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Carnets de vol: Auguste "Gus" Janssens

Carnets de vol: Gus Janssens

Carnets de vol: Auguste "Gus" Janssens

Sur ses vingt-six ans de carrière à la Force Aérienne belge, Auguste Janssens, "Gus", en a consacré dix-huit à initier de jeunes élèves au pilotage sur Fouga ou à enseigner à d'autres pilotes les particularités du Mirage. En feuilletant pour nous ses huit carnets de vol, témoins de plus d'un quart de siècle d'expérience, il nous fait partager ici quelques uns de ses souvenirs..

"Je suis entré à la Force Aérienne le 14 juillet 1958. Nous sommes restés à la caserne Géruzet deux ou trois jours. Là, il y avait entre autres un préposé qui en nous regardant de loin criait une lettre et un chiffre qui étaient censés correspondre à notre taille et je dis bien 'censés' car le premier ou le deuxième soir, je suis rentré à la maison avec mon premier uniforme et je me souviendrai toujours de la tête de ma mère quand elle a ouvert la porte. Elle m' a dit : "Mais qu'est-ce qu'on t'a fait !". Cet uniforme était fait en tissu de couverture, avec un pantalon taille haute, une chemise avec un col séparé où il était impossible de mettre une cravate. Le seul truc que nous trouvions sympa c'était le képi qui montrait que quelque part nous étions quand même dans l'aviation. Tout ça pour dire que mes premières impressions n'étaient pas tellement agréables.

A Gossoncourt, nous avons commencé les cours au sol qui tournaient autour de notre premier avion, le SV4, et je dois dire que c'était assez dur aussi car au point de vue mécanique et moteur j'avais quelques difficultés.

Nous avons eu une belle période de vol. J'ai commencé à voler au mois d'août. Il faisait splendide et tout s'est bien déroulé. J'ai été lâché dans les normes. L'écolage s'est passé relativement normalement jusqu'à pratiquement la fin où j'ai eu l'impression que ça allait moins bien et où j'ai eu le "plaisir" de pouvoir faire trois "final tests" le même jour. Cette journée a été dure parce qu'en fait j'ai fait une révision générale le matin et ensuite les tests avec les deux commandants de l'Ecole de pilotage et avec le grand chef, le major Pastur. C'était au mois de novembre et peu de temps après on partait pour le Congo. Notre prom n'a pas fait tellement d'heures d'SV – j'en ai fait 38 – alors qu'il y en a beaucoup qui en ont fait pratiquement le double. Je ne sais pas pourquoi. Je pense qu'il fallait envoyer des élèves au Congo car lorsque nous sommes arrivés, il y avait deux proms qui avaient fusionné et qui rentraient. Après coup, ayant été moniteur aussi, je me dis que faire plus d'heures de SV n'avait pas trop de sens."

Le 28 novembre, c'est le départ pour Kamina, en DC-4, avec escale à Tripoli, Kano et Léopoldville.

"Nous avons commencé par des cours au sol d'initiation à l'avion. On se levait très tôt, vers 6 heures, on déjeunait et on se rendait au cours. De temps en temps, on en avait au début de l'après-midi et là c'était atroce. On dormait littéralement debout et on apprenait à prendre des positions pour tromper les moniteurs qui avaient autant de difficultés que nous à rester éveillés. Bref, ce n'était pas très rigolo. Mais cette période n'a pas duré très longtemps car j'ai fait mon premier vol le 17 décembre.

Nous étions cinq au départ mais en janvier nous avons été rejoints par neuf officiers de l'Ecole royale militaire. Lorsque nous étions là, nous avons dû faire quelques vols de reconnaissance car c'est à cette époque que les troubles au Congo ont commencé. Ces vols s'effectuaient sur Harvard, avec le moniteur en place avant qui faisait la reconnaissance et nous, dans le siège arrière, avec une arme, au cas où…
Le pays était magnifique à survoler. Quelle découverte, surtout pour moi qui n'avais vu à l'époque que la Mer du Nord et le Luxembourg !

L'Harvard était impressionnant. La première fois que je l'ai vu, c'est en descendant de l'avion à Kamina. Il y avait là deux copains de la prom précédente qui taxiaient et ça m'a vraiment impressionné. Comparé au SV, c'était quand même autre chose. Il était plus complexe avec un train rentrant, des flaps, une radio et un radio-compas. J'ai été lâché solo normalement. Nous avons alors commencé à faire de l'accro, de la navigation et du vol aux instruments, en place arrière, sous une capote qui nous empêchait de voir à l'extérieur. Nous avons fait aussi du vol de nuit en juin. Ces vols se faisaient pendant la saison sèche et on pouvait voir de très loin les feux de brousse. Le spectacle était vraiment magnifique.

