me plaît de raconter cette anecdote car quelques années plus tard, alors que j'étais devenu ailier dans la patrouille acrobatique des ''Diables Rouges'', ce même colonel néerlandais est venu en visite d'inspection à Brustem où il a exprimé le souhait auprès de l'officier en charge des vols de pouvoir accompagner un vol en Fouga en siège arrière. J'en avais été informé et j'ai insisté pour qu'on lui présente un vol dans mon siège arrière lors du vol d'entraînement de la patrouille, à l'heure de midi. Lorsque l'intéressé a appris que c'était là la seule opportunité de vol qu'on pouvait lui présenter, et que ce serait avec moi, qui l'avais expressément demandé afin de lui montrer qu'en matière de vol en formation j'en connaissais un brin, il a demandé à être retiré du planning..."

Les péripéties du T-33 ne sont bientôt plus qu'un mauvais souvenir pour Jean-Luc Herijgers qui reçoit ses ailes avec six de ses compagnons de promotion, le 6 octobre 1967 et qui voit se concrétiser son rêve d'adolescent : piloter un F-84F Thunderstreak.

"C'est à Eindhoven, au 315 squadron, que j'ai effectué ma conversion opérationnelle sur F-84F. Après un mois de cours au sol et quelques séances de ce que l'on appelait le simulateur, qui était en fait un cockpit statique qui servait surtout à faire du cockpit drill pour arriver à faire tous les gestes requis les yeux bandés, car il n'existait pas de F-84 biplace, il a fallu monter dans cet imposant avion et faire le premier vol immédiatement en solo. Ce vol était "chasé" par un instructeur à bord d'un autre avion. Nous avions tous tellement répété et préparé mentalement ce premier vol que pour chacun de nous tout s'est passé comme prévu, sans problème.

Cette conversion appelée opérationnelle s'est vraiment très bien passée, sans le moindre souci. Le F-84F était l'avion dont je rêvais et là, à 21 ans, vingt-deux mois après le tout premier vol de ma vie en SV4, je me retrouvais breveté pilote militaire, aux commandes de ce fabuleux avion de combat qui m'enchantait quelle que soit la discipline de vol pratiquée. J'aimais particulièrement les navigations en formation de combat à basse altitude suivies de bombardements avec tirs aux canons et rockets au champ de tir sur l'île de Vlieland dans le nord des Pays-Bas. Quel magnifique souvenir."

A l'issue de la conversion, Jean-Luc Herijgers est affecté au 2e Wing de chasseurs-bombardiers de Florennes.

"C'est en avril 1968 que, j'ai fait mutation pour la base de Florennes, Nous y avons été accueillis dans le bureau du major Robby De Bruyn, l'officier Ops & Taining, adjoint de l'OSN, qui nous a certes très brièvement félicités, mais qui a surtout insisté sur le fait que si nous étions effectivement brevetés pilotes et que si nous avions effectivement réussi notre conversion opérationnelle nous ne connaissions cependant encore rien du métier, qu'il nous restait tout à apprendre et qu'ici à Florennes on était à bonne école... Ce genre de propos je les ai encore entendus de la part du colonel Cailleau, quatre ans plus tard lorsque j'ai été muté sur F-104G à Beauvechain en provenance de Brustem : surtout ne pas croire que l'on connaissait quelque chose quelle que soit l'expérience. Ensuite, De Bruyn nous a demandé dans laquelle des deux escadrilles du Wing nous souhaitions être intégrés. Comme j'avais déjà été quelques fois en visite à la 2e escadrille lorsque j'étais élève sur Fouga, avec l'adjudant Rihon comme moniteur, je lui ai dit que je souhaitais rejoindre cette escadrille parce que je la connaissais déjà un peu. Réponse : "Bien, comme tu connais déjà un peu les gars de la 2e, tu iras faire connaissance de ceux de la 1ère !"

Je me suis donc retrouvé à la 1ére escadrille alors qu'un de mes copains de prom qui souhaitait aller à la 1ère s'est retrouvé, quant à lui, à la 2e, et pas question de faire un échange...