J'ai eu quelques problèmes en navigation car j'ai encore fait deux tests en juillet. Il faut dire que les cartes n'étaient pas du tout précises et qu'on aurait pu à mon avis être mieux préparés pour ce genre de vol. Tous les vols se faisaient sans contrôle au sol. Les communications radio se limitaient aux autorisations de décollage et d'atterrissage. S'il y avait un problème, je crois que nous avions une balise et nous pouvions être récupérés par un des Sycamore de la base. Nous faisions d'ailleurs des exercices de treuillage avec ces hélicoptères mais en vol stationnaire ils ne savaient pas vous treuiller à bord. Ils devaient d'abord prendre de la vitesse et être suspendu comme ça en dessous d'un hélico, c'est une expérience que l'on oublie pas ! Les Harvard, eux, ne semblaient pas souffrir d'un manque de puissance et nous n'avions aucune limite, sauf peut-être l'altitude. Comme nous n'avions pas de système d'oxygène, nous ne pouvions pas dépasser 14 000 pieds. De toute façon, au Congo ça n'avait pas de sens de monter plus haut."

Gus Janssens rentre ensuite en Belgique pour poursuivre sa formation sur T-33 à Brustem.

"J'ai fait mon dernier vol sur Harvard le 3 août et le 2 septembre, après les cours au sol à l'Ecole technique de Saffraanberg, je commençais à voler sur T-33. Si j'avais été impressionné par le Harvard par rapport au SV, je l'étais encore plus par le T-bird. D'abord par sa vitesse. Il allait très vite et je dois dire qu'en navigation j'ai ramé pas mal au début, au point que mon moniteur m'a demandé de me trouver un moniteur pour faire un "progress test". Il y avait à l'époque à Brustem ce que l'on appelait les trois baraques, celle des élèves, celle des moniteurs et celle des moniteurs aux instruments devant laquelle nous n'osions pratiquement pas passer tellement ces anciens nous impressionnaient. Et voilà que mon moniteur m'envoie là-bas. Vous imaginez l'épreuve mais, coup de bol, j'ouvre la porte et je me retrouve face à un moniteur qui me regarde et qui me dit : "Qu'est-ce que tu viens faire ici, m'gamin ?"Je lui ai expliqué et il m'a fait faire le test qui s'est bien passé car j'ai continué mon entraînement et j'ai été lâché solo quelques temps après. La formation s'est bien terminée, malgré deux autres tests de nav à la fin.

Je n'ai pas gardé de très bons souvenirs de cette période et je ne peux m'empêcher de penser, ayant été moniteur de longues années, que certains n'ont pas fait leur boulot. Ce n'est pas le cas de tous mais il est évident que ceux qui n'étaient pas valables en escadrille devenaient moniteurs ou partaient au transport. J'ai appris ça plus tard d'un grand Monsieur pour qui la majorité des pilotes ont eu et ont encore énormément de respect, le Colonel Blume, qui a tout voulu réorganiser. Son idée était que tout le monde contribue à ce job de moniteur, qui n'était pas toujours très gai, et passe par des cours. Il a ainsi créé plus ou moins un standard, car c'est ça le problème. Ce n'est pas parce qu'on fait quelque chose de bien soi-même qu'on est capable de le transmettre à un autre. Il y a la manière d'apprendre, de s'adapter à l'élève. L'idée, c'est de l'amener à votre niveau et peut-être beaucoup plus loin. Montrer qu'on est le meilleur, ça ne sert à rien. Ça ne prouve absolument rien. Mais bref, on a survécu et on a eu nos ailes le 19 février 1960."

Vient ensuite le moment de la conversion sur le premier avion d'arme, le F-84F, à la 27e escadrille de Kleine-Brogel.