Contrairement à la 2e escadrille, la 1ère était une escadrille mise en œuvre dans un rôle conventionnel, ce qui, après coup, s'est révélé n'être pas plus mal car nous n'étions pas soumis à toutes ces contraintes liées à la mission nucléaire et à son QRA. A cette époque, la 1ère escadrille comptait en son sein quelques figures remarquables de la Force Aérienne et c'était sans cesse que les uns et les autres lançaient des défis aux deux jeunes pilotes que Léon Destroper et moi étions, pour que nous prouvions que nous avions quelque chose dans le ventre, de l'audace, du savoir-faire...

C'était une période où les accidents étaient assez nombreux. Ainsi, lorsque je suis arrivé à l'escadrille, l'armoire de vestiaire qui m'a été attribuée pour mettre mon équipement était sous scellés. Elle avait appartenu à Bob Boisnard qui avait été breveté un peu avant moi et qui s'était tué quelques semaines au paravent en Allemagne en s'éjectant trop tard à basse altitude après que son moteur eut pris feu. Les scellés ayant été retirés, j'ai pu vider l'armoire de tous les effets personnels qui y étaient encore et j'y ai trouvé des cartes au nom de Bob que j'ai continué à utiliser. Plus tard, je me suis demandé comment tout cela ne m'avait pas plus choqué psychologiquement et comment j'ai pu voler avec des cartes au nom d'un collègue décédé peu auparavant. A l'époque, vivre dans un environnement accidentogène faisait partie de la vie normale des pilotes d'escadrille et l'attention portée à la sécurité aérienne était bien loin de ce qu'elle est devenue de nos jours.

A Florennes, on faisait de belles missions, beaucoup de navigations notamment. J'aimais beaucoup cela et j'aurais aimé avoir été muté à la Recce, sur RF-84F, car à la 42e escadrille où on ne faisait quasi exclusivement que cela, qui plus est, en solitaire. Nous survolions beaucoup l'Allemagne à très basse altitude pour y faire des attaques simulées sur divers types d'objectifs. Les missions au champ de tir étaient également très régulières. Nous allions larguer des bombes d'entraînement et tirer au canon à Helchteren, à Vlieland ou encore Sylt. Les campagnes de tir air-sol se déroulaient quant à elles en Corse, à Solenzara. C'est là, au cours de ma toute première campagne de tir, que j'ai perdu mon copain de promotion, Léon Destroper, qui n'a pas pu faire sa ressource du fait qu'il avait été trop bas lors d'un tir de roquettes qui se faisait toujours en piqué. Il a probablement été piégé par un phénomène bien connu : le "target fascination" qui fait que l'on ne porte plus attention aux paramètres de vol et que l'on est alors plus en mesure d'effectuer sa ressource.

Je me plaisais bien à la 1ère, j'y étais bien intégré et je progressais sans problème lorsque, oh surprise, les responsables du Groupement Instruction et Entraînement de la FAé m'ont sélectionné pour que je devienne instructeur en vol. Ce fut une désillusion pour le jeune pilote chasseur-bombardier que j'étais devenu comme j'en avais rêvé ! Passer moniteur, cela signifiait tout d'abord suivre un cours de six mois de formation au FFM (2) pour apprendre à enseigner aux jeunes élèves-pilotes et réétudier tous les cours théoriques avec bien sûr des tests et des examens à l'appui...Ce n'était vraiment pas une bonne nouvelle pour moi qui, après un an, commençais à bien connaître le métier de pilote opérationnel sur l'avion de mes rêves.