"Le 7 mars, j'ai refait un vol en T-33 avant de commencer sur "F". Et trois jours plus tard, mon premier vol en Thunderstreak, en compagnie du commandant d'escadrille. Ce jour-là, mon copain Jean-Pierre et moi ne sommes pas repris au planning et on va en bout de piste voir les F-84 à l'atterrissage. A un moment donné, la camionnette de l'escadrille arrive et on nous dit :"Vite, venez on va vous lâcher !"Quand mentalement on n'est pas préparé à ça…

Et donc, je suis parti. Mise en route, fermeture du canopy, alignement et décollage. On m'avait toujours dit de faire attention car comme les commandes étaient assistées, il fallait éviter de trop corriger. Finalement, tout s'est bien passé, on a fait quelques manœuvres pour apprendre les limites de l'avion, surtout à basse vitesse. Il faut savoir que sur un avion à aile en flèche, à basse vitesse le nez fait un "pitch up", il se redresse encore plus et la première fois c'est assez impressionnant. Puis, nous sommes revenus à la base pour une low approach et enfin l'atterrissage. Ce qui m'a impressionné, c'était de voir, au moment où je me posais, l'avion de mon moniteur, la bête, me dépasser et repartir. Cela n'a rien d'extraordinaire, j'ai fait des années plus tard exactement la même chose comme moniteur en Mirage, mais la première fois, c'est toujours impressionnant. Voilà pour le premier vol.

Je me rappelle aussi un vol, toujours en compagnie d'un moniteur, où nous faisons diversion vers Beauvechain à cause du mauvais temps. Nous nous posons en formation et, je ne sais plus si mon parachute s'ouvre ou non, toujours est-il que je dépasse un peu mon moniteur sur la piste. Nous sommes reçus à l'une des escadrilles et mon moniteur entre et me laisse à la porte en me disant qu'on ne dépasse pas son moniteur sur la piste. Ça donne une idée de la mentalité de certains. Et me voilà dehors. Il faut savoir qu'à cette époque il y a encore plus de 50% de sous-officiers pilotes dans les escadrilles. Ce sont souvent des anciens qui ont leur mot à dire. Et il y en a un qui passe et qui me demande ce que je fais là. Je lui explique et il me dit : "Tu entres et tu viens avec moi au bar !".

Le "F" est vraiment le premier avion que j'ai commencé à aimer. J'avais vraiment du plaisir à m'asseoir dedans. Il était agréable. Au niveau moteur, comparé au Mirage, on pouvait mettre cette manette en avant, en arrière – "milk the throttle" comme on disait – ça répondait toujours. C'était un avion vraiment sain."

Deux mois et demi et 70 heures de vol plus tard, c'est l'affectation en escadrille, à Florennes.

"Avec mon copain, nous avons donc demandé à aller à Florennes. Il s'est retrouvé à la 1ère et moi à la 3e. J'ai fait mon premier vol sur le YL-Q, qui était équipé d'un moteur W-3 moins puissant et, parmi les W-3, c'était encore la charrette. Et évidemment, c'était un vol de navigation avec interception à haute altitude ! Juste ce pourquoi le "F" n'était pas fait mais, bon, une fois de plus, c'était la façon qu'avaient certains de montrer aux nouveaux qu'ils n'étaient nulle part. Heureusement, la majorité des gars étaient très sympas, ce qui compensait l'attitude de certains qui voulaient se faire remarquer. Je suis resté à la 3e jusqu'à sa dissolution avant de passer, en octobre, à la 2e.

Chaque année, on faisait des vols en T-33 au Flight instrument pour obtenir notre carte de vol aux instruments. A la 2e, nous avons également dû passer des tests avant que l'escadrille devienne Strike.

Les premiers entraînements Strike ont commencé début 1962. On allait faire des vols HABS et LABS à Bertrix, à Vlieland, du côté de Rocroi. On faisait aussi des vols d'entraînement à basse altitude vers de petits objectifs, pour lesquels on devait aussi se qualifier. C'était quand même assez impressionnant. Dans les trois dernières minutes, on accélérait à 500 nœuds jusqu'à l'objectif pour effectuer la manœuvre de largage en LABS. Je me demande d'ailleurs s'il y serait jamais arrivé, le pauvre F-84F, avec tout ce qui pendait sous ses ailes. Mais c'était vraiment agréable de pouvoir voler très bas et très vite.

Durant cette période, la 2e avait quatre flights et chaque pilote montait environ 40 fois par an de QRA. C'était le côté le moins agréable de la mission car on se retrouvait bloqué pendant 24 heures. Le lendemain, normalement on était "off" mais beaucoup ne prenaient pas congé pour continuer à voler.