C'est donc contre mon gré et déçu que j'ai rejoint les autres pilotes retenus pour cette formation de moniteur qui débuta en janvier 1969 à Gossoncourt où après le F-84, je me suis retrouvé à nouveau aux commandes du SV4, puis à Brustem sur Fouga Magister. Mais, Dieu soit loué, j'ai eu comme instructeur au FFM le commandant Paul Van Essche, leader des Diables rouges. C'était un homme génial avec qui de très bons rapports se sont tout de suite établis car il comprenait mon dépit. Il m'a tout de suite encouragé et motivé en me disant que lorsque je serais moniteur, je pourrais postuler pour faire partie des Diables Rouges. Cela a donné un tout autre éclairage à ma motivation et les accidents mortels en cours d'entraînement comme Diables Rouges du capitaine Braeken et d'Alex Malpas, que j'admirais, n'ont nullement altéré mon souhait de devenir moi aussi, un jour, Diable Rouge. Du coup, tout s'est bien déroulé. Je suis devenu moniteur sur Fouga à Brustem où suis resté deux ans. Comme j'étais très proche de Paul Van Essche, j'ai souvent eu l'occasion, dès le début, d'accompagner la Patrouille en meeting soit en backseat, soit avec un avion de réserve. J'ai ainsi vraiment pu baigner dans cet univers des shows aériens bien avant d'intégrer moi-même la Patrouille en 1970.

Cette année-là, en effet, une toute nouvelle équipe a été mise sur pied. Un vrai défi car une des caractéristiques de cette patrouille était que nous formions un groupe dont tous étaient des néophytes à l'exception du leader, le commandant Jos Lelotte, ancien ailier de la Patrouille. La moyenne d'âge des ailiers de notre patrouille était inférieure à 25 ans. Du jamais vu dans aucune patrouille acrobatique. Cela faisait partie de notre image de marque et suscitait sans doute une certaine admiration de la part du public.

Aussi, jamais je n'oublierai l'enthousiasme et la ferveur du public venu nous voir évoluer, l'accueil chaleureux des organisateurs et cette camaraderie particulière qui régnait entre nous au cours des multiples meetings où nous nous sommes produits, tant en Belgique qu'à l'étranger. Grâce à tout cela et grâce aux séances journalières d'entraînement qui allaient de pair, la routine parfois monotone liée à la fonction d'instructeur en vol était nettement moindre pour les jeunes loups que nous étions.

De même qu'Alex Malpas le faisait avec moi lorsque j'étais élève pilote, en fin de vol d'instruction, j'avais l'habitude de faire un peu d'acro à plus basse altitude avec mes élèves, pour mon plaisir et le leur, mais aussi, en guise d'entraînement, pour parfaire certaines figures. C'est ainsi qu'un jour, à la fin d'un vol d'entraînement au vol aux instruments où mon élève devait faire des procédures sous la capote, comme tout avait été bien, je l'ai libéré et j'ai repris les commandes pour m'entraîner à faire des tonneaux les plus lents possible à ras de la couche nuageuse prise pour simuler le niveau du sol. Le dernier de ces tonneaux fut vraiment trop lent et pour éviter que le nez ne tombe trop sous la ligne d'horizon alors que j'étais sur la tranche et donc que je perde de l'altitude, j'ai mis un maximum de pied opposé, ce qui a eu pour conséquence de faire faire l'avion une sorte de violent tonneau déclenché... Je me suis retrouvé aussi sec dans les nuages - qui symbolisaient le sol - avec un signal sonore pour attirer mon attention sur le voyant rouge de la roue de nez qui s'était allumé ainsi que celui de mon canopy qui n'était apparemment plus fermé correctement. L'avion avait dépassé les limites en G positifs et négatifs autorisées, alors qu'il n'y a pas plus soft comme vol qu'un vol aux instruments... Après avoir annoncé mon problème à la tour de contrôle, j'ai effectué un passage à sa hauteur pour que les contrôleurs puissent observer comment les choses se présentaient. Tout avait l'air OK, le train était sorti mais annoncé comme non verrouillé...Ceci fut confirmé par un autre avion venu se mettre à mes côtés. Après avoir actionné la pompe hydraulique manuelle de secours pour assurer la pression, je me suis posé en maintenant le plus longtemps possible l'avion sur son train principal avant de déposer le nez... dont la roue à tenu bon. Ouf, très bien, mais il a fallu ensuite expliquer au commandant d'escadrille et à l'officier de Sécurité aérienne ce qui s'était passé au cours de ce vol ''aux instruments''. Cela ne m'a pas valu de félicitations, car, de par l'excès en G positifs et négatifs, il était possible que l'avion ait été tordu..."

Pour Jean-Luc Herijgers, le retour en unité opérationnelle se fait en mars 1971 au 1er Wing de Chasse Tout-Temps à Beauvechain.

 "En définitive, comme j'étais devenu Diable Rouge, je me plaisais bien à Brustem et j'y serais bien resté encore un ou deux ans de plus. Mais voilà, il fallait compléter et rajeunir le cadre des pilotes de chasse sur F104G Starfighter au 1er Wing de Beauvechain... J'ai été une nouvelle fois sélectionné pour faire mutation. Après ma conversion, j'ai intégré le 350 squadron. J'y ai fait une grande partie de ma carrière puisque j'y suis arrivé comme lieutenant et que je l'ai quitté comme lieutenant-colonel et C.O ! Pendant un peu plus d'un an, cependant, j'ai rejoint la 349 pour y occuper, en tant que capitaine, une fonction de flight Co avant d'être ensuite appelé au Groupe de Vol comme adjoint de l'officier Ops & Trg.

J'ai effectué plus de 1500 heures de vol sur F-104G sans incident notoire, ce qui ne correspond pas vraiment à la réputation qu'avait cet appareil en raison des nombreux accidents survenus en particulier au sein de la Luftwaffe. La FAé en a néanmoins perdu plus de 40 exemplaires sur les 112 acquis et une vingtaine de pilotes y ont laissé la vie. En ce qui me concerne, le F-104G a toujours été un avion que je trouvais passionnant à piloter. Certes sa vitesse qui pouvait aller au-delà de Mach 2 était impressionnante. Mais, en soi, ce n'est pas là que se trouvait la difficulté. Par contre, bien manœuvrer l'avion pour en retirer un maximum en combat nécessitait du savoir-faire. Il fallait bien connaître son enveloppe de vol et ses caractéristiques et en tenir compte constamment.

Au début cependant, les missions telles qu'elles étaient volées au 1er Wing ne me passionnaient guère. En effet, on ne faisait pratiquement que des interceptions sous contrôle permanent de la station radar militaire au sol située à Glons. On décollait en paire, on s'écartait l'un de l'autre, l'un faisait une interception radar sur l'autre et on s'écartait à nouveau pour recommencer en inversant les rôles et éventuellement l'angle d'interception. C'était du "contact, judy, splash". "Contact" lorsqu'on on avait le blip de l'avion à intercepter sur l'écran radar de bord, "judy" lorsqu'on obtenait le lock-on de la cible et "splash" lorsqu'on était dans l'enveloppe de tir du missile air-air Sidewinder qui était notre armement principal outre le canon 20 mm. Tout cela se faisait à haute altitude, entre 30 000 et 36 000 pieds. Rien de bien excitant. Heureusement, sous l'impulsion de l'OSN, le colonel Brignola, les notions d'Air Combat Manoeuvering (ACM) reprises de l'USAF ont trouvé leur place au sein du Wing. Là, ça devenait nettement plus intéressant car on redécouvrait le combat aérien adapté aux caractéristiques du F-104G en se focalisant bien sur l'''energy management". On effectuait des ''barrel roll attacks'', des ''high-speed et low-speed yoyos'', et d'autres manœuvres qui permettaient dans un combat de convertir l'énergie disponible à notre avantage. Par ailleurs, nous nous sommes mis à évoluer à des altitudes plus basses plus propices pour ce type de manœuvres. C'était devenu un autre métier, beaucoup plus excitant à mes yeux si bien que j'ai pu faire partie d'un groupe de pilotes retenus pour suivre une formation au combat aérien avec deux instructeurs du fameux Top Gun course de l'US Navy. Cette formation a eu lieu au-dessus de la mer, en Corse, à Solenzara, où avaient également été déployés des Mirage 5 belges car il s'agissait de faire non plus de l'ACT mais du DACT (Dissimilar Air Combat Training). Après deux semaines d'entraînement aux techniques du combat aérien sous la direction de deux instructeurs chevronnés de Top Gun, les participants belges ont obtenu un brevet national...