On a fait quelques fois des décollages JATO, notamment sur la petite piste, mais c'était assez rare. On le faisait simplement pour voir si le système fonctionnait car bien souvent on décollait avec les JATO, on les larguait et on revenait atterrir. C'était gai car quand on n'avait pas beaucoup de carburant, on pouvait monter rapidement en altitude. Parce qu'en "F", le décollage c'était souvent "je rentre le train pour baisser le nez", surtout en été. Je me rappelle qu'au début, quand on décollait en formation, avec les deux bidons "full fuel", on se faisait parfois un peu peur car on allait un peu trop loin sur la piste. Puis, en consultant la documentation, on s'est rendu compte que sur une certaine longueur de piste, avec une certaine température, la distance n'était tout simplement pas suffisante pour faire décoller l'avion !

Nous allions régulièrement à Solenzara en période de tir air-sol et air-air. Il m'est arrivé à cette occasion de faire du remorquage de cible. C'était un "F" de l'escadrille qui décollait en tractant la "flag", déjà déployée. Ce n'était sans doute pas ce qu'il y avait de plus passionnant comme mission mais ce qui était parfois impressionnant c'était de voir les autres arriver dans sa direction mais tant qu'on ne voyait pas leur nez pointé sur soi, on était dans le bon. Certains venaient à quasi 90 degrés et on se disait que pour eux ce ne serait pas facile d'atteindre la cible mais d'autres venaient pratiquement en line astern – d'ailleurs on ne les voyait souvent même pas – et là, on espérait qu'ils aient un angle suffisant pour qu'on ne soit pas touché en même temps que la cible. On venait ensuite droper la cible qui était récupérée pour le comptage des coups au but. En tous les cas, le tir air-air n'était pas particulièrement facile.

En missions air-sol, on faisait aussi du tir napalm à très basse altitude. On volait, si je me rappelle bien, à une centaine de pieds. On ne voyait pas ses propres bombes mais quand on voyait celles de l'avion précédent, c'était quand même impressionnant.

Petite anecdote : en 1964, nous sommes allés en Grèce. On a décollé de Solenzara à neuf avions pour Elefsis, soit 2 heures 15 de vol à haute altitude. Pendant tout le vol, on n'a pas eu le moindre contact radio. On a dû descendre entre les nuages pour atterrir. Au moment où je me suis posé, je me rappelle qu'il y avait un chien qui dégageait la piste. Il était temps d'atterrir et nous nous sommes donc posés sans aucune autorisation. Nous avons rejoint un parking sous le regard étonné de quelques mécanos grecs qui se demandaient ce qui se passait."

En novembre 1965, Gus Janssens quitte Florennes pour suivre le cours moniteur.

"Pour ce cours, je suis d'abord repassé sur SV. Les moniteurs formaient une bonne équipe. Ce qui était bien, c'est qu'ils vous apprenaient à voler mais surtout à transmettre les connaissances. C'était ça le plus important. C'est à ce moment que j'ai vraiment appris à voler le SV, surtout en accro. Le Fouga a aussi été une découverte : un avion tout bas qui faisait un bruit pas possible et sur lequel je suis passé moniteur à la mi-avril.

C'est l'époque où j'ai vraiment commencé à accumuler les heures. J'ai fait 1 840 heures en trois ans et demi. On travaillait en shifts et je faisais par exemple un vol dans mon shift le matin et puis j'allais voir à l'autre escadrille, où étaient formés les Hollandais, s'il n'y avait pas l'un ou l'autre vol à faire. Il arrivait régulièrement que je fasse trois ou quatre vols par jour. J'ai eu aussi beaucoup d'élèves hollandais. Ça se passait bien même s'ils étaient généralement plus distants.

Assez rapidement, j'ai demandé à faire des vols en place arrière avec les Diables Rouges, juste pour voir. J'ai fait quelques vols avec le Major Dewaelheyns et ça m'a vraiment donné envie. Finalement, j'ai intégré le team assez rapidement et en octobre 1966, j'ai commencé les entraînements en peloton. On volait après un ou deux vols élève ou l'inverse, quand on commençait plus tard, avant les vols d'écolage. Parce qu'il n'était pas question que nos élèves soient à la traîne, la formation devait se poursuivre. C'était une période formidable au point de vue vol, nous étions toujours en l'air.

Je me rappelle qu'au cours d'un de mes premiers entraînements avec Paul Van Essche au-dessus de l'aérodrome de Zutendaal j'ai accroché sa dérive avec le bout de mon bidon. J'étais trop près et j'ai voulu m'écarter et c'est à ce moment que je l'ai touché. Je n'ai rien senti, contrairement à lui qui a commencé à piquer du nez. Heureusement on s'en est sorti.