Un des aspects également plaisants de la vie en escadrille, outre les périodes annuelles de tir Air/Air à Solenzara pendant les mois d'été (!), c'étaient les échanges annuels avec d'autres escadrilles de l'OTAN. J'en ai connu avec des escadrilles d'Ecosse, de Turquie, du Danemark, de France, d'Italie. C'était souvent très fatigant car les ''aspects sociaux'' de ce type d'échange étaient généralement très présents aussi... Parmi d'autres vols qui font partie des bons souvenirs, il y a toutes ces missions plus courtes mais tout aussi lointaines à l'étranger. Elles étaient toujours très enrichissantes et souvent exaltantes, car lorsqu'on se rendait dans des régions plus lointaines, il n'était pas rare d'être confronté avec des situations inattendues sans parler qu'à cette époque, dès qu'on se rendait au sud de Maubeuge, surgissaient les problèmes de communication dus à la faible, ou la non-connaissance de l'anglais dans les pays du sud. Je me souviens ainsi d'une mission en Grèce où je me trouvais à haute altitude, comme leader d'une formation de 4 avions en route pour Tanagra (aéroport militaire d'Athènes), entourés de toutes parts par des orages et sans parvenir à obtenir le moindre contact radio avec un quelconque contrôleur grec... Ce sont deux F-104 allemands qui nous précédaient qui nous ont donné les infos météo et les caps à suivre au fur et à mesure de leur propre descente et c'est de justesse que nous avons pu atterrir car la nuit allait tomber et ce fut le déluge juste après que le quatrième avion eut posé ses roues. Ce n'est qu'une anecdote parmi bien d'autres, mais c'est cela aussi qui faisait l'expérience."

Suite à l'acquisition du F-16 Fighting Falcon en remplacement du F-104G, comme tous les autres pilotes du 1er Wing, Jean-Luc Herijgers fait sa conversion sur le nouveau destrier de la Force Aérienne.

"En 1980, alors que j'étais Ops officer du 350 squadron, j'ai fait ma conversion F-16. C'était le cours de conversion n°6, le premier pour les pilotes de la 350 car ce sont les pilotes de la 349 qui ont été convertis en premier lieu. Mon premier vol en F-16, le vol de familiarisation, je l'ai effectué avec mon ami Jan Fransen comme instructeur. Jan, avec qui j'avais évolué bien des années auparavant au sein de la Patrouille à Brustem. Après huit vols soit 9 heures 30, j'ai fait mon premier vol solo, le 12 novembre 1980.

C'est l'époque à laquelle a débuté le Tactical Leaderschip Programme (TLP) à Jever, dans le nord de l'Allemagne. J'ai ainsi eu l'occasion de participer au premier TLP auquel participaient des F-16, à savoir quatre avions de Beauvechain. Inutile de dire que tous les regards étaient tournés vers nous. Nous bénéficions pour l'occasion d'un remarquable support de la part de General Dynamics (GD) qui souhaitait saisir l'occasion de cette belle vitrine pour faire apprécier son avion à de futurs acheteurs potentiels. Je me rappelle d'une mission 2 vs 2 remarquable que j'ai effectuée avec Michel Singelé contre deux Alpha Jets allemands. L'Alpha Jet était, en effet, également un nouvel appareil sur le marché et un avion très manœuvrable avec en plus non pas une, mais deux paires d'yeux dans le cockpit. Il n'était donc pas nécessairement en position de faiblesse malgré une puissance moteur plus faible. Dornier/Dassault, son constructeur, poursuivait, au cours de ce TLP, le même objectif que General Dynamics, à savoir faire une bonne publicité à son appareil... Comme nous étions tous deux d'anciens pilotes de F-104, forts de l'expérience acquise, notamment contre les Mirage, pour ne pas nous faire piéger à faible vitesse, nous avons toujours veillé à ne pas nous laisser entraîner dans des virages serrés (ciseaux) dans lesquels les alpha jet tentaient de nous attirer. Au contraire, nous nous écartions et nous échappions régulièrement dans le plan vertical pour prendre de la vitesse. Grâce à cette tactique, le verdict fut sans appel, cassette vidéo à l'appui. Le F-16 était imbattable ! Il était tellement supérieur à tous les autres avions que c'était toujours un régal d'engager des combats avec qui que ce soit, Mirage F-1 français, F-15 américains, Tornado allemands, etc. "

Pendant cette période au 350 squadron, Jean-Luc Herijgers, qui s'était engagé comme pilote auxiliaire, avait pris la décision de passer dans le cadre de carrière. Une décision qui impliquait forcément une ou plusieurs périodes en état-major.