Ce qui était dur aussi, c'était le vol sur le dos. Roger Fagnoul était un mordu du vol dos et on volait des minutes et des minutes sur le dos dans les Ardennes pour nous habituer à cette position, qui est très fatigante, même si le Fouga ne pouvait voler sur le dos qu'une cinquantaine de secondes. Ce genre de figure doit devenir une seconde nature. Ensuite, cela ne pose plus de problème Ce n'est pas si difficile mais pour y arriver, il faut travailler, travailler et encore travailler. Au début, le travail en peloton est difficile car on n'est pas directement récompensé. Cela vient progressivement, d'autant qu'on évolue à cinq ou six avions, en équipe.

Les entraînement étaient progressifs. On évoluait d'abord à deux avions, puis à trois, à quatre. Ce qui n'est pas évident, c'est de mettre un show sur papier, savoir ce qu'on va faire, combien de temps cela va prendre, qu'est-ce que l'on veut exactement présenter, etc. Il faut montrer quelque chose d'agréable et pas toujours vouloir se faire peur. Je me souviens de mon copain Alex Malpas qui se baladait dans la région de Saint-Trond en Fouga sur le dos à hauteur d'arbre ou d'autres avec qui j'ai traversé la Manche et dont on voyait la trace de leur tail pipe dans la mer. Au moindre problème… Personnellement, j'ai toujours préféré avoir une porte de sortie.

En avril 1967, la saison des meetings a commencé. Mon premier était à Virton, au-dessus d'un petit terrain au milieu de nulle part. Nous opérions au départ de Marville, plus proche que Brustem. Quel contraste avec les meetings organisés à l'anglaise, comme à Biggin Hill ! L'Angleterre, au point de vue aviation, pour moi c'est au-dessus de tout : la chaleur de la réception, l'intérêt des gens, c'était extraordinaire. Je me souviens d'un meeting où il faisait vraiment mauvais et tout le monde savait qu'on ne volerait pas. Pourtant ils étaient là pour noter le numéro des avions, prendre des photos, parler avec nous… de vrais mordus.

Nous sommes surtout allés en Angleterre et en France. Je me rappelle qu'un jour nous revenions de Lyon et, je ne sais plus pourquoi, nous avons dû nous poser à Saint-Dizier qui était une base Strike équipée de Mirage IV. Aucun plan de vol n'avait évidemment été déposé pour cette base mais bon, comme on devait absolument se poser, on a demandé l'autorisation. Inutile de dire qu'à l'atterrissage, un comité d'accueil armé nous attendait et que notre leader a dû aller s'expliquer avec un des patrons de la base. Tout est finalement rentré dans l'ordre assez rapidement.

En septembre 1969, j'essayais de préparer mon départ de l'EPA pour retourner en escadrille et j'avais envie d'aller sur Mirage. Je crois que l'Etat-Major avait décidé de désigner pour la formation des moniteurs sur Mirage quatre officiers et quatre sous-officiers. Trois sous-officiers avaient déjà été désignés et il ne restait donc qu'une place. J'ai donc essayé et ça a marché. Je ne croyais pas que ça se passerait aussi facilement car, finalement, j'étais au Groupement instruction depuis quatre ans et je revendiquais une place pour laquelle d'autres pilotes, restés en escadrille, avaient à juste titre plus de chance que moi d'être sélectionné. J'ai donc refait du T-Bird et du F-84F à Florennes, à la 2e escadrille.

J'ai fait mon dernier vol en "F" le 29 décembre 1969 et le 5 janvier 1970 nous sommes partis à Dijon, en Renault 4, sur une route verglacée. Après les cours au sol, j'ai commencé à voler sur Mirage IIIB le 23 janvier. Les moniteurs français étaient vraiment formidables. Ils connaissaient vraiment leur sujet.

Nous avons été lâchés sur Mirage IIIC après une dizaine de vols. Ensuite, nous sommes partis en mars à Colmar, sur Mirage IIIE. Le cockpit du Mirage était bien étroit mais ce n'était pas désagréable, même si ça surprenait au début. De plus, c'était un delta. Il fallait voir comment il réagissait mais, comme avec tout avion, si l'on respecte ce que disent les bouquins ou les instructeurs, ça se passe bien. Cela ne veut pas dire que de temps en temps il ne faut pas aller plus loin pour voir ce qui se passe, ce qui m'est arrivé d'ailleurs, à mes dépends, lors d'un de mes premiers vols. Comme le Mirage était initialement un chasseur, on nous faisait faire des interceptions. Et lors d'un de ces vols, j'étais plastron pour mon commandant d'escadrille et mon 'ops', Paul Jourez et Xavier Janssens. J'attendais que l'on m'attaque, bien décidé à ne pas me laisser faire. Dès que je les ai vus, j'ai mis pleine manette et j'ai commencé à tirer à fond dans le stick. Je n'ai fait qu'un virage, l'avion a commencé à gronder et j'ai eu un décrochage compresseur. J'ai immédiatement réduit, nez vers le bas pour atteindre 300 nœuds. Tout s'est finalement terminé assez vite et je suis rentré à la base où j'ai été instamment invité à venir m'expliquer chez le commandant de la base. Trop déterminé à décrocher mes adversaires, je n'avais évidemment pas regardé mon Adhémar, les trois voyants de couleur qui indiquaient l'angle d'attaque de l'avion. Une fois de plus, j'ai tiré les leçons de cette expérience.