"Peu après, j'ai été appelé pour exercer une fonction au sein l'Etat-Major FAé à Evère, plus exactement à la branche Opérations, à VS3 TAC, où j'ai occupé pendant trois ans la fonction d'officier d'état-major responsable de la mise en œuvre opérationnelle du F-16, comme l'étaient mes deux collègues de bureau, respectivement pour le Mirage 5 et le F-104, encore en opération au 10e Wing de Kleine-Brogel.

Après ce premier tour en état-major, je suis retourné à la 350, cette fois pour en être le C.O., une des plus belles fonctions dans la carrière d'un aviateur. Ces deux ans de commandement d'une prestigieuse escadrille équipée de F-16 furent des années d'une grande intensité à tous points de vue."

Les dogfights, dans lesquels excelle le F-16, ne sont évidemment pas exempts de risques.

"Le 10 novembre 1983, nous faisions une mission 2 vs 3 à basse altitude dans les Ardennes, du côté de Marche-en-Famenne. Après interception, le combat s'est engagé et j'étais proche de me placer en position de tir pour ''abattre'' le leader de la patrouille adverse. Soudain, mon ailier, Michel Thibaut, m'a averti que j'avais un autre F-16 dans mes six heures qui était en position pour me tomber dessus. J'ai dès lors interrompu la poursuite en plongeant et Michel, qui était ma droite, a fait de même mais par une manœuvre plus abrupte que la mienne. C'est alors que j'ai entendu un appel non identifié à la radio : "Aircraft out of control". J'ai immédiatement répliqué "bail out, bail out ! ". Aussitôt après j'ai vu une énorme explosion au sol et, quasi en même temps un parachute orange et blanc qui s'est ouvert juste avant de toucher le sol... Ouf, le gars était "safe", sans pour autant savoir de qui il s'agissait. En fait, c'était Michel. Le combat a bien sûr été interrompu et nous avons commencé à nous rejoindre en orbitant au-dessus du point d'impact. Nous avons signalé les coordonnées au service de Search and Rescue. C'est alors que non loin du premier impact, j'ai pu observer une seconde explosion due à un autre avion qui s'écrasait, et cette fois, pas de parachute... J'espérais que ce ne soit pas l'appareil de Roger Uytterhaegen dont l'épouse était enceinte et avait failli accoucher le matin même. Soudain, un appel à la radio a annoncé qu'il y a un parachute au-dessus de nous. Nous nous sommes alors écartés en prenant de l'altitude et, effectivement, j'ai aperçu, au-dessus de nous, un parachute qui descendait... En fait, il s'agissait bien de Roger qui était entré en collision avec Michel, l'un avec un vecteur vers le bas (Michel) et l'autre vers le haut (Roger) ce qui l'avait emmené en altitude avant son éjection. Ce soir-là avait lieu le traditionnel repas de corps au mess des officiers à l'occasion de la fête de la dynastie et inutile de dire que lorsque tous deux sont revenus de l'hôpital, où ils avaient passé un examen médical sans problème, nous avons fait une fête mémorable !"

Après avoir passé une des plus belles périodes de sa carrière de pilote de chasse comme C.O de la 350 (le 32e depuis sa création en novembre 1941), Jean-Luc Herijgers retourne sur les bancs de l'école pour parfaire sa formation d'officier supérieur.