En mai, nous sommes revenus à Dijon, pour suivre la formation de moniteur Mirage cette fois. Après les vols de transition en place arrière, nous avons commencé à voler entre nous et nous nous sommes mis progressivement à nous répartir les tâches pour les cours au sol que nous devrions organiser par la suite. En effet, tout était à créer. Beaucoup de paperasse. Je donnais briefing sur le siège éjectable et le système oxygène, Dupe (Jean-Marie Dupont) s'occupait du moteur, etc.

En juillet, c'est le retour en Belgique.

Nous sommes rentrés pour la Fête nationale. Nous avons commencé à voler avec le premier appareil, le BD-01, fin du mois. Il a fallu préparer les cours au sol avant de débuter les conversions des premiers pilotes. Le rythme était assez soutenu. Les pilotes qui avaient déjà de l'expérience quittaient l'escadrille après trois semaines. Ça prenait un peu plus de temps pour les jeunes. Les lâchers se faisaient en moyenne après une quinzaine d'heures. Au début, nous étions huit moniteurs, puis lorsque la 8e est passée à Bierset, nous nous sommes retrouvés à sept, puis à six. Plus tard, l'équipe s'est étoffée progressivement.

Pour les vols Mach 2, nous allions dans les Ardennes. On partait de la région de Bitburg, direction Florennes. Ces vols se faisaient à 36 000 pieds minimum mais il fallait surtout tenir compte de la température de l'air pour pouvoir atteindre la vitesse nécessaire avant de dépasser Florennes.

Les vols s'enchaînent et après à peine trois ans, Gus passe le cap des 1 000 heures de vol sur Mirage. Il en bouclera encore plus de 3 000, dont certaines parfois riches en émotions.

Un jour, je volais comme numéro deux de Dupe sur le BD-09 avec Fred Burniat en place arrière. Nous allions tirer à Nordhorn, en Allemagne et comme nous étions en retard, nous avions mis la gomme. Soudain, j'ai entendu un "bang". Je suis monté, j'ai réduit et j'ai vérifié les paramètres : tout était OK. J'ai signalé à Dupe ce que je croyais être un problème moteur. J'ai ensuite essayé de contacter Fred. Rien, il ne répondait pas. Première réaction, comme ce n'était pas un problème moteur, je me suis dit qu'il s'était s'éjecté. En me retournant, j'ai vu sur mon épaule un morceau de plastique, puis le trou dans la verrière. Fred, lui, était toujours là, collé à son siège par le flux d'air, incapable de parler. On n'a jamais retrouvé de plumes mais c'est vraisemblablement un oiseau qui nous a percutés sur le dessus du canopy. L'accident a en tous les cas été classé comme birdstrike.

Lors d'une autre mission avec un élève, on décolle et on lève le nez pour prendre de la portance. A ce moment, alors que le train principal était encore sur le sol, j'ai vu la lampe qui indiquait la rentrée du train. J'ai tout de suite repris les commandes, le train s'est rétracté et l'avion s'est légèrement enfoncé car nous étions à la limite de la portance. L'appareil a décollé mais nous avons raclé la queue et les bidons, ce qui a provoqué quelques étincelles…

Après 7 572 heures de vol engrangées, Gus Janssens a pris sa retraite en 1984, non sans avoir encore tâté du planeur pendant quelques mois chez les Cadets de l'Air. Avec 4 034 heures rien que sur Mirage, il restera pour de nombreux pilotes qu'il a formés une figure indissociable de l'histoire du delta français en Belgique.


Interviews: Vincent Pécriaux (17 novembre et 2 décembre 2006)
Note: Reproduction interdite sans l'accord préalable écrit de leurs auteurs respectifs


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