''A l'issue de ma période de C.O. du 350 squadron, j'ai été désigné pour suivre un troisième cycle d'études à l'IRSD (Institut Royal Supérieur de Défense) à l'issue duquel était décerné le Brevet d'Etat-Major (BEM). Et là, pas de chance, comme j'étais parfait bilingue, j'ai été désigné pour devenir professeur dans cette même institution et y donner cours dans les deux langues nationales aux officiers candidats au grade de major, ce que j'ai fait pendant un an. Je n'étais pas particulièrement heureux de cette désignation mais, par chance, un appel a été lancé pour recruter un officier supérieur BEM de la FAé pour aller donner cours au Zaïre dans le cadre de la Coopération Technique Militaire (CTM) au Centre Supérieur Militaire de Kinshasa et y instruire les candidats officiers supérieurs des Forces Armées zaïroises. Je me suis immédiatement porté candidat car je rêvais depuis toujours de pouvoir un jour me rendre dans cet immense et merveilleux pays où pas mal de membres de ma famille ont vécu jusqu'à l'indépendance. Après de multiples tractations au sein des divers états-majors, j'ai finalement été le candidat désigné par le ministre de la Défense lui-même pour occuper la fonction. Je devais partir pour trois ans au moins et, comme il y avait un C-130 basé en permanence à Kinshasa, également dans le cadre de la CTM, j'ai suggéré à ma hiérarchie de pouvoir faire une conversion opérationnelle sur C-130. Cela m'a été accordé et cela m'a permis de voler partout dans le pays, des pistes les plus grandes construites pour accueillir le Concorde aux plus petites, en latérite, perdues au milieu de la brousse. J'ai ainsi volé un total de 420 heures, comme copilote C-130, ce qui m'a permis à chaque fois que je pouvais me libérer de mes cours, d'aller à la découverte de nouvelles destinations et de survoler des régions que je ne connaissais pas encore. J'ai ainsi pu acquérir une très bonne connaissance de cet immense pays que j'ai sillonné dans tous les sens. Ces années passées au Zaïre furent une superbe expérience dans un environnement exceptionnel tant pour moi que pour ma famille.

Lorsqu'il fut mis fin à la Coopération Technique Militaire sur décision du gouvernement belge à la suite d'une Xe crise avec le Président Mobutu, j'ai quitté Kinshasa aux commandes du dernier C-130 prévu dans le cadre de cette évacuation, avec le colonel Wilfried De Brouwer, ex-commandant du 15e Wing, comme commandant de bord."

Après le Zaïre, retour à l'Etat-Major, mais toujours proche des opérations.

"A mon retour en Belgique, j'ai été muté pour une nouvelle période comme officier d'état-major, cette fois à l'Etat-Major Général (EMG) plus exactement à la section JSO-P, en charge des opérations et donc notamment des troupes belges déployées à l'étranger, ce qui convenait parfaitement à mon expérience et à mon tempérament !

A la suite de cette mutation, je n'ai pas continué à voler sur C-130 car les contraintes liées aux types de missions, en particulier en matière de durée, étaient peu compatibles avec mes obligations à l'Etat-Major. Il nous a fallu, en effet, gérer pas mal de crises et organiser plusieurs déploiements et projections de nos troupes à l'étranger, généralement dans le cadre de notre participation à des missions sous l'égide des Nations-Unies en commençant par nos Casques bleus dans la Baranja, en ex-Yougoslavie. J'ai dès lors effectué une conversion sur Swearingen 3, Merlin. C'est un avion sur lequel je me suis énormément plu comme pilote visiteur. Certes, il avait ses défauts, comme la problématique du torque important induit par ses deux moteurs à hélice qu'il fallait gérer au décollage. Mais, au niveau des équipements, il était des plus complets avec toutes les aides à la navigation et à l'atterrissage nécessaires pour effectuer des missions quelles que soient les conditions. Les missions étaient par ailleurs souvent agréables du fait que nous nous rendions très régulièrement sur des aéroports civils, des plus petits, comme Biarritz ou Cannes aux plus grands comme London Heathrow, au milieu des gros porteurs, où, ceci dit, c'était la partie taxi au sol pour trouver son parking qui était en général la plus difficile de la mission !

Au cours de ma période en fonction à JSO-P, j'ai pu me rendre quatre mois en Irak, comme commandant du détachement belge (essentiellement médical) déployé au nord du pays, dans la zone kurde, pour y venir en aide aux populations réfugiées à la suite de la guerre menée par la coalition contre le dictateur Sadam Hussein (Desert Storm). Au cours de ce séjour, j'ai eu l'honneur, avec les autres commandants de détachement, d'être reçu sur le porte-avions Nimitz par le chef d'Etat-Major des Forces Armées américaines, le général Collin Powell qui plus tard devint secrétaire d'Etat à la Défense. Entre ma période à l'Etat-Major et ma nouvelle affectation, j'ai pu me rendre en mission pour plusieurs mois, en ex-Yougoslavie comme observateur pour le compte de la Communauté Européenne dans le cadre du conflit entre Serbes, Croates et Bosniaques. C'était une belle façon de boucler mon passage à JSO-P où, en collaboration avec les officiers des autres Forces, j'avais consacré l'essentiel de mon temps et de mon énergie à cette problématique bien complexe."

Conformément à l'alternance prévue pour tout officier de carrière entre fonctions en état-major et fonctions en unité, Jean-Luc Herijgers est appelé à prendre le commandement de l'Ecole de Pilotage Elémentaire de Gossoncourt.

''Ayant été muté à l'EPE pour en être le commandant, j'ai suivi une conversion sur Marchetti, car je n'avais jamais volé sur cet appareil introduit en remplacement des SV4 en 1970. C'est un avion d'écolage plaisant qui répond parfaitement à ce que l'on en attend dans le cadre de la formation des élèves-pilotes. Cependant, la fonction de chef de corps, ce n'est pas de donner de l'instruction. C'est avant tout gérer la base aérienne à l'image de ce que l'on ferait pour toute entreprise où plusieurs centaines d'hommes sont employés, avec comme spécificité dans le cas présent de devoir mettre pas moins de 36 avions œuvre. Ce fut un beau et agréable challenge que de devoir faire face aux divers problèmes de toute nature liés à cette fonction : opérations aériennes, maintenance des avions et de l'infrastructure, gestion et bien-être du personnel, sécurité aérienne et du travail au sol, entretien de l'infrastructure, sport, etc. Qu'il me soit permis de signaler aussi combien fut excellente la relation armée/nation que j'ai connue et entretenue avec les autorités de ville de Tirlemont et de Diest, en tant que commandant de Place.

Lorsque je suis arrivé comme chef de corps de L'EPE, j'ai immédiatement souhaité faire revivre une patrouille acrobatique à l'image de celle des ''Swallows'' qui, comme celle des Diables Rouges, avait malheureusement été dissoute pour cause de restrictions budgétaires... L'état-major n'était pas vraiment favorable à cette idée de résurrection, mais mon argumentation pour ce projet et l'étude sur l'impact financier et sur l'impact gérable que cela pouvait avoir sur la disponibilité des pilotes instructeurs a fini par convaincre et j'ai obtenu le feu vert. J'ai donc sélectionné trois pilotes parmi les volontaires. C'est ainsi que Marc Casteleyn, John Vandebosch et Pascal Lhoest ont commencé à s'entraîner. Ce qui était primordial avant tout, c'était la sécurité car je savais qu'au moindre incident tout serait fini. En y allant progressivement, cette jeune et nouvelle patrouille des ''Swallows'' s'est très bien développée et s'est forgé une belle réputation. Mais je n'ai, malheureusement, pas pu en suivre l'évolution car, à nouveau attiré par l'Afrique, cette fois le Kenya, j'ai postulé pour y être muté et y occuper la fonction d'Attaché de Défense, un nouveau poste qui était à créer auprès de l'ambassade de Belgique à Nairobi.''

Un poste important sur un continent troublé par les conflits en Somalie et en Afrique centrale où Jean-Luc Herijgers, définitivement pris par le virus de l'Afrique, restera quatre ans, accrédité également pour l'Ouganda et la Tanzanie, avant d'être admis à la retraite. Il fera ensuite encore diverses missions de six mois à un an pour le compte d'organisations internationales comme l'ONU ou l'OSCE. Des missions qui le conduiront à nouveau dans les Balkans, à Mostar, puis à Vienne et encore de nouveau à Kinshasa. Mais ceci est une autre histoire...


(1) Ecole de Pilotage de Transition
(2) Flight Formation Moniteur


Interview : Vincent Pécriaux (18 novembre 2012)
Mise en page : Daniel De Wispelaere
Note : Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs.


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